Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2/L’Anneau d’Hans Carvel
Hans Carvel prit sur ses vieux ans
Femme jeune en toute maniere ;
Il prit aussi soucis cuisans,
Car l’un sans l’autre ne va guere,
Babeau (c’est la jeune Femelle,
Fille du Bailly Concordat)
Fut du bon poil, ardente, et belle,
Et propre à l’amoureux combat.
Carvel, craignant de sa nature
Le cocuage et les railleurs,
Alleguoit à la creature
Et la legende et l’Ecriture,
Et tous les Livres les meilleurs ;
Blâmoit les visites secretes ;
Frondoit l’attirail des Coquetes,
Et contre un monde de recettes,
Et de moyens de plaire aux yeux,
Invectivoit tout de son mieux.
A tous ces discours la Galande
Ne s’arrestoit aucunement,
Et de Sermons n’estoit friande
A moins qu’ils fussent d’un Amant.
Cela faisoit que le bon sire
Ne sçavoit tantost plus qu’y dire ;
Eust voulu souvent estre mort.
Il eut pourtant dans son martyre
Quelques momens de reconfort :
L’histoire en est trés-veritable.
Une nuit qu’ayant tenu table,
Et bû force bon vin nouveau,
Carvel ronfloit prés de Babeau,
Il luy fut avis que le diable
Luy mettoit au doigt un anneau,
Qu’il luy disoit : Je sçais la peine
Qui te tourmente et qui te gesne,
Carvel, j’ay pitié de ton cas ;
Tien cette bague et ne la lâches,
Car tandis qu’au doigt tu l’auras,
Ce que tu crains point ne seras,
Point ne seras sans que le sçaches.
Trop ne puis vous remercier,
Dit Carvel, la faveur est grande.
Monsieur Satan, Dieu vous le rende,
Grandmercy Monsieur l’Aumônier.
Là dessus achevant son somme,
Et les yeux encore aggravez,
Il se trouva que le bon homme
Avoit le doigt où vous sçavez.
- ↑ . Rabelais, Pantagruel, liv. III, ch. 28.