A Venise chez Pierre Arretin [après 1770] (p. 363-420).

Chorier - L’Académie des dames, 1770, Bandeau-02
Chorier - L’Académie des dames, 1770, Bandeau-02


SEPTIEME

ENTRETIEN

ACADÉMIQUE.


Chorier - L’Académie des dames, 1770, Séparateur-01
Chorier - L’Académie des dames, 1770, Séparateur-01


OCTAVIE, TULLIE.


Tullie.


ASſéyons-nous à l’ombre de cet arbre : veux-tu, Octavie ?

Octavie.

De tout mon cœur ; ah ! que l’air de la campagne eſt agréable ! qu’il me plaît ! & que je prends de plaiſir de parler d’amour, à la vue des prairies & des boccages ! & toi, Tullie ?

Tullie.

Pour moi, je ne doute point que tu n’y prennes bien du plaiſir ; mais je crois qu’Alphonſe en prit encore davantage, à te regarder avant-hier toute nue.

Octavie.

Moi, toute nue ?

Tullie.

Oui, Octavie, toute nue ; & pour t’en donner des preuves certaines, c’eſt qu’il ne parle rien que de la beauté de ton corps, & de la ſituation avantageuſe de ta partie.

Octavie.

Tu te moques de moi, Tullie ; perſonne ne m’a jamais vue de la ſorte, excepté Pamphile.

Tullie.

Tu ne mets donc pas le Pere Théodore au nombre des hommes ? ou bien, tu le comptes pour rien ?

Octavie.

Ah ! je ne puis m’en ſouvenir qu’avec honte ! ah, Dieux ! comme il m’aveugla par ſes diſcours !

Tullie.

Je me doute bien de ce que tu me veux cacher ; à quoi bon ? j’en ſais autant que toi ſur ce ſujet, & toutes tes badineries me ſont connues.

Octavie.

Fort bien. Mais qu’eſt-ce que-tu-me reproches d’Alphonſe ? eſt-ce que je lui ai paru toute nue lorſqu’il rêvoit ? car il ne peut m’avoir vue de la ſorte qu’en dormant.

Tullie.

Eſt-ce que ceux qui te connoiſſent juſques dans le fond de l’ame, à qui tes mœurs & ton eſprit paroiſſent à découvert, ne te voyent pas toute nue, puiſqu’il n’y a rien de caché pour eux ?

Octavie.

O la plaiſante penſée ! c’eſt-à-dire qu’Alphonſe demande une femme pour ſon eſprit, & non pour ſon corps ; ſachons lequel des deux le fera plutôt bander ? Alphonſe étoit dans une maiſon de campagne de Léonor : Iſabelle étoit de la compagnie ; & Aloyſia (qui eſt, comme tu ſais, nouvellement mariée,) s’y rencontra auſſi avec moi. Nous nous divertîmes galamment ; & après le repas, nous eûmes un entretien, mais le plus laſcif qu’on puiſſe jamais entendre. Il ſembloit que nous fuſſions ivres. J’y plus néanmoins.

Tullie.

Tu plus à Alphonſe, & Alphonſe plut à Léonor.

Octavie.

Ah ! il eſt trop volage pour moi ; ſon amour ne me revient pas : outre que je ferois mal de le recevoir, & Léonor auroit ſujet de s’en plaindre.

Tullie.

O l’incomparable héroïne, dont le courage eſt auſſi grand que le…! Le deſtin devoit te faire naître dans un meilleur temps que celui-ci ; tu étois digne du ſiecle d’or, où les plus petits Cou… étoient du poids de deux ou trois livres. Mais ſais-tu bien que quelques crimes que l’on faſſe dans l’amour, on n’offenſe jamais que le Dieu des Poëtes ; & que toutes les circonſtances & les changements dont nous nous plaignons, ne ſont que des fables pour le préſent. La liberté fait le propre caractere de cette paſſion, & la contrainte ne s’y peut mêler ſans en rendre les plaiſirs de mauvais goût.

Octavie.

Voilà, ſans doute, de beaux préceptes ; mais, Tullie, tu ignores peut-être quel a été le commerce d’Alphonſe avec Léonor depuis qu’elle eſt veuve, & que ſon mari fut tué dans une bataille par les François. Il l’aime éperduement, & elle m’a avoué qu’elle ne lui avoit rien refuſé pour le rendre heureux, & qu’il avoit eu d’elle tout ce qu’il pouvoit deſirer. Eh bien, eſt-ce que tu me louerois, ſi je me déclarois la rivale d’une perſonne qui ne craint rien de moi ? non certes ; tu m’en blâmerois avec raiſon.

Tullie.

Je t’aime, ma chere Octavie, & j’admire ta généroſité. Continue de vivre avec le même courage.

Octavie.

Je crois, Tullie, que tu ne ſeras pas fâchée que je te faſſe part de ce qui fut dit dans la converſation. Tu ſauras donc qu’après que nous eûmes toutes pris place, Léonor s’adreſſant à Aloyſia : Eh bien, lui dit-elle, avec un air libre & enjoué, comment ſe ſont paſſées les nouvelles nuits ? a-t-on bien combattu ? s’eſt-on bien défendu ? La pauvre enfant fut toute honteuſe à ces paroles ; elle ſourit néanmoins. Eh quoi, vous rougiſſez ? lui dis-je ; ah, cette pudeur eſt laſcive, m’écriai-je auſſi-tôt ! je vois dans tes yeux les feux les plus amoureux, ; & Vénus même ne peut pas paroître plus lubrique. Eh que ne parles-tu, ſotte, lui dis-je enſuite, puiſque nous en agiſſons ici librement ? Pour moi, reprit-elle, je crois qu’une femme qui ſe plaît à ces ſortes de diſcours, eſt moins chaſte, que celle qui goûte tout-à-fait le plaiſir. Fort bien, fort bien, dit Alphonſe en riant ; c’eſt-à-dire que celle-là eſt pure, dont les paroles ſon chaſtes, & le bas abandonné, & qu’il importe peu que nos mœurs ſoient conformes à nos paroles. Il a toujours été permis, dit Léonor, aux perſonnes d’eſprit, de faire & de dire dans ma maiſon tout ce qu’elles ont jugé ne leur être pas défendu. Ceux-là ne vivent pas, repris-je, qui ſont toujours dans la crainte ; & ſi la fortune rejette les timides, l’amour les a en averſion : le premier degré du bonheur, c’eſt d’entreprendre hardiment d’y arriver, par les véritables voies de l’amour.

Tullie.

Tu n’as pas manqué de dire quels étoient ces degrés de la vie bienheureuſe, & par où il falloit aller au ſouverain bien.

Octavie.

Parmi les honnêtes gens, toutes choſes ſont bonnes & honnêtes, dit Léonor ; ceux-là ſont honnêtes, qui s’éloignent prudemment des ſentiments du vulgaire, & lui cachent avec adreſſe juſqu’à la moindre de leurs actions. Imagine-toi, Octavie, me dit-elle, que c’eſt Vénus même qui te parle. En effet, repris-je, qui eſt-ce qui niera que nous autres ne ſoyons la joie, la lumiere & la vie du genre-humain ? Si nous ſommes la joie, la meilleure partie de la joie ſe prend dans les divertiſſements & les plaiſirs. Si nous ſommes la lumiere, eh ! qu’y a-t-il de plus agréable, puiſque ſans elle la beauté même ne nous toucheroit aucunement ? Enfin, quelle ſatisfaction ne donne point la vie, quand elle eſt accompagnée des jeux & des ris ? Car ſans cela elle nous eſt odieuſe, elle nous donne même du dégoût, & il n’y a que les plaiſirs qui en faſſent le véritable aſſaiſonnement. Toutes choſes ne reſpirent donc parmi nous que les plaiſirs, rien que jeux, rien que divertiſſements ; & s’il ſe trouve quelque femme ſcrupuleuſe, & de cette dévotion auſtere, qu’elle s’en aille, qu’elle ſe retire parmi les ours & les lions. Car qui eſt l’homme qui voudroit rendre ſes reſpects à une bête, dont il ne pourroit avoir aucun contentement ? Enfin, dis-je, comme il eſt bien doux de goûter le plaiſir, il n’eſt pas moins agréable de rappeller dans ſon eſprit ces doux moments de la jouiſſance ; il y en a même qui trouvent dans l’eſpérance, ou dans le ſouvenir de la volupté, la volupté même ; & j’en connois qui reſſentent de plus douces émotions en parlant de Vénus, qu’en la mettant en pratique. Avoue-donc, Aloyſia, que cet agréable paſſe-temps qui ne dure qu’un moment, devient long ; par nos entretiens. Veux-tu vivre heureuſe, ma chere enfant, continuai-je ? cueille des fruits dans le champ de Vénus, pendant que tu es jeune ; cueilles-y des roſes : toutes choſes cedent à cette Déeſſe ; les Dieux même lui rendent leurs hommages. Parlons donc ſans crainte, puiſque nous pouvons trouver dans l’ombre du plaiſir, le plaiſir même que nous voulons.

