L’Antoniade/Premier Âge/La Consécration


La Consécration.

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sylvia.

 
Mon âme aspire encor vers les plus hautes cimes ;
Je quitte enfin ce monde, aux rampantes maximes :
Adieu, parents, amis ; ville natale, adieu !
Je vais me reposer dans la maison de Dieu !


une carmélite.


Viens, ma sœur ; la cellule est un ciel sur la terre ;
La vie a plus de charme où règne le mystère !
Le désert est encor ce qu’il était jadis, —
L’image de l’Éden, le seuil du Paradis ! —
Heureuse l’innocence à qui plaît la retraite !
Heureux le repentir, qu’un grand malheur y jette !
Dans ce port consacré, notre cœur abrité
Entend sans être ému les flots de la cité ;
Aux pieds de Jésus-Christ, tranquille, il veille et prie : —
Ah ! la meilleure part, c’est celle de Marie !…
Selon l’attrait divin ou l’instinct naturel,
L’une tend vers la terre et l’autre aspire au ciel :
Semblable au lys de neige, à la tige élancée,
La femme est sœur de l’Ange, à Jésus fiancée ;
Sous le voile de lin, dans un paisible enclos,
Son cœur s’ouvre à l’Époux, comme un grand lys éclos ;
Et dans l’ombre, et le calme, en secret, en silence,
Il s’épure toujours, se dégage et s’élance :
Ainsi, du fond des eaux et de l’obscurité,
Cherchant les doux rayons de son astre aimanté,
Une plante s’élève, et s’entr’ouvre, et s’étale
Au sein de la lumière, où son parfum s’exhale. —
De la femme innocente, immortelle, en Éden,
L’irrésistible attrait, ce ne fut pas l’hymen ;
Pour une œuvre de chair elle n’était pas née ;
Tout en elle révèle une autre destinée ;
Grave ainsi que la Muse, au front sacerdotal,
L’Éden éblouissant fut son cloître natal ;
Le feu sacré brûlait en son âme sereine ;
Du désert primitif c’était la vierge reine :
Mais dans un jour fatal, que fît naître l’orgueil,
Du séjour d’innocence elle franchit le seuil !

Les femmes, depuis lors, suivent diverses routes ;
Le mariage amer n’est pas le sort de toutes ;
L’Apôtre nous l’a dit : L’homme est libre ici-bas ;
L’Eve qui se marie, elle ne pèche pas ;
Mais elle est comme Marthe, occupée, inquiète ;
Elle sent que la chair sur l’esprit empiète :
Plus heureuse la vierge, en son choix singulier ;
Libre, elle est tout à Dieu, dans l’ordre régulier ;
Elle s’est affranchie, elle a brisé l’entrave ;
D’aucun époux despote elle ne souffre, esclave ;
Un héroïque éclair jaillit de son regard,
Qui comprime la chair et tient l’homme à l’écart ! —
Les plaintes de mes sœurs jusqu’à moi sont venues,
J’ai compté de leurs yeux les larmes répandues,
Je sais tous leurs regrets et leurs remords cuisants,
Et de leurs longs malheurs les récits déchirants !
Ainsi, ferme en mon choix, maîtresse de moi-même,
Voulant fixer mon cœur dans un amour suprême,
Ne rêvant de repos qu’à l’abri du saint-lieu,
Et de bonheur divin que dans un triple vœu,
J’ai pris Dieu pour Époux : Qu’une autre se marie !
Ah ! la meilleure part, c’est celle de Marie !


sylvia.


Et c’est aussi la part dont mon âme fait choix ;
Je prends Dieu pour Époux, et pour sceptre la Croix !
Les chaînes de la terre, enfin mon cœur les brise ;
Et je possède encor ma liberté conquise ! —
Adieu, parents, amis ; ville natale, adieu !
Je vais me reposer dans la maison de Dieu !


antoine calybite.


Ah ! pour fuir sa famille et pour fuir sa patrie
Pour suivre Jésus-Christ, en imitant Marie,
Il faut l’amour céleste, en sa virginité ;
L’amour qui germe et croît dans la mysticité :
Prends ton vol angélique, ô noble fille d’Eve ;
Va dans l’amour divin réaliser ton rêve ;
Va, pour perpétuer la génération
Des épouses du Christ, des filles de Sion ;
Va, dans ta sainte ardeur, pour imiter l’exemple
Des astres dont la gloire illumine le temple ;
Va prendre le linceul, emblème immaculé,
Des pleurs d’un triple vœu par l’amour étoile ;
De tes habits pompeux, orgueil de la nature,
Rejette le vain luxe, en ta sainte vêture ;
Va mourir à la chair, pour renaître à l’esprit ;
Va conquérir un sceptre, en épousant le Christ !
Suis de tant d’autres sœurs les lumineux vestiges,
Empreints dans les déserts éclatants de prodiges ;

