CHAPITRE VII

Les Perversions de l’amour Annamite. — La Prostitution masculine. — Le nay et le boy. — Joueurs, voleurs et pédérastes. — Procédés habituels des pédérastes Annamites. — Le pédéraste Chinois. — Le magasin du Chinois Ach***. — Maison de prostitution masculine à Cho-lon. — Mœurs inavouables des acteurs Chinois, jouant les rôles de femmes.



Au commencement de ce chapitre et du suivant, je dirai avec Tardieu, citant Fodéré : « Que ne puis-je éviter de salir ma plume de l’infâme turpitude des pédérastes ! Comme Fodéré, j’ai longtemps hésité à faire entrer dans cette étude le tableau repoussant de la pédérastie ; mais je ne pouvais m’empêcher de reconnaître qu’elle en forme le complément indispensable et, en même temps, la partie la moins connue. »

Ce que Tardieu et Martineau ont fait pour Paris, ce pandémonium de tous les vices, je dois le faire pour les pays exotiques. Il me faut, en effet, compléter ce travail par l’étude des aberrations de l’amour dans les Colonies, sous peine de ne présenter qu’une œuvre incomplète.

La Prostitution masculine. — L’Extrême-Orient jouit du triste privilège d’être un des plus puissants foyers du vice pédérastique.

À l’exception des garçons de magasin et petits employés, les Annamites habitent les villages tout autour de Saïgon, et il n’y a guère en contact direct et permanent avec l’Européen que les nays et les boys. Nay veut dire panier. Les nays sont des enfants de sept à quinze ans qui sont munis de paniers ronds. Ils se trouvent sur les quais, au marché, devant les magasins, et attendent le chaland qui voudra faire une acquisition quelconque. Le nay ou panier est maigre et chétif ; il porte les cheveux longs, pendants derrière la tête. Il pullule à Saïgon. C’est dans les paniers que l’on recrute la classe des boys.

Ceux-ci ont de quinze à vingt-cinq ans ; ils sont essentiellement menteurs, débauchés, joueurs et voleurs. Malheur à l’Européen qui laisse pour une heure la clef sur le tiroir ou l’armoire aux piastres, il est sûr d’être dévalisé. Le boy remplit l’office de servant de table ou de valet de chambre, de la façon la plus incomplète. Il est à peu près impossible d’obtenir de lui un travail régulier ; car il s’absente une grande partie de la journée et toute la nuit. Il porte, comme costume, un petit veston boutonnant sur le devant, une moresque en coton blanc avec une ceinture en soie rouge pendant sur le devant. À cette ceinture est appendue une petite bourse en soie doublée de peau, et agrémentée de dessins en filigranes de cuivre doré. Un foulard de soie entoure les cheveux roulés du boy, qui sont souvent retenus par un peigne en écaille.


Joueurs, voleurs et pédérastes Annamites. — En résumé, le panier et le boy sont joueurs, voleurs et pédérastes. Sont-ils pédérastes, tout simplement parce que ce métier leur rapporte de quoi satisfaire leurs autres vices ? C’est la théorie de certains Annamitophiles, qui ont prétendu que c’était la conquête Européenne qui avait introduit ce vice. Il n’en est rien. L’Annamite est pédéraste, parce qu’il est lascif. C’est une vieille race civilisée, déjà pourrie. Il y a là une tare innée, que l’Européen a trouvée en plein épanouissement et dont quelques-uns (en petit nombre, espérons-le) ont profité.

Le Français qui va aux Antilles, à la Guyane et au Sénégal, n’a pas introduit la Sodomie et la pédérastie dans ces contrées, parce que ces vices sont honnis des Indigènes de ces pays. Le même Français, arrivé en Cochinchine, a pu devenir Sodomite ou pédéraste, parce qu’il a trouvé, sans avoir la peine de les chercher, des femmes et des enfants qui lui en ont offert l’occasion. Il faut détruire cette opinion, répétée inconsciemment par plusieurs voyageurs, que les soldats du Corps expéditionnaire avaient pris, dans la campagne de Chine, des habitudes anti-physiques, et qu’ils les ont apportées en Cochinchine, où, depuis, elles se sont implantées. Ces voyageurs oublient que le Chinois est venu en Cochinchine plusieurs siècles avant nous, et qu’il a eu largement le temps d’en vicier les mœurs.

