L’Adjuvilo/Introduction

Claudius Colas (Prof. V. Esperema)
(p. i-vi).

INTRODUCTION


Le problème de la langue internationale est un de ceux dont la solution définitive s’impose chaque jour davantage.

L’expérience faite quotidiennement depuis vingt années par plusieurs milliers d’Espérantistes de tous les pays du monde, a montré la variété infinie des services que pourrait rendre à l’humanité une langue auxiliaire apprise par chacun à côté de sa langue maternelle.

Mais comment résoudre définitivement cette grave question ?

Si l’on n’a en vue que les résultats, et si l’on admet qu’il suffit d’avoir une bonne langue, l’Esperanto la résout, et l’intransigeance des disciples du Dr Zamenhof, qui ne veulent admettre dans leur langue ni changements ni réformes est justifiée. Mais l’humanité s’en tiendra-t-elle là  ? Se contentera-t-elle d’une bonne langue internationale et ne voudra-t-elle point adopter la meilleure  ?

D’aucuns le pensent ; de là les divergences multiples, qui se sont produites au sein des partisans d’une langue internationale.

D’un côté la foule des Fundamentistes qui considèrent la question comme résolue, gardent et propagent avec un enthousiasme quasi-religieux la langue de Zamenhof, éditent des ouvrages, publient des revues, réunissent des congrès ; de l’autre les perfectionnistes qui cherchent à donner au monde « la meilleure » langue internationale.

Ces différents systèmes sont d’accord sur le principe d’internationalité mis en pratique pour la première fois par le Dr Zamenhof[1]. Aussi leur vocabulaire ou plutôt leur Radicaire est-il, à quelques différences près, le même pour tous, et on peut actuellement considérer toutes ces langues comme des dialectes divers d’une même langue internationale.

Leur différence est essentiellement dans les formes grammaticales.

Une étude très attentive et très impartiale des différents systèmes perfectionnistes nous a convaincus que l’Ido est actuellement celui dont l’ensemble se rapproche le plus de la meilleure langue internationale.

L’Ido a pour auteur MM. de Beaufront et Couturat. Il se présente comme une réforme et une simplification de l’Esperanto.

Il a sur ce dernier, des supériorités partielles incontestables.

Mais à côté de ces supériorités il contient, dans la grammaire notamment, de très graves défectuosités et des complications qui ont éloigné de lui maints réformistes des plus résolus et ont empêché sa propagation au delà d’un petit cercle de 300 ou 400 adeptes.

Si réels et si graves qu’ils soient, ces défauts ne sont pas irrémédiables. Plusieurs ont tenté de les corriger et de nombreuses propositions ont déjà paru, soit sous formes de projets complets soit sous formes de propositions multiples, insérées chaque mois dans Progreso, organe officiel de la langue.

Il y a beaucoup à prendre dans ces innombrables propositions. Mais aucun des « projets complets, » ne saurait satisfaire pleinement : leurs auteurs semblent avoir cherché, bien moins à faire disparaître les défectuosités de l’Ido, qu’à faire passer arbitrairement certaines idées personelles, ingénieuses sans doute[2], mais nullement en accord avec les principes qui devaient être leurs seuls guides.

Tout autre a été notre manière d’agir. Prenant pour criterium de la meilleure langue internationale le principe émis par un savant Danois, M. Jespersen et vulgarisé par M. Couturat, nous avons, guidé par le seul souci de donner au monde la langue la «  plus simple » et la «  plus facile pour tous », élaboré l’Adjuvilo.

L’Adjuvilo n’est pas une nouvelle langue. Il n’est autre que l’Ido mis au point, simplifié, débarrassé de ses défectuosités, de ses irrégularités, de ses complications, et revêtu d’une forme nouvelle à la fois beaucoup plus simple et plus harmonieuse. Nous n’avons fait du reste qu’appliquer intégralement, au lieu de rester à mi-chemin, les principes émis par les auteurs de l’Ido primitif. Nous avons de ce dernier gardé tout ce qui était bon, et rejeté seulement les formes défectueuses, que nous avons remplacées par des formes meilleures.

Persuadé que l’avenir réservé à la langue internationale est immense, et qu’elle ne doit pas seulement être utile à ceux qui veulent exprimer des besoins matériels ou servir des intérêts commerciaux, mais encore donner une nouvelle âme à ceux qui pensent, à ceux qui aiment, à ceux qui chantent, et qui veulent que leurs pensées, leurs amours ou leurs chants retentissent au delà des frontières de leurs pays, nous nous sommes efforcé de donner à l’Adjuvilo toute la beauté, la douceur et la sonorité qui convient à la plus humaine des langues.

