Éditions Prima (Collection gauloise ; no 13p. 38-44).

vii

Gaby pratique l’homéopathie


Mais Gabrielle a bien compris, elle aussi, que ce premier succès, si elle veut qu’il porte tous ses fruits, a besoin d’être suivi d’autres démonstrations plus probantes de sa fidélité conjugale.

C’est ce qu’elle explique à Roger, dès le lendemain, pendant qu’ils sont encore au lit. La jolie Gaby a d’abord voulu se purifier en effaçant les baisers du mari par ceux de l’amant qui sont bien meilleurs et qu’elle savoure avec beaucoup plus de passion, vous n’en doutez pas, que ceux du pauvre Anselme Trivier. À présent, elle parle des événements de la veille :

— Voyons, mon chéri, as-tu une idée, toi, sur l’auteur de la lettre anonyme ?

— Ma foi non. Tu sais, il y a des gens auxquels il suffit de savoir que deux hommes sont très liés ensemble, pour en déduire que celui qui est célibataire est l’amant de la femme de l’autre… Neuf fois sur dix ils ne se trompent pas…

« Par conséquent, je mets la lettre au compte d’un monsieur qui t’a fait la cour et que tu as évincé, ou même qui, sans t’avoir précisément courtisée, aurait bien voulu t’approcher… Voilà tout !…

« Peu importe, d’ailleurs, le dénonciateur. Le plus urgent, c’est d’enlever à ton mari ses derniers doutes…

— Oui. Aussi, voilà, j’ai pensé à quelque chose… j’ai un plan…

— Voyons, ce plan.

— Voilà… Nous allons traiter le sujet par l’homéopathie… c’est-à-dire guérir le mal par le mal… Autrement dit, nous détruirons l’effet d’une première lettre anonyme par une seconde lettre anonyme.

— Et que dira cette seconde lettre ?

— Elle donnera à monsieur mon mari des précisions, lui indiquant le jour et l’heure où je devrai venir te retrouver chez toi…

— Je ne comprends pas…

— Seulement, ce ne sera pas moi qui viendrai, mais une autre femme… une autre femme qui aura mon allure générale et que nous allons tâcher de découvrir… Tu comprends, maintenant…

— Si je comprends… Mais il y a des idées géniales dans cette petite tête-là !

— Tu trouves ? fait Gaby en souriant…

— Je trouve !… C’est admirable. Pour la peine, il faut que je t’embrasse…

Et Roger embrasse Gaby pour son heureuse idée. Il fait même mieux que de l’embrasser, car Gaby ne se contente pas des demi-démonstrations d’amour. Si le pauvre Anselme pouvait voir sa femme et son ami en ce moment, il serait convaincu que son épouse ne dormait pas la veille du sommeil de l’innocence. Mais, en ce moment, Anselme Trivier est penché sur des comptes compliqués dans son bureau de la Banque Générale des Valeurs et les heureux amants n’ont rien à redouter de lui… Aussi en profitent-ils ainsi que nous venons de le voir.

Ces effusions passées, ils reviennent au plan de Gaby, dont il s’agit d’assurer l’exécution. Ce qu’il faut en premier lieu, c’est trouver la personne qui consentira à se substituer à la jeune Mme Trivier le jour où l’on amènera le pauvre mari à suivre celle qu’il prendra pour son épouse…

Ils ne se dissimulent pas que ce choix est très difficile à faire.

Roger pourtant se hasarde à proposer une ancienne amie.

