L’Adolescence Clémentine/Le Temple de Cupido

Les œuvres de Clément Marot
G. Roville (p. 32-50).

   Sur le Printemps, que la belle Flora
Les champs couvers de diverse flour a,
Et son amy Zephyrus les esvente,
Quand doulcement en l'air souspire, et vente,
Ce jeune enfant Cupido Dieu d'aymer
Ses yeulx bandez commanda deffermer,
Pour contempler de son Throsne celeste
Tous les Amans, qu'il attaint, et moleste.
   Adonc il veit autour de ses Charroys
D'un seul regard maintz victorieux Roys,
Haultz Empereurs, Princesses magnifiques,
Laides, et laids, visaiges Deifiques,
Filles, et fils en la fleur de jeunesse,
Et les plus forts subjectz à sa haultesse.
   Brief il congneut, que toute nation
Ployoit soubz luy, comme au vent le Sion.

Et qui plus est, les plus souverains Dieux
Veit tresbucher soubz ses dartz furieux.
    Mais ainsi est, que ce cruel Enfant
Me voyant lors en aage triumphant,
Et m'esjouyr entre tous ses souldars,
Sans poinct sentir la force de ses dars,
Voyant aussi, qu'en mes Oeuvres, et dictz
J'allois blasmant d'amours tous les edictz,
Delibera d'un assault amoureux
Rendre mon cueur (pour une) langoureux
    Pas n'y faillit. Car par trop ardente ire
Hors de la trousse une sagette tire
De bois mortel, empenné de vengeance,
Portant ung fer forgé par desplaisance
Au feu ardant de rigoreux reffus,
Laquelle lors (pour me rendre confus)
Il deschargea sur mon cueur rudement.
    Qui lors congneust mon extreme torment,
Bien eust le cueur remply d'inimitié,
Si ma douleur ne l'eust meu à pitié:
Car d'aulcun bien je ne feuz secouru
De celle là, pour qui j'estoys feru:
Mais tout ainsi que le doulx vent Zephire
Ne pourroit pas fendre marbre, ou pourphire,
Semblablement mes souspirs, et mes criz,
Mon doulx parler, et mes humbles escriptz
N'eurent povoir d'amollir le sien cueur,
Qui contre moy lors demeura vainqueur.
    Dont congnoissant ma cruelle Maistresse

Estre trop forte, et fiere forteresse
Pour Chevalier si foible que j'estoie,
Voyant aussi que l'amour, où jectoie
Le mien regard, portoit douleur mortelle,
Deliberay si fort m'esloigner d'elle,
Que sa beaulté je mettrois en oubli:
Car qui d'amours ne veult prendre le pli,
Et a desir de fuir le dangier
De son ardeur, pour tel mal estrangier,
Besoing luy est d'esloingner la personne,
A qui son cueur enamouré se donne.
    Si feiz des lors (pour plus estre certain
De l'oublier) ung voiage loingtain:
Car j'entreprins, soubz espoir de liesse,
D'aller chercher une haulte Deesse
Que Juppiter de ses divines places
Jadis transmist en ces regions basses
Pour gouverner les esperitz loyaulx,
Et resider en dommaines Royaulx.
    C'est ferme Amour, la Dame pure, et munde,
Qui long temps a ne fut veue en ce Monde.
Sa grant bonté me fit aller grant erre
Pour la chercher en haulte Mer, et Terre,
Ainsi que faict ung Chevalier errant.
Et tant allay celle Dame querant,
Que peu de temps apres ma despartie,
J'ay circuy du monde grand partie,
Où je trouvay gens de divers regard,
A qui je dy: Seigneurs, si Dieu vous gard,