Selon la remarque très profonde du regretté docteur Javal, pour solutionner la question de la langue auxiliaire il fallait unir les qualités caractéristiques des deux langues européennes les plus répandues dans le monde : l’espagnol et l’anglais  ; prendre du premier l’incomparable sonorité, l’harmonie majestueuse, et lui appliquer la simplicité grammaticale du second  : Nous croyons que l’Adjuvilo répond pleinement à ce programme.

Nous n’avons pas voulu exposer dans ce volume, la théorie complète de l’Ido simplifié nous le ferons dans des ouvrages nouveaux  ; il nous fallait d’abord justifier l’opportunité et l’excellence de notre réforme, et pour cela, montrer que la forme actuelle de l’Ido primitif tel qu’il est propagé par l’Uniono di la Amiki, n’est pas acceptable. Que tous les partisans sincères de la langue la «  meilleure et la plus facile pour tous  » comparent donc impartialement les deux langues, et si, comme cela nous paraît indubitable, la supériorité théorique et pratique de l’Adjuvilo les convainc, qu’ils n’hésitent pas à l’accepter  : Ce serait à la fois un aveuglement impardonnable, une faute grave et un manquement à leurs principes mêmes, que de conserver obstinément des formes qu’ils savent défectueuses  ; et ils mériteraient le reproche de « fétichistes » que les chefs Idistes ont maintes fois fait aux « fidèles » de l’Esperanto.

Tôt ou tard, la forme de l’Adjuvilo s’imposera à l’Ido, cela est certain.

Ne vaut-il pas mieux, alors que le développement de l’Ido est à peine commencé l’adopter tout de suite, et éviter ainsi pour plus tard des divisions qui seraient sa ruine ?

Peut-être certains Idistes nous feront-ils un reproche de nous être adressé directement au public, et de n’avoir pas usé, pour présenter notre projet, des pages largement ouvertes de Progreso, organe consacré à la « libre discussion », et au «  constant perfectionnement de la langue internationale ».

C’est que nous savons trop bien ce que signifient cette « libre discussion » et ce « constant perfectionnement ». Nous sommes fixé sur le sort réservé aux innombrables propositions d’améliorations et de réformes présentées par les idistes et insérées dans les pages « libres » de Progreso.

Cette apparente libéralité n’est qu’un leurre  : invariablement, quelque soit le bien fondé de ces diverses propositions, une petite « 

respondo  » en fait table rase, et démontre péremptoirement qu’il n’y a, après tout, rien de mieux, que la forme actuelle de l’Ido, — forme sacro sainte et intangible en dépit des principes et des déclarations. Le serment de fidélité imposé par l’Uniono di la Amiki à ses membres n’est-il pas, à ce propos, suffisamment édifiant ?

Aussi avons-nous préféré nous adresser directement aux idistes eux-mêmes  ; nous les supplions encore d’examiner en toute sincérité l’Adjuvilo, de comparer impartialement sa grammaire à celle de l’Ido primitif.

Nous ne saurions mieux terminer cette Introduction qu’en reproduisant ces mêmes mots que M. de Beaufront sous le pseudonyme de Ido écrivait à la fin de sa brochure intitulée  : Les vrais principes de la langue internationale.

«  Et qu’on n’espère pas que l’humanité se contentera du moins bon, du moins simple, du moins complet. Ce serait oublier qu’elle est et sera de plus en plus éclairée, sur la question… L’humanité boude plus ou moins longtemps devant le meilleur mais elle y vient toujours. »

V. Esperema
Paris, 1er  Août 1910.

  1. Toutefois les partisans des systèmes homogènes, et parmi eux on compte de très éminents linguistes tels que MM. Peano, Rosenberger, Meysmans, Monseur, Pagliero, Malenaar, etc… restreignent celle internationalité aux seules racines d’origine latine.
  2. Parmi ces réformes nous citerons : l’Ile, de M. Seidel, vice-président du groupe Idiste de Berlin, le Dutalingue, de M. Duthil  ; la Réforme de M. Brandt, etc… À part certaines idées originales, nous n’estimons pas ces projets suffisamment sérieux.

    Il est clair, par exemple que dans le mot Dutalingue, (2e langue), M. Duthil s’est bien moins préoccupé d’introduire un suffixe international, que de donner à la langue un nom qui rappelât celui de l’auteur. Voilà des préoccupations personnelles qui n’ont rien de commun avec les principes de la vraie langue internationale.