— C’est une bonne fille, dit-il, avec laquelle nous n’aurons rien à craindre du tout. Elle fera cela pour me rendre service… sans plus. Justement, je l’ai rencontrée il y a quelque temps, après l’avoir perdue de vue depuis plusieurs années, et je n’ai qu’à lui envoyer un mot pour qu’elle vienne…

— C’est une ancienne maîtresse ?… demande Gaby devenue soudain soupçonneuse…

— Oui, mais tu n’as pas à être jalouse, tu sais. C’est une de celles qui vont de l’un à l’autre, suivant son caprice, et aussi quelquefois suivant la générosité des hommes…

— Une petite grue ! quoi !…

— C’est cela… Mais une grue déjà un peu relevée comme genre… une grue bon enfant…

— Alors, tu me jures qu’il n’y a pas de danger !…

— Entre toi et elle… Voyons, c’est me faire injure !…

— Dans ce cas, écris-lui… Mais donne-lui rendez-vous pour un jour que je serai là… Et je mettrai moi-même la lettre à la poste…

— Jalouse, va !…

— On est jaloux que de ce que l’on aime ! Tu le sais bien !…

De telles déclarations se ponctuent toujours par des baisers.

Roger n’y manqua pas, et, avant qu’il n’écrivit la lettre, Gaby voulut lui prouver que vraiment, c’était parce qu’elle l’aimait bien qu’elle était jalouse de lui…

Roger et Gaby étaient infatigables…

En sortant, la jeune femme emportait la lettre adressée à Mademoiselle Irène de Lély, qui était la personne dont avait parlé le lieutenant.

Irène de Lély était, comme l’avait dit son ancien amant, une petite femme prête à rendre service à ses amis, lorsqu’ils le lui demandaient. Elle avait catalogué les hommes en deux séries : les béguins et les autres. Les premiers étaient les bons camarades auxquels elle se donnait pour le plaisir, les autres étaient « les hommes sérieux », ceux qui assuraient la vie quotidienne grâce à leur générosité.

Du temps où elle avait connu Roger, il était inscrit dans la première catégorie, et lorsqu’elle l’avait retrouvé, en souvenir des bons moments passés avec lui, elle s’était offerte spontanément à lui pour tout ce qu’il pouvait désirer… C’est pourquoi Roger avait pensé tout de suite à
Un quart d’heure, on
peut bien l’employer

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faire appel à elle pour réaliser le plan conçu par l’astucieuse Gabrielle.

Convoquée pour le surlendemain, Irène était exacte au rendez-vous. Naturellement, la lettre de Roger ne lui avait pas donné d’explications ; l’officier disait seulement à son ancienne amie de venir le voir, qu’il avait un service à lui demander, et elle était arrivée, ainsi que Roger y comptait.

Comme bien l’on pense, Gaby était chez Roger. Elle n’aurait pas voulu, pour rien au monde, que son amant reçut cette femme en son absence, car elle était très jalouse malgré les affirmations du lieutenant.

Donc, lorsqu’Irène pénétra dans le salon où se tenaient Gaby et Roger, elle s’avança vers celui-ci, la main tendue, en criant :

— Bonjour, toi ! Comment vas-tu, vieux copain !

Mais, ayant aperçu la jeune femme, elle recula tout de suite :

— Madame, dit-elle, je vous demande pardon !…

— Ne t’inquiète pas… Tu peux m’appeler comme tu voudras, Madame est prévenue.

Et il fit les présentations, La brune Irène se confondit en salutations, et elle demanda à son ancien copain, comme elle disait, quel service il attendait d’elle.

Roger, alors, lui expliqua :

— Voilà : Madame est mariée et son époux, malheureusement, doute de sa fidélité, il a des soupçons ; on lui a adressé des lettres anonymes…

— Quoi ? Des types qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas, comme toujours ! Alors, je pige le truc… Le Monsieur est jaloux !… Qu’est-ce que je peux y faire, moi… Je ne vois pas ?…

— Attends un peu ! Laisse-moi causer !… Il faut que tu te procures, le plus rapidement possible une robe bleue comme celle de Madame, un chapeau exactement semblable au sien.

— Et alors ?