En ceste terre avez vous point congnu
Une, pour qui je suis icy venu?
La fleur des fleurs, la chaste columbelle,
Fille de paix, du monde la plus belle,
Qui ferme amour s'appelle. Helas, Seigneurs,
Si la sçavez, soyez m'en enseigneurs.
    Lors l'ung se taist, qui me fantasia:
L'autre me dit. Mille ans ou plus y a,
Que d'amour ferme en ce lieu ne souvint.
L'autre me dit, jamais icy ne vint.
Dont tout soubdain me pris à despiter:
Car je pensois que le hault Juppiter,
L'eust de la terre en son Trosne ravie.
    Ce neantmoins, ma pensée assouvie
De ce ne fut, tousjours me preparay
De poursuivir. Et si deliberay
Pour rencontrer celle Dame pudique,
De m'en aller au Temple Cupidique
En m'esbatant: car j'euz en esperance
Que là dedans faisoit sa demeurance.
    Ainsi je pars: pour aller me prepare
Par ung matin, lors qu'Aurora separe
D'avec le jour la tenebreuse nuict,
Qui aux devotz Pelerins tousjours nuit.
    Le droit chemin, assez bien je trouvoye:
Car çà, et là, pour adresser la voye
Du lieu devot, les passans Pelerins
Alloient semant Roses, et Romarins,
Faisans de fleurs mainte belle montjoye,

Qui me donna aulcun espoir de joye.
    Et d'aultre part: rencontray sur les rangs
Du grant chemin, maintz Pelerins errans
En souspirant, disans leur adventure
Touchant le fruict d'amoureuse pasture:
Ce qui garda de tant me soucier,
Car de leurs gré vindrent m'associer,
Jusques à temps que d'entrer je fus prest
Dedans ce Temple, où le Dieu d'amour est
Fainct à plusieurs, et aux aultres loyal.
    Or est ainsi, que son Temple royal
Suscita lors mes ennuyez espritz:
Car environ de ce divin pourpris
Y souspiroit le doulx vent Zephirus,
Et y chantoit le gaillard Tityrus:
Le grand Dieu Pan, de par ces pastoureaux
Gardant Brebis, Boeufz, Vaches, et Thoreaux,
Faisoit sonner chalumeaulx, cornemuses,
Et flageoletz pour esveiller les Muses,
Nymphes des boys, et Deesses haultaines
Suyvans jardins, boys, fleuves, et fontaines:
Les oyselletz par grant joye et deduyt
De leurs gosiers respondent à tel bruyt.
Tous arbres sont en ce lieu verdoians:
Petitz ruisseaulx y furent undoians,
Tousjours faisans au tour des prez herbus
Ung doulx murmure: et quand le cler Phebus
Avoit droit là ses beaulx rayons espars,
Telle splendeur rendoit de toutes pars

Ce lieu divin, qu'aux humains bien sembloit
Que terre au ciel de beaulté ressembloit:
Si que le cueur me dit par previdence
Celluy manoir estre la residence
De ferme Amour, que je queroye alors.
    Parquoy voyant de ce lieu le dehors
Estre si beau, espoir m'admonnesta
De poursuivir, et mon corps transporta
(Pour rencontrer ce que mon cueur poursuit)
Pres de ce lieu basty, comme s'ensuit.
[Description du Temple de Cupido]
    Ce Temple estoit, ung clos flory Verger
Passant en tout le Val delicieux,
Auquel jadis Pâris jeune Berger
Pria d'amours Pegasis aux beaux yeulx:
Car bien sembloit que du plus hault des Cieulx
Juppiter fust venu au mortel estre,
Pour le construire, et le faire tel estre,
Tant reluisoit en exquise beaulté.
Brief on l'eust pris pour Paradis terrestre,
S'Eve, et Adam dedans eussent esté.
    Pour ses armes Amour cuysant
Porte de gueules à deux traictz:
Dont l'ung ferré d'or tresluisant
Cause les amoureux attraictz:
L'aultre dangereux plus que traictz,
Porte ung fer de plomb mal couché,
Par la pointe tout rebouché,
Et rend l'amour des cueurs estaincte,
De l'un fut Apollo touché:

