L’Antéchrist (Renan)/XV. Les apôtres en Asie

Michel Lévy (p. 340-379).


CHAPITRE XV.


LES APÔTRES EN ASIE.


La province d’Asie était la plus agitée par ces terreurs. L’Église de Colosses avait reçu un coup mortel de la catastrophe de l’an 60[1]. Hiérapolis, quoique bâtie au milieu des déjections les plus bizarres d’un bubon volcanique, ne souffrit pas, ce semble. Ce fut peut-être là que se réfugièrent les fidèles de Colosses. Tout nous montre, dès cette époque, Hiérapolis comme une ville à part. La profession du judaïsme y était publique. Des inscriptions, encore existantes parmi les ruines si merveilleusement conservées de cette ville extraordinaire, mentionnent les distributions annuelles qui doivent se faire à des corporations d’ouvriers, lors de « la fête des azymes » et de « la fête de la Pentecôte[2] ». Nulle part les bonnes œuvres, les institutions charitables[3], les sociétés de secours mutuels entre gens exerçant le même métier[4], n’eurent autant d’importance. Des espèces d’orphelinats, de crèches ou d’asiles pour les enfants[5] attestent des soucis de philanthropie singulièrement développés. Philadelphie offrait un spectacle analogue ; les corps d’états y étaient devenus la base des divisions politiques[6]. Une démocratie pacifique d’ouvriers, associés entre eux, ne s’occupant pas de politique, était la forme sociale de presque toutes ces riches villes d’Asie et de Phrygie. Loin d’être interdite à l’esclave, la vertu y était considérée comme l’apanage spécial de celui qui souffre. Vers le temps où nous sommes, naissait à Hiérapolis même un enfant si pauvre, qu’on le vendit au berceau et qu’on ne le connut jamais que sous le nom d’ « esclave acheté », Epictetos, nom qui grâce à lui est devenu synonyme de la vertu même. Un jour sortira de ses leçons ce livre admirable, manuel des âmes fortes qui répugnent au surnaturel de l’Évangile, et qui croient qu’on fausse le devoir en lui créant un autre charme que celui de son austérité.

Aux yeux du christianisme, Hiérapolis eut un honneur qui surpasse de beaucoup celui d’avoir vu naître Épictète. Elle donna l’hospitalité à l’un des rares survivants de la première génération chrétienne, à l’un de ceux qui avaient vu Jésus, à l’apôtre Philippe[7]. On peut supposer que Philippe vint en Asie après les crises qui rendirent Jérusalem inhabitable pour les gens paisibles, et en chassèrent les chrétiens[8]. L’Asie était la province où les juifs étaient le plus tranquilles ; ils y affluaient. Les rapports entre Rome et Hiérapolis étaient également faciles et réguliers[9]. Philippe était un personnage sacerdotal et d’ancienne école, assez analogue à Jacques. On lui prêtait des miracles, même des résurrections de morts. Il avait eu quatre filles, qui toutes furent prophétesses. Il semble qu’une d’elles était morte avant que Philippe vînt en Asie. Des trois autres, deux vieillirent dans la virginité ; la quatrième se maria du vivant de son père, prophétisa comme ses sœurs, et mourut à Éphèse[10]. Ces femmes étranges devinrent fort célèbres en Asie[11]. Papias, qui fut vers l’an 130 évèque d’Hiérapolis, les avait connues ; mais il ne vit pas l’apôtre lui-même. Il apprit de ces vieilles filles exaltées, sur les miracles de leur père, des faits extraordinaires, des récits merveilleux[12]. Elles savaient aussi beaucoup de choses sur d’autres apôtres ou personnages apostoliques, en particulier sur Joseph Barsabas, qui, selon elles, avait bu un poison mortel sans en éprouver aucun effet[13].

Ainsi, à côté de Jean, se constitua en Asie un second centre d’autorité et de tradition apostoliques. Jean et Philippe élevèrent le pays qu’ils avaient choisi pour séjour presque au niveau de la Judée. « Ces deux grands astres de l’Asie, » comme on les appelait[14] furent durant quelques années le phare de l’Église, privée de ses autres pasteurs. Philippe mourut à Hiérapolis, et y fut enterré. « Ses filles vierges arrivèrent à un âge très-avancé, et furent déposées près de lui ; celle qui se maria fut enterrée à Éphèse ; on voyait, dit-on, toutes ces sépultures au IIe siècle. Hiérapolis eut ainsi ses tombeaux apostoliques, rivaux de ceux d’Éphèse. La province paraissait ennoblie par ces corps saints, qu’on s’imaginait voir se lever de terre le jour où le Seigneur viendrait, plein de gloire et de majesté, ressusciter ses élus[15]. La crise de Judée, en dispersant, vers 68, les apôtres et les hommes apostoliques, put porter encore à Éphèse et dans la vallée du Méandre d’autres personnages considérables de l’Église naissante. Un très-grand nombre de disciples, en tout cas, qui avaient vu les apôtres à Jérusalem, se retrouvèrent en Asie, et semblent y avoir mené cette vie vagabonde de ville en ville qui était si fort dans le goût des juifs[16]. Peut-être les mystérieux personnages appelés Presbyteros Johannes et Aristion furent-ils du nombre des émigrés[17]. Ces auditeurs des Douze répandirent en Asie la tradition de l’Église de Jérusalem, et achevèrent d’y donner la prépondérance au judéo-christianisme. On les questionnait avidement sur les dires des apôtres et sur les paroles authentiques de Jésus. Plus tard, ceux qui les avaient vus étaient si fiers d’avoir pu puiser à cette source pure, qu’ils dédaignaient les petits écrits qui avaient la prétention de rapporter les discours de Jésus[18].

C’était quelque chose de bien particulier que l’état d’âme où vivaient ces Églises, perdues au fond d’une province dont le climat tranquille et le ciel profond semblent porter à la mysticité. Nulle part les idées messianiques ne préoccupaient autant les esprits. On se livrait à des calculs extravagants[19]. Les paraboles les plus bizarres, provenant de la tradition de Philippe et de Jean, se propageaient. L’Évangile qui se formait de ce côté avait quelque chose de mythique et de singulier[20]. On se figurait, en général, qu’après la résurrection des corps, laquelle était proche, il y aurait un règne corporel[21] du Christ sur le monde, qui durerait mille ans. On décrivait les délices de ce paradis d’une façon toute matérielle ; on mesurait la grosseur des grappes de raisin et la force des épis sous ce règne du Messie[22]. L’idéalisme, qui donnait aux plus naïves paroles de Jésus un velouté si charmant, était perdu pour la plus grande part[23].

Jean, à Éphèse, grandissait chaque jour[24]. Sa suprématie fut reconnue dans toute la province, sauf peut-être à Hiérapolis, où habitait Philippe[25]. Les Églises de Smyrne, de Pergame, de Thyatires, de Sardes, de Philadelphie, de Laodicée l’avaient adopté pour chef, écoutaient avec respect ses avertissements, ses conseils, ses reproches. L’apôtre, ou ceux qui se donnaient le droit de parler pour lui, prenaient en général le ton sévère. Une grande rudesse, une intolérance extrême, un langage dur et grossier contre ceux qui pensaient autrement que lui, paraissent avoir été une partie du caractère de Jean[26]. C’est, dit-on, en vue de lui que Jésus promulgua ce principe : « Qui n’est pas contre nous est pour nous[27] » La série d’anecdotes qu’on raconta plus tard afin de relever sa douceur et son indulgence[28] semble avoir été inventée conformément au type qui résulte des épîtres johanniques, épîtres dont l’authenticité est plus que douteuse. Les traits d’un caractère tout opposé, et qui révèlent beaucoup de violence, sont mieux d’accord avec les récits évangéliques[29], avec l’Apocalypse, et prouvent que l’emportement d’où lui était venu le surnom de « fils du tonnerre » n’avait fait que s’exaspérer avec l’âge. Il se peut, du reste, que ces qualités et ces défauts opposés ne se soient pas exclus aussi nécessairement qu’on le croirait. Le fanatisme religieux produit souvent dans le même sujet les extrêmes de la dureté et de la bonté ; tel inquisiteur du moyen âge qui faisait brûler des milliers de malheureux pour d’insignifiantes subtilités était en même temps le plus doux et en un sens le plus humble des hommes.