Tullie.

Ah ! que voilà dire beaucoup de choſes en peu de paroles ? on ne peut pas parler avec plus d’éloquence.

Octavie.

Que veux-tu davantage ? Aloyſia s’en laiſſa perſuader ; & tout d’un coup, ſe défaiſant de la pudeur qui lui reſtoit, elle nous a dit les choſes les plus plaiſantes du monde. Léonor rioit de tout ſon cœur, & moi de même ; & Iſabelle & Alphonſe n’en pouvoient plus, & ſe tenoient les côtés pour rire plus à leur aiſe.

Tullie.

Mais aviez-vous ſujet de rire de la ſorte ?

Octavie.

Quoi ! tu te ſerois empêchée de rire ? Lors, diſoit-elle, que Roderic m’enfonça ſon poignard juſques aux gardes, tous mes ſens & tous mes eſprits ſe retirerent dans cette partie attaquée ; je ne me reconnoiſſois plus que dans cet endroit, & je crois que mon ame avec toutes ſes facultés n’avoit point d’autre ſiege que celui-là ; mon eſprit y étoit caché, & je crois que pour le trouver il m’eût fallu ouvrir le dedans. Qui eſt-ce qui niera à préſent, repris-je, qu’Aloyſia ne faſſe pas l’affaire avec eſprit, ayant une partie ſi ſpirituelle ? Tu as raiſon, reprit-elle ; & ſi quelqu’un demande où il eſt, je ne puis lui repondre ſincérement, qu’en lui diſant qu’il eſt là-bas, que c’eſt-là où il loge, & qu’il n’a point d’autre demeure. Quand vous voudrez, interrompit Alphonſe, nous rendrons nos hommages à ce génie merveilleux, & nous le tirerons des ténebres.

Tullie.

Vous aviez ſans doute raiſon de rire, & Vénus même n’auroit pas pu dire les choſes plus plaiſamment.

Octavie.

Après cela nous nous ſommes entretenus de l’art d’aimer, de la beauté & de l’eſprit des femmes, de la ſympathie qui eſt entre les amants ; enfin Vénus fut toujours préſente, & nous anima d’une étrange maniere.

Tullie.

Nous vivons toutes pour aimer, & pour être aimées ; c’eſt l’intention de la nature : & celle qui mépriſe les douces ſaillies de cette paſſion, n’eſt pas vivante ; elle eſt morte, & déja dans la corruption.

Octavie.

Il y en a, dis-je, qui ſont belles, & d’autres qui ſont agréables ; la nature forme les belles de ſa main, & les autres ſe forment elles-mêmes avec l’art. Il y a, dit Alphonſe, pluſieurs opinions touchant la beauté : néanmoins la plupart tombent d’accord, que celle-là doit paſſer pour la plus belle, qui plaît à beaucoup de perſonnes. Pour moi, je crois que celle-là l’emporte ſur toutes les autres, qui fait le plus bander quand on la voit. Fabrice, continua-t-il, aimoit Livie, quoique chaſſieuſe, camuſe, & édentée, & ne pouvoit paſſer un moment ſans elle. Son pere le reprit d’un amour qui lui ſembloit ſi ridicule. : Ah ! mon pere, lui dit-il, regardez-la par mes yeux, & non par les vôtres, & vous la trouverez la plus aimable du monde. Il avoit raiſon, parce que Livie étoit l’unique qui pût le faire bander ; il étoit froid devant toute autre, & n’avoit que du mépris pour celles qui faiſoient l’admiration de la Cour. Il en eſt preſque de même, pourſuivit-il, de la taille comme de la beauté : car les uns aiment les femmes graſſes & dont le corps eſt plein de ſuc ; & les autres ne cherchent que celles qui ſont plus légeres & moins peſantes. Les Grecs aimoient les premieres ; & on dit qu’Hélene, dont la beauté étoit admirable, étoit ainſi compoſée. Les Phrygiens au contraire avoient de l’inclination pour les autres, & avoient même ſi grand’peur que leurs filles ne devinſſent trop graſſes & trop replettes, qu’ils les faiſoient jeûner de temps en temps, & ne leur donnoient à manger que des choſes dont elles ne pouvoient tirer beaucoup de ſubſtance. Les François les aiment de cette maniere ; ils veulent qu’elles ayent le corps agile & dégagé de matiere. Les Italiens & les Eſpagnols tout au contraire. Pour moi, dans la recherche que j’en fais, je fuis également les deux extrêmités ; & de même qu’une maſſe de chair ne me plaît pas, auſſi je ne prends pas de plaiſir de me divertir avec un ſquélette : j’aimerois autant faire comme Périandre, Tyran de Syracuſe, qui chevaucha ſa femme après qu’elle fut morte. Les grandes, dit Léonor, ont beaucoup d’avantage. Alcmene, mere d’Hercule, étoit admirée pour ſa hauteur. Pour moi, diſoit Alphonſe, s’il m’étoit permis de choiſir, je prendrois plutôt une petite qu’une grande : car, pour l’ordinaire, celles qui ſont ſi hautes, ſont toutes en cuiſſes & en jambes, & le reſte du corps n’y répond point ; ce qui me ſemble, continua-t-il, ridicule quand j’y penſe ſeulement : car comment regarder ces femmes de Géants, ſans s’imaginer voir un Con monté ſur des échaſſes, ou, ſi vous voulez, appuyé au bout de deux perches ? Qui ne riroit, Tullie, d’une ſi groteſque penſée ?

Tullie.

Elle eſt aſſez plaiſante, en effet. Mais pour revenir à ce que tu diſois, ſi les grandes ont leurs défauts, les petites ne ſont pas plus parfaites.

Octavie.

Je ſais ce que tu veux dire. Elles ont le bruit d’être extrêmement ouvertes ; & Léonice, qui paſſoit pour naine parmi les Pigmées, a ce défaut. Du reſte, elle eſt aſſez proportionnée.

Tullie.

Elle n’avoit que treize ans, lorſqu’elle fut mariée à Guſman ; elle étoit encore vierge ; & avec cela, dès le premier coup, il entra au-dedans, & la trouva auſſi fendue qu’étoit Vénus après que Mars l’eut enfilée. Il avoit promis à ſes parents, qui étoient dans une chambre voiſine de celle où ſe fit le débat, qu’ils entendroient bientôt les cris & les derniers accents de la virginité mourante de ſa femme ; mais il fut bien trompé : elle ne verſa pas une larme ; elle ne pouſſa pas même un ſoupir ; Priape ſe promenoit au large. Que fit Guſman ? il tourna Léonice de l’autre côté, & l’encula avec vigueur ; elle s’écria auſſi-tôt : Ah, vous me tuez, vous me mettez en pieces, je n’y puis réſiſter ! il retira ſon inſtrument. C’en eſt aſſez, dit-il, voilà ce que je demandois ; & ſans ces cris, vous n’auriez pas paſſé pour pucelle. Après cela, il reprit le véritable chemin du plaiſir, & ils y arriverent tous deux avec un égal contentement.

Octavie.

Celles qui ſont ſi grandes, continua Alphonſe, ne ſont pas pour l’ordinaire fort vigoureuſes : à la ſeconde courſe, elles ſont laſſes ; & à la troiſieme, elles n’ont pas même de mouvement. Pour celles qui ſont comme Octavie diſoit-il, elles ſont infatigables. Pour moi, interrompit Aloyſia en s’éclatant de rire, je crois que Mars même ſe laſſeroit avec moi : oui, je le fatiguerois ; qu’il vienne, qu’il vienne.

Tullie.

Je crois auſſi que tu ne lui en céderois guere, Octavie ; la vivacité de tes yeux, avec la juſte proportion de toutes les parties de ton corps, ſont des marques évidentes de ce que tu peux faire.

Octavie.

