L’Anglais tel qu’on le parle


Théâtre de Tristan Bernard
Calmann-Lévy (Ip. 1-35).


L’ANGLAIS
TEL QU’ON LE PARLE

VAUDEVILLE EN UN ACTE
Joué pour la première fois le 28 février 1899
à la Comédie-Parisienne
(direction H. Burguet).
Repris à l’Athénée et aux Folies-Dramatiques.
Repris au Théâtre-Français le 1er janvier 1907.

PERSONNAGES


COMÉDIE-PARISIENNE
1899
THÉÂTRE-FRANÇAIS
1907
EUGÈNE, interprète. MM. Modot. MM. Coquelin Cadet.
HOGSON,
père de Betty.
Tréville. Paul Numa.
JULIEN CICANDEL. Barbier. Brunot.
UN INSPECTEUR. Moriès. Ravet.
UN GARÇON. Gardais. Croué.
UN AGENT
DE POLICE.
Émile.
BETTY. Mlles Louise Bignon. Mlles Robinne.
LA CAISSIÈRE. Suzanne Rozier.
Dussanne.
Clary.

La pièce a été jouée par la tournée Baret avec la distribution suivante :

Eugène, M. Baret ; Hogson, M. Tréville ; Cicandel, M. Chartol ; un Inspecteur, M. Burguet jeune ; un garçon, M. Charly ; Betty, Mademoiselle Marie Prat ; la Caissière, Mademoiselle Lély.

L’ANGLAIS
TEL QU’ON LE PARLE


La scène est à Paris, dans le vestibule d’un hôtel meublé. À droite, une porte au premier plan. Une baie au fond donnant sur un couloir d’entrée, avec sortie à droite et à gauche. Au premier plan, à gauche, une porte ; au second plan, une sorte de comptoir en angle, avec un casier pour les clefs des chambres. Affiches de chemins de fer illustrées. Horaires de trains et de bateaux. Au premier plan, à droite, une table ; sur la table, des journaux, des livres et un appareil téléphonique.



Scène PREMIÈRE

JULIEN, BETTY, LE GARÇON.
LA CAISSIÈRE.
JULIEN, au garçon.

Il nous faudrait deux chambres.

LE GARÇON.

Je vais prévenir madame.

JULIEN.

Y a-t-il un bureau de poste ici, à côté ?

LE GARÇON.

Il y a celui de la Madeleine. Monsieur a-t-il quelque chose à y faire porter ?

JULIEN, comme à lui-même.

J’ai un télégramme pour Londres… Non, je préfère y aller moi-même.

Exit le garçon.
BETTY.

My dear, I should like a room exposed to the sun.

JULIEN.

Yes, my dear.

BETTY.

I am very tired. My clothes are dirty.

JULIEN.

Habituez-vous à parler français. Nous nous ferons moins remarquer.

BETTY.

Oh ! je sais si peu bien parler français.

JULIEN.

Mais non, vous savez très bien.

LA CAISSIÈRE.

Monsieur désire ?

JULIEN, à la caissière.

Deux chambres, pas trop loin l’une de l’autre.

LA CAISSIÈRE.

Nous avons le 11 et le 12. C’est au deuxième étage.

JULIEN.

Le 11 et le 12.

BETTY.

C’est trop près !

JULIEN, bas.

Tais-toi !

LA CAISSIÈRE.

Monsieur veut-il écrire son nom ?

JULIEN.

Inscrivez monsieur et madame Philibert.

LA CAISSIÈRE.

Voulez-vous attendre un instant ? Je vais faire préparer les chambres.

BETTY, à Julien.

Oh ! monsieur Phéléber ! Oh ! madame Phéléber ! Oh !

JULIEN.

Eh bien, oui, je ne peux pas donner nos véritables noms. Si j’avais dit monsieur Julien Cicandel et mademoiselle Betty Hogson ! Vous prétendez que votre père connaît cet hôtel et qu’il est fichu de venir nous y relancer.

BETTY.

Il est fichu de nous relancer ?

JULIEN.

Oui, il est capable de venir nous pourchasser… to run after us.

BETTY.

C’est une abominable chose. Vous avez parlé plus que deux fois de ce hôtel à la maison. Il a beaucoup mémoire. Il doit se souvenir ce mot : Hôtel de Cologne. C’est facile se souvenir… Et puis je vais vous dire encore une terrible chose. Je crois que je l’ai vu, tout à l’heure, mon père. J’ai vu de loin son gris chapeau.

JULIEN.

Il y a beaucoup de chapeaux gris à Paris.

BETTY.

Je ai reconnu le paternel chapeau.

JULIEN.

La voix du sang… Tu dis des bêtises !

BETTY, tendrement.

My dear !

JULIEN.

Dis pas : my dear. Dis-moi : petit chéri !

BETTY, avec application.

Petit chéri !… Oh ! je voudrais je fusse mariée bientôt avec toi. Nous avons fait une terrible chose, de partir comme ça tous les deux.

JULIEN.

Il fallait bien. C’était le seul moyen de le faire consentir.

BETTY.

Mais si votre patron avait voulu vous… comment vous disez ?… to take as partner ?

JULIEN.

Associer.

BETTY.

As-so-cier… mon papa aurait… comment vous disez ? consenti me marier contre vous.

JULIEN.

