L’Aigle et la Pie (La Fontaine)

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Fables choisies, mises en versClaude BarbinLivre xii (p. 50-52).

FABLE XI.

L’Aigle & la Pie.

L’Aigle Reine des airs, avec Margot la Pie,
Differentes d’humeur, de langage, & d’eſprit,
                    Et d’habit,
Traverſoient un bout de prairie.

Le hazard les aſſemble en un coin détourné.
L’Agaſſe eut peur ; mais l’Aigle aïant fort bien dîné,
La raſſure, & lui dit : Allons de compagnie.
Si le Maître des Dieux aſſez ſouvent s’ennuie,
          Lui qui gouverne l’Univers,
J’en puis bien faire autant, moi qu’on ſçait qui le ſers.
Entretenez-moi donc, & ſans ceremonie.
Caquet bon-bec alors de jaſer au plus drû :
Sur ceci, ſur cela, ſur tout. L’homme d’Horace
Diſant le bien, le mal à travers champs, n’eût ſçû
Ce qu’en fait de babil y ſçavoit nôtre Agaſſe.
Elle offre d’avertir de tout ce qui ſe paſſe,

          Sautant, allant de place en place,
Bon eſpion, Dieu ſçait. Son offre aïant déplu,
          L’Aigle lui dit tout en colere ;
          Ne quittez point vôtre ſejour,
Caquet bon-bec ma mie : adieu, je n’ai que faire
          D’une babillarde à ma Cour ;
          C’eſt un fort méchant caractere.
          Margot ne demandoit pas mieux.
Ce n’eſt pas ce qu’on croit, que d’entrer chez les Dieux ;
Cet honneur a ſouvent de mortelles angoiſſes.
Rediſeurs, Eſpions, gens à l’air gracieux,
Au cœur tout different, s’y rendent odieux ;
Quoi qu’ainſi que la Pie il faille dans ces lieux
          Porter habit de deux parroiſſes.