Que tu es malicieuſe, de m’attribuer une qualité qui t’appartient ! oui, Tullie, ou toutes les regles de la Philoſophie ſont fauſſes, ou tu es la plus lubrique qui ſe puiſſe trouver. Il y en a qui diſent que celles-là ont le plus de penchant au plaiſir, qui ont le poil de la partie noir. Mais ce ſont des contes ; car tu as les cheveux blonds.

Tullie.

Je ne veux pas me fâcher contre toi, qui es le petit Couillon gauche de l’amour. Mais je te dirai qu’on ne peut tirer aucune conſéquence certaine de la couleur des cheveux : chacun à ſon amour particulier ; les uns aiment les blonds, d’autres les noirs ; & il en eſt qui n’eſtiment que les cendrés. Aſpaſie étoit blonde, & fort conſidérée à cauſe de cette qualité ; & lorſque Theſée eut perdu deux des filles qu’il conduiſoit en Grece au Minotaure, il prit deux jeunes garçons dont il teignit les cheveux de cette couleur, afin qu’ils euſſent par-là plus de rapport avec celles dont ils rempliſſoient la place. Cet art de teindre les cheveux, a été inventé par Vénus même, lorſqu’elle étoit Reine de Chypre. Les Italiennes le mettent à préſent beaucoup en uſage ; la ſeule couleur blonde leur plaît ; & pour l’acquérir, elles s’expoſent la tête toute nue au ſoleil. Quelle folie ! Anacréon & Pindare n’étoient pas de leur ſentiment ; car l’un a peint les Muſes, & l’autre ſa maîtreſſe, avec des cheveux noirs. Ovide étoit pour la couleur cendrée, qui eſt entre le blond & le noir, & qui tient néanmoins plus de celui-ci que de l’autre.

Octavie.

Alphonſe dit auſſi pluſieurs choſes ſur les qualités des yeux. Mais, Tullie, toi qui contes les choſes ſi agréablement, & qui es ſavante ſur toutes ſortes de matieres, qu’en penſes-tu ? dis-m’en ton ſentiment.

Tullie.

Les traits les plus vifs & les plus dangereux de l’amour ſont cachés dans les yeux. Chryſéis, qui faiſoit les amitiés d’Achille, les avoit noirs ; & Catulle ſe tut de la beauté d’une perſonne, en diſant qu’elle les avoit d’une autre couleur. Les Poëtes néanmoins parlent avec éloge des yeux de Minerve, bien qu’ils fuſſent bleux ; ils les appellent des étoiles à cauſe de leur éclat, & du rapport qu’a leur couleur avec celle du ciel. Les Grecs aimoient les gros yeux, tels que Junon, Vénus & Hermione les avoient. Les petits ont auſſi eu leurs adorateurs.

Octavie.

Tout ainſi que pour tirer plus juſte, les guerriers ferment la moitié des yeux, de même l’amour, par ſes petits yeux demi-ouverts bleſſe plus profondément, & décoche ſes traits les plus dangereux. La Reine Iſabelle les avoit de la ſorte ; & toi, Tullie, bien que tu ne les ayes pas fort grands, tu n’en es pas moins aimable : au contraire, leur vivacité en éclate bien davantage ; pour cela ſeul, tu plais.

Tullie.

Il y a pluſieurs opinions touchant la couleur du viſage ; les uns ſont pour les blanches, & les autres pour les brunes. Ces premiers ont un grand éclat ; mais il eſt de peu de durée elles ne ſont pas vigoureuſes, & leur jeuneſſe ſe paſſe en moins de rien. Il n’en eſt pas de même des brunettes : elles ſont pour l’ordinaire robuſtes ; elles ſont enclines au plaiſir, & y ſont fort propres, outre qu’elles ont la peau du corps fort douce & fort polie.

Octavie.

Cornélie, ſœur d’Iſabelle, eſt blanche comme un lys, & celle-ci eſt tout-à-fait brune. Tu rirois, ſi je te racontois ce qui leur arriva à toutes deux la premiere nuit de leurs noces ; comme l’une étoit froide & inſenſible, l’autre étoit ardente & invincible dans le débat.

Tullie.

Fort bien. Mais achevons auparavant le portrait d’une belle femme. Preſque tous ſont d’accord des qualités que doivent avoir la bouche, les levres & les dents. Ils diſent qu’une petite bouche eſt le véritable ſiege de l’amour ; & que les femmes qui l’ont de la ſorte, ont la partie d’en-bas fort petite, & peu ouverte. C’eſt le ſentiment de tous.

Octavie.

C’eſt en quoi ils s’abuſent ; & Ferdinand s’eſt plaint d’avoir été trompé par-là. Il épouſa Froſine, dont la bouche étoit ſi petite, qu’elle en étoit admirée de tous ceux qui la voyoient. Eh bien ! la premiere nuit de leurs noces, Ferdinand qui eſpéroit que la bouche d’en-bas auroit du rapport avec celle d’en-haut, fut bien ſurpris de voir une porte cochere où il entroit ſans difficulté. O la belle bouche ! dit-il, en baiſant ſa femme ; mais qu’elle eſt encore bien plus trompeuſe ! Fais en ſorte, ma chere Froſine, continua-t-il, qu’elle ne me ſéduiſe pas dans les autres choſes, comme elle m’a menti dans celle-ci. Eh quoi, interrompit-elle, quel ſujet avez-vous de vous plaindre ? on ne vous a point trompé : & ſi vous êtes ſi au large, ce n’eſt pas que je ſois trop ouverte ; mais cela vient de ce que votre inſtrument eſt trop petit. Ferdinand ſourit, & acheva l’affaire.

Tullie.

Pour ce qui eſt des levres, je n’en trouve point de plus beau modele que les tiennes : elles ſont rouges & élevées comme il faut ; il n’y a rien de plus agréable. Les dents doivent être blanches, polies, luiſantes, rangées comme des perles à l’entrée de la bouche. Elles ſervent non-ſeulement de défenſe, mais auſſi d’ornement ; elles ſont ainſi diſpoſées de la nature, comme pour conſerver la plus éloquente de toutes nos parties, & qui exprime ſi bien nos penſées. Ah ! ma chere Octavie ! qu’elle eſt d’un grand uſage dans les tranſports amoureux ; & que la douceur que reſſentent deux amants, dans les baiſers où elle a part, eſt grande !

Octavie.

En effet, Tullie, pour moi je ſuis ſenſible à ce plaiſir autant qu’on le peut être ; & lorſque Pamphile & moi nous baiſons de la ſorte, & que je ſens deux langues dans ma bouche, je ſuis hors de moi-même ; & la volupté que je goûte, me chatouille preſque autant que le véritable déduit. Une Reine des Sarmates diſoit que les baiſers étoient la nourriture de l’amour ; que ce n’étoit pas aſſez d’approcher les aliments de la bouche, qu’il falloit les mettre au-dedans ; que ſans cela, ce petit Dieu n’étoit pas plus heureux que Tantale.

Tullie.

Le ſein eſt auſſi une partie capable de rendre la vie à l’amour, quand même il ſeroit prêt d’expirer. A la vue des tettons, un amant ſe réveille, il les baiſe, il les ſuce, & y prend un plaiſir ſingulier. Les Phrygiens les aimoient quand ils rempliſſoient tout le ſein ; pour moi, Octavie, je les trouve bien plus agréables, quand ils ſont blancs, durs, fermes, & de telle groſſeur qu’une ſeule main les puiſſe empoigner. Enfin, une femme, pour être d’une beauté achevée, doit avoir la peau, les dents & les ongles blancs ; les cheveux, les yeux & les ſourcils noirs ; les joues, les levres & le deſſous des ongles, un peu coloré de rouge. Les cheveux doivent être longs, & la main auſſi ; les dents courtes, & les oreilles petites ; & la taille, pour être belle, doit être entre la grande & la médiocre. Le front doit être grand, les épaules larges, les ſourcils ſéparés par un petit eſpace ; enfin, le corps doit être libre & dégagé, la bouche petite, & la partie d’en-bas médiocrement ouverte. Les feſſes & les cuiſſes, doivent être graſſes & bien fournies ; les doigts & le nez maigres, ou tout au moins peu chargés de matiere ; les cheveux fins ; & la tête, les tettons, & les pieds petits. Il y en a qui eſtiment les cheveux naturellement friſés, & qui aiment celles dont le nez eſt aquilin. Enfin chacun a ſon goût, Octavie ; & c’eſt lui ſeul qui nous ſert de raiſon dans le choix que nous faiſons d’une perſonne.

Octavie.

