L’Arc d’Ulysse/Marche à travers les vergers

L’Arc d’UlysseÉditions Georges Crès et Co (p. 72-73).

MARCHE À TRAVERS LES VERGERS

À Gaston Le Révérend.


La guerre déchire l’automne.
L’arbre en or
Disperse de claires couronnes
Sur nos morts.

Pour un qui tombe il en vient quatre
Au canon.
Nos cœurs se laissent-ils abattre ?
— Non, non, non.

Le vent sur les feuilles du tremble
Ce matin
À pile ou face joue, il semble,
Nos destins.

Mais l’arbre tient bon, qu’en sa rage
Tord le vent ;
Du rude assaut c’est le présage
Émouvant.

Sur la tranchée et sur l’embûche
Frémissant,
Octobre, qui teins la lambruche
De ton sang,

Quand tu changes en torches claires
Les rameaux,
Nous pensons à ceux qui brûlèrent
Nos hameaux.

Que soient rouges comme nos bouches
Tes vergers,
À l’heure où nous mordons, farouches,
L’étranger !

Le bourreau des arbres, la lame
D’assassin,
Qui cherche sous l’écorce une âme
Et un sein.


14 novembre 1914.