De l'aultre Daphné fut attaincte.
    Si tost que j'euz l'escusson limité,
Levay les yeulx, et proprement je veiz
Du grant Portail sur la sublimité
Le corps tout nud, et le gratieux vis
De Cupido: lequel pour son devis
Au poing tenoit ung Arc riche tendu,
Le pied marché, et le bras estendu,
Prest de lascher une flesche aiguisée
Sur le premier, fust fol, ou entendu,
Droit sur le cueur, et sans prendre visée.
    La beauté partant du dehors
De celle Maison amoureuse,
D'entrer dedans m'incita lors,
Pour veoir chose plus sumptueuse:
Si vins de pensée joyeuse
Vers Bel Accueil le bien apris,
Qui de sa main dextre m'a pris,
Et par ung fort estroict sentier
Me feist entrer au beau pourpris,
Dont il estoit premier Portier.
    Le premier huys de toutes fleurs vermeilles
Estoit construict, et de boutons yssans,
Signifiant que joyes non pareilles
Sont à jamais en ce lieu florissans.
Celluy chemin tindrent plusieurs passans,
Car Bel Accueil en gardoit la barriere:
Mais Faulx dangier gardoit sur le derriere
Ung portail faict d'espines, et chardons,

Et deschassoit les Pelerins arriere,
Quand ilz venoient pour gaigner les pardons.
    Bel Accueil ayant robe verte
Portier du jardin pretieux
Jour et nuict laisse porte ouverte
Aux vrays Amans, et gratieux,
Et d'ung vouloir solatieux
Les retire soubz la baniere,
En chassant sans grace planiere
(Ainsi comme il est de raison)
Tous ceulx, qui sont de la maniere
Du faulx, et desloyal Jason.
    Le grant autel est une haulte roche,
De tel vertu, que si aulcun Amant
La veult fuir de plus pres s'en approche,
Comme l'acier de la pierre d'Aymant.
Le ciel ou poisle, est ung Cedre enbasmant
Les cueurs humains, duquel la largeur grande
Coeuvre l'autel. Et là (pour toute offrande)
Corps, cueur, et biens à Venus fault livrer.
Le corps la sert, le cueur grâce demande,
Et les biens font, grâce au cueur delivrer.
    De Cupido le Dyadesme
Est de roses ung chapelet
Que Venus cueillit elle mesme,
Dedans son jardin verdelet.
Et sur le printemps nouvelet,
Le transmist à son cher Enfant,
Qui de bon cueur le va coiffant.

Puis donna (pour ses roses belles)
A sa mere ung Char triumphant,
Conduict par douze columbelles.

Devant L'autel deux Cipres singuliers
Je vey florir soubz odeur embasmée,
Et me dit on que c'estoient les pilliers
Du grand autel de haulte Renommée.
Lors mille oiseaulx d'une longue ramée
Vindrent voller sur ces vertes courtines,
Prestz de chanter chansonnettes divines.
Si demanday, pourquoy là sont venus:
Mais on me dist, Amy ce sont matines,
Qu'ilz viennent dire en l'honneur de Venus.

Devant L'image Cupido
Brusloit le brandon de detresse,
Dont fut enflammée Dido,
Biblis, et Heleine de Grece:
Jehan de Mehun plein de grant saigesse,
L'appelle (en termes savoreux)
Brandon de Venus rigoreux,
Qui son ardeur jamais n'attrempe:
Toutesfois au temple amoureux,
(Pour lors) il servoit d'une Lampe.

Sainctes, et Sainctz, qu'on y va reclamer,
C'est beau parler, Bien celer, Bon rapport,
Grâce, Mercy, Bien servir, Bien aymer,
Qui les Amans font venir à bon port:
D'aultres aussi, où (pour avoir support
Touchant le faict d'amoureuses conquestes)

Tous pelerins doibvent faire requestes,
Offrandes, veuz, prieres, et clamours,
Car sans ceulx là l'on ne prend point les bestes,
Qu'on va chassant en la forest d'amours.

Chandelles flambans, ou estainctes
Que tous Amoureux Pelerins
Portent devant telz Sainctz et Sainctes,
Ce sont bouquetz de Romarins.
   Les chantres: Lynotz, et Serins,
Et Rossignolz au gay couraige,
Qui sur buyssons de ver bocaige,
Ou branches en lieu de pulpitres,
Chantent le joly chant ramaige
Pour Versetz, Responds, et Epistres.