Je le sais. Mais mon patron m’ajourne encore pour ça. Il me dit : Nous verrons dans trois mois. Votre père veut m’ajourner aussi et attendre que je sois associé. Zut ! Il a fallu employer les grands moyens.

BETTY.

Vous deviez… quitter tout de suite votre patron. « Vous voulez pas me associer… je pars !… » Voilà !

JULIEN.

Oui, mais je n’ai pas de position. S’il m’avait pris au mot, s’il avait accepté, je me serais trouvé le bec dans l’eau.

BETTY.

Votre bec dans de l’eau ! Oh ! pourquoi votre bec dans de l’eau ?… (Riant.) Oh ! monsieur Phéléber !

JULIEN.

Et puis je devais venir en France au compte de la maison, qui me fait trois mille francs de frais. Comme ça les frais de l’enlèvement seront au compte de la maison.

BETTY.

Oui, mais vous serez obligé me quitter pour les affaires.

JULIEN.

De temps en temps, j’aurai une course ; ça ne sera pas long. Et puis il vaut mieux se quitter de temps en temps ; si on était toujours ensemble sans se quitter on finirait par s’embêter. Il vaut mieux se quitter quelques instants, et se retrouver ensuite.

BETTY.

Oh ! moi, je me embête pas avec vous.

JULIEN.

Eh bien alors, mettons que je n’ai rien dit : je ne m’embête pas non plus. Voyez-vous ? J’ai toujours peur que vous vous embêtiez. Mais du moment que vous ne vous embêtez pas, je ne m’embêterai pas non plus… Je vais vous quitter pendant une demi-heure… Je vais aller au bureau de poste télégraphier à mon patron, et puis j’irai voir un client, rue du Quatre-Septembre.

BETTY.

Oh ! mais vous me laissez seule ! Si je voulais demander quelque chose ?

JULIEN.

Mais vous parlez très bien le français.

Entre la caissière.
BETTY.

Je peux parler français seulement avec ceux qui sait aussi l’anglais, à cause je sais qu’ils puissent me repêcher si je sais plus. Mais les Français, j’ai peur de ne plus tout à coup savoir, et je ne parle pas.

JULIEN.

En tout cas… (À la caissière.) il y a un interprète ici ?

LA CAISSIÈRE.

Mais oui, monsieur, il y a toujours un interprète. Il va arriver tout à l’heure. Il sera à votre disposition. Les chambres sont prêtes.

JULIEN, à Betty.

Je vais vous conduire à votre chambre et j’irai ensuite au télégraphe.

Ils sortent par la gauche.

Scène II

LA CAISSIÈRE, LE GARÇON, puis EUGÈNE.
LA CAISSIÈRE.

Au fait, Charles, comment se fait-il que l’interprète ne soit pas arrivé ?

LE GARÇON.

Monsieur Spork ? Vous ne vous rappelez pas qu’il ne vient pas aujourd’hui ? C’est le divorce de sa sœur. Toute la famille dîne au restaurant, à Neuilly. Mais monsieur Spork a fait envoyer un remplaçant. Il vient d’arriver. Il est dans le vestibule.

LA CAISSIÈRE.

Dites-lui de venir. (Le garçon va au fond dans le couloir et fait un signe à droite. Eugène entre lentement, et salue.) C’est vous qui venez remplacer monsieur Spork ? (Eugène fait un signe de tête.) On vous a dit les conditions ? Six francs pour la journée. C’est un bon prix. Le patron tient absolument à ce qu’il y ait un interprète sérieux. Vous n’avez rien d’autre à faire qu’à rester ici et à attendre les étrangers. Vous avez compris ?

Eugène s’incline. La caissière sort à gauche.
EUGÈNE, au garçon, après avoir regardé tout autour de lui.

Est-ce qu’il vient beaucoup d’étrangers ici ?

LE GARÇON.

Comme ci comme ça. Ça dépend des saisons. Il vient pas mal d’Anglais.

EUGÈNE, inquiet.

Ah !… Est-ce qu’il en vient beaucoup en ce moment ?

LE GARÇON.

Pas trop en ce moment.

EUGÈNE, satisfait.

Ah !… Et pensez-vous qu’il en vienne aujourd’hui ?

LE GARÇON.

Je ne peux pas dire… Je vais vous donner votre casquette.

Il lui apporte une casquette avec l’inscription « interpreter ».
Exit le garçon.
EUGÈNE, lisant l’inscription.

In-ter-pre-terr !.. (Il met la casquette sur sa tête.) Voilà ! Je souhaite qu’il n’en vienne pas, d’Anglais ! Je ne sais pas un mot d’anglais, pas plus que d’allemand… d’italien, d’espagnol… de tous ces dialectes. C’est pourtant bien utile pour un interprète… Ça m’avait un peu fait hésiter pour accepter cette journée de remplacement. Mais dame ! je ne roule pas sur l’or. Je prends ce qui se trouve. Seulement je désire vivement qu’il ne vienne pas d’Anglais, parce que notre conversation manquerait d’animation.

LA CAISSIÈRE, entrant.

Dites donc ! j’ai oublié de vous demander quelque chose d’assez important. Il y a des interprètes qui baragouinent plusieurs langues et qui savent à peine le français. Vous savez bien le français ?

EUGÈNE.

Parfaitement !

LA CAISSIÈRE.