C’est surtout contre les petits conventicules des disciples de celui qu’on appelait le nouveau Balaam que l’animosité de Jean et de son entourage paraît avoir été vive et profonde[30]. Telle est l’injustice inhérente à tous les partis, telle était la passion qui remplissait ces fortes natures juives, que probablement la disparition du « Destructeur de la Loi[31] » fut saluée par les cris de joie de ses adversaires. Pour plusieurs, la mort de ce brouillon, de ce trouble-fête, fut un véritable débarras. Nous avons vu que Paul à Éphèse se sentait entouré d’ennemis[32] ; les derniers discours qu’on lui prête en Asie sont pleins de tristes pressentiments[33]. Au commencement de l’an 69, nous allons trouver la haine contre lui vivace encore. Puis la controverse s’apaisera ; le silence se fera autour de sa mémoire. Au moment où nous sommes, nul ne paraît l’avoir soutenu, et c’est là justement ce qui plus tard le sauva. La réserve, ou, si l’on veut, la faiblesse de ses partisans amena une conciliation ; les pensées les plus hardies finissent par se faire accepter, pourvu qu’elles subissent longtemps sans répondre les objections des conservateurs.

La rage contre l’empire romain, la joie des malheurs qui lui arrivaient, l’espérance de le voir bientôt se démembrer étaient la pensée la plus intime de tous les croyants. On sympathisait avec l’insurrection juive, et on était persuadé que les Romains n’en viendraient pas complètement à bout. Le temps était loin où Paul et peut-être Pierre prêchaient l’acceptation de l’autorité romaine, attribuant même à cette autorité une sorte de caractère divin. Les principes des juifs exaltés sur le refus de l’impôt, sur l’origine diabolique de tout pouvoir profane, sur l’idolâtrie impliquée dans les actes de la vie civile selon les formes romaines, l’emportaient. C’était la conséquence naturelle de la persécution ; les principes modérés avaient cessé d’être applicables. Sans être aussi violente qu’elle le fut en l’an 64, la persécution continuait sourdement[34]. L’Asie était la province où la chute de Néron avait fait le plus d’impression. L’opinion générale était que le monstre, guéri par une puissance satanique, se tenait caché quelque part et allait reparaître. On conçoit quel effet de telles rumeurs produisaient parmi les chrétiens. Plusieurs des fidèles d’Éphèse, à commencer peut-être par leur chef, étaient des échappés de la grande boucherie de 64. Quoi ! l’horrible bête, pétrie de luxure, de fatuité, de vaine gloire, va revenir ! La chose est claire, durent penser ceux qui doutaient encore que Néron fût l’Antéchrist. Le voilà, ce mystère d’iniquité, cet antipode de Jésus, qui doit paraître pour assassiner, martyriser le monde, avant l’apparition lumineuse[35]. Néron est ce Satan incarné qui achèvera de tuer les saints. Quelque temps encore, et le moment solennel sera venu. — Les chrétiens adoptaient d’autant plus volontiers cette idée, que la mort de Néron avait été trop mesquine pour un Antiochus ; les persécuteurs de cette espèce ont coutume de périr avec plus d’éclat. On en concluait que l’ennemi de Dieu était réservé à une mort plus grandiose, qui lui serait infligée à la vue du monde entier et des anges, assemblés par le Messie.

Cette idée, mère de l’Apocalypse, prenait chaque jour des formes plus arrêtées ; la conscience chrétienne était arrivée au comble de son exaltation, quand un fait qui se passa dans les îles voisines de l’Asie donna du corps à ce qui jusque-là n’avait été qu’une imagination. Un faux Néron venait d’apparaître et inspirait dans les provinces d’Asie et d’Achaïe un vif sentiment de curiosité, d’espérance ou d’effroi[36]. C’était, paraît-il, un esclave du Pont ; selon d’autres, un Italien, de condition servile. Il ressemblait beaucoup à l’empereur défunt ; il avait ses gros yeux, sa forte chevelure, son air hagard, sa tête farouche et théâtrale ; il savait comme lui jouer de la cithare et chanter. L’imposteur forma autour de lui un premier noyau composé de déserteurs et de vagabonds, osa prendre la mer pour gagner la Syrie et l’Égypte, et fut jeté par la tempête dans l’île de Cythnos, l’une des Cyclades. Il fit de cette île le centre d’une propagande assez active, grossit sa bande en racolant quelques soldats qui retournaient d’Orient, fit des exécutions sanglantes, pilla des marchands, arma des esclaves. L’émotion fut grande, surtout chez les gens du peuple, ouverts par leur crédulité aux bruits les plus absurdes. Depuis le mois de décembre 68, l’Asie et la Grèce n’eurent pas d’autre entretien[37]. L’attente et la terreur grandissaient chaque jour ; ce nom, dont la célébrité avait rempli le monde, tournait de nouveau les têtes, et faisait croire que ce qu’on avait vu n’était rien auprès de ce qu’on allait voir.

D’autres faits qui se passèrent en Asie ou dans l’Archipel, et que nous ne pouvons préciser faute de renseignements suffisants[38], augmentèrent encore l’agitation. Un ardent néronien, qui joignait à sa passion politique des prestiges de sorcier, se déclara hautement soit pour l’imposteur de Cythnos, soit pour Néron censé réfugié chez les Parthes. Il forçait apparemment les gens paisibles à reconnaître Néron ; il rétablissait ses statues, obligeait à les honorer ; on serait même par moments tenté de croire qu’une monnaie fut émise au type de Nero redux. Ce qu’il y a de certain, c’est que les chrétiens s’imaginèrent qu’on voulait leur faire adorer la statue de Néron ; la monnaie, tessère[39] ou estampille au nom de « la Bête », « sans laquelle on ne pouvait ni vendre ni acheter », leur causait d’insurmontables scrupules[40]. L’or marqué au signe du grand chef de l’idolâtrie leur brûlait la main. Il semble que, plutôt que de se prêter à de pareils actes d’apostasie, quelques fidèles d’Éphèse s’exilèrent ; on peut supposer que Jean fut du nombre[41]. Cet incident, obscur pour nous, joue un grand rôle dans l’Apocalypse, et en fut peut-être l’origine première : « Attention ! dit le Voyant, c’est ici qu’est le terme de la patience des saints, qui gardent les commandements de Dieu et la foi de Jésus[42]. »