Les vitres sont de cler fin Crystal,
Où painctes sont les gestes auctentiques
De ceulx, qui ont jadis de cueur loyal
Bien observé d'amours les loix antiques.
   En apres sont les tressainctes Reliques,
Carcans, anneaulx aux secretz tabernacles,
Escuz, ducatz dedans les cloz obstacles,
Grands chaînes d'or, dont maint beau corps est ceinct,
Qui en amours font trop plus de miracles,
Que Beau parler ce tresglorieulx Sainct.

Les voultes furent à merveilles
Ouvrées souverainement:
Car Priapus les feist de treilles
De fueilles de vigne, et serment.
Là dependent tant seullement
Bourgeons, et raisins à plaisance,
Et pour en planter

abondance,
Bien souvent y entre Bacchus,
A qui Amour donne puissance,
De mettre guerre entre bas culz.

Les cloches sont Tabourins, et Doulcines,
Harpes, et Lucz, instrumens gratieux,
Haulxboys, flageotz, Trompettes, et Buccines
Rendant un son si tressolatieux,
Qu'il n'est souldart, tant soit audacieux,
Qui ne quittast Lances, et Braquemars,
Et ne saillist hors du Temple de Mars,
Pour estre Moyne au Temple d'amourettes,
Quand il orroit sonner de toutes pars
Le carrillon de Cloches tant doulcettes.

Les Dames donnent aux Malades,
Qui sont recommandez aux prosnes,
Rys, baisers, regards, et oeillades,
Car ce sont d'Amours les aulmosnes.
   Les Prescheurs, sont vieilles Mastrones,
Qui aux jeunes donnent couraige
D'emploier la fleur de leur aage
A servir Amour le grand Roy,
Tant que souvent par beau langaige
Les convertissent à la loy.

Les fons du temple estoit une fontaine,
Ou decouroit ung Ruisseau argentin:
Là se baignoit mainte dame haultaine
Le corps tout nud, monstrant ung dur tetin.

Lors on eust veu marcher sur le patin
Pauvres Amans à la teste enfumée,
L'ung apportoit à sa tresbien aymée
Esponge, pigne, et chascun appareil:
L'autre à sa dame estendoit la ramée,
Pour la garder de l'ardeur du soleil.

Le Cymetiere est, ung vert bois:
Et les Murs, Haies, et Buissons.
Arbres plantez, ce sont les Croix:
Deprofundis, gayes Chansons.
   Les Amans surprins des frissons
D'amours, et attrapez es laz,
Devant quelque Huys tristes, et las,
Pour la tumbe d'ung trespassé,
Chantent souvent le grand helas,
Pour requiescat in pace.

Ovidius, maistre Alain Charretier,
Petrarche, aussi le Rommant de la Rose,
Sont les Messelz, Breviaire, et Psaultier,
Qu'en ce sainct Temple on lit en Rime, et Prose.
Et les Leçons, que chanter on y ose,
Ce sont Rondeaulx, Ballades, Virelais,
Motz à plaisir, Rimes, et Triolletz,
Lesquelz Venus aprend à retenir
A ung grand tas d'amoureux nouvelletz
Pour mieulx sçavoir dames entretenir.

Aultres manieres de chansons,
Leans on chante à voix contrainctes
Ayans casses, et meschans sons,
Car ce sont cris, pleurs; et complainctes.
   Les petites chapelles sainctes,
Sont chambrettes, et cabinetz,
Ramées, boys, et jardinetz,
Où l'on se perd quand

le verd dure:
Leurs buys sont faictz de buyssonnetz,
Et le pavé tout de verdure.

Le Benoistier fut faict en ung grand plain,
D'ung Lac fort loing d'herbes plantes et fleurs,
Pour eaue benoiste, estoit de larmes plein,
Dont fut nommé le piteux lac de pleurs:
Car les Amans dessoubz tristes couleurs
Y sont en vain mainte larme espandans.
   Les fruictz D'amours là ne furent pendans:
Tout y sechoit tout au long de l'année:
Mais bien est vray, qu'il y avoit dedans
Pour asperger une Rose fennée.

Marguerites, Lis, et Oeilletz,
Passeveloux, roses flairantes,
Romarins, Boutons vermeilletz,
Lavandes odoriferantes:
Toutes autres fleurs apparentes
Jettans odeur tresadoulcie,
Qui jamais ung cueur ne soucie,
C'estoit de ce Temple l'encens.
Mais il eut de la Soulcie:
Velà qui me trouble le sens.