C’est que, tout à l’heure, vous ne m’aviez pas répondu et, figurez-vous, j’avais peur que vous sachiez mal notre langue.

EUGÈNE.

Oh ! vous pouvez être tranquille. Je parle admirablement le français.

LA CAISSIÈRE.

Du reste nous n’avons pas beaucoup d’étrangers en ce moment. (Sonnerie.) Tiens ! le téléphone. (Elle va jusqu’à la table de droite. À l’appareil, après un silence.) On téléphone de Londres. (Eugène appuyé au comptoir ne bouge pas. Regagnant son comptoir.) Eh bien ! on téléphone de Londres ! On téléphone en anglais. Allez à l’appareil !

EUGÈNE va lentement à l’appareil et prend les récepteurs.

Allô !… (À lui-même, avec désespoir.) Ça y est ! des Anglais ! (Un silence.) Je n’y comprends rien, rien. (Dans l’appareil.) Yes ! Yes ! (Un silence ; il fait des gestes de détresse. D’un air désespéré, dans le téléphone.) Yes ! Yes !

LA CAISSIÈRE, de son bureau.

Qu’est-ce qu’ils disent ?

EUGÈNE.

Qu’est-ce qu’ils disent ? Des choses de bien peu d’intérêt.

LA CAISSIÈRE.

Enfin, ils ne téléphonent pas de Londres pour ne rien dire.

EUGÈNE, dans l’appareil.

Yes ! Yes ! (À la caissière, d’un ton embarrassé.) Ce sont des Anglais… ce sont des Anglais qui demandent à retenir des chambres. Je leur réponds : Yes ! Yes !

LA CAISSIÈRE.

Mais enfin, il faut leur demander des renseignements complémentaires. Combien leur en faut-il de chambres ?

EUGÈNE, avec assurance.

Quatre.

LA CAISSIÈRE.

Pour quand ?

EUGÈNE.

Pour mardi prochain.

LA CAISSIÈRE.

À quel étage ?

EUGÈNE.

Au premier.

LA CAISSIÈRE.

Dites-leur que nous n’avons que deux chambres au premier pour le moment, que la troisième ne sera libre que le 15. Mais nous leur en donnerons deux belles au second.

EUGÈNE.

Que je leur dise ça ?

LA CAISSIÈRE.

Mais oui… dépêchez-vous… (Il hésite.) Qu’est-ce que vous attendez ?

EUGÈNE, au public.

Ma foi tant pis ! (Tout en regardant la caissière à la dérobée.) Soda water cherry brandy, Manchester, Littletich, Regent Street. (Silence. À lui-même.) Ce qu’ils m’engueulent ! (Il raccroche le récepteur. À lui-même.) Zut ! C’est fini ! S’ils croient que je vais me laisser engueuler comme ça pendant une heure !

LA CAISSIÈRE.

Il faut que ce soit des gens chic. Il paraît que pour téléphoner de Londres, ça coûte dix francs les trois minutes.

EUGÈNE.

Dix francs les trois minutes, combien que ça fait de l’heure ?

LA CAISSIÈRE, après avoir réfléchi.

Ça fait deux cents francs l’heure.

Elle sort.
EUGÈNE.

Je viens d’être engueulé à deux cents francs l’heure… J’avais déjà été engueulé dans ma vie, mais jamais à ce tarif-là… Comme c’est utile tout de même de savoir les langues ! Voilà qui démontre, plus victorieusement que n’importe quel argument, la nécessité de savoir l’anglais. Je voudrais avoir ici tous mes concitoyens et particulièrement les interprètes, et les adjurer d’apprendre les langues ! Au lieu de nous laisser moisir sur les bancs du lycée, à apprendre le latin, une langue morte, est-ce que nos parents ne feraient pas mieux… Je ne parle pas pour moi, car je n’ai jamais appris le latin… Allons, espérons que ça va bien se passer tout de même !

Il s’est accoudé au comptoir et regarde vers la gauche. Hogson arrive par le fond à droite. Il va poser sa valise et son plaid sur une chaise, à gauche de la table de droite. Il s’approche ensuite d’Eugène qui ne l’a pas vu et continue à lui tourner le dos.

Scène III

EUGÈNE, HOGSON, LA CAISSIERE,
puis LE GARÇON.
HOGSON.

Is it here Hotel de Cologne ?

EUGÈNE, se retournant.

Yes ! Yes !

Il retourne sa casquette sur sa tête de façon que l’inscription « Interpreter » ne soit pas vue de l’Anglais.

HOGSON.

Very well. I want to ask the landlady if she has not received a young gentleman and a lady.

EUGÈNE.

Yes ! Yes !

Il recule jusqu’à la porte de gauche, premier plan, et disparaît.
HOGSON, à l’avant-scène.

What is the matter with him ? I shall speak to the interpreter… Where is he ?… (Gagnant le fond.) Interpreter ! Interpreter !

LA CAISSIÈRE, arrivant par la gauche.

Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

HOGSON.

Oh ! good morning, madam ! Can you tell me if master Cicandel is here ?

LA CAISSIÈRE.

Cécandle ?

HOGSON.

Cicandel !

LA CAISSIÈRE.

C’est le nom d’un voyageur !… Nous n’avons pas ici de Cécandle ? (Remuant la tête.) Non ! non !

HOGSON.

Now look here ! Have you received this morning a young gentleman and a young lady ?

