Supplique.

Séparateur

à Pie ix.

 
Pio Nono, Saint-Père, au cœur ferme et clément,
Par l’Église et l’exil consacré doublement ;
Salut, Pio Nono, Pontife et Roi de Rome :
Toi, tu sauras comprendre un céleste idiome !
Sur ton front sillonné de l’éclair du malheur,
La tiare et l’épine ont mêlé leur splendeur ;
Ton beau règne est marqué de la croix glorieuse,
Signe d’élection, étoile radieuse,
Sceptre toujours vainqueur, diadème de ceux
Qui, passant sur la terre, appartiennent aux cieux ;
Et cette triple croix qui luit sur la tiare,
N’est pas un vain symbole, un joyau qui la pare ;
C’est l’emblème réel, la vive expression
Des mots « Crux de Cruce » de la prédiction ! —
Instruit par la douleur, purifié par elle,
Père et Chef de l’Église, unique, universelle,
Puissant par ton génie et saint par tes malheurs,
Ton âme s’est trempée à la source des pleurs !
Et dans ce siècle impie, où pâlit la lumière,
N’es-tu pas le soleil dont notre nuit s’éclaire ?
Représentant du Christ, sur sa Chaire exalté,
En toi tout se concentre et tout est reflété ;
À tes conseils toujours l’Esprit de Dieu préside ;
Autant que la science, en toi l’amour réside ;
Pôle, centre attractif, miroir de charité,
Tous les peuples en toi trouvent leur unité ;
Tu rayonnes partout ; tu comprends, tu devines :
Ta lèvre a pour nos maux des paroles divines !
L’œil, le cœur et l’esprit se tournent par instinct
Vers toi, Père de tous, plus cher que tu n’es craint ;
Et moi, pour te parler, en mon pieux délire,
J’invoque ici la Muse, et je reprends ma lyre !
Sauvage enfant des bois, fils d’un Monde Nouveau,
Adopté par la Muse au sortir du berceau,
Abandonnant les champs de la prose vulgaire,
J’ose suivre le vol de l’oiseau du tonnerre,
Et jeter, plein d’espoir, à travers l’océan,
Mon cri de poésie au cœur du Vatican !
Dans ce siècle de prose, oh ! oui, j’ose te dire :
La poésie est sainte ! et je reprends ma lyre !
Depuis le paradis et le premier désert,
Jusqu’à nous retentit l’unanime concert,

L’accord universel : La poésie est sainte !
La Muse de l’autel peut s’approcher sans crainte ;
Le barde, après le prêtre, est roi dans le saint lieu ;
La langue de David, c’est la langue de Dieu ! —
La poésie est sainte ! et l’Eglise inspirée
N’a jamais récusé cette langue sacrée :
Avec l’encens, les fleurs et les présents divers,
Le poète fidèle a droit d’offrir ses vers !
Oui, l’Église a toujours accueilli d’un sourire
Le fils de l’harmonie incliné sur sa lyre !
Et quand tout s’en allait, croulant de toutes parts,
L’Église, au sein des flots, fut l’Arche des Beaux-Arts !
On le sait aujourd’hui, c’est elle, au Moyen-Age,
Qui, riche de trésors, les sauva du naufrage ;
Lorsque la nuit pesait sur tout le genre humain,
Elle seule tenait un flambeau dans sa main ! —
La poésie est sainte ! Autrefois le poète
Était pontife ou roi, voyant, juge ou prophète :
Le poète, Aujourd’hui, n’est pas moins qu’autrefois ;
La harpe de David vibre encor sous ses doigts !
Dites, Synésius, Grégoire, Apollinaire,
Si vous avez marché sur les traces d’Homère,
Si vous avez orné de fleurs la vérité,
Jusqu’au pied de l’autel si vous avez chanté ;
Et si vos chants, échos des hymnes angéliques,
Ont transporté d’amour les peuples catholiques ;
Oh ! dites, ai-je en vain reçu le même don,
Et dois-je pour mes vers implorer le pardon ?
Est-ce pour qu’elle reste inutile et muette
Que Dieu mit une lyre en mon cœur de poète ?
Oh ! non ! et c’est en vers que je viens aujourd’hui,
Pontife Souverain, du faible ferme appui,
Te demander, au nom de la Vierge sans tache,
Une faveur qu’il faut que son amour t’arrache : —
Permets donc à ma Muse, en son mystique attrait,
De choisir pour prier l’ombre de la forêt ;
Laisse-la, secouant la poussière des villes,
Choisir au fond des bois le plus sûr des asiles !
Aujourd’hui, dans le monde, ennemi de la Croix,
Les dangers sont pour nous les mêmes qu’autrefois :
Tu le sais, ô Saint-Père, il est des âmes faites
Pour prier loin du bruit, pour gémir loin des fêtes ;
Il est des cœurs scellés, et qui ne sont remplis
Que de l’amour du ciel ; et semblables aux lys,
Leur pureté demande un abri solitaire,
Le cloître, ou le désert, ou la cellule austère.
Dans ce siècle-à-vapeur, siècle d’éclat, de bruit,
Où tout se démolit et rien n’est reconstruit,
Puisqu’il n’est aucune arche ouverte à la colombe,