Les événements de Rome et de l’Italie donnaient raison à cette attente fiévreuse. Galba ne réussissait pas à s’établir. Jusqu’à Néron, le titre de légitimité dynastique créé par Jules César et par Auguste avait étouffé la pensée d’une compétition à l’empire parmi les généraux ; mais depuis que ce titre était périmé, tout chef militaire put aspirer à l’héritage de César. Vindex était mort ; Verginius s’était loyalement soumis ; Nymphidius Sabinus, Macer, Fonteius Capiton avaient expié par la mort leurs idées de révolte ; rien n’était fait cependant. Le 2 janvier 69, les légions de Germanie proclament Vitellius ; le 10, Galba adopte Pison ; le 15, Othon est proclamé à Rome ; durant quelques heures, il y eut trois empereurs ; le soir, Galba est tué. La foi à l’empire était profondément ébranlée ; on ne croyait pas que Othon pût arriver à régner seul ; les espérances des partisans du faux Néron de Cythnos et de ceux qui s’imaginaient chaque jour voir l’empereur tant regretté revenir d’au delà de l’Euphrate ne se dissimulaient plus. C’est alors (fin de janvier de l’an 69)[43] que fut répandu parmi les chrétiens d’Asie un manifeste symbolique, se présentant comme une révélation de Jésus lui-même. L’auteur savait-il la mort de Galba, ou seulement la prévoyait-il[44] ? Il est d’autant plus difficile de le dire qu’un des traits des apocalypses, c’est que l’écrivain exploite parfois, au profit de sa prétendue clairvoyance, une nouvelle récente, qu’il croit connue de lui seul. Ainsi le publiciste qui a composé le livre de Daniel paraît avoir eu quelque vent de la mort d’Antiochus[45]. Notre Voyant semble de même posséder des renseignements particuliers sur l’état politique de son temps. Il est douteux qu’il connaisse Othon ; il croit que la restauration de Néron suivra immédiatement la chute de Galba. Ce dernier se montre à lui comme déjà condamné. On est donc à la veille du retour de la Bête. L’imagination ardente de l’auteur lui ouvre alors un ensemble de vues sur « ce qui doit arriver sous peu[46] », et ainsi se déroulent les chapitres successifs d’un livre prophétique, dont le but est d’éclairer la conscience des fidèles dans la crise que l’on traverse, de leur révéler le sens d’une situation politique qui troublait les plus fermes esprits, et surtout de les rassurer sur le sort de leurs frères déjà tués. Il faut se rappeler, en effet, que les crédules sectaires dont nous cherchons à retrouver les sentiments étaient à mille lieues des idées de l’immortalité de l’âme, qui sont sorties de la philosophie grecque. Les martyres des dernières années furent une crise terrible pour une société qui tremblait naïvement quand un saint mourait, et se demandait si celui-là verrait le royaume de Dieu[47]. On éprouvait un besoin invincible de se représenter les fidèles trépassés à couvert et déjà heureux, quoique d’un bonheur provisoire, au milieu des fléaux qui allaient frapper la terre[48]. On entendait leurs cris de vengeance ; on comprenait leurs saintes impatiences ; on appelait le jour où Dieu se lèverait enfin pour venger ses élus.

La forme d’« apocalypse » adoptée par l’auteur n’était pas neuve en Israël. Ézéchiel avait déjà inauguré un changement considérable dans le vieux style prophétique, et on peut en un sens le regarder comme le créateur du genre apocalyptique. À l’ardente prédication, accompagnée parfois d’actes allégoriques extrêmement simples, il avait substitué, sans doute sous l’influence de l’art assyrien, la vision, c’est-à-dire un symbolisme compliqué, où l’idée abstraite était rendue au moyen d’êtres chimériques, conçus en dehors de toute réalité. Zacharie continua de marcher dans la même voie ; la vision devint le cadre obligé de tout enseignement prophétique. L’auteur du livre de Daniel, enfin, par la vogue extraordinaire qu’il obtint, fixa définitivement les règles du genre. Le livre d’Hénoch, l’Assomption de Moïse, certains poèmes sibyllins[49] furent le fruit de sa puissante initiative. L’instinct prophétique des Sémites[50], leur tendance à grouper les faits en vue d’une certaine philosophie de l’histoire, et à présenter leur pensée individuelle sous la forme d’un absolu divin, leur aptitude à voir les grandes lignes de l’avenir, trouvaient dans ce cadre fantastique de singulières facilités. À toute situation critique du peuple d’Israël répondit désormais une apocalypse. La persécution d’Antiochus, l’occupation romaine, le règne profane d’Hérode avaient suscité d’ardents visionnaires. Il était inévitable que le règne de Néron et le siège de Jérusalem eussent leur protestation apocalyptique, comme plus tard les rigueurs de Domitien, d’Adrien, de Septime-Sévère, de Dèce, et l’invasion des Goths en 250, provoqueront la leur.

L’auteur de cet écrit bizarre, qu’un sort plus bizarre encore destinait à des interprétations si diverses, le composa dans le mystère, y déposa tout le poids de la conscience chrétienne, puis l’adressa sous forme d’épître aux sept principales Églises d’Asie[51]. Il demandait que lecture en fût faite, comme c’était l’usage pour toutes les épîtres apostoliques, aux fidèles assemblés[52]. Il y avait peut-être en cela une imitation de Paul, qui aimait mieux agir par lettres, que de près[53]. De telles communications, en tout cas, n’étaient point rares, et c’était toujours la venue du Seigneur qui en faisait l’objet. Des révélations prétendues sur la proximité du dernier jour circulaient sous le nom de divers apôtres, si bien que Paul se vit obligé de prémunir ses Églises contre l’abus qu’on pouvait faire de son écriture pour appuyer de telles fraudes[54]. L’ouvrage débutait par un titre qui expliquait son origine et sa haute portée :


Révélation[55] de Jésus-Christ, dont Dieu l’a favorisé pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt, et que Christ a transmise par le ministère d’un ange[56] à son serviteur Jean, qui se porte, comme témoin oculaire, garant de la parole de Dieu et de la manifestation qu’en a faite Jésus-Christ[57].

Heureux celui qui lira[58], heureux ceux qui entendront les paroles de cette prophétie et qui s’y conformeront ; car le temps est proche !

Jean aux sept Églises d’Asie. Grâce et paix vous viennent de la part de celui qui est, qui était, qui sera, et de la part des sept esprits qui se tiennent devant son trône[59], et de la part de Jésus-Christ, le témoin fidèle, le premier-né des morts[60], le prince des rois de la terre, qui nous aime et nous a lavés de nos péchés dans son sang, qui nous a faits rois et prêtres de dieu son père, à qui soit la gloire et la force dans tous les siècles. amen.

Voilà qu’il vient sur les nuées, et tout œil le verra, et ceux qui l’ont percé[61] le contempleront, et toutes les tribus de la terre se lamenteront à sa vue. Oui amen. « Je suis l’alpha et l’oméga, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était, qui sera, le Tout-Puissant. »

Moi Jean, votre frère et votre compagnon dans les persécutions, dans la royauté et la ferme attente de Christ, je me trouvai en l’île qu’on appelle Patmos à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus[62]. Je tombai en extase un dimanche, et j’entendis derrière moi une grande voix comme le son d’une trompette, qui disait : « Ce que tu vas voir, écris-le dans un livre, et envoie-le aux sept Églises, à Éphèse, à Smyrne, à Pergame, à Thyatires, à Sardes, à Philadelphie, à Laodicée. » Et je me retournai pour chercher la voix qui me parlait, et, m’étant retourné, je vis sept chandeliers d’or, et au milieu des chandeliers un être qui ressemblait à un Fils de l’homme[63], revêtu d’une robe longue[64] et ceint à la hauteur de la mamelle[65] d’une ceinture d’or. Sa tête et ses cheveux resplendissaient comme une laine blanche, comme de la neige ; ses yeux étaient comme la flamme ; ses pieds comme l’orichalque dans une fournaise ardente ; sa voix semblait la voix des grandes eaux[66] ; dans sa droite étaient sept étoiles ; de sa bouche sortait un glaive aigu, à deux tranchants, et son aspect était celui du soleil dans toute sa force. Et quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort, et il posa sa main droite sur moi, disant : « Ne crains pas ; je suis le premier et le dernier, le vivant ; j’ai été mort, et voilà que maintenant je vis pour les siècles des siècles, et je tiens les clefs de la mort et de l’enfer. Écris donc ce que tu as vu, ce qui est, ce qui sera. Le sens du symbole des sept étoiles que tu as vues dans ma main et des sept chandeliers d’or, le voici : les sept étoiles sont les anges des sept Églises, et les chandeliers sont les sept Églises. »


Dans les conceptions juives, à demi gnostiques et cabbalistes, qui dominaient vers ce temps, chaque personne[67], et même chaque être moral, comme la mort, la douleur, a son ange gardien : il y avait l’ange de la Perse, l’ange de la Grèce[68], l’ange des eaux[69], l’ange du feu[70], l’ange de l’abîme[71]. Il était donc naturel que chaque Église eût aussi son représentant céleste. C’est à cette espèce de ferouer ou de genius[72] de chaque communauté que le Fils de l’homme adresse tour à tour ses avertissements :


À l’ange de l’Église d’Éphèse :


Voici ce que dit celui qui tient les sept étoiles dans sa droite, qui marche au milieu des sept chandeliers d’or :

Je sais tes œuvres, et la peine que tu te donnes, et ta patience, et que tu ne peux supporter les méchants. Et tu as mis à l’épreuve ceux qui se disent apôtres et qui ne le sont pas[73], et tu les as trouvés menteurs, et tu as tout supporté pour mon nom, sans te fatiguer jamais. Mais j’ai contre toi que tu t’es relâché de ton premier amour. Souviens-toi d’où tu es tombé, et repens-toi, et reviens à tes premières œuvres. Sinon, je viens à toi, et je change ton chandelier de place. Mais tu as en ta faveur que tu hais les œuvres des nicolaïtes[74], que moi aussi je hais.

Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux sept Églises ! Au vainqueur je permettrai de manger de l’arbre de vie, qui est dans le paradis de Dieu.


À l’ange de l’Église de Smyrne :


Voici ce que dit le premier et le dernier, qui était mort et qui est revenu à la vie :

Je connais tes souffrances et ta pauvreté (en réalité tu es riche), et les injures que t’adressent ceux qui se disent juifs, et qui ne le sont pas[75], mais qui sont une synagogue de Satan[76]. Ne t’effraye pas de ce que tu as à souffrir. Voilà que le diable va en jeter plusieurs d’entre vous en prison, pour que vous soyez éprouvés et que vous ayez une détresse de dix jours[77]. Sois fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai la couronne de vie.

Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises ! Le vainqueur n’aura rien à souffrir de la seconde mort[78].


À l’ange de l’Église de Pergame :


Voici ce que dit celui qui tient le glaive aigu, à deux tranchants :

Je sais qu’où tu habites, là est le trône de Satan[79]. Et tu as gardé mon nom, et tu n’as pas nié ma foi, même en ces jours où Antipas, mon témoin fidèle[80], a été tué parmi vous, à l’endroit où Satan habite[81]. Mais j’ai contre toi quelque chose ; c’est que tu as là des gens qui tiennent la doctrine de Balaam, qui enseignait à Balac à jeter le scandale devant les fils d’Israël, à manger des viandes immolées aux idoles et à forniquer[82]. Ainsi font ceux des tiens qui professent la doctrine des nicolaïtes. Repens-toi donc ; sinon, je viens à toi tout à l’heure, et je combats contre eux avec le glaive de ma bouche.

Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises ! Au vainqueur je donnerai de la manne cachée[83], et je lui remettrai une tessère blanche, sur laquelle sera écrit un nom nouveau, que nul ne connaîtra si ce n’est celui qui l’aura reçu[84].


À l’ange de l’Église de Thyatires :


Voici ce que dit le fils de Dieu, celui qui a les yeux de flamme et dont les pieds sont semblables à l’orichalque :

Je sais tes œuvres, et ton amour, et ta foi, et ton ministère de charité et ta patience, et que tes dernières œuvres l’emportent sur les premières. Mais j’ai contre toi que tu laisses faire la femme Jézabel[85], qui se dit prophétesse, et qui dogmatise, et qui induit mes serviteurs à forniquer et à manger des viandes sacrifiées aux idoles. Et je lui ai donné le temps pour qu’elle se repente, et elle n’a pas voulu se repentir de sa fornication. Voilà que je la jette au lit[86], et les complices de ses adultères, je les plonge dans une grande tribulation, s’ils ne se repentent pas de leurs œuvres ; et ses enfants, je les tuerai de mort, et toutes les Églises apprendront alors que je suis celui qui sonde les reins et les cœurs ; et je rendrai à chacun selon ses œuvres. Quant à vous autres de Thyatires, qui ne tenez pas cette doctrine et ne connaissez pas « les profondeurs de Satan », comme ils disent[87], je ne veux pas vous imposer d’autre fardeau[88]. Cependant, ce que vous avez, tenez-le bien, jusqu’à ce que je vienne.

Celui qui vaincra et gardera mes œuvres jusqu’à la fin, je lui donnerai puissance sur les nations, et il les conduira avec une verge de fer[89] ; il les brisera comme des vases d’argile, ainsi que j’en ai moi-même reçu le pouvoir de mon père, et je lui donnerai en propre l’étoile du matin. Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises !


À l’ange de l’Église de Sardes :


Voici ce que dit celui qui tient les sept esprits de Dieu et les sept étoiles :

Je connais tes œuvres ; tu passes pour vivant, mais tu es mort. Sois vigilant, et fortifie ce qui allait mourir ; car je n’ai pas trouvé tes œuvres parfaites devant mon Dieu. Souviens-toi donc comment tu reçus et entendis la parole, et garde-la, et repens-toi. Si tu ne veilles pas, je viendrai comme un voleur[90], et tu ne sauras pas à quelle heure je viendrai. Tu as pourtant quelques personnes à Sardes qui n’ont pas souillé leurs vêtements ; ceux-là marcheront avec moi en robe blanche, car ils en sont dignes.

Le vainqueur sera ainsi vêtu de vêtements blancs, et je n’effacerai pas son nom du livre de vie[91], et je l’avouerai devant mon père et devant ses anges. Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises !


À l’ange de l’Église de Philadelphie :


Voici ce que dit le saint, le vrai, celui qui tient la clef de David, qui ouvre et personne ne ferme, qui ferme et personne n’ouvre[92] :

Je connais tes œuvres : j’ai ouvert devant toi une porte[93], que personne ne pourra fermer ; bien que faible, tu as gardé ma parole, et tu n’as pas renié mon nom. Vois-tu ces gens de la synagogue de Satan, qui se disent juifs et qui ne le sont pas, mais qui mentent ? Je ferai qu’ils viennent et se prosternent devant tes pieds, et qu’ils sachent que je t’aime[94]. Parce que tu as gardé ma parole d’attente, moi aussi je te garderai de l’heure de l’épreuve qui doit venir sur tout le monde, pour éprouver ceux qui habitent la terre. J’arrive bientôt ; tiens bien ce que tu as, pour que personne ne prenne ta couronne.

Le vainqueur, je le ferai colonne dans le temple de mon Dieu, et il n’en sortira plus, et j’écrirai sur cette colonne le nom de mon Dieu[95], et le nom de la ville de mon Dieu, a nouvelle Jérusalem, qui descend du ciel d’auprès de mon Dieu, ainsi que mon nouveau nom[96]. Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises !


À l’ange de l’Église de Laodicée :


Voici ce que dit l’Amen[97], le témoin fidèle et vrai, le principe de la création de Dieu :

Je connais tes œuvres ; tu n’es ni froid ni chaud. Plût à Dieu que tu fusses l’un ou l’autre ; mais, parce que tu es tiède, j’ai envie de te vomir de ma bouche. Tu te dis à toi-même : « Je suis riche, je surabonde et n’ai besoin de rien[98], » et tu ne vois pas que tu es malheureux et misérable, et pauvre, et aveugle, et nu. Je te conseille d’acheter de moi l’or passé au feu[99], pour que tu sois vraiment riche, ainsi que des habits blancs pour te vêtir et pour cacher la honte de ta nudité, et un collyre pour oindre tes yeux, afin que tu y voies clair. Je réprimande et je châtie ceux que j’aime ; du zèle donc, et repens-toi.

Voilà que je me tiens à la porte et que je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre la porte, j’entre auprès de lui, et je mange avec lui et lui avec moi. Au vainqueur je donnerai de s’asseoir avec moi sur mon trône, de même que moi aussi j’ai vaincu et me suis assis avec mon père sur son trône. Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises !


Quel est ce Jean qui ose se faire l’interprète des mandats célestes, qui parle aux Églises d’Asie avec tant d’autorité, qui se vante d’avoir traversé les mêmes persécutions que ses lecteurs[100] ? C’est ou l’apôtre Jean, ou un homonyme de l’apôtre Jean, ou quelqu’un qui a voulu se faire passer pour l’apôtre Jean. Il est bien peu admissible qu’en l’an 69, du vivant de l’apôtre Jean ou peu après sa mort, quelqu’un ait usurpé son nom sans son consentement pour des conseils et des réprimandes aussi intimes. Parmi les homonymes de l’apôtre, aucun n’aurait non plus osé prendre un tel rôle. Le Presbyteros Johannes, le seul qu’on allègue, s’il a jamais existé, était, à ce qu’il semble, d’une génération postérieure[101]. Sans nier les doutes qui restent sur presque toutes ces questions d’authenticité d’écrits apostoliques, vu le peu de scrupule qu’on se faisait d’attribuer à des apôtres et à de saints personnages les révélations auxquelles on voulait donner de l’autorité[102], nous regardons comme probable que l’Apocalypse est l’ouvrage de l’apôtre Jean, ou du moins qu’elle fut acceptée par lui et adressée aux Églises d’Asie sous son patronage[103]. La forte impression des massacres de l’an 64, le sentiment des dangers que l’auteur a courus, l’horreur de Rome, nous semblent bien convenir à l’apôtre qui, selon notre hypothèse, avait été à Rome et pouvait dire, en parlant de ces tragiques événements : Quorum pars magna fui[104]. Le sang l’étouffe, injecte ses yeux, l’empêche de voir la nature. L’image des monstruosités du règne de Néron l’obsède comme une idée fixe. — Mais des objections graves rendent ici la tâche du critique bien délicate. Le goût du mystère et de l’apocryphe qu’avaient les premières générations chrétiennes a couvert d’une impénétrable obscurité toutes les questions d’histoire littéraire relatives au Nouveau Testament. Heureusement, l’âme éclate en ces écrits anonymes ou pseudonymes par des accents qui ne sauraient mentir. La part de chacun est, dans les mouvements populaires, impossible à discerner ; c’est le sentiment de tous qui constitue le véritable génie créateur.

Pourquoi l’auteur de l’Apocalypse, quel qu’il soit, a-t-il choisi Patmos pour le lieu de sa vision ? C’est ce qu’il est difficile de dire[105]. Patmos ou Patnos[106] est une petite île de près de quatre lieues de long, mais fort étroite[107]. Elle fut dans l’antiquité grecque florissante et très-peuplée[108]. À l’époque romaine, elle garda toute l’importance que comportait sa petitesse, grâce à son excellent port, formé au centre de l’île par l’isthme qui joint le massif rocheux du nord au massif du sud. Patmos était, selon les habitudes du cabotage d’alors, la première ou la dernière station pour le voyageur qui allait d’Éphèse à Rome ou de Rome à Éphèse. On a tort de la représenter comme un écueil, comme un désert. Patmos fut et redeviendra peut-être une des stations maritimes les plus importantes de l’Archipel ; car elle est à l’embranchement de plusieurs lignes. Si l’Asie renaissait, Patmos serait pour elle quelque chose d’analogue à ce qu’est Syra pour la Grèce moderne, à ce qu’étaient dans l’antiquité Délos et Rhénée parmi les Cyclades, une sorte d’entrepôt en vue de la marine marchande, un point de correspondance utile aux voyageurs.

C’est là probablement ce qui valut à cette petite île le choix d’où est plus tard résultée pour elle une si haute célébrité chrétienne, soit que l’apôtre ait dû s’y retirer pour fuir quelque mesure persécutrice des autorités d’Éphèse[109] ; soit que, revenant d’un voyage à Rome[110], et à la veille de revoir ses fidèles, il ait préparé, dans quelqu’une des cauponæ qui devaient border le port[111], le manifeste dont il voulait se faire précéder en Asie[112] ; soit que, prenant une sorte de recul pour frapper un grand coup, et jugeant que le lieu de la vision ne pouvait être placé à Éphèse même, il ait choisi l’île de l’Archipel qui, éloignée d’environ une journée, était reliée à la métropole d’Asie par une navigation quotidienne[113] ; soit qu’il eût gardé le souvenir de la dernière escale du voyage plein d’émotions qu’il fit en 64 ; soit enfin qu’un simple accident de mer l’ait forcé de relâcher plusieurs jours dans ce petit port[114]. Ces navigations de l’Archipel sont pleines de hasard ; les traversées de l’Océan n’en peuvent donner aucune idée, car dans nos mers règnent des vents constants qui vous secondent, même quand ils sont contraires. Là, ce sont tour à tour des calmes plats, et, quand on s’engage dans les canaux étroits, des vents obstinés. On n’est nullement maître de soi ; on touche où l’on peut et non où l’on veut.

Des hommes aussi ardents que ces âpres et fanatiques descendants des vieux prophètes d’Israël portaient leur imagination partout où ils se trouvaient, et cette imagination était si uniquement renfermée dans le cercle de l’ancienne poésie hébraïque, que la nature qui les entourait n’existait pas pour eux. Patmos ressemble à toutes les îles de l’Archipel : mer d’azur, air limpide, ciel serein, rochers aux sommets dentelés, à peine revêtus par moments d’un léger duvet de verdure. L’aspect est nu et stérile ; mais les formes et la couleur du roc, le bleu vif de la mer, sillonnée de beaux oiseaux blancs, opposé aux teintes rougeâtres des rochers, sont quelque chose d’admirable. Ces myriades d’îles et d’îlots, aux formes les plus variées, qui émergent comme des pyramides ou comme des boucliers sur les flots, et dansent une ronde éternelle autour de l’horizon, semblent le monde féerique d’un cycle de dieux marins et d’Océanides, menant une brillante vie d’amour, de jeunesse et de mélancolie, en des grottes d’un vert glauque, sur des rivages sans mystère, tour à tour gracieux et terribles, lumineux et sombres. Calypso et les Sirènes, les Tritons et les Néréides, les charmes dangereux de la mer, ses caresses à la fois voluptueuses et sinistres, toutes ces fines sensations qui ont leur inimitable expression dans l’Odyssée, échappèrent au ténébreux visionnaire. Deux ou trois particularités, telles que la grande préoccupation de la mer[115], l’image « d’une montagne brûlant au milieu de la mer[116] », qui semble empruntée à Théra[117], ont seules quelque cachet local[118]. D’une petite île, faite pour servir de fond de tableau au délicieux roman de Daphnis et Chloé, ou à des scènes de bergerie comme celles de Théocrite et de Moschus, il fit un volcan noir, gorgé de cendre et de feu. Il avait dû cependant, goûter plus d’une fois sur ces flots le silence plein de sérénité des nuits, où l’on n’entend que le gémissement de l’alcyon et le soufflet sourd du dauphin. Des jours entiers, il fut en face du mont Mycale, sans songer à la victoire des Hellènes sur les Perses[119], la plus belle qui ait jamais été remportée après Marathon et les Thermopyles. À ce point central de toutes les grandes créations grecques, à quelques lieues de Samos, de Cos, de Milet, d’Éphèse, il rêva d’autre chose que du prodigieux génie de Pythagore, d’Hippocrate, de Thalès, d’Héraclite ; les glorieux souvenirs de la Grèce n’existèrent pas pour lui. Le poëme de Patmos aurait dû être quelque Héro et Léandre, ou bien une pastorale à la façon de Longus, racontant les jeux de beaux enfants sur le seuil de l’amour. Le sombre enthousiaste, jeté par hasard sur ces rives ioniennes, ne sortit pas de ses souvenirs bibliques. La nature pour lui, ce fut le chariot vivant d’Ézéchiel, le monstrueux chérub, le difforme taureau de Ninive, une zoologie baroque, mettant la statuaire et la peinture au défi. Ce défaut étrange qu’a l’œil des Orientaux d’altérer les images des choses, défaut qui fait que toutes les représentations figurées sorties de leurs mains paraissent fantastiques et dénuées d’esprit de vie, fut chez lui à son comble. La maladie qu’il portait dans ses viscères teignait tout de ses couleurs. Il vit avec les yeux d’Ézéchiel, de l’auteur du livre de Daniel ; ou plutôt il ne vit que lui-même, ses passions, ses espérances, ses colères. Une vague et sèche mythologie, déjà cabbaliste et gnostique, toute fondée sur la transformation des idées abstraites en hypostases divines, le mit en dehors des conditions plastiques de l’art. Jamais on ne s’isola davantage du milieu environnant ; jamais on ne renia plus ouvertement le monde sensible pour substituer aux harmonies de la réalité la chimère contradictoire d’une terre nouvelle et d’un ciel nouveau.