LA CAISSIÈRE, souriante et un peu effarée.

Ah ! je ne comprends pas… Interprète ! Interprète ! Mais où est-il donc ? Qu’est-ce qu’il est devenu ? (Au garçon qui vient.) Vous n’avez pas vu l’interprète ?

LE GARÇON.

Il était là tout à l’heure.

HOGSON, cherche dans un petit dictionnaire.

Commissaire… police… here…

Il fait un signe pour dire : ici.
LE GARÇON.

Qu’est-ce qu’il dit ?

LA CAISSIÈRE.

Je crois qu’il voudrait un commissaire de police. (À Hogson, en criant, et en lui montrant le fond.) Tout près d’ici !

HOGSON, faisant signe de ramener quelqu’un.

Commissaire police… here.

LE GARÇON.

Qu’est-ce qu’il dit ?

LA CAISSIÈRE.

Je crois qu’il voudrait qu’on fasse venir ici le commissaire de police.

HOGSON, tendant une pièce au garçon.

Commissaire… police… Come here.

LE GARÇON.

Il m’a donné dix francs.

LA CAISSIÈRE.

Ça vaut douze francs cinquante ce qu’il vous a donné… Eh bien, écoutez ! Trottez-vous jusqu’au commissariat. Vous lui ramènerez un inspecteur. Il lui dira ce qu’il a à lui dire.

LE GARÇON.

Il ne sait pas le français.

LA CAISSIÈRE.

Nous avons l’interprète.

HOGSON.

Now I want a room !

LA CAISSIÈRE.

Ça veut dire : chambre, ça. On va vous en donner une, de room. (Au garçon.) Conduisez-le au 17 en passant.

Elle lui donne la clef.
HOGSON, au moment de sortir par la porte de droite premier plan.

Take my luggage.

LE GARÇON, sans comprendre.

Oui, monsieur.

HOGSON.

Take my luggage.

LE GARÇON.

Parfaitement !

HOGSON, se montant.

Take my luggage ! (Il montre sa valise. Le garçon la prend. Avec colère.) What is the matter with this fellow. I don’t like repeating twice… Now then, follow me !

Ils sortent par la droite.
LA CAISSIÈRE.

Où est donc cet interprète ?

Elle sort par le fond à droite. Entrent par le fond à gauche Betty et Julien.

Scène IV

BETTY, JULIEN.
BETTY.

Alors vous partez ! Vous ne resterez pas longtemps ?

JULIEN.

Je vais jusqu’au bureau de poste.

BETTY.

J’ai si peur ! Avez-vous entendu crier tout à l’heure ? Je pense c’était la voix de mon père.

JULIEN.

Mais non, mais non. C’est une obsession ! Ce matin c’était son chapeau gris que vous aviez aperçu. Maintenant c’est sa voix que vous croyez entendre ! Allons, au revoir.

BETTY.

Au revoir, my dear !

JULIEN.

Dites : petit chéri.

BETTY.

Petit chéri !

Elle rentre à gauche. Il sort par la droite.

Scène V

EUGÈNE, LA CAISSIÈRE, puis HOGSON,
puis L’INSPECTEUR.
EUGÈNE, peu après, se glisse sur la scène en entrant du premier plan à gauche. Il a toujours sa casquette à l’envers.

Plus personne !.. Et il n’est que dix heures et demie. J’en ai jusqu’à ce soir à minuit. (Allant au fond consulter une affiche en couleur.) Il n’arrive pas de train de Londres avant sept heures. Je vais être à peu près tranquille jusque-là.

LA CAISSIÈRE, entrant par le deuxième plan à droite.

Interprète ! Où étiez-vous donc tout à l’heure ?

EUGÈNE.

Tout à l’heure ?

LA CAISSIÈRE.

Oui, je vous avais dit de ne pas quitter d’ici.

EUGÈNE.

J’étais parti précipitamment… j’avais entendu crier : au secours !… en espagnol… mais je m’étais trompé, ce n’était pas ici.

LA CAISSIÈRE.

Vous étiez parti si précipitamment que vous aviez mis votre casquette à l’envers.

EUGÈNE, touchant sa casquette.

Oui ! oui !

LA CAISSIÈRE.

Qu’est-ce que vous attendez pour la remettre à l’endroit ?… Remettez-la… Tâchez de ne plus bouger maintenant ! (Il s’assied devant le comptoir où la caissière regagne sa place.) Il va venir un Anglais qui ne sait pas un mot de français… Il a demandé un inspecteur de police… Je ne sais pas ce qu’il lui veut…

EUGÈNE, à lui-même.

Moi non plus. Il y a des chances pour que je ne le sache jamais.

VOIX DE HOGSON, à la cantonade.

Look here, waiter !… waiter !… Give us a good polish on my patent leather boots and bring us a bottle of soda water !

EUGÈNE, à lui-même.

Oh ! quel jargon ! Quel jargon ! Où est le temps où la langue française était universellement connue à la surface de la terre ? Il y a pourtant une société pour la propagation de la langue française. Qu’est-ce qu’elle fait donc ?

HOGSON, entre par la droite premier plan, pendant que l’Inspecteur entre par le fond.

Well, what about that Inspector ?

L’INSPECTEUR.

Hein ! Qu’est-ce qu’il y a ? C’est ce monsieur qui me demande ! (À Hogson.) Eh bien ! vous n’avez pas peur ! Vous ne pourriez pas vous déranger pour venir jusqu’au commissariat ?

