L’Année terrible/Non, non, non ! Quoi ! ce roi de Prusse suffirait


                        IV

Non, non, non ! Quoi ! ce roi de Prusse suffirait !
Quoi ! Paris, ce lieu saint, cette cité forêt,
Cette habitation énorme des idées
Vers qui par des lueurs les âmes sont guidées,
Ce tumulte enseignant la science aux savants,
Ce grand lever d’aurore au milieu des vivants,
Paris, sa volonté, sa loi, son phénomène,
Sa consigne donnée à l’avant-garde humaine,
Son Louvre qu’a puni sa Grève, son beffroi
D’où sort tant d’espérance et d’où sort tant d’effroi,
Ses toits, ses murs, ses tours, son étrange équilibre
De Notre-Dame esclave et du Panthéon libre ;
Quoi ! cet infini, quoi ! ce gouffre, cet amas,
Ce navire idéal aux invisibles mâts,
Paris, et sa moisson qu’il fauche et qu’il émonde,
Sa croissance mêlée à la grandeur du monde,
Ses révolutions, son exemple, et le bruit
Du prodige qu’au fond de sa forge il construit,


Quoi ! ce qu’il fonde, invente, ébauche, essaie, et crée,
Quoi ! l’avenir couvé sous son aile sacrée,
Tout s’évanouirait dans un coup de canon !
Quoi ! ton rêve, ô Paris, serait un rêve ! non.

Paris est du progrès toute la réussite.
Qu’importe que le nord roule son noir Cocyte,
Et qu’un flot de passants le submerge aujourd’hui,
Les siècles sont pour lui si l’heure est contre lui.
Il ne périra pas.

Quand la tempête gronde,
Mes amis, je me sens une foi plus profonde ;
Je sens dans l’ouragan le devoir rayonner,
Et l’affirmation du vrai s’enraciner.
Car le péril croissant n’est pour l’âme autre chose
Qu’une raison de croître en courage, et la cause
S’embellit, et le droit s’affermit, en souffrant,
Et l’on semble plus juste alors qu’on est plus grand.
Il m’est fort malaisé, quant à moi, de comprendre
Qu’un lutteur puisse avoir un motif de se rendre ;
Je n’ai jamais connu l’art de désespérer ;
Il faut pour reculer, pour trembler, pour pleurer,
Pour être lâche, et faire avec l’honneur divorce,
Se donner une peine au-dessus de ma force.