  1. Voir ci-dessus, p. 99.
  2. Inscr. publiée par Wagener, dans la Revue de l’instr. publ. en Belg., mai 1868, p. 1 et suiv.
  3. Wagener, l. c., p. 7 et suiv.
  4. V. Saint Paul, p. 354-355. Voir surtout Waddington, Inscr., no 1687.
  5. Ἐργασία θρεμματική. Waddington, no 1687 ; Wagener, p. 7-8 ; cf. Corpus inscr. gr., no 3318, et Notices et extraits, t. XXVIII, 2e partie, p. 425.
  6. Corpus inscr. gr., no 3422 ; Wagener, l. c., p. 10-11.
  7. Passages cités ci-dessous, et Théodoret, in Ps. cxvi, 1 ; Nicéphore, H. E., II, 39. Sur la distinction de Philippe le diacre et de Philippe l’apôtre, voir les Apôtres, p. 151, note ; Saint Paul, p. 506-507.
  8. Le ménologe grec (Urbin, 1727, lre part., p. 14) le fait venir en Asie après la mort de Jean ; mais ce sont là des combinaisons bien modernes.
  9. Corpus inscr. gr., no 3920, négociant qui fit soixante-douze fois le voyage d’Hiérapolis en Italie par le cap Malée.
  10. Les Actes des apôtres, et Proclus, qui les suit, comptent quatre filles prophétesses ; Proclus les enterre toutes à Hiérapolis avec leur père. Polycrate, le mieux informé, n’en connaît que trois, deux vierges, une prophétesse ; il enterre cette dernière à Éphèse. Clément semble les marier toutes. Le ménologe grec amène deux des quatre filles en Asie, et en enterre une au moins à Éphèse.
  11. Act., xxi, 9 (cf. les Apôtres, p. 151, note), Papias d’Hiérapolis, dans Eusèbe, H. E., III, 39 ; Polycrate d’Éphèse, ibid., III, 31 ; V, 24 ; Clément d’Alex., Strom., III, 6 ; Proclus, dans Caïus, dans Eusèbe, III, 31 ; Eusèbe, III, 30, 31, 37 ; V, 17 ; saint Jérôme, Opp., t. IV, 2e partie, col. 181-182, 673, 785, édit. Martianay ; Nicéph., H. E., II, 44 ; ménologes grecs, au 4 septembre (celui d’Urbin, précité ; Canisius, Lect. ant., édit. Basnage, III, 1re partie, p. 464). Quand Irénée appuie les données traditionnelles sur le témoignage de Jean et « d’autres apôtres », ces mots « autres apôtres » peuvent désigner Philippe. Notez aussi le rôle développé de Philippe dans le quatrième Évangile.
  12. Διήγησιν θαυμασίαν.
  13. Papias, dans Eusèbe, H. E., III, 39.
  14. Polycrate, dans Eusèbe, H. E., III, 31.
  15. Polycrate, l. c.
  16. Papias, dans Eusèbe, H. E., III, 39. La même chose résulte de l’appel incessant que fait Irénée à la tradition des « anciens » qui avaient vécu avec les apôtres, et dont il a reçu les dires par son maître Polycarpe.
  17. Papias, ibid. Je regarde cependant comme plus probable que Presbyteros Johannes et Aristion furent d’une génération postérieure et qu’il faut lire dans Papias : οἱ τοῦ κυρίου [μαθητῶν] μαθηταί.
  18. Papias, ibid.
  19. Les juifs de certains pays d’Orient, très-préoccupés de messianisme, passent encore leur temps de nos jours à rechercher les signes du Messie dans les événements qui surviennent, et à supputer les jours de sa venue au moyen de folles ghematrioth. Aussi le nombre des imposteurs qui se font passer pour le Messie est-il considérable, surtout dans l’Yémen.
  20. Eusèbe, H. E., III, 39. Παράδοξα, … ξένας παραϐολὰς καὶ διδασκαλίας, … ἄλλα μυθικώτερα.
  21. Σωματικῶς. Eusèbe, impatienté dans son rationalisme hellénique par ce millénarisme effréné, ne veut voir en tout cela que des erreurs personnelles de Papias.
  22. Papias, dans Irénée, V, xxxiii, 3-4 ; Apocalypse de Baruch, dans Ceriani, Monum. sacra et prof., I, p. 80, et V, p. 131-132. Voir Vie de Jésus, 13e édit., intr., p. xlii-xliii, note.
  23. Il est remarquable que, dans les synoptiques (Matth., xx, 20-21 ; Marc, x, 35-37), le royaume de Dieu des fils de Zébédée est également tout charnel.
  24. Les légendes qui placent à côté de lui, à Éphèse, Marie mère de Jésus, sont sans valeur. Saint Épiphane (hær. lxxviii, 11) les repousse.
  25. C’est sans doute pour cela que Hiérapolis ne compte pas parmi les sept villes à qui l’apôtre, dans l’Apocalypse, adresse des admonitions.
  26. Irénée, Adv. hær., III, iii, 4 ; Eusèbe, H. E., III, xxviii, 6. Comparez Apoc., ch. ii et iii ; II Joh., 10-11 ; III Joh., 9-10.
  27. Marc, ix, 38-40.
  28. Clément d’Alexandrie, Quis dives salvetur, 42 ; Eus., H. E., III, 23 ; saint Jérôme, in Gal., c. vi.
  29. Marc, iii, 17 ; ix, 37-38 ; Luc, ix, 49, 54.
  30. Voir Saint Paul, p. 367 et suiv. Plus tard, chez les juifs, Jésus fut aussi appelé Balaam (Geiger, Jüdische Zeitschrift, 6e année, p. 31-37), le nom de ce dernier personnage étant devenu typique pour signifier quelqu’un jouant le rôle de prophète à l’égard des païens, et de séducteur à l’égard d’Israël.
  31. Primasius, Comment. sur les épîtres de Paul, dans la Bibl. max. Patrum (Lugd.), t. X, p. 144.
  32. Voir Saint Paul, p. 425.
  33. Act., xx, 29-30.
  34. Apoc., xii, 17 ; xvii, 14.
  35. Voir Saint Paul, p. 252 et suiv.
  36. L’histoire de cet incident nous est racontée par Tacite, Hist., II, 8-9. Dion Cassius la donnait aussi (LXIV, 9) ; mais Xiphilin a résumé son récit en une phrase sommaire. Zonaras, qui, comme Xiphilin, ne fait ici qu’abréger Dion, nous offre un peu plus de détails. C’est à tort que Zonaras a lu : Ἐν Κύδνῳ δὲ περαιούμενον. Il faut ἐν Κύθνῳ.
  37. La mort de ce faux Néron eut lieu sous Othon, par conséquent du 15 janvier au 15 avril 69 ; mais tout porte à croire que cet événement arriva à un moment bien plus rapproché de la première date que de la seconde. En effet, Sisenna trouva l’imposteur à Cythnos, comme il venait de Syrie à Rome adhérer au mouvement des prétoriens qui avaient proclamé Othon. Une nouvelle allait de Rome en Syrie en une dizaine de jours ; Sisenna dut partir dès que le pronunciamento de Syrie fut accompli. On peut donc placer son arrivée à Cythnos vers le 6 février. Asprénas, qui arrive après lui, naviguait encore porteur d’un mandat de Galba, assassiné le 15 janvier. Le faux Néron fut donc jeté à Cythnos au plus tard en janvier 69. Comme ses intrigues en terre ferme furent assez longues, il faut supposer qu’il commença de remuer vers la fin de 68.
  38. Voir ci-après, p. 414 et suiv.
  39. Χάραγμα.
  40. Apoc., xiii et xiv. Notez surtout, xiv, 9-12, l’insistance que l’auteur y met, et, v. 12, ὑπομονή. Comparez xx, 4, où ceux qui ont refusé d’adorer la Bête sont mis sur le même pied que les martyrs de l’an 64.
  41. Apoc., i, 9, et xx, 4.
  42. Apoc., xiv, 12.
