L’Antoniade/Les Deux bardes des forêts

les deux bardes des forêts.

Séparateur


la peau-rouge.


Itibapishi ma ! frère au pâle visage,
Ma mémoire, en tous lieux, a gardé ton image ;
J’ai senti, j’ai pleuré ton absence, en tous lieux ;
Le désert s’est ému de mes cris douloureux !
Loin des sombres cités, retrouvant la lumière,
Viens rajeunir ton âme à la source première !
Viens, dans la solitude, ô pieux na-houllo ;
Loin d’un monde si fou, viens, sage Blanche-Peau !
Itibapishi ma ! brise un trop long servage ;
Et, dans un libre essor, suis ton instinct sauvage !
Comme toi, j’ai langui, captif dans les cités,
Pleurant, dans mon exil, les bois illimités ;
De mon désert natal pleurant l’indépendance,
J’ai traîné de longs jours dans l’amère souffrance !
Sevré de la Nature, encore tout enfant,
Du monde j’ai subi l’esclavage étouffant !
 Les hommes, bâtissant cabanes sur cabanes,
Aiment mieux leurs prisons que les vastes savanes,
Et les bruits discordants que le plaintif oula,
Le chant mélodieux du tchouka-nak-bila.
Si nos déserts comptaient plus de na-houllo tèques,
Les romans dormiraient dans les bibliothèques !
L’orgueilleuse folie et le luxe effréné
D’un sexe maladif, avant l’âge fané,
Auraient un contre-poids dans l’humble et chaste vie
Des femmes du désert, des fleurs de la prairie,
Types pareils à ceux que le peintre, autrefois,
Contemplait dans l’extase, à l’ombre de la Croix !
 L’enfant de nos forêts, l’héroïne indigène,
Sans se civiliser, peut devenir chrétienne :
L’esprit de l’Évangile, en son austérité,
Des profondes forêts aime l’obscurité ;
La première cité par Caïn fut bâtie ;
Mais du pasteur Abel l’offrande fut bénie.

La foi ne détruit pas l’esprit national ;
Elle s’adapte à l’homme, à son climat natal ;
Et Dieu peut faire éclore, au sein des solitudes,
Où n’arrivent jamais les blanches multitudes,
Loin des regards de tous, des fleurs de sainteté,
Brillant d’un vierge éclat, dans leur sauvageté !
Telle apparut, au Nord, dans sa grâce enfantine,
Fleur-de-la-passion, la bonne Catherine ;
Près du Sault Saint-Louis, près du Caughnawaga,
Elle n’admit que Dieu dans son humble tchouka !
Éclose loin du monde, au bord de la prairie,
Elle aima sa tribu, son inculte patrie. —
 La foi ne détruit pas l’esprit national ;
Elle s’adapte à l’homme, à son climat natal ;
Et de l’enfant des bois, fidèle au cabanage,
Elle fait un chrétien, mais un chrétien sauvage !
Sans déposer son arc et sortir de ses bois,
Du Grand Livre de vie il peut suivre les lois.
Le sage, en sa grandeur, habite une cabane ;
Le bourgeois, pour loger sa nullité profane,
Se bâtit un palais, dont la froide grandeur
S’indigne du néant de son vain possesseur :
Ainsi les Pharaons, au prix de mille vies,
Dans le pompeux orgueil de royales folies,
Pour loger la grandeur de leur double néant,
Construisaient pour palais un sépulcre imposant !
 Je n’ai jamais compris, dans ma liberté sainte,
Ayant le ciel pour toit, le désert pour enceinte,
Qu’entre des murs glacés, dans un enclos poudreux,
Tout un peuple à l’étroit pût habiter heureux !
Je comprends du chasseur l’existence nomade ;
Mais du froid citadin, oh ! que la vie est fade !
Je comprends au désert les courses d’Ismaël,
Mais des vassaux mondains, que le sort est cruel !
Ils apprennent par cœur le code d’étiquette ;
Le costume de l’un sur l’autre se reflète ;
Le masque y brille mieux que l’ingénuité,
Et l’usage abolit l’originalité ;
Oui, la nature en tout doit céder à l’usage ;
Oui, l’esclave insensé trône au-dessus du Sage ;
En sa grave folie, admiré par des fous,
Lui, dont nous rougissons, ose rougir de nous ! —
O du monde orgueilleux corruption profonde !
C’est le Christ qui l’a dit : « Malheur ! malheur au monde ! »
Que je plains des cités les pâles prisonniers,
Du luxe paternel frivoles héritiers !
Ont-ils connu la vie, enfermés dans leur cage ?
Est-ce vivre que vivre au sein de l’esclavage ?
Que les biens sont par eux chèrement achetés !
« C’est Dieu qui fit les bois, et l’homme les cités ! »