HOGSON.

Yes !

L’INSPECTEUR.

Il n’y a pas de yes ! C’est l’usage !

HOGSON.

Yes !

L’INSPECTEUR.

Je vois que vous êtes un homme bien élevé. Il faudra voir une autre fois à vous conformer aux habitudes du pays.

HOGSON.

Yes !

L’INSPECTEUR.

Allons ! il est de bonne composition !

LA CAISSIÈRE.

Il ne sait pas un mot de français.

L’INSPECTEUR.

Et moi je ne sais pas un mot d’anglais… Nous sommes faits pour nous entendre.

LA CAISSIÈRE, à Eugène qui a gagné insensiblement le fond.

Interprète !

EUGÈNE, après un sursaut.

Voilà !…

L’INSPECTEUR.

Faites-lui raconter son affaire.

Eugène s’approche de Hogson.
HOGSON, regardant la casquette d’Eugène. Avec satisfaction.

Oh ! Interpreter !…

EUGÈNE.

Yes ! Yes !

HOGSON.

Tell him I am James Hogson, from Newcastle on Tyne… Tell him !.. I have five daughters. My second daughter, Betty, ran away from home in company with a young gentleman, master Cicandel… Tell him. (Eugène continue à le regarder sans bouger.) Tell him !.. (Se montant.) Tell him, I say !

L’INSPECTEUR.

Qu’est-ce qu’il dit ?

EUGÈNE.

Voilà… c’est très compliqué… c’est toute une histoire… Monsieur que voici est Anglais…

L’INSPECTEUR.

Je le sais.

EUGÈNE.

Moi aussi. Il vient pour visiter Paris comme tous les Anglais…

L’INSPECTEUR.

Et c’est pour ça qu’il fait chercher le commissaire ?

EUGÈNE.

Non… attendez !… attendez ! Laissez-moi le temps de traduire…

HOGSON.

Oh ! tell him also this youngman is a frenchman and a clerk in a bankinghouse of Saint-James street.

EUGÈNE.

Justement !… (À l’Inspecteur.) Pourquoi un Anglais à peine arrivé à Paris peut-il avoir besoin du commissaire ? (Embarrassé). Pour un vol de bijoux… de portefeuille… (Illuminé d’une idée subite.) Voilà, monsieur descend du rapide…

HOGSON.

Tell him that the young gentleman…

EUGÈNE, à Hogson, en abaissant la main, avec le geste de lui fermer la bouche.

Ferme ! (À l’Inspecteur.) Monsieur descend du rapide, à la gare du Nord, quand un individu se précipite sur lui et lui prend son portefeuille.

L’Inspecteur s’écarte à gauche pour prendre des notes.
HOGSON, approuvant le récit d’Eugène.

Yes !… Very well… yes…

EUGÈNE, étonné.

Yes ?… Eh bien, mon vieux, tu n’es pas dur !…

Il s’éloigne vers le fond. Hogson s’approche de l’Inspecteur en tirant son portefeuille.
L’INSPECTEUR, étonné.

Vous aviez donc deux portefeuilles ? (À l’interprète.) Il avait deux portefeuilles ?

EUGÈNE.

Toujours ! toujours !… les Anglais…

HOGSON, tendant son portefeuille à l’Inspecteur.

That is the likeness, the… young man’s… photo… photograph !

L’INSPECTEUR, étonné.

La photographie de votre voleur ?

HOGSON.

Yes !

L’INSPECTEUR.

Ils sont étonnants, ces Anglais !… Un inconnu les bouscule dans la rue et les vole : ils ont déjà sa photographie… (Après réflexion.) Mais comment a-t-il fait ?

EUGÈNE.

Je ne vous ai pas dit que l’homme qui l’a bousculé était un homme qu’il connaissait très bien ?

L’INSPECTEUR.

Non ! comment s’appelle-t-il ? demandez-le-lui.

EUGÈNE.

Il faut que je lui demande ?… Il m’a déjà dit son nom… Il s’appelle… John… John… (Il pousse une sorte de gloussement.) Kroukx !

L’INSPECTEUR.

Comment ça s’écrit-il ?

EUGÈNE.

Comment que ça s’écrit ?… W… K… M… X…

L’INSPECTEUR.

Comment diable prononcez-vous cela ?

EUGÈNE, poussant un autre gloussement.

Crouic !

L’INSPECTEUR.

Enfin ! J’ai pas mal de renseignements. Je vais commencer des recherches actives.

EUGÈNE.

Oui ! oui ! allez. (Montrant l’Anglais.) Il est très fatigué. Je crois qu’il va aller se coucher.

L’INSPECTEUR.

Je m’en vais. (À l’Anglais.) Je vais commencer d’actives recherches.

Il sort.

Scène VI

LES PRÉCÉDENTS, moins L’INSPECTEUR.
HOGSON, à Eugène.

What did he say to me ?

Eugène incline la tête sans répondre.
HOGSON.

What did he say to me ?

Eugène incline la tête.
HOGSON, plus fort.

What did he say to me ?

EUGÈNE.

Yes ! yes !

HOGSON, furieux.

What : yes ! yes ! Damn it all !

LA CAISSIÈRE.

Qu’est-ce qu’il dit ?

EUGÈNE.

Rien.

