Nemo
Petrot-Garnier (p. 18-20).


CHAPITRE VII

Dignité de l’Amitié.


Pour mieux faire connaître ce que tu es, puis-je bien dire ce que tu n’es pas, ô bonne, sainte Amitié, idole du cœur innocent, passion du sage ?

Je crains presque. Ne le redoute cependant pour ta gloire. N’existant qu’entre personnes vertueuses, l’amitié ne se lie qu’à bon escient : elle a horreur de tout ce qui n’est ni juste, ni chaste, ni charitable.

Pas plus que l’amertume ou la dureté, l’amitié ne sait point l’orgueil, la colère, l’inégalité, fruit de la faiblesse et de la passion mal domptée.

L’amitié n’a rien de commun avec la dissimulation et le déguisement, la flatterie ou l’intérêt sordide : Ce n’est pas Cratère qui aime le roi ; mais Éphestion, Alexandre.

L’amitié ne croit pas à la légère.

L’amitié n’est pas soupçonneuse et ne trouve pas éternellement des torts ; seulement, elle risque de déplaire pour être véridique et fidèle.

Faire des observations n’est pas toujours sans dangers. Sans le besoin de mettre la peur dehors, l’amitié, quand il le faut, reprend, redresse, corrige.

L’amitié n’est pas égoïste. Ce qu’elle possède, elle en fait une noble part et le fait noblement. Son aspiration est trop que les siens soient dans le contentement.

L’amitié regarde comme fait à elle-même le bien que d’autres leur procurent et croit jouir de celui qu’elle n’a pas, quand elle sait qu’ils en jouissent. Fait-elle que qui ne s’estime pas né heureux le puisse devenir.

Ceux qu’elle chérit, sans les louer à haute voix, dès le matin, elle leur trouve mille bonnes qualités. Qu’on pense autrement, elle souffre.

L’amitié, plus vivement que l’injure faite à elle-même, ressent celle qu’on leur fait. On les frappe, elle est frappée. Tous les traits passent par eux jusques à elle.

Touchant ce qui leur ferait défaut, elle le voudrait couvrir de l’ombre de son manteau. Elle préférerait à son honneur l’honneur de ceux qu’elle affectionne. Où rien de pareil ?

Autant que l’âcre causticité, la médisance, la calomnie, elle repousse sans pitié la raillerie de mauvais aloi. N’est pas ami qui, pour un bon mot, sacrifie son ami. C’est esprit mal fait, indigne de l’estime.

Outragée, l’amitié est à jamais perdue. C’est le diamant, broyé sous le maladroit coup de marteau, dont demeurent presque invisibles les parcelles. Après, plus que le pardon et la bienveillance charitable.

L’amitié n’admet pas la maxime :

Vivre avec ses amis comme devant être ses ennemis, maxime fausse au premier chef ;

Non plus que cette autre :

Dieu me garde de mes amis, je me charge de mes ennemis, non moins fausse.

L’amitié n’est que confiante autant que sincère.