La vie, au fond des bois, est selon la Nature ;
L’âme y goûte, affranchie, une ivresse plus pure ;
De l’homme le désert fut le premier berceau ;
Dans la forêt natale, heureux le libre oiseau !
Par Dieu#même pétri du limon de la terre,
Dans un désert de fleurs, l’homme est né solitaire ;
Tant qu’il vécut sans femme, il vécut innocent ;
Mais Eve, pour le perdre, eut un magique accent !
Ah ! je comprends le prêtre, et je comprends l’ermite ;
Le chêne est épuisé par le gui parasite ;
La plus sainte taïque est un pesant fardeau ;
De la virilité l’hymen est le tombeau !
Heureux qui, fatigué d’un monde où tout nous brûle,
Au milieu du désert a bâti sa cellule,
Et dans cet humble abri de silence et de paix,
Pour les faux biens perdus goûte enfin les seuls vrais !
 J’ai visité l’Europe et ses grandes merveilles ;
Les Lettres et les Arts ont occupé mes veilles ;
J’ai connu les ennuis des collèges royaux,
Et disputé le prix à d’envieux rivaux ;
Les plus belles cités m’ont versé leurs tristesses,
Et révélé le fond de leurs folles ivresses ;
Et, malgré tout l’éclat d’un attrayant dehors,
De leurs cœurs gangrenés j’ai sondé les remords !
Et j’ai dit, en fuyant les vieilles Capitales :
Le bonheur ne fleurit qu’en mes forêts natales !
Du luxe efféminé j’ai goûté les loisirs ;
J’aime mieux du désert les périlleux plaisirs !
La langue de Virgile et la langue d’Homère,
Ne valent pas ta langue, ô Nature, ma mère !
Boïeldieu, Pergolèse et tous les musiciens
Ne peuvent égaler tes luths éoliens ;
Dans ta voix, on entend la voix de Dieu lui-même ;
Du céleste clavier tu tiens la clé suprême ;
Tu surpasses la ville en vivantes beautés :
« C’est Dieu qui fit les bois, et l’homme les cités ! »
Las d’un monde égoïste et de son esclavage,
L’homme civilisé souvent s’est fait Sauvage ;
Mais jamais le Sauvage, abandonnant ses bois,
Pour se civiliser, n’accepta d’autres lois :
Le Sauvage conserve, en sa franche rudesse,
Le mépris du grand monde et de sa politesse ;
Esclave de Dieu seul, pour l’aimer et servir,
Au monde il n’a jamais cru devoir s’asservir !
Le monde, à chaque pas, nous ouvre un précipice :
Pour prier, le désert est un lieu plus propice !
Le désert eut toujours des charmes pour les Saints ;
L’amour y fit voler de célestes essaims ;
En tous temps, on a vu les abeilles mystiques
Préférer pour leur miel les fleurs érémitiques. —

Viens, dans la solitude, ô sage Blanche-Peau,
Loin d’un monde si fou, viens, frère na-houllo !
Au-delà du Grand Lac, dans le pays de France,
Je fus ton compagnon d’exil et de souffrance :
Au sein de la Patrie et de ses bois sacrés,
Nous ne serons jamais par le sort séparés ;
Je serai, dans ces bois et ton guide et ton frère :
Dans ces bois, avec Dieu, l’homme est-il solitaire ?
Les lacs ont des poissons ; les arbres ont des fruits ;
Les feuillages épais nous forment des abris. —
Viens ! j’ai ma peau de buffle et j’ai ma carabine :
Viens bâtir avec moi ta cellule divine !
Unis dans le désert autant que dans l’exil,
Nous braverons tous deux chaque attrayant péril ! —
Dans les calmes forêts, oh ! que les nuits sont belles !
La Nature a pour nous des larmes maternelles ! —
Répondez, Daniel Boon, Audubon, Bas-de-Cuir,
Éloignés des cités, avez-vous pu jouir ?
Éloignés de la foule, indépendants, nomades,
Sous la voûte azurée ou les vertes arcades,
Avez-vous regretté le coupable bonheur,
Qu’offre, au prix du salut, le monde décepteur, —
Lui, que le Dieu Sauveur, dans sa sainte justice,
Abandonne à Satan, comme plein de malice ?
Ce monde esclave et vain, l’avez-vous regretté ?
Parcourant les déserts, fils de la liberté,
Votre âme, à l’unisson des grandes harmonies.
A-t-elle regretté tant de cacophonies ?
 Le monde a ses élus, ainsi que le désert ;
Mais que le nombre est grand qui chaque jour s’y perd !
Que le fleuve du vice y soulève de fange,
Et qu’il faut de vertus pour en sortir un ange !
Viens dans la solitude, itibapishi ma ;
Viens prier et chanter, na-houllo taloa !
Les saintes passions sont toujours solitaires ;
L’aigle bâtit son nid sur les cimes austères !
Vois la colombe, ô frère, et vois le whip-poor-will :
Comme à l’oiseau, pour vivre, à l’homme que faut-il ?
L’homme est plus que l’oiseau ; l’homme, en quittant le monde,
Trouve dans la Nature une mère féconde !
Tu sais que l’ianash, au bruit des pas humains.
Mugit en bondissant, et fuit tous les chemins :
Sois semblable au bison, en son instinct sauvage.
Et d’un monde insensé fuis le lâche esclavage ! —
Viens dans la solitude, itibapishi ma ;
Viens prier et chanter, na-houllo taloa !
Le grand désert succède à la savane immense ;
L’infini parcouru, l’infini recommence ;
Et l’âme, y respirant une sainte fierté,
Des vrais enfants de Dieu trouve la liberté !…