LA CAISSIÈRE.

Il a l’air furieux !… Demandez-lui ce qu’il a.

EUGÈNE.

Non ! non ! Il faut le laisser tranquille. Il dit qu’on le laisse tranquille. Il dit que si on a le malheur de lui parler, il quittera l’hôtel tout de suite.

LA CAISSIÈRE.

C’est un fou !

EUGÈNE, à part.

Ou un martyr !… Non, c’est moi qui suis le martyr !

HOGSON, à la caissière, avec force.

Bad, bad interpreter !

LA CAISSIÈRE.

Qu’est-ce qu’il dit ?

HOGSON, avec plus de force encore.

Maovais ! Maovais interpreter !

LA CAISSIÈRE.

Ah ! il a dit : mauvais interprète !

EUGÈNE, haussant les épaules.

Humph… Humph… Movey ! Movey ! Est-ce que vous savez seulement ce que ça veut dire en anglais ?

HOGSON, furieux, à la caissière.

Look here, madam… I never saw such a damned hotel in my blooming life. (Allant à l’interprète.) Never… and such a cursed fool of interpreter. Do you think I have come all the way from London to be laughed at ? It is the last time… (En s’en allant.) I get a room in your damned inn.

Il sort, premier plan à gauche.
LA CAISSIÈRE.

Il est furieux !

EUGÈNE.

Mais non. Il est enchanté… (Il imite sa marche indignée.) C’est un air anglais.

LA CAISSIÈRE.

Je m’en vais un instant. Tâchez de rester ici et de n’en plus bouger.

Elle sort.
EUGÈNE, se tamponne le front et s’assoit, accablé, près du comptoir.

Ah ! une petite maison de campagne en Touraine, en plein cœur de la France ! Ici, nous sommes envahis par des étrangers… J’aurais une vie paisible… Les paysans me parleraient patois. Mais je ne serais pas forcé de leur répondre. Je ne suis pas un interprète de patois !


Scène VII

EUGÈNE, BETTY.
BETTY.

Interpreter !

EUGÈNE.

Allons ! bon ! (Il fait signe à Betty qu’il a mal à la gorge.) Mal… gorge… extinction de voix… (À part.) Elle ne comprend pas. Il faudrait lui dire ça en anglais.

BETTY.

Vous ne pouvez pas parler ?

EUGÈNE, fougueusement, avec sa voix habituelle.

Vous parlez français ! fallait donc le dire tout de suite !

BETTY.

Vous pouvez parler maintenant ?

EUGÈNE, reprenant sa voix de fausset.

Pas tout à fait encore ! mais ça va mieux. (Avec sa voix naturelle.) C’est remis, ça va bien ! n’en parlons plus !

BETTY.

Do you know the post office is far from here ?

EUGÈNE.

Oh ! puisque vous savez un peu parler français, pour quoi vous amusez-vous à parler anglais ? Ce n’est pas le moyen de bien apprendre le français.

BETTY.

Je sais si peu…

EUGÈNE.

Justement ! D’ailleurs, moi, je veux vous habituer à parler français. Si vous me parlez anglais, mon parti est pris, je ne répondrai pas.

BETTY, suppliante.

Oh ! I speak French with such a difficulty !

EUGÈNE, secouant la tête avec énergie.

Je ne veux pas comprendre ! Je ne veux pas comprendre !

BETTY.

Eh bien ! je vais vous dire… (Apercevant le chapeau gris de Hogson sur la table.) Oh !

EUGÈNE.

Qu’est-ce qu’il y a ?

BETTY.

Quel est ce gris chapeau ?

EUGÈNE.

C’est un chapeau qu’un Anglais a laissé tout à l’heure.

BETTY, s’approchant.

Oh ! (Elle regarde la coiffe du chapeau.) My father’s hat ! (À l’interprète avec volubilité.) Oh ! my friend is out ! My friend left me alone ! He is not returned yet ! I am going in my room !

EUGÈNE.

Oui ! oui ! c’est entendu.

BETTY.

Je vais me en aller dans ma chambre.

EUGÈNE.

Oui… oui… c’est ça… Partez ! partez ! (Elle s’en va.) Au moins avec elle y a-t-il moyen de causer ! C’est pas comme avec cet Anglais ! Ils ne seraient pas fichus d’apprendre notre langue, ces gens-là ! Voilà bien l’orgueil britannique !


Scène VIII

EUGÈNE, JULIEN.
JULIEN, arrivant par la gauche.

Interpreter !

EUGÈNE.

Non ! non ! la mesure est comble ! c’est fini ! Je renonce à mes prétentions ! Il y a trop d’Anglais. Ils sont trop. (À Julien.) Cochon de rosbif ! Ferme ta gueule ! Tu nous dégoûtes !

JULIEN.

Tu me dégoûtes encore plus ! En a-t-il du culot, celui-là ! Je vais me plaindre à ton singe qui t’enverra ton congé à travers le blair !

EUGÈNE, lui serrant la main.

Ah ! vous parlez français, merci ! merci ! Ça fait plaisir d’entendre sa langue maternelle ! Répétez un peu : J’ai du culot ! J’ai du culot ! À travers le blair ! Ah ! puisque enfin je retrouve un compatriote, je vais lui demander un service, un grand service. Figurez-vous que je sais très peu l’anglais. Je ne sais que l’espagnol, l’italien, le turc, le russe et le javanais.