— Alors… Le mari reçoit une nouvelle lettre anonyme lui annonçant que sa femme a rendez-vous ici, chez moi, tel jour à telle heure… et c’est toi qu’il trouve, toi qui es descendue d’un taxi devant la porte, le visage voilé, mais avec la robe et le chapeau semblables à ceux de Madame…

« Comprends-tu maintenant…

— Je saisis. C’est épatant… épatant… Je vois d’ici la bobine du mari en me trouvant ici à la place de sa femme…

— Et en te trouvant seule, parce que moi, je ne serai pas là…

— Pourquoi ne seras-tu pas là ?…

— Ce n’est pas la peine ! interrompit vivement Gaby…

— Oh ! reprit Irène, vous pouvez être tranquille, je n’aurais pas profité de l’occasion. Du moment que Roger nous a présentées, il n’y a rien à faire pour que je vous trompe avec lui… rien du tout… D’abord, il ne me le demanderait pas. Il a l’air de bien trop vous gober pour ça !… Mais si vous tenez à ce qu’il ne soit pas là, vous n’avez pas besoin de vous en faire, je saurai recevoir votre mari toute seule… Je n’y toucherai pas à lui non plus…

Mais Gaby crut bon de faire une distinction et elle déclara :

— Oh ! vous savez, lui, ce n’est pas Roger !…

Ledit Roger venait d’avoir une idée, lui aussi. Et c’est Irène qui la lui a suggérée en parlant de séduire Anselme… Au fait, si Anselme pouvait tromper Gaby avec Irène, cela rétablirait ün peu l’équilibre entre eux… Il aurait moins de scrupule de berner cet excellent ami. Aussi, lorsqu’Irène, ayant convenu définitivement du jour et de l’heure, où elle devait se trouver là, se dirigea vers la porte, Roger la prit à part pour lui dire tout bas :

— Arrange-toi pour le séduire ! Si tu réussis à ce qu’il couche avec toi, ce sera parfait !

Irène répondit :

— Ne t’en fais pas, mon vieux !… Pour ça, je suis un peu là… s’il n’y a que ça pour te faire plaisir, ce n’est pas difficile !…

Et Roger revint vers Gaby en lui disant :

— Ma chérie… il ne faudra pas m’en vouloir…

— Pourquoi ?…

— Tout à l’heure, quand Irène a déclaré « qu’elle ne toucherait pas à ton mari », ça n’a pas eu l’air de t’intéresser beaucoup, alors, moi, j’ai cru bon de lui dire d’essayer de séduire Anselme… Tu comprends, s’il nous trompe, ce ne sera plus la même chose, nous n’aurons rien à nous reprocher… Ça ne te fait rien ?

Gaby se mit à rire :

— Ma foi non ! Rien du tout !… Si tu m’en aimes mieux !…

— Mieux ! ça n’est pas possible, ma mignonne !…

— Dis donc ! Pour le moment… Il ne s’agit pas d’Anselme et d’Irène… mais de nous !…

— Tu n’y penses pas, petite Gaby… tu sais bien que ton mari m’a donné rendez-vous. Ce n’est pas le moment de le faire attendre pour augmenter ses soupçons…

— Ah ! zut !… Il nous embête à la fin ! Il n’y en a que pour lui, on ne parle plus que de lui, on ne pense plus qu’à lui, on ne s’agite plus que pour lui… Tu peux dire qu’il nous encombre celui-là…

— Ah ! ma pauvre chérie ! Je te l’avais bien dit quand tu m’as parlé la première fois de faire sa connaissance. Regarde comme nous étions heureux avant que je devienne son meilleur ami… nous avions tout notre temps pour nous aimer sans complications…

— Ça ne fait rien, Roger… écoute…

— Mais il ne me reste pas plus d’un quart d’heure !

— Quand même un quart d’heure, on peut bien l’employer… si on veut…

Allez donc résister à une petite femme qui vous dit cela gentiment en vous regardant avec des yeux avides… des yeux brillants de désir…

Le quart d’heure se prolongea un petit peu, puis, précipitamment, Roger, ayant accompagné Gaby, revint et appela Baptiste, son ordonnance, pour lui demander son chapeau et sa canne.

— C’est tout ? lui dit le soldat… Mon lieutenant n’a pas d’ordres à me donner…

Roger jeta un coup d’œil autour de lui, sur les meubles qui garnissaient la pièce, puis il dit :

— Si… Tu porteras cette chaise chez le tapissier, elle est toute démolie !…