Tu ſais, Tullie, qu’on remarquoit entre autres choſes dans Lucrece, la beauté de ſes feſſes. Elle les avoit blanches, fermes, bien élevées ; enfin telles qu’il les falloit pour ſervir de couſſin à l’amour, ou, ſi tu veux, d’enclume pour forger le genre humain.

Tullie.

Chez les Grecs, celles qui avoient de belles feſſes, étoient fort eſtimées ; ce ſeul avantage étoit capable de leur faire trouver des partis conſidérables : c’étoit ſouvent tout leur bien ; & on peut dire que quand elles faiſoient voir leur derriere à leur mari, elles lui montroient tout leur douaire. Ils étoient plus raiſonnables ſur ce point que nous, puiſqu’ils priſoient plus la beauté que les richeſſes. Mais revenons à ce que tu avois à me dire de Cornélie, & de ſa ſœur Iſabelle.

Octavie.

Oui, je le veux. Tu ſais que Cornélie, ta couſine, fut mariée à dix-neuf ans, à Gordien, jeune homme fort robuſte, & de l’âge de trente ans ; & qu’Iſabelle ſa ſœur fut donnée à quinze ans à Remond, qui en avoit vingt-cinq. Cornélie, ainſi que je t’ai déja dit, eſt blanche comme un lys, & Iſabelle tout-à-fait brune. Eh bien, la premiere nuit de leurs noces, elles ne mériterent pas la même louange pour le débat. Cornélie fut dépucelée ſans grand travail ; & avec cela elle ne put faire que trois courſes avec ſon mari ; elle fut laſſe à la quatrieme : & Gordien, qui alla juſqu’à la neuvieme, la trouva pour lors ſans mouvement, & à demi-morte. Iſabelle, qui avoit tout appris, l’en railla le matin le plus agréablement du monde. Eh quoi ! lui dit-elle en riant, tu n’en peux plus, ma pauvre enfant ! il ſemble que tu ſortes du tombeau. Ah, Iſabelle ! reprit Cornélie, ſi tu avois eu autant à ſouffrir que moi, tu ſerois peut-être autant fatiguée : je n’ai pas fermé l’œil de toute la nuit. Il eſt vrai, interrompit Iſabelle, que tu es fort à plaindre ; neuf courſes par nuit, c’eſt trop pour une fille auſſi délicate que toi. Pour moi, douze ne m’ont pas laſſée ; mais, ſans doute, elles n’étoient pas ſi vigoureuſes que les tiennes. Mais dis-moi, continua Iſabelle, après être revenue de cet aſſoupiſſement, où l’excès du plaiſir t’avoit plongée, comment as-tu reçu ton mari en grace ? car ſans doute il étoit coupable de deux crimes, de n’avoir épargné ni la virginité, ni la vierge ; d’avoir immolé l’une à ſa fureur, & d’avoir réduit l’autre aux abois, Cornélie fut pouſſée à bout : elle ne répondit rien ; & ſa ſœur la quitta en lui diſant de ſe conſoler, qu’elle en avoit encore plus fait que Minerve, & que toutes les Veſtales enſemble.

Tullie.

En effet, c’étoit ſeulement ſon coup d’eſſai ; elle eſt à préſent plus vaillante, & le jeune Adolphe l’a trouvée fort vigoureuſe.

Octavie.

Dis plutôt qu’il l’a trouvée fort facile, & peu honnête ; la chaſteté ne paſſe pas chez elle pour une vertu, mais pour un crime.

Tullie.

Que veux-tu ? C’eſt par un eſprit de charité & de compaſſion qu’elle a accordé à Adolphe ce qu’il deſiroit : elle n’a pu voir un jeune homme ſi beau & ſi amoureux d’elle, ſans en avoir pitié ; & la dévotion, de cette maniere, a plus de part à leur divertiſſement que le crime.

Octavie.

Il eſt vrai ; mais parlons d’autres choſes. Il y a trois jours que je couchai avec Léonor. Ah, que nous paſſâmes agréablement le temps ! ah, qu’elle eſt lubrique ! Vénus n’auroit pu inventer tant de badineries. Elle me donna mille baiſers, & je me ſouviens qu’elle me dit une fois : ah ! que je crains, ma chere Octavie, que l’amour ne ſe contente pas de cette ſorte de baiſers quand il ſera en fureur ! que j’appréhende qu’il ne faſſe un autre uſage de cette bouche divine ! Je reprenois, continua-t-elle, il y a quelque temps, Valerie, de ce qu’elle ſouffroit que ſon mari, qui eſt un jeune homme Napolitain, abuſât d’elle de cette maniere ; mais elle me répondit qu’elle étoit auſſi bien femme par le haut que par le bas, & qu’une femme mariée ne pouvoit avoir trop de complaiſance pour ſon mari. Je demandai enſuite à Léonor, ſi elle n’avoit jamais éprouvé de ſemblable fureur. Je t’avouerai, me dit-elle, qu’Alphonſe le tenta une fois ſur moi ; je l’aime, c’eſt pourquoi je ne lui réſiſtai pas beaucoup ; mais il en uſa bien ; car après avoir fait quelques entrées & quelques ſorties du lieu où je lui avois permis d’entrer, il ſe retira, & fit ſa décharge dans l’endroit que la nature a deſtiné pour cela. Mais d’où vient, Tullie, que beaucoup de femmes ont du penchant & de l’inclination pour ce plaiſir ? Elvire & Théodoſie n’en goûtent jamais, à ce qu’elles m’ont dit, de plus parfait que lorſqu’elles ſucent à loiſir le Vit de leurs Amants. D’où peut venir ce déréglement ?

Tullie.

Je vais te l’apprendre. Prométhée avoit fait un homme ; il ne lui manquoit plus qu’un Vit pour être parfait : il prit de la terre moins groſſiere pour le former ; & avant que de l’appliquer, il le lava dans une fontaine qui étoit proche. Il fit enſuite de la même terre le corps de la femme, & leur donna à l’un & à l’autre la vie : la femme eut ſoif ; elle s’approcha de la fontaine où le membre de l’homme avoit été lavé, elle s’inclina, & but : & c’eſt delà, Octavie, qu’eſt venu la ſympathie du Vit de l’homme avec la bouche de la femme.

Octavie.

Je crois, Tullie, que pour trouver du plaiſir dans ce badinage, il faut avoir le goût dépravé ; & le Pere Chriſogon fait peut-être cela par un eſprit de mortification : car il paſſe pour être fort vertueux.

Tullie.

Je vais te faire rire d’un trait de ſa vertu, qui eſt à remarquer. Emilie, que tu connois fort bien, étoit prête d’épouſer un Capitaine François, qui étoit bien fait, & qui l’aimoit éperduement. Au moment que ce mariage tant deſiré alloit être conclu, Emilie alla voir le Pere Chriſogon : elle eut un long entretien avec lui, & ce Tartuffe lui fit un diſcours ſi perſuaſif des avantages de la virginité, qu’il lui fit changer de réſolution. Elle ne voulut plus entendre parler de mariage, & les larmes de ſon amant n’eurent aucun pouvoir ſur ſon eſprit. Elle s’alla jetter dans un cloître ; & ſans réfléchir ſur la nature de ſon engagement, elle y prit l’habit, de Religieuſe, & y fit des vœux à la fin de l’année. Mais hélas ! cette ferveur ne dura pas toujours ; deux ans après, elle ſe repentit de ce qu’elle avoit fait ; elle pleuroit continuellement la perte de ſa liberté ; elle ne ſoupiroit plus que pour ſon amant ; il étoit toujours préſent à ſon eſprit : & ce qui la mettoit au déſeſpoir, c’eſt qu’elle ne voyoit point de remede à ſon mal. Dans ce grand embarras où elle ſe trouvoit, elle fit part de ſes peines à ſa ſœur ; celle-ci lui promit de faire ſon poſſible, pour la tirer de ſon chagrin : en effet elle y réuſſit. Emilie reçut viſite de celui qu’elle aimoit ; elle en fut engroſſée en peu de temps ; il l’enleva de ſon Couvent, & l’emmena avec lui dans un lieu de ſûreté. Eh bien, en veux-tu davantage ? O la belle dévotion ! elle devint la concubine de celui de qui, par dépit, elle n’avoit pas voulu être la femme. Le Pere Chriſogon ne mérite-t-il pas beaucoup de louanges, d’être venu à bout d’une ſi ſainte entrepriſe, & d’avoir ôté, pour ainſi dire, une femme à ſon mari, pour la mettre entre les mains d’un raviſſeur ? Tous ces gens-là tachent de ſe mettre en bonne odeur parmi le vulgaire ; ils ne font pas de même avec les ſages qu’il eſt dificile de tromper ; ils préferent le grand nombre au meilleur, & les eſprits foibles à ceux qui ont le diſcernement fin, & le jugement ſolide.

