L’Antoniade/Premier avertissement

Premier Avertissement.

Séparateur


 
Quand le doux Fénélon, le Cygne de Cambrai,
Sublime prosateur par Homère inspiré,
Donna son Télémaque à l’Europe ravie,
L’envieuse malice empoisonna sa vie !…
 Si, dans son zèle amer, inspiré du Démon,
Quelque homme inique, en qui revit Laubardemont ;
Si quelque Inquisiteur flairait une hérésie
Dans le miel que contient ma fleur de poésie ;
Si sa froide malice, interprétant mes vers,
Y trouve le poison de son esprit pervers ;
Du for intérieur souillant le sanctuaire,
S’il y porte un rayon de son œil téméraire ;
Si, méprisant la lettre et le sens littéral,
Il ose remonter au sens original ;
Si, jugeant des motifs, de la pensée intime,
Sondant la conscience et l’esprit qui m’anime, —
Il y voit des portraits, des personnalité »,
Une offense publique aux graves vanités ;
S’il désigne du doigt d’innocents personnages,
Et s’il se reconnaît… dans mes plus sombres pages ;
S’il ose, en torturant mon langage sacré,
Y trouver ce qu’il sent dans son cœur ulcéré ;
Avec emportement interpellant ma Muse,
Comme une Némésis, s’il l’insulte et l’accuse :
Que sur cet homme, en qui revit Laubardemont,
Que sur ce juge inique, inspiré du Démon,
Que sur ce froid serpent qui poursuit ma colombe,
Sur lui seul, à jamais, que l’odieux retombe !
 Ô Rome, à tes arrêts je soumets tous mes vers ;
Avec foi, je soumets tous mes écrits divers…
Jusqu’à tes pieds sacrés si le malheur le jette,
Tu sais, avec amour, relever le poète !

Oui, toi, tu reconnais toujours tes vrais enfants ;
Tu sais bien distinguer, dans les plus durs accents
Si c’est l’excès d’amour ou l’orgueilleuse haine,
Si c’est l’ardeur divine ou la colère humaine,
Si c’est l’élan mystique ou l’instinct de la chair,
Si c’est l’esprit du ciel ou l’esprit de l’enfer,
Qui, poussant quelque moine, ou quelque saint poète ;
Du fond de son désert, du fond de sa retraite ;
Le fait parler, ainsi qu’Hildegarde ou Suso ;
Ainsi que Saint Bernard, Tauler ou Saluzzo ;
En sa rudesse, ainsi qu’Élie et Jean-Baptiste,
L’Aigle Aréopagite et l’Aigle Évangéliste ;
Ces Anges de salut, tout-à-coup apparus ;
Ces régénérateurs, qui sont toujours venus
Du rayonnant abri des calmes solitudes,
Pour prêcher avec foi les Huit-Béatitudes ;
Pour prêcher l’Évangile aux peuples, comme aux rois ;
Pour défendre le Pape et défendre la Croix ! —
 Les mains pleines de fleurs, comme sur un Parnasse,
Tu reçus en triomphe et Pétrarque et le Tasse !
Lorsque, pour avoir dit la sainte vérité,
Ainsi qu’un ennemi par tous persécuté,
Le barde indépendant fuit loin d’un sol barbare, —
Qu’il tourne avec amour ses yeux vers la tiare ;
Qu’il espère et s’écrie, humble et doux suppliant :
« Rome ! ô Mère immortelle ! accueille ton enfant ! »
Et ton cœur amoureux, à ce cri poétique,
Jusqu’alors expirant sans écho sympathique,
Répondant tout-à-coup, dans un sublime élan,
À l’élu du Parnasse ouvre le Vatican !

 Ô toi, qui proclamas, sous la voûte étoilée,
D’une infaillible voix, Marie Immaculée,
Roi-Pontife de Rome, en qui la Papauté
Brille de tout l’éclat de son éternité,
Semblable au Dieu, vêtu d’un manteau d’écarlate,
Devant l’inique Hérode ou le lâche Pilate,
Malgré l’Europe impie et ses Gouvernements,
Tu resteras toujours fidèle à tes serments ! —
Le Dragon, enchaîné par le Fils de Marie,
Ne peut ressusciter l’ancienne Idolâtrie !
Le sang de Jésus-Christ coule sur chaque autel ;
Un concert d’oraisons s’élève vers le ciel ;
Le monde, en vain, partout, s’arme contre l’Église :
Contre elle, en ses efforts, toute fureur se brise !
Seule Arche de salut ouverte aux fils d’Adam,
Contre elle, avec les Rois, en vain lutte Satan !
Survivant aux débris d’universels naufrages,
L’Arche Sainte de Rome a traversé les âges !

Soutenant tous les chocs des Portes de l’Enfer,
Elle a vu dans sa course, et l’erreur et le fer,
Et la ruse et la force, incessamment unies
Pour opérer le schisme au sein des harmonies :
Sa force est dans l’amour, l’Infaillibilité,
Et son centre unitif est dans la Papauté !
Toujours, quoiqu’invisible, une céleste armée
Couvre de boucliers la Sainte Bien-Aimée,
L’Épouse Immaculée, en sa fécondité,
Enfantant tous les jours des fruits de sainteté !
Les Révolutions dans leur sombre colère,
Peuvent rugir autour de la Nef de Saint Pierre ;
La Nef, sur tous les flots, s’élèvera toujours,
Indestructible abri d’immortelles amours ! —
 Église, ô Sainte Église, ô ma Mère chérie,
Qu’inspire Jésus-Christ, sur qui veille Marie ;
Église, ô Sainte Église, en toi seule je crois ;
Et je prie, et je t’aime, et je baise ta croix !
Je t’aime, et j’aime aussi d’un amour indicible,
J’aime ton Souverain, j’aime ton Chef visible ;
Et j’ajoute ma voix, mon ardente oraison,
Au concert amoureux qui monte vers Sion !


fin des préludes