Il ne faut même pas accuser le Chinois, car l’Annamite est aussi pourri moralement, si ce n’est plus, et ce n’est pas peu dire. Nays et boys sont une marchandise vivante, qui s’offre d’elle-même.

Le nay, c’est la petite fille impubère qui vous offre des fleurs sur les boulevards de Paris, et dont les parents spéculent sur la débauche des blasés et des pervertis. Au lieu d’une petite fille, c’est un jeune garçon. Il n’a pas de fleurs, et son gagne-pain est un panier. Pour un taï-an (dix centimes), il mettra vos achats dans ce panier et vous suivra docilement chez vous.

Une fois rendu à domicile, s’il flaire un amateur de dépravations, il n’attend pas longtemps avant de vous faire ses offres de services : « Captain » (tout le monde était capitaine en 186.), moa bocou conaite chouchou banane, » et si le client a l’air d’hésiter, « moa conaite l’ablic. » Cela, c’est du sabir. Chouchou veut dire manger (prononcez tchoutchou). La banane est le fruit bien connu du Tropique, dont la forme ressemble à celle du pénis affligé d’un phimosis complet ; ablic est la corruption d’un mot Annamite signifiant l’acte Sodomitique, et ce mot est aussi cyniquement cru et expressif que le verbe français vulgaire qui lui correspond. Il existait avant notre arrivée, tandis que l’équivalent du mot pudeur n’existe pas dans la langue Annamite. C’est une double preuve linguistique.

En réponse, le nay ne récolte généralement qu’un bon coup de pied dans le bas des reins : alors, il s’en va sans rien dire. Dans le cas de l’acceptation, il sait que l’heure propice est l’heure de la sieste, après le coup de canon de midi.

Effectivement, vers midi et quart, une ombre discrète se glisse furtivement dans la chambre du pédéraste. Comme la belle de jour, le nay trouve le moyen de pénétrer, sans être vu de personne, dans une maison où souvent habitent ensemble plusieurs Européens.

Si le nay, enfant impubère, généralement sale et dégoûtant, lui déplaît, l’Européen dépravé a, le soir, la ressource du boy. Celui-ci a de seize à vingt ans ; c’est un ancien nay élevé à la dignité de boy. Le boy opère le soir, après neuf heures et avant minuit, en sortant de la maison de son maître. Il n’est pas insensible à l’attrait du gain facile d’une piastre, qui lui permettra de tenter la fortune au baquan. Remarquons à ce sujet que, par suite de la valeur relative de l’argent, il y a trente ans une piastre valait, en Cochinchine, un louis en France.

Si le boy porte souvent un joli costume en soie, un foulard dans les cheveux et une ceinture de couleur rouge ou bleu d’azur, il est aussi sale de corps que le nay. Les soins les plus vulgaires de propreté lui sont inconnus. Jamais, comme le Chinois, d’ablution générale ; pas un seau d’eau versé sur la tête dans un pays où la plus basse température est de vingt-cinq degrés le jour et la nuit : c’est à peine si on peut obtenir de lui de se laver les mains avant de servir à table. L’Annamite, aussi lascif que le singe, a, comme lui, horreur de l’eau.

Procédés pédérastiques. — Le nay et le boy sont généralement, pour employer le mot de Tardieu, « pompeurs de dard ». Il ne faut pas croire que ce dépravé Asiatique éprouve une répugnance quelconque dans l’accomplissement de cette turpitude. Il en a bien moins que la belle de jour, qui se livre aux mêmes opérations. Que l’Européen soit allongé dans un long fauteuil à bras ou couché sur son lit, le boy, agenouillé ou accroupi, inguina osculatur, sugit, emissumque semen in bucca recipit, usque ad ultimam guttam.