  43. Une objection peut être élevée contre cette date : les passages Apoc., xi, 2 ; xx, 9, semblent supposer le blocus de Jérusalem déjà formé, ce qui n’eut lieu qu’en mars 70 ; mais ces passages, en style poétique, sont suffisamment justifiés par l’état où les campagnes de Vespasien en 67 et 68 (voir ci-dessus, p. 277-279, 301-302) avaient mis l’insurrection juive. Luc, xxi, 20-21, exige une explication analogue. Il est clair que, quand l’Apocalypse fut écrite, le temple existait encore ; l’auteur ne craint même pas qu’il soit détruit. — Apoc., xvii, 16, ne se rapporte pas non plus nécessairement à l’incendie du Capitole arrivé le 19 décembre 69.
  44. Apoc., xvii, 10.
  45. Commodien peut aussi avoir eu connaissance de la défaite et de la mort de Dèce.
  46. Apoc., i, 1 ; xxii, 6. Les juifs du temps étaient très-portés à former de telles conjectures sur la succession des empereurs (τὰ περὶ τοὺς Ῥωμαίων βασιλεῖς ἐσόμενα) et sur ce qui devait arriver à chacun d’eux, conjectures tirées des images terribles de leurs songes, combinées avec des passages de l’Écriture. Le talent d’interpréter ces indices obscurs (τὰ ἀμφιϐόλως ὑπὸ τοῦ θείου λεγόμενα) était fort estimé. C’est ainsi que Josèphe prétendit avoir su d’avance l’avénement des Flavius. Jos., B. J., III, viii, 3.
  47. Cf. Saint Paul, p. 249 et suiv.
  48. Apoc., xiv, 13.
  49. On peut classer ainsi par approximation les spécimens de la littérature apocalyptique que nous possédons ou dont l’existence nous est attestée : 1o livre de Daniel (vers 164 avant J.-C) ; 2o poëme sibyllin juif (livre III, § 2 et § 4) ; 3o livre d’Hénoch ; 4o Assomption de Moïse ; 5o Apocalypse de Jean ; 6o poëme sibyllin de l’an 80 (livre IV) ; 7o Apocalypse d’Esdras (an 97) ; 8o Apocalypse de Baruch ; 9o Ascension d’Isaïe ; 10o divers poëmes sibyllins du second siècle ; 11o Apocalypse de Pierre (Canon de Muratori, lignes 70, 71 ; Hilgenfeld, Nov. Test, extra can. rec., IV, 74 et suiv.) ; 12o Apocalypse d’un certain Juda, sous Septime-Sévère (Eusèbe, H. E., VI, 7.) ; 13o Carmen de Commodien (vers 250). On y peut rattacher le Testament des douze patriarches, et le Pasteur d’Hermas. Les autres apocalypses publiées par Tischendorf (Apocalypses apocryphæ, Leipzig, 1866) sont des imitations plus modernes.
  50. Voir une lettre d’Abd-el-Kader, sur la future fin de l’islam. Journal des Débats, 14 juillet 1860.
  51. On a expliqué ci-dessus pourquoi Colosses et Hiérapolis ne figurent pas dans le nombre.
  52. Apoc., i, 3.
  53. II Cor., x, 10.
  54. II Thess., ii, 2.
  55. Ἀποκάλυψις.
  56. Comp. xix, 9, 10 ; xii, 6.
  57. On pourrait être tenté de traduire : « Qui a rendu témoignage à la parole de Dieu et à la prédication de Jésus-Christ, dont il a été témoin oculaire. » Mais Apoc., i, 19, 20, détournent d’attribuer ce sens à εἶδεν. Comp. xx, 4.
  58. Il s’agit ici de la lecture dans l’église par l’anagnoste.
  59. Tobie, xii, 15 ; Apoc., viii, 2.
  60. C’est-à-dire le premier des morts qui soit ressuscité.
  61. Allusion à Zacharie, xii, 10. Cf. Jean, xix, 37.
  62. Διὰ τὸν λὸγον τοῦ θεοῦ καὶ τὴν μαρτυρίαν Ἰησοῦ. Apoc., i, 9. Cf. i, 2 ; vi, 9 ; xi, 7 ; xii, 11, 17 ; xix, 10 ; xx, 4. Cette formule est malheureusement un peu vague.
  63. Désignation ordinaire du Messie dans les Apocalypses. Dan., vii, 13. Cf. Matth., viii, 20.
  64. Comme le grand prêtre juif. Jos., Ant., III, vii, 4 ; XX, i, 1. Cf. Daniel, x, 5.
  65. Jos., Ant., III, vii, 2, κατὰ στέρνον.
  66. Tout ceci est imité de Daniel, x, 5 et suiv.
  67. Matth., xviii, 10.
  68. Daniel, x, 13, 20. Cf. Deuter., xxxii, 8 (Septante). Selon Schir hasschirim rabba, vers la fin, aucun peuple n’est puni sans que son ange soit auparavant puni. Comparez les עירין et les ἐγρήγοροι de Daniel, d’Hénoch, etc.
  69. Apoc., xvi, 5.
  70. Apoc., xiv, 18.
  71. Apoc., ix, 11. Comp. les anges des vents, Apoc., vii, 1 ; Hénoch, ch. xx ; l’ange de la mer, Talm. de Bab., Baba bathra, 74 b ; l’ange de la pluie, Talm. de Bab., Taanith, 25 b ; l’ange de la grêle, Talm. de Bab., Pesachim, 118 a. Voir aussi Apoc. d’Adam, dans le Journ. asiat., nov.-déc. 1853, et surtout le Divan des Mendaïtes, analysé dans le Dictionnaire des apocryphes de Migne. I, col. 283-285.
  72. Comparez le « Génie des contributions indirectes. » Comptes rendus de l’Acad., 1868, p. 109.
  73. Allusion à saint Paul. Voir Saint Paul, p.303 et suiv., 367 et suiv.
  74. Les partisans de saint Paul. Voir Saint Paul, endroits cités.
  75. Les partisans de saint Paul. Voir Saint Paul, endroits cités p. 363, note 2.
  76. Satan représente ici l’idolâtrie. Les réunions religieuses des partisans de Paul sont pour notre auteur des fêtes d’idolâtres, puisqu’on y mange des viandes impures et sacrifiées aux idoles, comme dans les repas que font les païens après leurs sacrifices.
  77. Daniel, i, 14-15.
  78. Tous les hommes meurent une fois ; mais les méchants mourront deux fois, car, après la résurrection et le jugement, ils seront replongés dans le néant.
  79. Allusion au culte d’Esculape à Pergame. Le serpent d’Esculape dut être pris par les juifs pour un symbole tout particulier de Satan.
  80. Martyr de Pergame, inconnu d’ailleurs.
  81. Voir ci-dessus, p. 184.
  82. Cf. Nombres, xxv, rapproché de xxiv. Nouvelle allusion aux partisans de saint Paul. Voir les endroits cités p. 363, note 2.
  83. Cf. Exode, xvi, 33, et Carmina sib., proœm., 87.
  84. Dans les jugements, le caillou blanc était le signe de l’absolution ; dans les tirages au sort, on écrivait aussi les noms sur des cailloux blancs. Les vainqueurs aux jeux olympiques et aux autres jeux recevaient des tessères qui donnaient droit à divers secours en nature ; enfin on distribuait dans les loteries des tessères en échange desquelles on recevait certains objets (Suétone, Caius, 18 ; Dion Cassius, LXVI, 25). — Quant au nom nouveau, c’est le nom que l’élu portera dans le royaume céleste.
  85. Le Sinaïticus omet σου. Il s’agit ici de quelque femme influente de Thyatires, disciple de Paul. V. Saint Paul, p. 146.
  86. C’est-à-dire je la punis par une maladie.
  87. Cf. I Cor., ii, 10.
  88. Jean est de la plus grande sévérité sur les viandes immolées aux idoles et sur la πορνεία. Les païens convertis pouvaient conclure de là qu’il allait leur imposer tout le fardeau des lois mosaïques. Jean les rassure : ceux qui repoussent la πορνεία et le φαγεῖν εἰδωλόθυτα, ceux en un mot qui s’en tiennent au concordat de Actes, xv, n’ont rien à craindre.
