L’Arc de triomphe de l’Étoile

L’Arc de triomphe de l’Étoile
Poëme qui a remporté le prix décerné par l’Académie française, le 9 août 1837
Bourgogne et Martinet.

L’ARC
DE TRIOMPHE
DE L’ÉTOILE.
POËME
qui a remporté le prix
décerné par l’académie française,
le 9 août 1837.
par év. boulay-paty.
Prix : 50 cent.
PARIS,
imprimerie de bourgogne et martinet,
rue Jacob, 30.

L’ARC
DE TRIOMPHE
DE L’ÉTOILE.


Oh ! c’était une fête et grande et mémorable,
Une solennité populaire, admirable,
Comme on n’en verra de long-temps !
En grossissant toujours, à flots pressés la foule
Ondulait avec bruit, ainsi que la mer roule
Sous un phare aux feux éclatants.
L’Arc de Triomphe de l’Etoile
Laissait tomber sa vaste toile
Devant ce peuple noble et fier.
Délivré de ses longs cordages,
De ses nombreux échafaudages,
Le géantsedressaitdansl’air.

L’invalide, étonné de sa démarche sûre,
Ne se ressentait plus de sa vieille blessure,

Il était jeune ; et les conscrits,
Près de lui contemplant l’inébranlable ouvrage,
Héros soudains, avaient en eux le vieux courage
Des soldats sur la pierre inscrits.
Tous sortaient pour ce jour prospère ;
Le jeune homme menait son père,
Le père menait son enfant.
La France à son immense gloire,
Sous son monument de victoire,
Assistait, peuple triomphant !

De vingt ans, en un jour, l’éclat semblait renaître.
On éprouvait alors ce que jamais peut-être
On n’avait encore éprouvé ;
Le pied marchait léger, l’âme était énergique,
On sentait dans son bras une vigueur magique,
On s’abordait le front levé,
La fierté gonflait les narines,
Les cœurs battaient dans les poitrines,
Les yeux rayonnaient de bonheur,
Le sang bouillonnait dans les veines !
Oh non ! elles ne sont pas vaines,
Les nobles fêtes de l’honneur !

Au pied du monument, parmi la multitude,

Un jeune homme paraît.Il s’arrête. — « C’est lui !
» Le poète ! dit-on ; voyez son attitude !
» Son âme lui parle aujourd’hui.
» Ah ! puisque ce sont eux qui seuls disent aux hommes
« Ce que fit de grand l’univers,
» Dans la noble langue des vers
» Qu’il nous chante la gloire au lieu même où nous sommes
Son œil lança l’éclair ; son esprit s’exalta.
Environné par tous comme aux fêtes antiques,
Tirant du fond du cœur ses vers patriotiques,
Le poète inspiré chanta :

« Salut, représentant de notre vieille armée !
Salut, fier piédestal où notre renommée,
Colosse immesurable, au ciel touche du front !
Ta masse indestructible, édifice sublime,
Fatiguera du temps l’infatigable lime ;
Sur toi les siècles s’useront !

» O noble pierre, orgueil de notre capitale,
Salut à toi ! salut, tombe monumentale,
Dressée à tant de morts que tu dois honorer !
Ta sculpture leur sert d’héroïque épitaphe.
Autour de toi l’on croit, auguste cénotaphe,
Sentir leurs fantômes errer !

» Sous ta voûte, où tant d’air élargit la poitrine,
Que chacun, même aussi celui que l’âge incline,
Se redresse soudain et se sente plusgrand !
Si quelqu’un devant toi porte la tête basse,
On est bien sûr que c’est un étranger qui passe :
Pierre éloquente, il te comprend !

» Le passé sur toi brille en lettres colossales ;
Mieux qu’aux feuillets écrits de toutes nos annales,
Chacun de nos exploits se lit sur ton granit.
Aux avides regards ouvre-toi, page immense,
Page immortelle, où gloire est le mot qui commence,
Où gloire est le mot quifinit !