Et si aulcun (pour le monde laisser)
Veult là dedans se rendre Moyne, ou Prebstre,

Tout aultre estat luy convient delaisser:
Puis là devant Genius L'archiprebstre,
Et devant tous, en levant la main dextre,
D'estre loyal fait grant veuz et serments
Sur les autelz couvers de parements,
Qui sont beaulx litz à la mode ordinaire:
Là où se font d'Amours les sacrements
De jour et nuict sans aulcun luminaire.

De puis qu'un homme est là rendu,
Soit saige ou sot, ou peu idoyne
Sans estre ne raiz, ne tondu,
Incontinent on le fait Moyne.
Mais quoy, il n'a pas grand essoine
A comprendre les sacrifices,
Car d'amourettes les services
Sont faictz en termes si tresclers,
Que les Aprentis, et Novices
En sçavent plus que les grans clercs.

De Requiem les messes sont aubades,
Sierges, Rameaulx, et Sieges, la verdure
Où les amans font rondeaulx et ballades:
L'ung y est gay, l'aultre mal y endure:
L'une mauldict par angoisse tresdure
Le jour auquel elle se maria:
L'autre se plainct que jaloux Mary a:
Et les sainctz motz, que l'on dict pour les âmes
Comme Pater, ou Ave Maria,
C'est le babil, et le caquet des Dames.

Processions, ce sont morisques,

Que font amoureux Champions,
Les Hayes d'Alemaigne frisques,
Passepiedz, Bransles, Tourdions.
   Là par grands consolations
Ung avec une devisoit,
Ou pour Evangiles lisoit
L'art d'aymer, faict d'art poëtique:
Et l'aultre sa dame baisoit
En lieu d'une saincte Relique.

En tous endroictz je visite, et contemple
Presques estant de merveille esgaré,
Car en mes ans ne pense point veoïr Temple
Tant cler, tant net, ne tant bien preparé.
De chascun cas fut à peu pres paré,
Mais toutesfois y eut faulte d'ung poinct,
Car sur l'autel de Paix n'y avoit poinct:
Raison pour quoy? tousjours Venus la belle,
Et Cupido de sa barbe, qui poinct,
A tous humains faict la guerre mortelle.

Joye y est, et dueil remply de ire,
Pour ung repos, des travaux dix:
Et brief, je ne sçauroys bien dire,
Si c'est Enfer, ou Paradis.
Mais par comparaison je dis,
Que celluy Temple est une rose
D'espines, et ronces enclose:
Petitz plaisirs, longues clamours.
Or taschons à trouver la chose,
Que je cherche au temple d'Amours.

Dedans la Nef du triumphant dommaine
Songeant, resvant, longuement me pourmaine
Voyant reffus, qui par dures alarmes
Va incitant l'oeil des Amans à larmes
Oyant par tout des cloches des doulx sons,
Chanter versetz d'amoureuses leçons,
Voyant chasser de Cupido les serfz,
L'ung à Connilz, l'autre à Lievres, et Cerfz,
Lascher Faulcons, Levriers courir au boys,
Corner, souffler, en Trompes et haultboys:
On crie, on prend: l'ung chasse, et l'autre happe,
L'ung a jà pris, la beste luy eschappe,
Il court apres, l'autre rien n'y pourchasse:
On ne veit onc ung tel deduyt de chasse,
Comme cestuy. Or tiens je tout pour veu,
Fors celle là, dont veulx estre pourveu,
Qui plongé m'a au gouffre de destresse.
C'est de mon cueur la treschere maistresse,
De peu de gens au Monde renommée,
Qui ferme Amour est en Terre nommée.
Long temps y a, que la cherche, et poursuis,
Et (qui pis est) en la terre où je suis
Je ne voy rien, qui me donne asseurance,
Que son gent corps y fasse demourance:
Et croy qu'en vain je la voys reclamant,
Car là dedans je voy ung fol Amant,
Qui va choisir une Dame assez pleine
De grand beaulté. Mais tant y a, qu'à peine
Eus contemplé son maintien gratieux,