  89. Allusion au passage Ps. ii, 9, considéré comme messianique, et ponctué autrement qu’il ne l’est dans le texte hébreu. Ce passage préoccupe beaucoup notre Voyant. Apoc., xii, 5 ; xix, 15.
  90. Comp., Matth., xxiv, 43 ; I Thess., v, 2.
  91. Daniel, xii, 1 ; Hénoch, xlvii, 3.
  92. Allusion à Isaïe, xxii, 22.
  93. Pour la propagation de l’Évangile.
  94. Nouvelle allusion aux disciples de Paul, qui seront obligés de venir demander pardon aux judéo-chrétiens et de reconnaître que ceux-ci sont la vraie Église.
  95. Le nom ineffable de Jéhovah.
  96. Comp. Apoc., xix, 12.
  97. Le Christ, en qui tout est affirmé et vérifié. Cf. Isaïe, lxv, 16.
  98. Allusion à la richesse de la ville. Tacite, Ann., XIV, 27.
  99. Cf. Isaïe, lv, 1.
  100. Apoc., 1, 9. Cf. i, 2, passage, dont le sens est équivoque.
  101. Papias, dans Eus., H. E., III, 39.
  102. II Thess., ii, 2 ; Apoc., xxii, 18-19. Comparez les livres de Daniel, d’Hénoch, en observant toutefois que, pour ces sortes de livres, l’auteur prétendu est séparé de l’auteur réel par des siècles, tandis que, dans le cas de l’Apocalypse, l’auteur réel et l’auteur prétendu auraient été contemporains.
  103. Voir l’introduction, en tête de ce volume.
  104. Comparez la position d’Élie Marion en Angleterre après les massacres des Cévennes.
  105. On n’a pu trouver dans ce choix aucune signification symbolique.
  106. D’où la forme populaire Patino.
  107. Voir L. Ross, Reisen auf griechischen Inseln des ægæischen Meeres, t. II, 1843 ; Tischendorf, Reise in den Orient, 1846, II, 258-265 ; le même, Terre sainte (traduct. française, 1868), p. 278-284 ; V. Guérin, Description de l’île de Patmos, Paris, 1856 ; Stanley, Sermons in the East, Londres, 1863, p. 225 et suiv. ; Petit de Julleville, dans la Revue des cours littéraires, 2 mars 1867. L’île a aujourd’hui environ quatre mille habitants. Elle se compose de trois massifs reliés par des isthmes étroits. Les altitudes des sommets sont d’un peu moins de trois cents mètres.
  108. Les mentions de Patmos dans l’antiquité sont rares : Strabon, X, v, 13 ; Pline, IV, 23, et, par conjecture du scoliaste, Thucydide, III, 33. Mais les inscriptions sont instructives : Corpus inscr. gr., nos 2261, 2262 ; Ross, Inscr. græcæ ineditæ, fascic. II, nos 189 et 190 ; Guérin, op. cit., p. 85 et 86, sans parler de deux (p. 9 et 86) effacées. La ville antique, dont l’acropole, en partie cyclopéenne, en partie hellénique, existe encore, était au port actuel (la Scala). La principale légende de la ville grecque était celle d’un temple élevé par Oreste à l’Artémis de Scythie (inscription no 190 de Ross). Ce temple était probablement sur l’emplacement du monastère élevé par saint Christodule au xie siècle. L’île renferme de nombreux restes anciens, dont quelques-uns d’époque reculée (Guérin, p. 9-15, 85-93 ; Ross, Reise, p 138). Elle paraît avoir eu autrefois plus d’arbres et plus d’eau qu’aujourd’hui. M. Guérin évalue la population de la ville hellénique à douze ou treize mille habitants. L’île avait en outre plusieurs villages, dont le même voyageur évalue la population à trois ou quatre mille âmes.
  109. Apoc., 1, 9, en comparant vi, 9 ; xx, 4. Voir ci-dessus, p.353-354, et ci-après, p. 414 et suiv. L’idée d’un exil proprement dit (Tertullien, Præscr., 36) doit être écartée. Nous connaissons les îles qui servaient de lieu de déportation, Gyaros, Pandatarie, Pontia, Planasie. Patmos n’a jamais été de ce nombre. Les îles de déportation étaient choisies exprès parce qu’elles n’avaient ni port ni ville ; or Patmos a de très-bons mouillages (Guérin, p. 90-91, 94) et possédait une ville assez considérable. Gyare, par exemple, ne ressemble en rien à Patmos. La tradition ecclésiastique sur le bannissement de Jean à Patmos par Domitien renferme un anachronisme. — L’idée de solitude n’a non plus rien à faire ici. L’île était fort peuplée.
  110. L’entrée du port de Patmos est facile aux navires qui viennent de Rome et difficile à ceux qui viennent d’Éphèse. J’en fis l’expérience ; après un jour d’efforts, notre barque dut renoncer à franchir la passe.
  111. La grotte est une invention du moyen âge. À peine est-il nécessaire de faire remarquer que Apoc., i, 9-10, n’implique pas que l’Apocalypse ait été écrite à Patmos ; la nuance de ἐγενόμην indique plutôt le contraire. Telle fut, du reste, la défiance que l’Église grecque eut longtemps à l’égard de l’Apocalypse, que le faux Prochore (IVe siècle), racontant avec prolixité le séjour de Jean à Patmos, ne dit pas un mot de l’Apocalypse, et ne conduit Jean dans cette île que pour y écrire l’Évangile (manuscrit de Patmos, analysé par Guérin, op. cit., p. 27 et suiv., 34, 39 et suiv., 44 ; ce texte paraît le plus conforme au texte primitif ; comparez les éditions de Michel Neander, à la suite de Catechesis M. Lutheri parva, græcolatina, Bâle, Oporin, 1567, in-12, p. 526-663 ; de Grynæus, Monum. PP. orthodoxograph., I, p. 85 et suiv. ; de Birch, Auctarium Cod. apocr. N. T., p. 262-307, et la trad. latine dans Bibl. max. Patr., II, 46 et suiv.). Il ne semble pas qu’avant saint Christodule, l’île ait été l’objet d’une vénération spéciale.
  112. Ce ne pouvait être son premier voyage à Éphèse ; car les rapports de l’auteur de l’Apocalypse avec les Églises d’Asie obligent de supposer qu’il avait antérieurement résidé dans ce pays.
  113. On peut aller aujourd’hui de Scala-Nova à Patmos en six heures, avec les moyens de navigation du pays, qui diffèrent peu de ceux des anciens.
  114. C’est bien la nuance de ἐγενόμην équivalent de חײתי, dans Apoc., 1, 9.
  115. Voir, en particulier, Apoc., xxi, 1.
  116. Apoc., viii, 8.
  117. Santorin. Cette île était alors dans une période de crise. Voir Sénèque, Quæst. nat., II, 26 ; VI, 21. Il paraît que, même quand elle dort, elle a tout à fait l’aspect d’une montagne à demi brûlée. V. Stanley, Sermons, p. 230, note 8.
  118. Le mont Kynops, à Patmos, offre quelques phénomènes volcaniques, mais sans grandeur. Guérin, op. cit., p. 88-97.
  119. Un rideau d’îles intercepte presque de Patmos la vue du continent ; on voit cependant le mont Mycale, Milet et Priène.