» Les arcs triomphateurs, célèbres dans le monde,
Font sortir une voix de leur base profonde
Pour vanter leur héros et leur sommet hautain ;
Ce sont les arcs, fameux par leur grâce sévère,
De Titus, de Trajan, de Septime Sévère,
De Marius, de Constantin !

» Tu leur réponds : « Silence à vos cimes ridées !
» Vous devenez petits devant mes cent coudées.
» Sous moije vous entends, et sous moije vous vois.
» Par-dessus vos héros la tête du mien passe,

» Par-dessus vous ainsi je monte dans l’espace,
» Et ma voix couvre votre voix !… »

» Raconte nos exploits, et fais qu’on nous renomme,
Poëme sans pareil, dicté par un seul homme,
Par cent mille soldats écrit pendant vingt ans,
Poême merveilleux, su de l’Europe entière,
Toi dont les arts ont fait une épopée en pierre,
Lecture éternelle des temps !

» Plonge profondément tes pieds forts dansla terre,
Sois ferme ! porte haut ta tète militaire,
Sois grand ! éblouis l’œil, et rends l’esprit penseur !
Des splendeurs d’autrefois qu’un reflet t’environne ;
Dans ta majesté mâle égale la Colonne,
Ta fière et gigantesque sœur !

» Vous êtes bien tous deux enfants du même père,
Tous deux nés de la gloire en un temps plus prospère ;
A rappeler son nom c’est vous qu’il destinait ;
De sa force la vôtre est la digne héritière,
Oh ! vous faites bien voir votre origine altière,
Personne ne vous méconnaît !

» Il eut un autre enfant, mais de chair périssable,
Qui du mal de la mort, en nous inguérissable,

S’éteignit, faible écho de son nom souverain……
Comme Epaminondas, Leuctres et Mantinée,
Il ne laisse après lui que vous seuls pour lignée :
Il revit, de pierre et d’airain ! »

Le poète chantait, et les nobles figures
Des vétérans blanchis s’animaient de fierté,
Et les jeunes soldats, enviant leurs blessures,
Admiraient leur caducité ;
L’homme du peuple, ému jusque dans ses entrailles,
Répandait des larmes d’orgueil ;
Rêvant l’honneur d’un beau cercueil,
Oh ! tous auraient voulu de nobles funérailles !
Leur sang était brûlant, et leur sein s’agitait !
Environné par eux comme aux fêtes antiques,
Tirant toujours du cœur ses vers patriotiques,
Le poète inspiré chantait :

» Les vastes monuments sontles grandes reliques
Des peuples qui par eux semblent ressusciter ;
Les doigts du temps, posés sur les cités antiques,
Sentent sous leurs débrisleur grand cœur palpiter.
Athène existe encore, et Rome n’est pas morte !
Car toute nation qui régna grande et forte
Dans la postérité vit par ses monuments ;

Ou mesure sa taille à cette ombre fidèle,
On voit ce qu’elle fut par ce qui reste d’elle ;
On reconnaît sa force à ses grands ossements !

» Granit majestueux, tu parles bien à l’âme !
Ici la liberté, bravant et rois et czar,
Pousse sur la frontière un peuple qu’elle enflamme ;
Là le monde conquis cède à notre César ;
Bientôt, tenant encor son épée aguerrie,
Le Français, pas à pas défendant la patrie,
Meurt toujours invincible, et par-devant blessé ;
Enfin la paix, forgeant le soc avec les armes,
Dans les yeux maternels tarit les longues larmes,
Et ses riches moissons cachent le sang versé.

» La paix est belle avec son front riant et calme,
Compagne des beaux-arts, sœur de la liberté,
Reine ayant dans la main pour son sceptre une palme,
Et mère inépuisable en sa fécondité !
Qu’elle est belle la paix ! comme la paix impose,
Lorsqu’à ton ombre ainsi sans crainte elle repose,
Triomphal monument qu’elle vient de finir !
Avec respect de loin l’étranger la regarde,
Cette puissante paix qui se met sous ta garde,
Souvenir du passé, garant de l’avenir !