Octavie.

Ce que j’ai oui dire de Livie, a beaucoup de rapport avec ce que tu me viens de raconter. Livie paſſoit pour une des plus ſages filles de la ville, lorſqu’elle fut mariée à Alexandre Borgia ; elle ſe comporta ſi honnêtement avec lui qu’elle fut regardé de tout le ſexe comme un modele de perfection ; & comme elle n’avoit point eu d’yeux que pour ſon mari, elle ne voulut plus paroître ſitôt qu’il fut mort. Elle crut qu’elle ne pouvoit conſerver la réputation qu’elle s’étoit acquiſe, qu’en ſe renfermant dans un Couvent ; elle ſuivit ces premiers mouvements ; & laiſſant aux mondains (c’eſt ainſi qu’elle parloit) les bagatelles qui faiſoient leur amuſement, elle prit en partage des biens & des richeſſes qui ne devoient jamais périr. Elle fut donc enſevelie toute vive dans les ténebres d’un cloître ; le révérend Pere Chriſogon conduiſois le Couvent : mais hélas ! elle n’y fut pas trois mois, ſans s’appercevoir qu’elle n’étoit pas encore morte au monde, qu’elle avoit tant mépriſé. Le Pere Chriſogon le reconnut, & la retira de ce tombeau. Il corrompit cette vertu qui avoit été juſques-là inviolable : Oppreſſit tantus vir, tantam virtutem.

Tullie.

Dis plutôt que les vertus de l’un & de l’autre s’unirent enſemble ; Virtus virtutem junxit. Quand ces ſaints perſonnages prennent ces ſortes de divertiſſements, ils en ſéparent toujours tout ce qu’ils ont de terreſtre ; ils n’enviſagent que le Ciel, & pour cela ils dirigent toujours leur invention.

Octavie.

Tu veux dire leur intention : mais il faut que je te faſſe part d’une autre hiſtoire. Il y a quelque temps qu’un jeune homme, de la famille des Poncians dans le Portugal, conçut un amour extraordinaire pour une Religieuſe du pays, qui s’appelloit Agnès. Il fut aſſez malheureux pour ne pouvoir trouver l’occaſion de lui parler comme il ſouhaitoit ; afin de lui faire une déclaration de ce qu’il reſſentoit pour elle, que fit-il ? Pour braver la fortune qui lui étoit contraire, il ſe déguiſa en jardinier ; (il étoit fort robuſte) il alla trouver l’Abbeſſe du lieu, & lui fit offre de ſon ſervice ; il lui plut, & il fut reçu dans la maiſon pour vaquer à l’emploi qu’il avoit recherché. Cependant le bruit courut que la peſte, ou quelqu’autre maladie contagieuſe, étoit dans les maiſons voiſines du monaſtere. Toutes les Religieuſes en prirent l’épouvante, & ſortirent toutes, excepté l’Abbeſſe & trois autres plus courageuſes, à ſavoir Agnès, Gertrude, & Brigitte. Agnès étoit la plus jeune, & celle qui étoit cauſe que Marcel (c’étoit le nom de ce jardinier traveſti) faiſoit un tel perſonnage. Elle ne l’avoit vu qu’une fois ſans lui pouvoir parler ; c’eſt pourquoi elle ne le reconnut point : elle en devint néanmoins amoureuſe. Marcel s’en apperçut, & en fut ravi, tellement qu’il ne manquoit plus que l’heure du Berger, pour tirer cet amour caché de l’obſcurité d’où il n’oſoit ſortir. Cette occaſion ſi néceſſaire à nos deux amants vint fort à propos. L’Abbeſſe deſcendant le ſoir d’un eſcalier fort obſcur, fit un faux pas ; & tombant du haut en-bas, elle tira après ſoi Brigitte qui la ſuivoit. Les bleſſures que ſe firent ces bonnes Meres, les obligerent de garder le lit pendant pluſieurs jours. Sœur Agnès profita de cet accident ; car le gouvernement du Monaſtere fut remis entre ſes mains, & elle reſta de la ſorte maîtreſſe d’elle-même. Un jour donc que toutes les Religieuſes prenoient un peu de repos après-midi, & que tout-étoit dans un profond ſilence, Agnès ſe promenoit ſeule dans le cloître, en s’entretenant de ſon amour, & des moyens néceſſaires à ſa réuſſite. Pendant ce moment de rêverie, Marcel vint au-devant d’elle, elle le reçut à bras ouverts ; & après quelques paroles, ils goûterent ce plaiſir pour lequel ils ſoupiroient depuis long-temps. Le lendemain, du conſentement d’Agnès, Marcel dreſſa des embûches à Gertrude. Son pucelage étoit mûr, & de l’âge de vingt-cinq ans ; elle fut difficile à gagner : néanmoins l’amour, à qui tout cede, en vint au bout. Il l’a renverſa dans un petit cabinet du jardin où il la rencontra ; elle réſiſta un peu, mais elle fut la plus foible : il la trouſſe, il leve ſes jupes, lui apprend ce qu’il avoit enſeigné à ſa compagne, & lui en fit deux leçons conſécutives. Agnès ſe préſenta devant elle, ſitôt que l’affaire fut faite ; mais elle n’oſa preſque lever la vue pour la regarder, tant elle étoit honteuſe. Il ne reſtoit plus que Brigitte ; elle eut ſon tour peu de temps après, & Marcel la fit paſſer par l’étamine comme les autres.

Tullie.

Eh quoi ! la bonne mere n’en goûta-t-elle point ?

Octavie.

Ecoute ſeulement, elle y viendra bientôt. Un jour que la ſœur Agnès étoit avec elle, elle ſe plaignit qu’elle avoit bien de la peine à ſe remettre de ſa chûte ; qu’elle ſe ſentoit toujours foible ; & que la douleur de ſon bras droit, où elle s’étoit bleſſée, n’étoit preſque point diminuée. Vraiment notre mere, reprit ſœur Agnès, je n’en ſuis point ſurpriſe, vous prenez trop de chagrin ; la moindre affaire vous inquiette, & vous ne conſidérez pas qu’il n’y a que le divertiſſement qui puiſſe vous rendre votre premiere ſanté. Mais quel divertiſſement voulez-vous que je prenne ? dit l’Abbeſſe. Il faut prendre, dit ſœur Agnès, tous ceux que l’occaſion vous préſente, ſans examiner ſcrupuleuſement s’ils n’ont rien de défectueux ; quand il y va de la vie, nous ne devons rien négliger pour nous la conſerver, ſi nous ne voulons être homicides de nous-mêmes ; & ce ſeroit un crime bien plus conſidérable que tous ceux qui peuvent renfermer les plaiſirs les moins permis. La Mere vénérable ſe laiſſa perſuader ; elle ſe loua beaucoup des ſoins & des aſſiduités que Marcel lui avoit rendus. Gertrude & Brigitte entrerent, & acheverent d’en faire l’éloge. Ah, notre Mere ! diſoit Brigitte, nous n’avons point encore eu un garçon plus accompli que celui-là ; il chante & danſe agréablement, & fait tout ce qu’il veut de ſon corps. L’Abbeſſe, pour ſe retirer de la triſteſſe que lui cauſoit la maladie, le fit appeller dans le deſſein de s’en divertir ; il vint. Eh bien ! lui dit-elle, j’ai appris que vous chantiez & que vous danſiez fort bien ; voulez-vous nous chanter quelque air nouveau ? Il ne ſe fit pas beaucoup prier, il chanta, & il plut : elle lui dit de danſer ; il demanda quelle danſe elle ſouhaitoit ? celle que vous ſavez le mieux, reprit-elle. Ah ! dit-il, j’en ſais une bien jolie ; quoiqu’elle ne ſoit pas nouvelle ; elle s’appelle le Pouſſe avant ou le Menuet redoublé. Le Pouſſe avant ! dit l’Abbeſſe ; je n’en ai point entendu parler : il faut, ſans doute, qu’elle ſoit nouvelle ; car elle n’étoit pas en uſage quand je ſortis du monde. Vous m’excuſerez, reprit Marcel, & vous ne l’ignorez que parce que vous ne l’avez jamais danſée. L’Abbeſſe ne répondit rien ; & Agnès, Brigitte & Gertrude, qui craignoient que leur préſence n’empêchât leur mere d’agir librement, ſe retirerent & la laiſſerent avec ſon infirmier. D’abord qu’elle ſe vit ſeule, elle connut les embûches ; Marcel, profitant de l’embarras où il la voyoit approcha du lit, lui, donna un baiſer, lui mit une main dans le ſein, & gliſſa l’autre ſous ſa jupe. Elle s’écria, elle appella à ſon aide ; mais toutes ſes Religieuſes étoient ſourdes à ſes paroles. Marcel la preſſe ; & dans le moment qu’il eſt prêt de faire entrée dans ce con vénérable, elle le repouſſa avec aigreur : Miſérable coquin ! lui dit-elle, oſes-tu me violenter de la ſorte ? Marcel ſourit, & lui dit : Quand vous ſaurez, Madame, que celui qui vous parle eſt un Gentilhomme de la famille des Poncians, & par conſéquent votre parent, vous ne ſerez peut-être pas ſi rigoureuſe. Elle le reconnut ; Marcel ne lui donna pas le temps de faire là-deſſus les réflexions qu’elle auroit ſans doute faites, & il continua ſes pourſuites. La bonne Mere, qui n’avoit que trente ans, n’étoit pas tout-à-fait inſenſible ; elle ſuccomba, l’affaire ſe fit, & le Menuet redoublé fut danſé de l’une & de l’autre, pendant qu’Agnès, Brigitte & Gertrude chantoient l’épithalame à la louange de leur Adonis.