Quoique par préférence pompeur de dard, le nay ou le boy accepte cependant, mais sans enthousiasme, l’acte Sodomitique. Ce n’est pas une cause morale qui l’arrête, il est au-dessus des préjugés. C’est tout simplement la disproportion de l’anus d’un garçonnet de dix à douze ans, avec le pénis d’un Européen adulte, car deux nays ne font aucune difficulté de commettre cet acte entre eux.

Quand le nay atteint seize ans, et qu’il s’est formé peu à peu à ce métier, il ne fait plus alors aucune difficulté, car c’est devenu chez lui une habitude morbide. Il recherche alors les occasions avec autant de plaisir qu’une femme recherche le coït. Ce goût dépravé devient chez lui un besoin impérieux. Je dirai plus : il m’a été donné de connaître quelques Européens, chez qui ce goût passif s’était développé, et qui poussaient l’aberration, jusqu’à se livrer aux caresses libidineuses de leurs boys. On m’excusera de ne pas insister sur cette question et de me contenter de l’effleurer en passant.

Le Chinois pédéraste. — J’ai dit que les Chinois sont boys de restaurants et cuisiniers. Comme boy de maison, le Chinois coûte beaucoup plus cher qu’un Annamite, mais il offre l’inappréciable avantage d’une très grande propreté. Le Chinois s’ablutionne le corps à grande eau matin et soir, en se versant deux ou trois grands seaux d’eau sur la tête. Il porte des vêtements généralement très propres, et, au lieu de marcher pieds nus, est chaussé de souliers à semelle épaisse. Il ne répand pas l’odeur caractéristique du boy Annamite.

Il arrive à Saïgon vers l’âge de dix ou douze ans, fait d’abord le métier de boy, puis de cuisinier, et prend alors femme. Avant d’en arriver là, il participe à la prostitution masculine de Saïgon, mais d’une manière plus discrète. Le soir, on trouve des boys Chinois sortant de chez leur maître, qui font concurrence aux boys Annamites. Mais, généralement, la succion buccale lui répugne autant qu’elle plaît à l’autre ; il se contente du coït anal, actif ou passif.

Non seulement le boy Chinois, mais encore les employés des maisons de commerce, tailleurs, cordonniers, etc., se livrent également à la prostitution. Il est bien rare qu’un Chinois de cette catégorie sociale, quand il se trouve seul avec un Européen dépravé, refuse de se prêter à ses caprices. Il le fait, non pas tant pour le bénéfice qu’il peut en retirer, que pour le plaisir qu’il éprouve ; seulement, si l’Européen a eu affaire à un marchand de bibelots, venu chez lui pour lui offrir sa marchandise, il est obligé de lui faire quelques achats, et, par la suite, ces achats se renouvelleront souvent.

Un Européen de mes amis recevait, tous les matins vers dix heures, de jeunes marchands Chinois qui venaient assiéger la porte de son logement, contigu au mien. Jamais ils n’entraient deux ensemble ; celui qui arrivait après l’autre se tenait discrètement à la porte de la rue, à l’ombre d’un arbre, attendant son tour. Je finis par connaître un jour le secret de cette comédie de mœurs.

Un de ces jeunes marchands Chinois, que j’eus l’occasion de soigner, me fit en retour, et comme par reconnaissance, des révélations bien curieuses sur les mœurs contre nature de l’immense majorité de ses compatriotes appartenant à la même catégorie sociale. Chaque patron dispose à sa guise, et selon son goût, de ses employés et apprentis. Ceux-ci forment entre eux des liaisons amoureuses, et les Oreste et Pylade ne sont pas rares dans la gent à longue queue. Il y a généralement alternance de rôles entre eux, chacun étant tour à tour mari et femme. Plus tard, avec l’âge, la perversion allant toujours en s’accentuant, lorsque les forces génitales baissent et qu’ils sont devenus patrons à leur tour, le rôle entièrement passif seul leur convient. De goût éclectique, le Chinois recherche l’Européen atteint du même vice.

