L’Année terrible/Mais, encore une fois, qui donc à ce pauvre homme


                          XII

Mais, encore une fois, qui donc à ce pauvre homme
A livré ce Paris qui contient Sparte et Rome ?
Où donc a-t-on été chercher ce guide-là ?
Qui donc à nos destins terribles le mêla ?
Ainsi, lorsqu’il s’agit de s’évader du gouffre,
De sortir du chaos qui menace et qui souffre,
De dissiper la nuit, de monter au-dessus
Des nuages profonds dans l’abîme aperçus,
Et de verser l’aurore aux vagues infinies,
Nous ne nous fions plus à ces quatre génies,
Audace, Humanité, Volonté, Liberté,
Qui traînent dans les cieux le char de la clarté,
Et que tu fais bondir sous ta main familière,
France ; on prend pour meneur et pour auxiliaire
On ne sait quel pauvre être obscurément conduit,
Lent et fidèle, ayant derrière lui la nuit,
Dont le suprême instinct serait d’être immobile,


Et qui, tâtant l’espace et tendant sa sébile,
Sans tactique, sans but, sans colère, sans art,
Attend de l’inconnu l’aumône d’un hasard !
C’est le moment de mettre en fuite l’ombre noire
Et d’ouvrir cette porte altière, la victoire ;
On ne se croirait pas guidé, gardé, ni sûr
De pouvoir s’enfoncer fièrement dans l’azur,
Et d’échapper aux chocs, aux fureurs, aux huées,
Aux coups de fronde, aux vents, à travers les nuées,
Et d’éviter l’écueil, la chute, le récif,
Si cet humble petit marcheur, morne et poussif,
Rêveur comme la taupe, utile comme l’âne,
Ne complétait l’énorme attelage qui plane !
Quoi ! dans l’heure où la France est en péril, ayant
Pour tirer hors des flots le quadrige effrayant,
Les quatre esprits géants qui brisent tous les voiles,
Monstres dont la crinière est mêlée aux étoiles
Et que suit, essoufflé, l’essaim des aquilons,
Nous disons : Ce n’est pas assez ! et nous voulons
Un renfort, et, voyant le précipice immense,
Voyant l’ombre qu’il faut franchir, notre démence,
Devant le noir nadir et le zénith vermeil,
Ajoute un chien d’aveugle aux chevaux du soleil !