Permets qu’elle s’envole au désert du Lacombe ;
Et pour aider son aile, en ce mystique élan,
Oh ! prête-lui ta force, Aigle du Vatican !
Pio Nono, Saint-Père, écoute ma prière :
Au nom d’Emmanuel et de sa Vierge Mère,
Au nom de Saint Antoine et de Paul le divin,
D’Étienne de Grandmont, de Pierre Célestin,
Aigles contemplatifs, flambeaux des solitudes ;
Ah ! permets que, voilée et loin des multitudes,
Ma Muse en Dieu s’isole et n’aime que lui seul,
De l’oubli du passé se faisant un linceul ;
Et que, se dévouant à la vie ascétique,
Elle retrouve ici la Thébaïde antique :
Répands sur elle, à flots, des hauteurs de Sion,
Répands avec amour ta bénédiction ;
Oui, pour elle et pour moi, je t’implore et supplie :
Réponds à ma prière, à sa mélancolie ;
Réponds ! car notre espoir repose en ta bonté,
En ton amour sans borne et ton Autorité !
— Mais, du haut de ton trône, il me semble, ô Saint-Père,
Pontife Souverain, successeur de Saint-Pierre,
Il me semble t’entendre, en souriant d’amour,
Avec un doux accent me répondre à ton tour :
« Pourquoi donc, en parlant un céleste idiome,
« Adresser ta supplique au Pontife de Rome ?
« Pourquoi, dans la ferveur de ton premier élan,
« Implores-tu l’appui du Chef du Vatican ?
« N’as-tu pas près de toi l’Ange du Diocèse
« Dont le nom est pour tous synonyme d’ascèse ;
« Dont le nom seul, — Antoine, — écrit dans les déserts,
« Rappelle à notre cœur tant d’ascètes divers,
« Tant d’astres lumineux et de lampes ardentes,
« Tant de mystiques fleurs près des sources vivantes ?
« N’as-tu pas, pour aimer, pour comprendre et bénir,
« Un cœur qui s’est montré toujours lent à punir ?
« C’est à lui qu’il fallait adresser ta supplique ;
« C’est lui qui t’a sacré de l’onction mystique ;
« Il est ton père et guide ; il t’aime et te connaît ;
« C’est à lui de juger, d’approuver ton attrait.
« Et d’une voix puissante, autant que paternelle,
« De dire, en t’embrassant : Repose sous mon aile ;
« Contemple, adore et chante, immobile à l’écart ;
« La part que tu choisis est la meilleure part !
« Sois libre en ton désert et sans sollicitude :
« Ainsi qu’en Orient, ici la solitude,
« Ici la Thébaïde est un Éden fleuri ;
« Sois libre en ta forêt, sois seul et sois béni ! »