» Si l’ennemi, jamais rêvant la France esclave,
Pour l’attaquer un jour en armes accourait,
Etna guerrier, sur lui tu lancerais ta lave,
Et de ton bruit au loin l’Europe tremblerait !
Aux portes de Paris active sentinelle,
Qui feras là debout une veille éternelle,
Tu nous rends pour toujours impossible un revers ;
En voyant l’étranger marcher vers nos murailles,
Ne sortirait-il pas du fond de tes entrailles
Un cri dont les échos rempliraient l’univers !

» Mais le soir vient : le jour avec regret te quitte,
Panthéon de héros, Capitole français,
Edifice vainqueur, dont la splendeur acquitte
La liberté nouvelle envers nos vieux succès !
Le gaz éblouissant te forme un diadème
Qui montre ta grandeur dans les ténèbres même,
Son bandeau magnifique illumine ton front ;
Mais tous les noms fameux dont l’éclat t’environne
Te font une plus belle et plus noble couronne,
Et dans la nuit des temps jamais ne s’éteindront ! »

Le poète se tait… La fête était finie.
L’ombre couvrait l’azur de l’éther spacieux,
Et de la France alors l’indomptable génie

Reprenait son vol vers les cieux,
Au loin se retirait cette foule innombrable,
Pareille au reflux de la mer ;
Chacun emportait, libre et fier,
L’éternel souvenir de ce jour mémorable ;
L’honneur du nom Français par tous était vanté ;
Tous ils s’en retournaient, ainsi qu’au temps antique,
Ayant au fond du cœur l’hymne patriotique
Que le poëte avait chanté……

Dans l’espace muet quand la nuit fut venue,
Quand tout Paris au loin dormit profondément,
Il se fit une fête, aux vivants inconnue,
Autrement belle encore, autour du monument.
Tous les morts des vieilles phalanges
Arrivaient, fantômes étranges,
Par escadrons, par bataillons ;
Pressés, jaunis comme en automne
Les feuilles qu’un vent monotone
Mêle à la poudre des sillons.

Perçant de tous côtés les nuages nocturnes,
De l’Ouest et du Nord, de l’Est et du Midi,
Ils venaient, ils venaient, régiments taciturnes,
Tête haute, corps droit, bras sur l’arme roidi ;

Spectres poudreux, blêmes et graves,
Les traits décharnés, les yeux caves,
Du ruban rouge décorés,
Les uns hâlés en Italie,
Les autres glacés en Russie,
Tous mutilés, tous balafrés !

Et les soldats sculptés tout-à-coup s’agitèrent,
Montèrent leurs chevaux revivant ainsi qu’eux ;
Les drapeaux de granit soudain aussi flottèrent,
Détachés des parois, sur ces fronts belliqueux ;
Tous les noms écrits sur la pierre
S’animèrent, foule guerrière,
Et, couverts d’épaulettes d’or,
Reprirent leur ancienne forme,
Vieux généraux en uniforme,
Comme au feu terribles encor !

Tous ces héros fameux, élite bien connue,
Allèrent se ranger derrière un petit chef
À la capote grise, à la simple tenue,
Au front large, aux yeux d’aigle, au geste ferme et bref.
Et lui, montrant du doigt la cime
De l’Arc triomphal et sublime,
Il semblait dire fièrement :

« Soldats, là vos exploits se gardent !
» Les siècles futurs vous regardent,
» Du haut de ce grand monument ! »

Devant le monument ainsi la grande armée
Se déroula long-temps et défila sans bruit.
Elle aussi, tout exprès des tombeaux exhumée,
Inaugurait son Arc dans l’ombre de la nuit…
Lorsque l’aube, encore indécise,
De l’Arc eut effleuré la frise
Par un rayon avant-coureur,
Finit cette grande revue
Que les morts en foule avaient vue,
La dernière de l’Empereur !