Remonte, d’âge en âge, aux grands siècles de foi,
Où la foule suivait les conseils de la Loi ;
Où, des fervents chrétiens devenus les asiles,
Les déserts se peuplaient, en dépeuplant les villes !
Du livre de ces temps tourne les pages d’or,
Et vois tout l’Orient, brillant comme un Thabor ;
Vois Madeleine en pleurs, l’aimante pécheresse
Ouvrir la solitude, où la foule s’empresse !
En vain le Paganisme offre aux cœurs convertis
Les fruits de volupté, dans l’ivresse cueillis ;
En vain la chair, le monde et l’Esprit de mensonge
Luttent pour qu’ici-bas leur règne se prolonge :
Partout un cri s’élève : « Hélas ! les Dieux s’en vont ! »
Et ce cri, dont gémit l’antre vide et profond,
Forme de bouche en bouche une chaîne électrique. —
C’en est fait, c’en est fait du culte idolâtrique !
En vain on essaîrait de relever encor
Les dieux sculptés de marbre et les dieux sculptés d’or ;
En vain sur les trépieds la flamme se rallume,
Et pour forger des Dieux résonne encor l’enclume :
Les Dieux païens s’en vont ! les faux Dieux sont tombés !
Trop longtemps devant eux les cœurs se sont courbés ;
Oui, l’homme trop longtemps, amoureux de l’emblème,
A divinisé tout… excepté Dieu lui-même !  !
Du culte des faux Dieux Julien l’apostat
Éteint en expirant le vacillant éclat ;
On n’entend plus l’oracle au fond des temples vides ;
C’est le règne, à présent, des saintes thébaïdes ! —
Vois ces vierges sans nombre et ces ardents chrétiens
Abandonner pour Dieu leur famille et leurs biens ;
L’instinct les pousse au fond de l’âpre solitude ;
Rien n’arrête leurs cœurs, rien ne leur paraît rude ;
Et le désert partout a germé sous leurs pas,
Et l’amour a porté le germe en tous climats ! —
Vois ces enfants, issus des Paul et des Émile ;
Ces filles désertant leur illustre famille ;
Vois descendre ces fils du rang de Patriciens,
Pour suivre, en leur essor, d’héroïques chrétiens ! —
Marcelle, Pélagie, Azelle, Alexandrine,
Mélanie et Piâme, Eustoquie et Marine,
Synclétique et Thaïs : — Les anges familiers
Ont vu vos sœurs courir aux déserts par milliers ! —
Et vous, Ita, Bertille, Etheldrède et Vérène ;
Vous, Collette-Boillet, Rosalie et Modwène ;
Vous, Hiltrude et Brigitte : — Au jardin d’Occident,
Vous avez transplanté les fleurs de l’Orient ! —
Et vous, Claire, Thérèse et Jeanne-Marguerite ;
Vous, Tégahgouïta, Rose et Lys, fleurs d’élite : —
Dans une égale ardeur, vous avez, tour à tour,
Communiqué l’essor de votre saint amour ;

Vous avez, dans le jeûne, au fond d’un oratoire,
Répandu de vos pleurs l’aumône expiatoire ;
Vous avez dans l’intime et constante ferveur,
Élancé la prière et vaincu le Seigneur ;
Vous avez, jour et nuit, dans un profond mystère,
Servi le siècle ingrat par votre vie austère !
Et votre exemple au loin agissant sur les cœurs,
Du monde et de la chair les a rendus vainqueurs ;
Comme l’aimant agit sur le fer et l’attire,
Vous avez par l’amour étendu votre empire !….
 Ô toi, va suivre aussi les conseils de la loi :
Le monde est trop méchant pour se plaire avec toi,
Et ton cœur est trop grand pour vivre de sa vie :
Va ! la meilleure part, c’est celle de Marie !


sylvia.


Adieu, parents, amis ; ville natale, adieu !
Je vais me reposer dans la maison de Dieu !
Mon âme aspire aussi vers les célestes cimes ;
Je quitte un monde hostile, aux rampantes maximes :
Adieu, parents, amis ; ville natale, adieu !
Je vais me reposer dans la maison de Dieu !
Oui, quittant pour lui seul biens, famille et patrie,
La part que je choisis, c’est celle de Marie.
Ô Seigneur, Dieu d’amour, Pontife et Roi des rois,
Pour vous suivre partout et porter votre croix ;
Pour vous suivre et servir, vous aimer sans partage ;
Pour faire de vous seul mon unique héritage ;
Pour m’attacher à vous par de mystiques vœux,
Par des liens sacrés, d’indissolubles nœuds ;
Pour faire avec le monde un solennel divorce ;
Oh ! que n’ai-je choisi l’âge le plus précoce ;
Que n’ai-je dès l’enfance, inflexible en mon choix :
Dans le calme de l’âme, écouté votre voix ?