 Ô Nature prends-nous ; cache-nous sous ton aile ;
Calme nos cœurs fiévreux de ta voix maternelle !
Qu’il est doux d’habiter les lieux infréquentés :
« C’est Dieu qui fit les bois, et l’homme les cités ! »
C’est Dieu qui fit les bois, les monts et les prairies,
Les fleuves et les lacs, semés d’îles fleuries,
Tous ces antres obscurs, tous ces abris secrets,
Où tant d’hommes ont fui, de la foule ignorés ! —
Pour le monde hypocrite et sa froide étiquette,
Itibapishi ma, Dieu te fit-il poète ?
À ce monde égoïste, à la société,
Jette un adieu sauvage, un saint ialeshké !


le pale-visage.


Conduis-moi, — loin ! bien loin ! — dans ton grand Territoire :
Et là, je construirai ma cellule-oratoire !
Et là, je deviendrai le libre compagnon
Du chasseur Indien, de l’aigle et du bison !
Et là, je bâtirai mon tranquille ermitage ;
Aux ascètes nouveaux j’ouvrirai le passage ;
Antoine Calybite, érémicole obscur,
D’un règne glorieux je dirai le futur !

  Les déserts, tressaillant dans leur joie,
  Verront les ermites pionniers
  Suivre le Christ dans l’étroite voie,
  Le Christ dans les épineux sentiers.,

  Les grandes forêts Américaines,
  Sous l’ombre de leurs épais rameaux,
  Abriteront les âmes sereines,
  Dont l’action est dans le repos.

  L’Indien et l’humble Anachorète
  Auront, près du sauvage bison,
  La même inaccessible retraite,
  Dans la savane sans horizon.

  Là, des colombes contemplatives
  Rempliront de leurs gémissements
  De nos solitudes primitives,
  Les sombres cloîtres retentissants ;

  Et tant d’harmonieuses prières,
  Réveillant des échos dans le ciel,
  Un fleuve de grâces salutaires
  Fera germer un nouveau Carmel !


  Et tu verras, ô belle Amérique,
  Tes enfants, en ascètes changés,
  Sous la sainte Règle Érémitique,
  Vivre en paix, dans tes antres logés !

  Tu verras venir les Camaldules,
  Les Carmes-Déchaux, et les Chartreux ;
  Tu verras se grouper des cellules,
  Autour des grands cèdres ténébreux !

  Franchissant le houleux Atlantique,
  Au fracas des révolutions,
  Oui, tu verras chaque essaim mystique,
  De l’Europe, en ses convulsions,

  Désertant les plages désolées,
  Venir chercher sur tes monts neigeux,
  Dans tes savanes et tes vallées,
  Quelque refuge moins orageux !…

  Venez, cénobitiques phalanges,
  Hommes d’étude, hommes d’oraison ;
  Venez, ô saintes peuplades d’anges,
  Que chasse la Révolution !

  Venez, ascétiques colonies :
  Ici, vous trouverez des abris,
  Et des thébaïdes infinies,
  Que vous changerez en paradis !

  Vous trouverez des terres incultes,
  Où paissent d’innombrables troupeaux ;
  Vous aurez la liberté des cultes,
  Et la liberté des Rouges-peaux !

  La liberté dans la solitude,
  Avec l’horizon illimité ;
  Et votre calme béatitude
  Égalera votre liberté !


la peau-rouge.