Le magasin du Chinois Ach***. — En 186., un des plus riches marchands de bibelots, le Chinois Ach***, devenu plus tard un des plus importants Chinois de Saïgon, avait une réputation universelle sur la place. On allait en foule prendre le soir chez lui d’excellent thé. Bien entendu, ses clients ne s’en vantaient qu’à huis clos et entre eux, car Ach*** était trop compromettant. Malgré la tolérance des mœurs de l’époque, il suffisait d’aller faire quelques achats dans son magasin pour être suspecté d’avoir part à ses faveurs lubriques. Les loustics Saïgonnais définissaient ce genre d’opération « labourer la terre jaune. » Je donne le terme pour ce qu’il vaut. On trouvait chez Ach*** un assortiment complet de phallus Chinois et Japonais et des albums coloriés de l’Arétin Chinois.

Vingt-cinq ans après, j’ai retrouvé Ach***, riche et bien considéré par ses compatriotes, gros, gras et bien portant. Son petit commerce du début lui avait porté chance et il avait réussi !

Maison de prostitution masculine à Cho-lon. — Il me reste à parler d’un établissement de Cho-lon que fort peu d’Européens ont connu, et dont la police Française a toujours (c’est plus que probable) ignoré l’existence. Cet établissement n’était autre qu’une maison de prostitution masculine.

Elle était clandestine, car jamais l’autorité n’aurait accordé l’ouverture d’un pareil lieu d’infamie : aussi ce temple de l’amour Chinois était-il d’accès difficile. Toutes les précautions étaient prises pour dépister la police Française. La maison, en effet, était située dans un faubourg extérieur de Cho-lon. Rien, en apparence, ne distinguait cet établissement interlope d’une maison honnête. Située au fond d’une cour, il fallait y être introduit par un des habitués, et sans mon ami B***, le fermier-général de l’opium, il m’aurait été impossible d’y entrer.

La maison, à première vue, ne présentait rien d’anormal et n’était autre chose qu’un dépôt de marchandises Chinoises. Elle avait pour unique habitant un vieux Chinois, garde-magasin, et sa digne compagne. En temps ordinaire, personne autre ne s’y trouvait. Mais les clients et les pensionnaires en connaissaient le chemin, car c’était une vraie maison de rendez-vous nocturnes, qui ne se peuplait que vers minuit. À la sortie du théâtre Chinois, les acteurs femmes venaient y rejoindre leurs protecteurs.

De l’autre côté de la maison, au bout d’un jardin enclos de grands murs, se trouvait un beau pavillon richement décoré et garni d’un superbe mobilier Chinois. On y trouvait une bonne provision d’appareils à fumer l’opium, car, chez le Chinois, l’opium est la base et le moteur de toutes les débauches voluptueuses.

Au lieu de jeunes filles, c’étaient des éphèbes de douze à vingt ans, richement habillés de costumes en soie de couleur tendre, qui faisaient le service et remplissaient le rôle de Ganymède. Des compartiments analogues aux boxes de chevaux et contenant des lits au lieu d’un râtelier, permettaient aux couples amoureux de s’isoler. Je dis « couples », mais je fais remarquer que la règle fameuse des Jésuites, qui défendent à leurs élèves de n’être jamais moins de trois ensemble, recevait là une singulière application. Il m’est impossible de donner même un aperçu des scènes de lubricité extraordinaires qui se passaient dans ces compartiments, à moins d’entrer dans les détails érotiques du Marquis de Sade ; aussi je m’arrête.

Je ne puis cependant passer sous silence un mode excentrique de lusus amoris. Les acteurs Chinois, tenant les rôles de femmes, venaient dans leurs costumes pour jouer le rôle d’une fiancée pudique, craignant de perdre sa virginité, raffinement de haut goût. En présence d’une société de vieillards peu austères, les scènes de la première nuit de noces se déroulaient sans vergogne. Mais, rien de nouveau sous le soleil, dit le proverbe : Pétrone et Suétone nous en ont conté bien davantage. Les Chinois de Cho-lon ne font que répéter l’histoire de l’empereur Néron et de son mariage avec l’eunuque Sporus.