L’Antoniade/Les Royautés et la République Américaine


Les Royautés et la République Américaine.

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Gardienne des Beaux-Arts et de la Vérité,
Métropole divine, éternelle Cité,
Ô Rome, vainement, contre tes Saints Pontifes,
Ont lutté tant de rois, aux titres apocryphes ! —
 De mon sauvage abri, qu’eût envié Bruno,
Ô Pontife martyr, ferme Pio Nono,
Je vois, sur les grands flots, ta nacelle agitée,
Que menace en ces jours la Politique athée :
Mais je ne tremble pas pour elle ni pour toi ;
Je prie en ma cellule, et j’espère et j’ai foi !
En voyant se liguer tant de lâches Puissances,
D’hypocrites fauteurs de toutes les licences,
Des révolutions instigateurs peureux,
Esclaves serviteurs du Prince Ténébreux ;
En voyant contre toi, pour prendre la Romagne,
Et la France, et l’Autriche, et l’inactive Espagne,
À la rébellion prêter leur saint appui ;
En les voyant se taire, ou défier Celui,
Qui représente Dieu, qui remplace Saint Pierre,
Qui de la Foi divine est le dépositaire ;
Ah ! mon cœur indigné, mon cœur ne comprend pas,
Que Dieu souffre un seul jour ces tyrans apostats !
Non, il ne comprend pas l’Europe Catholique,
Qui souffre de ces rois l’esprit machiavélique !
Des peuples, sans vigueur dans leur abaissement,

La tyrannie est donc toujours le châtiment ;
Oui, de leur décadence et de leur fin prochaine,
Toujours la dictature est la marque certaine !
Chaque peuple, affranchi du Vicaire de Dieu,
Sous un prince, héritier d’une verge de feu,
Gémit dans l’esclavage ; et le Prince rebelle
Dans son palais en vain cherche une citadelle :
La justice d’en haut l’y poursuit et l’atteint ;
Il sent le glaive aigu du Dieu qu’il n’a pas craint ;
Et pour l’expédier, ainsi que Louis-Philippe,
La vengeance du ciel n’attend pas qu’il s’équipe !…
Et voilà le Pouvoir, voilà l’Autorité,
Qu’on ose préférer à notre Liberté !…
 Entre deux océans, sous ta brillante zone,
Ô Liberté sauvage, en tes bras d’Amazone,
Bercés, dès leur enfance, au bruit des ouragans,
Tes filles sont des fleurs et tes fils des géants !
Tes fils, fiers pionniers, douce et puissante race,
Devant le vol de qui la distance s’efface !
Tu sembles, au berceau, prophétique Pallas,
De tes royales sœurs avoir sonné le glas !
L’azur de ta bannière étincelle d’étoiles ;
Tous les flots sont blanchis par tes rapides voiles ;
Et ton Aigle, au regard éblouissant d’éclairs,
Contemple, en son essor, tous les soleils divers !
Ta Constitution, ô jeune République,
Laisse grandir en paix l’Église Catholique ;
Elle peut suivre ici son inspiration : —
Mieux vaut la liberté sans la protection,
Que la protection avec la servitude ;
Avec tous ses excès, mieux vaut la multitude,
Que le concours gênant d’un Protecteur royal,
Consommant ses forfaits sous le masque légal ;
Oui, de la liberté mieux vaut la violence,
Que les séductions d’une active Puissance,
À qui l’esprit jaloux et les raisons d’État
Trop souvent ont dicté l’odieux Concordat ! —
 Malgré les défenseurs des vieilles Monarchies,
Du Pontife Romain par l’orgueil affranchies ;
Malgré les fiers prôneurs des Empereurs, des Czars,
Des règnes prolongés d’égoïstes Césars ;
Malgré tous les Veuillots de la langue Française,
Oh ! oui, j’ose le dire, — après Grégoire-Seize,
Qui sentait par les Rois son pouvoir rétréci : —
« Le Pape nulle part n’est plus Pape qu’ici ! »
Nous n’avons pas ici d’Église Américane ;
Notre vitalité de Rome seule émane ;
Entre nous et le Pape, il n’est pas de tyran,
Pour glacer notre amour et briser notre élan !

L’Église d’Amérique, en qui tant d’espoir brille,
De l’Église Romaine est la plus jeune Fille ;
Rayonnante de gloire et pleine d’avenir,
Rome étend chaque jour sa main pour la bénir !…
Gloire aux États-Unis ! Gloire à la République !
Gloire à toi, jeune et libre Église Catholique !
Pour bâillonner ta Presse et restreindre tes droits,
Tu n’as pas un sabreur, un Napoléon-Trois !
Mieux vaut la République avec tous ses orages,
Que l’avilissement des calmes esclavages !
Avec tous ses combats, mieux vaut la Liberté,
Que l’énervant sommeil de la servilité ;
Mieux vaut du Peuple-Roi la sauvage rudesse,
Que d’un despote ami l’oblique politesse !
Oh ! oui, défions-nous des pieux écrivains,
Qui n’ont d’esprit flatteur que pour les Souverains !
L’air de la Liberté, même au prix du martyre,
C’est l’air vivifiant que l’Église respire ;
Et toujours on l’a vue, au nom de Jésus-Christ,
S’opposer à l’orgueil d’un despotique esprit ;
Et de son bouclier, et par de saintes guerres,
Défendre avec amour tous les droits populaires.
Non, du sabre brutal, de l’inique Pouvoir,
Du monarque égoïste oubliant son devoir,
Dans l’impur Henri-Huit ou le froid Guerrier Corse,
L’Église n’a jamais légitimé la force !