Tullie.

A ce que je vois, Marcel n’étoit pas extraordinairement membru, puiſqu’il vint ſi facilement à bout de ces vénérables pucelages.

Octavie.

Tu te trompes ; il en eſt fort bien partagé, & la raiſon que tu en apportes n’eſt pas bonne, puiſque c’eſt la commune opinion qu’une fille peut ſouffrir un homme, pourvu que la groſſeur de ſon membre n’excede pas celle de ſon bras. Connois-tu Clémence, qui fut mariée, il y a huit jours, au Vicomte Rodolphe ?

Tullie.

Oui, je la connois : elle eſt fort belle, & fort agréable ; mais elle eſt d’une complexion tendre & délicate.

Octavie.

Tu ſauras que toutes ſes amies pleuroient de compaſſion la veille de ſes noces. Rodolphe paſſe pour monſtre, quoique ſon membre n’ait que ſix pouces de long ; mais la groſſeur en eſt prodigieuſe : elles avoient pitié de cette pauvre enfant, qu’elles prévoyoient devoir être déchirée & miſe en pieces. Elles repréſenterent à ſa mere le peu de proportion qui étoit entre ce couple ; celle-ci en conſulta Sabine ſa ſœur, qui lui dit ſon ſentiment, & en parla enſuite à Clémence. Vous ſavez bien, ma niece, lui dit-elle, que vous êtes deſtinée pour le Vicomte Rodolphe ; mais, vous ignorez peut-être que c’eſt un homme qui ne pourra vous dépuceler ſans vous faire des maux étranges ; & même, ſelon les apparences, il aura bien de la peine à en venir à bout, tant ſon membre eſt monſtrueux. Je vous avertis de cela, continua-t-elle, afin que vous ayiez bon courage, & que vous enduriez patiemment toutes les douleurs qui ſont inévitables aux nouvelles mariées : qu’en dites-vous ? Il ſuffit ma tante, reprit Clémence, que j’aime extrêmement, pour que l’amour me donne des forces pour ſoutenir ces attaques que vous me repréſentez devoir être ſi furieuſes. Je le ſouhaite, mon enfant, dit Sabine, & je deſire qu’elles ne te manquent point. Mais laiſſe-moi voir, pourſuivit-elle, ſi ta partie eſt bien diſpoſée pour cela : elle paſſa auſſi-tôt ſa main ſous ſa chemiſe, & la porta dans l’endroit qui devoit être ſi maltraité ; elle en ouvroit les levres, elle les manioit, & faiſoit entrer le doigt le plus avant qu’elle pouvoit. Ah, ah, ah ! s’écria Clémence, retirez-vous, vous me chatouillez trop vivement, & vous m’excitez à un plaiſir que je ne connois point. Sabine retira ſa main : Ah, mon enfant, dit-elle à Clémence, que ta partie eſt avantageuſement placée ! qu’elle eſt aimable ! elle eſt telle que Vénus la ſouhaiteroit pour ſes filles. Je t’avoue qu’elle eſt un peu étroite ; mais il n’y a point de remede : il vaut mieux endurer une nuit, pour être heureuſe le reſte de tes jours, que d’augmenter le nombre de ces vierges folles, qui n’ont jamais goûté le plaiſir. Pour t’achever cette hiſtoire, tu ſauras qu’elle ſoutint vigoureuſement ſix aſſauts la nuit ſuivante : elle fut miſe en pieces ſans verſer une larme ; & au troiſieme coup, cet inſtrument furieux ſe logea tout entier au-dedans. Enfin, elle fut dépucelée, & jamais fille n’a paru plus ferme & plus conſtante. Il ſembloit le matin, à voir leurs draps, qu’ils euſſent fait une boucherie de leur lit, tant il étoit rempli de ſang. Clémence ſe reſſentit de toutes ces fatigues quand elle fut levée ; car à peine pouvoit-elle ſe tenir debout, bien-loin de pouvoir marcher.

Tullie.

Ce diſcours me fait ſouvenir du pere Théodore, dont tu n’as pas achevé l’hiſtoire.

Octavie.

Je vais la pourſuivre. J’étois étendue tout de mon long ſur le lit où il m’avoit jetté, dans une poſture aſſez commode pour lui & pour moi, lorſqu’il m’enconna. La longueur de ſon inſtrument ne lui permit pas d’entrer tout au-dedans ; il en reſta quatre pouces de long au-dehors, que je preſſois vivement avec mes doigts. Un moment après, il déchargea : Ah, bonté de Vénus, quel raviſſement ! je crus que tout ce que la volupté avoit jamais eu de ſenſible, que tout ce qu’elle pouvoit avoir pour le préſent, & que tout ce qu’elle auroit à l’avenir de douceurs, s’étoit aſſemblé dans cette partie, où il ſe faiſoit le débat. Je m’imaginai être métamorphoſée en Déeſſe, & être placée dans le ciel, tant le plaiſir que je reſſentois étoit exceſſif. Enfin, ce contentement ceſſa, & je reconnus que j’étois encore en terre : mon adverſaire ſe retira la tête baiſſée ; & quoiqu’il eût combattu vaillamment, je reſtai néanmoins victorieuſe.

Tullie.

Tu triomphois de Théodore, pendant que ta mere diſputoit ſans doute la victoire avec le Pere Chriſogon.

Octavie.

O la plaiſante farce ! tu vas rire, Tullie, ſi tu veux m’entendre. Quand nous eûmes achevé, Théodore & moi, je lui demandai s’il vouloit que nous allaſſions voir à quoi le Pere Chriſogon & ma mere paſſoient le temps. Je le veux bien, reprit-il ; mais quelque plaiſir qu’ils prennent, il ne peut pas être ſi grand que celui que j’ai goûté avec vous, belle Octavie. Il dit cela, en me donnant un baiſer. Je ſortis, il me ſuivit à petit bruit ; nous montâmes au-deſſus de la chambre où le jeu ſe faiſoit. Il y avoit une petite fente, d’où l’on pouvoit voir tout ce qui ſe paſſoit au-dedans ſans être vu.

Tullie.