Heureux l’homme ici-bas dont la gloire est sans tache ;
Qui dans les droits sentiers a marché sans relâche ;
Et qui, le front orné du signe des chrétiens,
Pour suivre les Conseils, a donné tous ses biens !
Heureux qui, fatigué d’un monde où tout nous brûle.
Au milieu du désert a bâti sa cellule ;

Et dans cet humble abri de silence et de paix,
Pour les faux biens perdus goûte enfin les seuls vrais !
Heureux qui, chaque soir, près des sources limpides ;
Peut lire les récits des saintes Thébaïdes ;
Les mystiques récits et les légendes d’or,
Dont le naïf esprit nous charme et touche encor !
Oh ! comme, à ces récits, notre foi se ravive ;
Que l’exemple est puissant sur une âme naïve !
Ce que d’autres ont pu nous le pouvons aussi ;
L’amour, qui fait les Saints, peut refleurir ici !

  Viens, Antoine Calybite,
  Loin du bruyant tamaha ;
  Sur le mont, que l’aigle habite,
  Viens, Antwen tchouka-hanta !

  Viens, frère au pâle visage,
  Fuis avec moi, hopâki !
  Je connais un ermitage,
  Un impénétrable abri !

  Je suis le fils des Savanes,
  L’enfant des grandes forêts,
  Où j’ai bâti cent cabanes,
  Soue les feuillages épais !

  Contre le courant du fleuve,
  Seul, j’ai fait voler sur l’eau
  Ma pirogue toute neuve,
  Ma pirogue de bouleau !

  J’ai transpercé de mes flèches
  Le chevreuil et le bison,
  Dans les hautes herbes sèches,
  Dans les vagues de gazon !

  Dieu m’avait donné pour maîtres,
  Pour professeurs éloquents
  Les grands chênes et les hêtres,
  Et les sapins gémissants !…

  Je vivais, libre Indigène,
  Lorsque l’on me prit, enfant,
  Et, sur les bords de la Seine,
  On m’enferma languissant !

  Oui, deux ans, dans les écoles.
  Les sophistes Blanches-peaux
  Du bruit de vaines paroles
  Ont tourmenté mon repos !


  Deux ans, j’ai froissé les pages
  De mon livre détesté,
  En rêvant des bois sauvages
  La sauvage liberté !

  Ah ! quelle vaine science
  Que celle des lourds rhéteurs !
  Que leur superbe ignorance
  Dessèche, attriste les cœurs !

  Délivré des froids sceptiques,
  Et des ergoteurs glaçants,
  Délivré des scholastiques,
  Et de tous les faux savants, —

  Seul, dans la savane verte,
  Seul, dans l’immense forêt,
  Ah ! j’ai repris ma couverte,
  Mon arc et mon calumet !

  Pour compagnons, j’ai les hôtes
  Des solitudes de Dieu ;
  J’ai, pour demeures, des grottes,
  Des cavernes en tout lieu !…

  Je suis le fils des Savanes,
  Plus libre que les troupeaux,
  Les errantes caravanes
  De farouches buffalos !

  Plus libre, dans ma retraite,
  Que l’aigle sur son rocher, —
  Avec l’humble anachorète,
  Je puis chanter et prier !…

  L’Amérique, oh ! l’Amérique,
  Avec ses monts, ses déserts,
  Qu’habite l’Esprit mystique ;
  Ses lacs, grands comme des mers ;

  L’Amérique, aux frais ombrages,
  C’est le pays le plus beau,
  Le pays des ermitages,
  Qu’aurait choisi Saint Bruno !

  C’est le pays de la vie,
  C’est le Continent Nouveau,
  C’est la verte Colombie,
  La terre de mon berceau !


  Oui, c’est la terre féconde
  Du raisin et du maïs,
  Où le riz sauvage abonde,
  Et le froment près du riz !

  C’est la terre des merveilles ;
  Des fruits, des fleurs et de l’or :
  Des richesses sans pareilles :
  De l’universel trésor !

  C’est la terre des lianes,
  Des jasmins et des rosiers.
  S’entrelaçant aux platanes.
  Aux cèdres, aux magnoliers !

  L’Amérique, oh ! l’Amérique,
  C’est le pays du printemps ;
  C’est le séjour poétique
  De tous les enchantements !

  C’est l’Éden de la jeunesse ! —
  Sur le deuil du souvenir,
  Il faut que tout y renaisse ! —
  C’est l’Éden de l’avenir !

  On y verra des Ascètes.
  Des Sages méditatifs,
  De calmes Anachorètes.
  Des Anges Contemplatifs !