JULIEN.

Vous savez l’espagnol ?… Que hora son ?

EUGÈNE.

Ne nous égarons pas !… Je vous disais donc…

JULIEN.

Je vous ai posé une question : Que hora son ? Répondez à ma question.

EUGÈNE.

Vous tenez à une réponse immédiate ? Je demande à réfléchir.

JULIEN.

Vous avez besoin de réfléchir pour me dire l’heure qu’il est ?

EUGÈNE, se rassurant.

Il est onze heures et demie… Écoutez… Vous allez me rendre un service. Il s’agit de parler à un Anglais qui est ici. Il parle un anglais que je ne comprends pas. Je ne sais pas du tout ce qu’il me veut.

JULIEN.

Où est-il, cet Anglais ?

EUGÈNE.

Nous allons le trouver… Oh ! vous êtes gentil de me rendre ce service ! À charge de revanche.

JULIEN.

Eh bien, allons-y !

EUGÈNE.

Il doit être dans le petit bureau. Tenez ! Voilà ma casquette ! (Il la lui met sur la tête.) Vous voilà passé interprète ! (S’approchant de la porte de gauche.) Monsieur ! Monsieur !

JULIEN.

Dites-lui : Seur !

EUGÈNE.

Seur ! Seur ! (Revenant à Julien.) Je voudrais lui dire qu’il y a ici un bon interprète.

JULIEN.

Good interpreter !

EUGÈNE.

Bien ! Bien ! Goude interpreterr ! (Satisfait.) Nous allons, je pense, assister à une chic conversation anglaise entre ces deux gentlemannes !.. (Allant à la porte.) Seur ! Seur ! Goude interpreterr !

Entre Hogson. Julien l’aperçoit et se retourne précipitamment.

Scène IX

LES MÊMES, HOGSON, puis L’INSPECTEUR,
BETTY, LA CAISSIÈRE, LE GARÇON,
UN AGENT.
HOGSON.

Allo ! a good interpreter ? All right !

À Julien.

Oh ! is this the new man ? Very well ! I want to get my breakfast served in the dining room, but on a separate table.

Julien gagne doucement d’abord, puis rapidement, le fond et s’en va par la droite en traversant la scène en oblique. Éternuement irrité de Hogson.
EUGÈNE, étonné.

Eh bien, il n’y a pas que moi que les Anglais font sauver.

HOGSON, à Eugène.

What is the matter with him ?

EUGÈNE.

Non, mon vieux, ce n’est plus moi, c’est lui !… (D’une voix aimable.) Au revoir, monsieur ! au revoir, monsieur !

HOGSON, furieux.

What do you mean, you rascal, stupid scoundrel, you brute, damned frog eating beggar !

Il secoue vigoureusement Eugène et sort par la gauche.
EUGÈNE, seul, accablé.

Non ! je ne serai jamais en bons termes avec cet individu-là !… J’aime autant en prendre mon parti une bonne fois. (On entend du bruit à gauche.) Qu’est-ce que c’est encore que ce potin-là ? On s’assassine ! On se bat ! Ce sont des gens qui parlent français ! Ça va bien ! Ça ne me regarde pas…

L’INSPECTEUR, entre, suivi d’un agent qui tient Julien par le bras. — À Eugène.

Je tiens mon voleur ! Je le tiens ! Justement comme je passais devant la porte, je l’ai vu qui marchait précipitamment et je l’ai reconnu par la photographie… Ah ! Ah ! Faites-moi chercher cet Anglais ! Nous allons lui montrer ce que c’est que la police française. Aussitôt connu, aussitôt pincé ! (À l’interprète.) Allez me chercher cet Anglais ! Et revenez avec lui, car nous aurons besoin de vos services.

EUGÈNE.

Vous faites bien de me dire ça !… (À part.) Je ne connais pas les combles de l’hôtel. Je vais aller les visiter.

Il sort par le fond à gauche.
JULIEN.

Mais enfin ! Qu’est-ce que ça veut dire ! Vous m’arrêtez ! Vous m’arrêtez ! On n’arrête pas les gens comme ça ! Vous aurez de mes nouvelles !

L’INSPECTEUR.

Oh ! Oh ! Pas de rouspète ! C’est bien vous qui vous appelez… (Il essaie de prononcer le nom écrit sur son calepin.) Doublevé Ka Emme Ix ?… Oh ! ne faites pas l’étonné !… Vous vous expliquerez au commissariat. (Au garçon.) Faites-moi venir cet Anglais de ce matin, ce grand monsieur, avec un chapeau gris.

JULIEN, tâchant d’échapper à l’agent.

Avec un chapeau gris !

L’INSPECTEUR.

Ha ! ha ! ha ! Ça te dit quelque chose ! (À l’agent.) Tenez-le solidement !

BETTY, entrant par la porte de droite.

Oh ! petit chéri ! petit chéri !

L’INSPECTEUR.

Arrêtez cette femme, nous en tenons deux !

L’agent prend Betty par le bras.
BETTY.

Oh ! my dear ! Qu’est-ce que c’est ?

JULIEN.

Vous aviez raison ce matin. Le chapeau gris est là…

Betty tressaille.
L’INSPECTEUR.

Taisez-vous ! Pas de signes de convention ! Je me souviendrai de cette histoire de chapeau gris. (À l’agent.) Avez-vous vu leur mouvement quand on a parlé de chapeau gris ? C’est une bande des plus dangereuses.