Je m’étonne comment Sempronie, qui ſait qu’une femme prudente doit tout craindre quand elle ſe divertit, ne s’eſt point apperçue de cette ouverture. La pauvre Lucie, femme d’Ulric & sœur de Fonſeque, penſa périr miſérablement par un ſtratagême ſemblable, que lui dreſſerent ſes ennemis. Elle avoit un jeune ſerviteur fort bien fait, de l’âge de ſeize ans, qui s’appelloit Florent ; il étoit fort, aimable, & digne de l’affection qu’elle conçut pour lui. Ils auroient été plus heureux dans leurs amours, ſi Pélagie, qui étoit, une fille de chambre de la maiſon, eût été moins ſenſible aux belles qualités de ce jeune homme ; mais elle en devint éperduement amoureuſe, & par conſéquent la rivale de ſa maîtreſſe. Le mépris qu’elle connut que Florent faiſoit de ſa perſonne depuis qu’il étoit dans les bonnes graces de Lucie, la mit au déſeſpoir ; elle conçut mille deſſeins de malice pour troubler cette intelligence : mais voyant que toutes ſes ruſes avoient été de nul effet, elle ne penſa plus qu’aux moyens de les perdre entiérement. Pour en venir plus facilement à bout, elle perça deux ou trois planches, dont les ouvertures donnoient lieu de voir tout ce qui ſe pouvoit paſſer entr’eux. Un jour donc de grand matin qu’Ulric étoit allé à la chaſſe, Lucie fit appeller Florent : il entra auſſi-tôt dans la chambre, où il la trouva ſur ſon lit, couchée d’une maniere à donner de l’amour au plus froid de tous les hommes. Elle avoit tout le ſein & les cuiſſes découvertes, le viſage riant, & tout le reſte du corps ſi négligemment caché, qu’elle n’étoit pas fâchée d’être vue dans cette poſture. Pélagie, que la jalouſie animoit ; alla avertir Judith, ſœur d’Ulric, du commerce de nos deux amants, & de l’occaſion qui ſe préſentoit de le découvrir : celle-ci ne vouloit point de bien à Lucie depuis long-temps ; elle vint donc, & regarda attentivement tout ce qui ſe paſſoit dans la chambre. Florent prioit Lucie d’avoir compaſſion de lui, d’avoir égard à l’excès de ſon amour, & de lui accorder la faveur pour laquelle il ſoupiroit jour & nuit. Il la preſſoit, mais elle le repouſſoit toujours. Je ne refuſe point ton affection, mon cher Florent, lui diſoit-elle ; mais pour te permettre la moindre choſe qui me déshonore, c’eſt ce que je ne ferai jamais, pas même ſi les Rois l’exigeoient de moi. Je ne refuſe point ce que je te puis accorder, contente tes yeux & tes mains, regarde & manie tout ce que tu voudras, je ne m’y oppoſe pas ; mais ne prétends pas paſſer plus avant. Après ces paroles, elle ſe découvrit, & ſe vit voir toute nue à Florent. Ah ! ma Reine, diſoit-il, n’eſt-ce pas me refuſer tout, que de me défendre ſi étroitement ce qui peut ſeul me donner le véritable plaiſir ? ah ! que vous êtes cruelle, de preſcrire de ſi rigoureuſes loix à notre amour ! Tout au moins, continua-t-il, (en montrant ſon inſtrument qui prenoit feu à la vue de tant de beautés) que vos belles mains, aimable Lucie, me ſoulagent un peu pendant que je vous contemplerai à mon aiſe. Je t’entends, lui dit-elle ; avoue donc que je ſuis bien bonne, & regarde combien tu m’as d’obligations : elle fit ce qu’il vouloit, elle prit ſon invention, & l’excita doucement à la décharge, pendant que Florent de ſon côté lui rendoit un ſemblable office. Courage, courage, diſoit-il d’abord, plus vîte, plus vîte, & un peu après ; ah ! doucement, ma chere Lucie, ne faites pas ſitôt finir le plaiſir ! ah, ah ! je n’en puis plus. En diſant cela il déchargea ſur un linge qui étoit tendu à deſſein, & s’appuya ſur Lucie, qui goûta auſſi-tôt le même plaiſir. Mais hélas ! Octavie, cette joie fut bientôt ſuivie de triſteſſe. Judith entra dans ſa chambre comme une lionne, traita cette pauvre enfant d’infâme & d’adultere ; elle la fit lever promptement ; & étant aſſiſtée de Pélagie, elle la conduiſit dans un Bordel. Ah ! ma ſœur, diſoit Lucie, faites de moi ce que vous voudrez, pourvu que vous donniez la liberté à Florent. C’eſt moi qui ſuis coupable, & qui ai commis le crime, ſi c’en eſt un néanmoins que d’avoir fait une légere badinerie. Je ferai, dit Judith, ce que je jugerai à propos ; ſuivez-moi ſeulement. Florent fut enfermé, ſans donner connoiſſance aux autres ſerviteurs, de la raiſon pourquoi on le faiſoit ; & Lucie fut menée au Bordel. Ce fut là où Judith, s’étant enfermée avec elle dans une chambre, lui dit qu’il falloit qu’elle ſe réſolût d’être bouclée ; où bien de ſe préparer à mourir. A ces paroles, les larmes tomberent des yeux de Lucie. Ah ! ma chere ſœur, dit-elle à cette Mégere, ayez compaſſion de moi, & ne puniſſez pas ſi rigoureuſement une ſi petite foibleſſe. Judith étoit inexorable, & la fit promptement dépouiller ; il ne lui reſtoit plus que ſa chemiſe, qu’elle lui ôta : l’amour attendrit le cœur de cette tigreſſe ; elle ne put voir la beauté du corps de Lucie, ſans en devenir elle-même amoureuſe ; & comme changée en une autre perſonne, elle ſe jetta au col de cette pauvre affligée, & la baiſa avec une ardeur extraordinaire. Ah ! ma chere enfant, lui dit-elle, que tu es agréable dans ta triſteſſe même ! ne crains plus rien, ſi tu veux être à moi, & avoir Florent en averſion. Lucie lui promit tout ce qu’elle voulut. Ah ! que je t’aime, & que je ſuis fâchée de t’avoir ainſi affligée ! n’y penſe plus, ſonge ſeulement à m’aimer auſſi tendrement que je te chéris : je veux coucher cette nuit avec toi ; mon frere eſt abſent, & je te ſervirai de mari occupant ſa place.

Octavie.

Ah ! ah ! ah !

Tullie.

Elle y coucha en effet, & remplit tout le lit de ſes fureurs : elle donna mille baiſers à Lucie, & la fatigua plus par ſes ſecouſſes, qu’elle ne l’auroit été dans les embraſſements de ſon mari. Judith s’appaiſa de la ſorte, & donna la liberté à Florent, avec défenſe néanmoins de ne point entrer dans la chambre de ſa maîtreſſe. Le pauvre enfant en étoit au déſeſpoir, il en mouroit de déplaiſir : il va trouver Pélagie, fait ſemblant d’être outré contre Lucie, & de ne vouloir plus être qu’à elle ; il lui parle en amant paſſionné, elle le crut, ils firent l’affaire enſemble, & ce fut par cet artifice qu’il recouvra le moyen de jouir de ſa maîtreſſe. Ah, Pelagie, lui dit-il, (dans la chaleur de leurs embraſſements) je t’aime ; tu ſouffres que je ſois maltraité de Lucie, qui me mépriſe, & qui me regarde à préſent comme un eſclave ! ah ! ſi tu voulois, j’en prendrois bien vengeance ! Et quelle vengeance, dit Pélagie ? eſt-ce que tu veux la punir par ſa volupté même ? Ah, Dieux ! reprit Florent, j’aimerois mieux chevaucher Thiſiphone, & coucher avec les Furies, que d’avoir affaire avec cette ingrate. Promets-moi donc de m’être toujours fidele, dit Pélagie. Je te le jure, reprit-il, & je t’engage ma parole que je n’en aimerai d’autre que toi.

Octavie.

Il ne vit donc plus Lucie depuis ce temps-là ?

Tullie.

Il eut toute la liberté de la voir, depuis qu’on crut qu’ils étoient en mauvaiſe intelligence. Il l’alla donc trouver une après-dînée qu’elle étoit ſeule dans ſa chambre. Lucie pleura d’abord qu’elle le vit entrer, parce que c’étoit la premiere ſois depuis leur déſaſtre. Eh bien, mon enfant, lui dit-elle, nous avons paſſé un mauvais pas. Oui, reprit-il en ſoupirant, & je n’en ai appréhendé les dangers que pour vous ; mais à préſent j’ai détruit leur artifice par un ſtratagême. Je le ſais, dit Lucie, & tu as agi ſpirituellement. Judith eſt contente, & m’aime paſſionnément, quoique je l’aye en averſion : c’eſt pourquoi il n’y a plus rien à appréhender de ſon côté. Cependant Florent étoit tout en feu, Lucie s’en apperçut ; & le regardant avec des yeux languiſſants, elle lui donna un baiſer : Ah ! mon cœur, lui dit-elle, je me meurs, je t’aime trop, & c’eſt toi qui es la cauſe de toutes mes foibleſſes ! Ah ! ma chere maîtreſſe, repondit-il, ne croyez pas que je ſois inſenſible ; je reſſens les mêmes mouvements que vous, & je connois qu’il n’y a que vous qui puiſſiez les appaiſer : nous ſommes ſeuls ; ceux qui pourroient nous ſurprendre ſont hors de la maiſon ; en un mot, nous n’avons rien à craindre. Elle rougit à ces paroles ; il la baiſe, il l’embraſſe, & enfin, après un peu de réſiſtance, il en reçoit la derniere faveur. Voilà, Octavie, comme les choſes ſe paſſerent : pardonne-moi cette digreſſion que j’ai faite inſenſiblement, & revenons au Pere Chriſogon.

