L’Amour qui ne meurt pas/Jardins disparus

Éditions de la Revue des poètes (p. 43-45).

JARDINS DISPARUS

Jardins où nous errions ensemble dans l’aurore
Quand le printemps naissait sous les arbres en fleurs ;
Le soleil qui venait d’éclore
Teignait l’air de mille couleurs.

L’anémone et l’iris couronnaient les allées
Avec les clairs flocons du précoce rosier ;
Les pétales blancs, par volées,
Dansaient autour de l’amandier.

De quel élan joyeux les sombres violettes
En foule surgissaient des sillons entr’ouverts,
Unissant leurs senteurs discrètes,
À l’arôme frais des blés verts !


Et les cloches sonnaient l’angelus dans la ville,
Peuplant l’espace bleu de divins messagers,
Tandis qu’au ciel montait subtile
La tendre haleine des vergers.

Vous ouvriez des perspectives infinies,
Jardins au bord desquels venait mourir la mer,
Vibrants de vastes harmonies,
Ignorants du mortel hiver.

Qu’êtes-vous devenus maintenant ? La charrue
A tué vos bosquets, vos oliviers, vos fleurs ;
La treille n’est plus qu’une rue
Béante qui conduit ailleurs.

Le cupide étranger profana vos retraites
Et seul, mon cœur fidèle à ses trésors défunts,
Évoque vos beautés secrètes
Et soupire après vos parfums.

Celle qui vous aimait aussi s’en est allée
Plus haut que le soleil, au-delà de nos yeux,
Figure désormais voilée
Que je ne cherche plus qu’aux cieux…

Toi qui me vois errer exilée en ce monde,
Ne prépares-tu pas pour moi, chère âme, oh ! dis,
Moi solitaire et vagabonde,
Une patrie, un paradis ?


N’est-il pas des jardins là-haut, plus beaux encore
Que ceux où nous chantions toutes deux autrefois,
Où dans tes yeux luira l’aurore,
Où me consolera ta voix ?

Quand l’implacable hiver qui par les forêts pleure,
Flétrira pour jamais l’ultime floraison,
Et qu’au clocher sonnera l’heure
De retourner à la maison,

Ne m’attendras-tu pas sous les divines treilles,
Près des sources d’eau vive, au lumineux séjour
Dont les anges sont les abeilles
Et le roi, l’immortel Amour ?