L’APUS[1]

On sait que les graines ont la propriété de conserver, pendant un temps très-long, leurs propriétés germinatives, assurant ainsi à des périodes très-éloignées, la reproduction de l’espèce : le blé, l’orge, l’avoine, et presque toutes les céréales, possèdent cette faculté à un très-haut degré.

Ce fait bien connu pour les plantes est assez rare pour les espèces animales ; cependant il existe dans les genres inférieurs.

Les expériences de Spallanzani ont montré déjà depuis bien longtemps que les infusoires privés d’eau cessent en apparence de vivre, de même qu’ils ont la propriété de reprendre leur existence interrompue lorsqu’on les place dans un milieu favorable à leur nutrition.

Dans ces derniers temps, les inondations de la Seine qui ont recouvert par trois fois les campagnes riveraines, ont mis en évidence des faits du même genre. — M. Carbonnier, pisciculteur distingué, en faisant chercher dans la plaine de Gennevilliers les insectes et les vers qui servent à la nourriture des poissons de ses aquariums, fut tout étonné d’apercevoir, nageant au milieu du liquide, un petit animal de forme particulière, le corps muni d’une carapace, appartenant à la famille des Crustacés : cet animal était l’Apus.

L’Apus est un crustacé de longueur totale de 5 à 6 centimètres, bien caractérisé par sa carapace en forme de bouclier, et par ses pattes en nombre considérable (60 paires environ) qui lui servent d’appareil respiratoire. Il habite ordinairement les eaux stagnantes et même croupies ; lorsque l’eau où il se trouve s’évapore, il meurt ; mais ses œufs coriaces et durs résistent à l’action de la chaleur et des grands froids, et se développent lorsque les circonstances extérieures leur ramènent l’eau et la température nécessaires à leur développement. La conservation de ces œufs, pouvant durer cinq ou six ans et même plus, explique, la réapparition de l’Apus aux environs de Paris, d’où il était disparu depuis les dernières crues de la Seine.

1. Apus. — 2. Limnadie. (Grandeur naturelle.)

Au contact de l’eau, les œufs, de couleur rouge, se transforment, et l’Apus apparaît ; il ne subit rien moins que vingt mues différentes qui changent totalement sa couleur et son aspect dans l’espace des trois mois suffisants pour assurer son développement.

L’Apus se nourrit d’insectes, de chair morte, et surtout de branchipes, petits crustacés très-voisins de lui par leur organisation.

Les branchipes possèdent les mêmes propriétés reproductrices que les apus, de telle sorte qu’ils apparaissent en même temps que ces derniers ; c’est là une prévoyance singulière de la nature, qui place à côté de l’apus l’animal qui doit le nourrir.

Enfin, à côté de ces deux espèces, s’en place une troisième, l’espèce Limnadie établie par M. Brongniart, et observée dans les mares de Fontainebleau ; c’est là que les limnadies apparaissent dans les grandes pluies, alors que le sol, suffisamment détrempé par l’eau, se trouve dans les conditions propres au développement des œufs.

La carapace de la Limnadie est beaucoup plus développée que celle de l’Apus ; elle recouvre, en effet, tout le corps, et a la forme d’une coquille bivalve.

Tels sont les caractères essentiels de ce groupe de crustacés si remarquables par leur mode de reproduction. Les dessins que nous en donnons et que nous avons reproduits d’après le beau livre de M. Milne Edwards sur les crustacés (Suites à Buffon), achèveront de donner au lecteur une idée exacte de la conformation singulière de ces petits animaux.

E. Landrin.


  1. Crustacé apparu aux environs de Paris lors des dernières inondations.