  On y verra des cellules,
  Et des laures en tous lieux,
  Pour les fervents Camaldules,
  Les Carmes et les Chartreux ! —

  Dans les vierges solitudes
  Fuis avec moi, hopâki !
  Loin des folles multitudes,
  Viens choisir un calme abri !…

  Maudits les Pâles-visages !
  Maudit leur oka homi !
  Ils ont détruit les Sauvages
  Avec ce seul ennemi !

  Avec ce Démon de flamme,
  Avec cet Esprit de feu,
  Attaquant le corps et l’âme,
  Ils ont, au mépris de Dieu :


  Ils ont, étrangers barbares,
  Mus par la cupidité ;
  Ils ont, trafiquants avares,
  Monstres d’inhumanité ;

  Ils ont, frères homicides ;
  Sauvages civilisés,
  Vendu, dans des flots perfides.
  Tous les poisons déguisés !

  Maudits les Pâles-visages !
  Maudit leur oka homi !
  Ils ont détruit les Sauvages
  Avec ce seul ennemi !

  Viens Antoine Calybite,
  Loin du bruyant tamaha ;
  Sur le mont, que l’aigle habite.
  Viens, Antwen tchouka-hanta !

antoine calybite.


Amérique, il est temps, réveille-toi, ma mère :
Pour combattre le mal, il te faut la prière ;
Il te faut, en ces jours, à tant d’activité
Opposer l’orative et calme austérité ;
Il faut, par le silence, et le jeûne, et les veilles.
Opérer en repos d’ascétiques merveilles ;
Il faut, pour arrêter le luxe en ses progrès,
La sainte extravagance et les pieux excès ;
Au mal extrême, il faut des remèdes extrêmes ;
Pour effrayer la chair, il faut des moines blêmes ! —
Où sont-ils les enfants amoureux de la Croix,
Les apôtres sans or, les fils de Saint François,
Sublimes insensés, divins enthousiastes,
Entraînant après eux toutes les âmes chastes,
Tous les esprits d’élite ; et d’un verbe de feu,
Sans haine, foudroyant les ennemis de Dieu ?
 Amérique, il est temps, réveille-toi, ma mère :
Il te faut, pour combattre, une phalange austère !
Pour combattre, en ces jours, les Esprits ténébreux,
Se transformant partout en Anges lumineux ;
Pour combattre le faux et sombre illuminisme,
Il te faut de l’amour le divin mysticisme :
Ouvre la thébaïde à l’héroïque essaim,
Qui pour un calme abri soupire dans ton sein !
Aux cœurs faits pour Dieu seul, aux âmes solitaires,
À l’expiation, ouvre des monastères ! —

Tristesse de l’amour, ô saints gémissements,
Des pleurs du repentir chastes enivrements,
Esprit intérieur, élan de la prière,
Repos, recueillement, silence, ombre, mystère,
Vie inconnue à tous, vie au milieu des bois,
Douceurs de l’amertume, ivresses de la Croix :
Qui pourrait, ici-bas, vous comprendre et décrire ?
Quel poète oserait vous chanter sur sa lyre ?
Qui pourrait aux cœurs mous, aux âmes des cités,
Révéler du désert les âpres voluptés ?…
 La Contemplation, c’est la vie unitive :
C’est l’âme concentrée en sa force inactive ;
C’est l’âme, abandonnant tous les objets divers,
Tous les pâles rayons, épars en l’univers,
Pour se perdre en Dieu seul, qui l’absorbe et l’embrase,
Dans un flot de lumière, et d’amour, et d’extase !
La Contemplation, c’est le sommeil des sens,
Et le réveil de l’âme en des cieux ravissants !
La Contemplation, sœur de la Solitude,
Donnant un avant-goût de la béatitude,
Fait que l’âme s’écrie, — heureuse de souffrir :
« Je me meurs du regret de ne pouvoir mourir ! » —
Oh ! qui me donnera des ailes de colombe ?
Qu’il est doux pour l’amour de passer par la tombe !
Libre enfin de la chair, qu’il est doux, qu’il est doux
De s’endormir en paix, pour s’unir à l’Époux ! —
Mourir pour le chrétien, c’est commencer de vivre ;
C’est entrer dans la joie, où l’âme enfin s’enivre ;
C’est ne plus espérer, ne plus croire : C’est voir !
C’est aimer, posséder, tout comprendre et savoir : —
Science intuitive, amour béatifique,
Possession de Dieu dans l’ivresse extatique,
Épanouissement dans la Réalité,
Ineffable repos pendant l’Éternité !