Traduction par Raymonde de Galard.
La Renaissance du livre — Éditions Marcel Daubin (p. 5-8).

LETTRE-PRÉFACE

Madame,

J’ai lu avec un extrême intérêt le petit roman que vous avez traduit sous ce titre significatif : L’Appel de la Forêt. Ce poème de la vie d’un chien, lentement repris par la sauvagerie primitive, se déroule dans le Nouveau Monde parmi des scènes de chasseurs et de mineurs d’une intense originalité. Rien de moins défloré par la littérature que ce coin du Nord de l’Amérique qui va de l’État de Washington à l’Alaska. Si l’on en juge par L’Appel de la Forêt, la rudesse des mœurs, jointe à la magnificence des paysages, fait de cette bande de terre, baignée par les dernières houles du Pacifique et séparée du reste du monde par les derniers contreforts des Montagnes Rocheuses, un endroit unique, le rendez-vous des énergies qui émigraient autrefois vers l’Ouest. Ces émigrations remontent aujourd’hui, vers le Nord, dans quelles conditions, ce roman et les deux nouvelles qui suivent, nous en donnent une idée qui semble bien exacte.

Je dis : « qui semble ». Car nous n’avons guère de contrôle pour juger de la véracité de ces tableaux, pas plus que pour apprécier le talent d’un écrivain comme l’auteur de ces récits. C’est de la littérature, si voisine de l’action, qu’elle touche au reportage, à l’instantané photographique, à la pantomime aussi. J’ai eu la curiosité de rechercher quelques détails biographiques sur Jack London, c’est le nom ou le pseudonyme du romancier… J’ai trouvé qu’il était né à San-Francisco en 1876, qu’il avait étudié à l’Université de Californie et qu’il était qualifié des titres suivants : marin, chercheur d’or, vagabond, écrivain, socialiste, conférencier, journaliste ! À dix-sept ans, il arrivait au Japon comme matelot. On le retrouve, à dix-neuf, chassant le phoque sur la côte russe de la mer de Behring. On nous le décrit ensuite, parcourant à pied les États-Unis et le Canada, et ayant, je cite textuellement : More than one jail experience, plus d’une expérience de prison ! Il est à Londres, dans le East End, comme miséreux, vers 1896, au Klondyke, en 1897, comme mineur ; en Corée et en Mandchourie, en 1904, comme War-correspondent, et on nous apprend qu’en 1906 il est parti pour une croisière de sept ans autour du monde. La publication qui donne ces renseignements énumère la liste des récréations de cet homme de lettres : cerf-volant, yacht, escrime, boxe. Ce simple schéma d’une existence d’aventurier ressemble peu à ce qu’est chez nous la vie d’un mandarin du roman. Le résultat en est ce talent tout sensationnel, dont nous ne pouvons pas savoir si sa réelle saveur n’est pas due simplement à son étrangeté. Cette saveur est forte, elle est prenante. Pour un civilisé qui a peu de chance de jamais voyager là-bas, le récit des exploits du chien Buck est passionnant à suivre, et vous avez eu raison de penser qu’il valait la peine de nous faire connaître ce poème en prose, d’un si sauvage caractère.

Paul Bourget.