Que Cupido l'Enfant audacieux
Tendit son arc, encochea sa sagette,
Les yeulx bandez, dessus son cueur la gette
Si rudement, voire de façon telle
Qu'il y créa une plaie mortelle.
Et lors Amour le juchea sur sa perche,
Je ne dis pas celle que tant je cherche,
Mais une Amour venerique, et ardante;
Le bon renom des humains retardante,
Et dont par tout le mal estimé fruict
Plus que de l'aultre en cestuy monde bruyt.
   Un'aultre Amour fut de moy apperceue,
Et croy que fut au temps jadis conceue
Par Boreas courant, et variable:
Car oncques chose on ne vit si muable,
Ne tant legiere en courtz, et autres partz
Le sien povoir par la terre est espars,
Chascun la veult, l'entretient et souhaitte,
A la suyvir tout homme se dehaitte.
Que diray plus? Certes ung tel aymer
C'est Dedalus, voletant sur la mer:
Mais tant a bruyt, qu'elle va ternissant
De Fermeté, le nom resplendissant.
   Par telle façon au milieu de ma voye.
Assez, et trop ces deux amours trouvoye:
Mais l'une fut lubrique et estrangiere
Trop à mon vueil: et l'autre si legiere
Qu'au grant besoing on la treuve ennemye.
Lors bien pensay, que ma loyalle amye
Ne cheminoit jamais par les sentiers

Là où ces deux cheminoient voulentiers:
Parquoy concludz, en aultre part tirer,
Et de la nef soubdain me retirer
Pour rencontrer la Dame tant illustre,
Celle de qui jadis le trescler lustre
Souloit chasser toute obscure souffrance
Faisant regner Paix divine soubz France:
Celle pour vray (sans le blasme d'aulcun)
Qui de deux cueurs maintesfois ne faict qu'un:
Celle par qui Christ, qui souffrit moleste,
Laissa jadis le hault throsne celeste,
Et habita ceste basse vallée,
Pour retirer nature maculée
De la prison infernale et obscure.
   A poursuyvir soubz espoir je prins cure
Jusques au cueur du Temple me transporte:
Mon oeil s'espart au travers de la porte
Faicte de fleurs, et d'arbrisseaulx tous vers:
Mais à grant peine euz je veu à travers,
Que hors de moy cheurent plainctes, et pleurs,
Comme en yver seiches fueilles et fleurs.
   Tristesse, et dueil de moy furent absens,
Mon cueur garny de liesse je sens,
Car en ce lieu ung grand Prince je veiz,
Et une Dame excellente de vis:
Lesquelz portant escuz de fleurs Royalles,
Qu'on nomme Lys, et D'hermines ducales,
Vivoient en paix dessoubz ceste ramée,

Et au millieu ferme Amour d'eux aymée,
D'habitz ornée à sy grant avantaige,
Qu'oncques Dido la Royne de Cartage,
Lors qu'Eneas receut dedans son port,
N'eut tel richesse, honneur, maintien, et port:
Combien que lors ferme Amour avec elle
De vrays subgectz eust petite sequelle.
   Lors Bel Accueil m'a le buisson ouvert
Du cueur du Temple, estant un pré tout verd:
Si merciay Cupido par merites,
Et saluay Venus, et ses Charites:
Puis ferme Amour, après le mien salut,
Tel me trouva, que de son gré voulut
Me retirer dessoubz ses estandars,
Dont je me tins de tous paouvres souldars
Le plus heureux: puis luy comptay, comment
Pour son Amour continuellement
J'ay circuy mainte contrée estrange,
Et que souvent je l'ay pensée estre Ange,
Ou resider en la court Celestine,
Dont elle print tressacrée origine.
Puis l'adverty, comme en la Nef du Temple
De Cupido (combien qu'elle soit ample)
N'ay sceu trouver sa tresnoble facture,
Mais qu'a la fin suis venu d'aventure
Dedans le cueur, où est sa mansion:
Parquoy concludz en mon invention,
Que ferme Amour est au cueur esprouvée
Dire le puis, car je l'y ay trouvée.