LE GARÇON, rentrant à gauche, premier plan, avec Hogson.

Voici ce monsieur !

HOGSON, apercevant Betty qui se cache le visage. Sur un ton de prêche.

Oh ! Betty ! Are you still my daughter ? Is that you ? Have you thought of your poor mother’s anxiety and despair ! (Sèchement, à l’Inspecteur qui veut l’interrompre.) Leave me alone. (À Betty.) Have you thought of abominable exemple of immorality for your dear sisters ! Have you thought… (À l’Inspecteur.) Leave me alone, all right. (À Betty.) Have you thought of tremendous scandal…

L’INSPECTEUR.

Vous savez que vous perdez votre temps. Il y a beaux jours que j’ai renoncé à faire de la morale aux malfaiteurs.

HOGSON, à l’Inspecteur, d’un ton expansif.

My friend, I have five daughters. My second daughter, Betty, ran away from…

L’INSPECTEUR.

C’est bon ! C’est bon ! (Montrant Julien.) C’est bien l’homme qui vous a volé votre portefeuille ?

HOGSON, énergiquement.

Yes !

JULIEN.

Comment ? il m’accuse de vol maintenant ? You told this man I robbed your pocket book ?

HOGSON.

My pocket book !… but I never said such a thing !

JULIEN.

Vous voyez ! Il dit qu’il n’a jamais dit ça !

L’INSPECTEUR.

Vous savez que je ne sais pas l’anglais. Vous pouvez lui faire raconter ce qui vous plaira… Allons ! au poste ! l’homme et la femme !

JULIEN, à Hogson.

Do you know he will send your daughter to prison !

HOGSON.

My daughter ! my daughter into prison !

Il retient sa fille par le bras.
LA CAISSIÈRE, arrivant.

Qu’est-ce que ça veut dire ?

L’INSPECTEUR.

Ah ! vous m’embêtez tous à la fin ! J’emballe tout le monde ! Vous vous expliquerez au poste !

BETTY.

Mais je suis sa fille !

L’INSPECTEUR.

Qu’est-ce que ça veut dire tout ça ?

Sonnerie prolongée de téléphone.
LA CAISSIÈRE, à l’appareil.

On sonne de Londres. Monsieur Julien Cicandel…

JULIEN.

C’est moi !

LA CAISSIÈRE.

Vous vous appelez Philibert.

JULIEN.

Je m’appelle aussi Cicandel.

L’INSPECTEUR.

Et puis Doublevé Ka Emme Ix ! Oh ! c’est louche, ça ! c’est de plus en plus louche !

JULIEN.

Laissez-moi répondre, (Il vient à l’appareil, toujours maintenu par l’agent.) Allô ! allô ! c’est de mon patron de Londres !… yes ! yes !… Il paraît qu’il a déjà téléphoné tout à l’heure et qu’on lui a donné la communication avec une maison de fous ! All right ! Oh ! Thank you ! Thank you ! (À Betty.) C’est mon patron qui me téléphone qu’il consent à m’intéresser dans la maison.

BETTY, sautant de joie.

Oh ! papa ! papa ! He will interest Julian in the bank !

HOGSON.

He will, he really ?…

BETTY.

Yes ! Oh ! I am happy ! I am happy !

JULIEN.

Que votre père écoute lui-même ! (À Hogson.) Listen yourself !

HOGSON, s’approchant du téléphone, à l’Inspecteur.

Ah ! It is a good thing ! (S’asseyant.) Allo ! allo ! Speak louder ; I can’t hear you… allo ! all right !… If you interest Julian, I have nothing more to say… That’s good… thank you… Good bye. (Se levant, à Julien.) My friend, I give you my daughter.

Betty l’embrasse et va dans les bras de Julien.
EUGÈNE, arrivant par la gauche, premier plan.

Qu’est-ce qui se passe ?

L’INSPECTEUR.

Il se passe des choses pas ordinaires. Vous vous rappelez l’Anglais de tout à l’heure qui se plaignait d’avoir été volé ? Je me donne du coton pour lui retrouver son voleur. Je le lui amène. Il lui fiche la main de sa fille ! Maintenant tout ce qu’on me dira des Anglais, vous savez, ça ne m’épatera plus.

Il sort.
EUGÈNE, regardant le jeune couple.

Vous êtes heureux ?

JULIEN.

Oh ! oui !

EUGÈNE.

C’est pourtant à cause de moi que tout ça est arrivé !

JULIEN.

Comment ça ?

EUGÈNE.

Ça serait un peu long à vous expliquer ; mais si vous étiez chic, vous me trouveriez une place à Londres.

JULIEN.

Comme interprète ?

EUGÈNE, avec horreur.

Non ! Je renonce au métier d’interprète ! Je veux me mettre à apprendre les langues.

JULIEN.

Mon beau-père vous trouvera ça à Londres.

HOGSON, serrant la main d’Eugène.

My fellow, since you are his friend, you are my friend !

EUGÈNE, à Hogson.

Peut-être bien. (À Julien.) Je voudrais lui dire quelque chose de gentil, d’aimable… que je ne comprends pas un mot de ce qu’il me dit.

JULIEN.

I cannot understand !

EUGÈNE, serrant la main de Hogson.

Canote endoustan.