Octavie.

Quand nous fûmes arrivés dans l’endroit d’où nous pouvions voir ce qui ſe paſſoit, nous apperçûmes le pere Chriſogon aſſis ſur le bord du lit avec ma mere, qu’il tenoit par la main. Eh bien, ma Sainte, (c’eſt ainſi qu’il l’appelloit) que penſez-vous que fait le pere Théodore avec Octavie ? Je m’en doute bien, reprit-elle, car j’ai entendu ſa voix comme ſi elle eût pleuré ; aſſurément il lui parle du mépris du ſiecle, que le chemin du paradis eſt difficile, & que les tourments de l’enfer ſont terribles. Ah, ah ! vous n’y êtes pas, dit le pere Chriſogon en riant ; il force cette pauvre enfant avec un Vit plus terrible que tous les Diables enſemble, quand il eſt en fureur, & c’eſt delà que proviennent ſes cris. J’aime beaucoup Théodore, continua-t-il, en parlant à ma mere ; & je lui aurois même fait part de ma fortune, ſi l’amour extrême que je te porte me l’avoit pu permettre : mais j’aime avec trop d’excès, & je porte même envie à ton mari de ce qu’il partage des plaiſirs qui ne devroient être goûtés que de nous deux. Ne voulant donc point avoir d’aſſocié dans mes amours, j’ai conſeillé Théodore de tenter fortune auprès d’Octavie, & je lui en ai fait eſpérer une bonne iſſue. En achevant ces paroles, il la renverſa ſur le lit : O mon Amour ! diſoit-il, anime par tes baiſers ces mouvements à demi-languiſſants. Je veux mal, reprit-elle, à cette robe ridicule, qui me cache les beautés de ton corps. Ah ! que cet habit eſt incommode ! à quoi bon le faire d’un ſi grand volume ? releve-le donc. Il obéit, & elle vit auſſi-tôt cet inſtrument philoſophique qui commençoit à prendre feu ; elle l’apoſtropha plaiſamment. Ah ! voilà, s’écria-t-elle, ce ſuperbe Roi des Vits, qui eſt à préſent lâche, ſans courage, & à demi abattu ! regarde ton ennemie, diſoit-elle, qui t’appelle en duel, & te défie au combat. Ah ! ma chere Sempronie, reprit Chriſogon, ſi tu veux qu’il ſoit bientôt en état, quitte ces vêtements, qui ne ſont pas moins incommodes que les miens ; tu es plus belle toute nue, qu’avec tout ces vains ornements. Elle les quitta, & il ne lui reſtoit plus que ſa chemiſe, qu’il tira lui même. Elle baiſſa les yeux quand elle ſe vit toute nue. Ah ! Tullie, qu’elle a le corps blanc & bien proportionné !

Tullie.

Je le ſais.

Octavie.

Cependant le Pere Chriſogon paroiſſoit le plus impatient du monde ; il tournoit ma mere d’un côté & d’autre, ſans rien faire : Ah ! ma chere Sempronie, lui dit-il après, mettez-vous dans cette poſture que j’aime. Auſſi-tôt elle écarta les cuiſſes, & le Pere Chriſogon les élevant ſur ſes épaules, l’enconna avec vigueur. Théodore qui conſidéroit attentivement tout ce badinage, en fut ému. Ah ! ma chere Octavie, me dit-il, c’en eſt aſſez, ma curioſité eſt ſatisfaite ; je n’y puis plus réſiſter ; allons faire nos affaires de notre côté. J’y conſentis, nous nous en allâmes. Il me fit mettre ſur le lit, dans une poſture plus commode que celle où j’avois été auparavant ; il tira ſon inſtrument : Ah, Dieux ! quand j’y penſe, j’en ai frayeur. Je le meſurai par curioſité ; le croiras-tu ? Tullie ; il avoit treize pouces de long, ſa groſſeur étoit proportionnée, & à peine pouvois-je l’empoigner, Tantæ molis erat ! Je tremble, lui dis-je, à la vue d’une machine ſi furieuſe ; j’appréhende que vous ne me mettiez en pieces. Ne craignez point, dit-il, avant que d’en avoir fait l’épreuve. En diſant cela, il ſe jetta ſur moi en m’écartant les cuiſſes ; je reçus ce nouvel hôte avec une intrépidité admirable ; il preſſe, il ſecoue, & enfin m’enivre de cette douce ambroiſie qu’il répandit avec abondance. Je déchargeai preſque auſſi-tôt, avec un ſi doux chatouillement, que j’en perdis la parole, & ne faiſois que ſoupirer. L’affaire faite, d’un coup de cul je fis ſortir Priape de ſon gîte, & donnai un baiſer à mon cavalier, & nous nous ſéparâmes ainſi. Voilà, Tullie, ce qui s’eſt paſſé entre Théodore & moi.

Tullie.

Fort bien. Mais il faut, devant que de nous quitter, que je te faſſe le récit des circonſtances de la mort de Clémence, ſi tu ne les ſais pas.

Octavie.

Non ; oblige-moi de me les apprendre, car j’y ai été fort ſenſible.

Tullie.

Tu ſauras que Victor, couſin de Rodolphe, qui eſt un jeune Gentilhomme fort aimable, & qui, il y a quelque temps, avoit conçu beaucoup d’amitié pour Gétulie, étoit toujours auprès d’elle, & lui rendoit des aſſiduités qui devoient être apparemment ſuivies de-quelques faveurs, ſi elle eût été moins fiere. Mais il n’y profita de rien ; & après l’avoir traitée d’ingrate & de cruelle, il rompit avec elle pour jamais. Ne ſachant, après cette rupture, où placer ſes affections, il jetta la vue ſur Clémence, qui étoit mariée à Rodolphe : tu ſais qu’il n’y avoit rien de plus aimable que cette jeune femme. Il lui plut ; mais de l’humeur qu’elle étoit, il n’y avoit pas beaucoup à gagner auprès d’elle. Elle ſouffroit bien d’être aimée, mais il ne falloit pas prétendre d’en venir aux effets ; volebat diligi, nolebat ſubigi. Victor reconnut bientôt le peu d’eſpérance qu’il avoit de réuſſir dans ſon amour ; il ne put néanmoins le modérer, tant il étoit charmé des belles qualités de celle qu’il chériſſoit. Il ſe plaint auprès d’elle, & ſe ſert de toutes les expreſſions les plus tendres pour la rendre ſenſible à ſon mal ; mais c’eſt ſans effet. Si vous m’aimez, lui diſoit-elle, vous ne devez pas ſouhaiter de me faire commettre un crime ; je préfere l’honnêteté à la vie, ſans laquelle elle me deviendroit odieuſe, & n’auroit plus de charmes pour moi. Aimez en moi ce que vous y trouvez d’aimable, j’y conſens de tout mon cœur ; & tant que votre amour ſera raiſonnable je vous chérirai tendrement, En diſant cela, elle lui donnoit des baiſers, ſed oſcula frigida, & qui n’étoient point animés de cette ardeur que la Mere des Amours nous inſpire. Vous voulez donc que je meure lui diſoit Victor, & que je ſois la victime de cette vertu qui vous ſéduit ? J’y conſens ſi vous croyez pouvoir honnêtement faire mourir un homme qui vous aime. Il tomba en effet malade de déplaiſir quelques jours après, & ſon mal s’accrut tellement, que les Médecins déſeſpérerent de ſa vie. Rodolphe étoit au deſéſpoir de perdre un parent ſi accompli, & dans la fleur de ſon âge. Clémence pleuroit, & n’étoit pas moins affligée que ſon mari, parce qu’elle ſavoit qu’elle étoit la cauſe de ſa maladie. Rodolphe voulut qu’elle allât voir Victor, d’autant que, dans la force de ſon mal, on lui avoit entendu appeller Clémence. Elle y alla ; & lorſqu’il la vit près de ſon lit, où il pleuroit, il ſourit. Il fit ſortir enſuite tous ceux qui étoient dans ſa chambre, & pria Clémence de reſter ſeule avec lui. Eh ! de quoi pleurez-vous ; lui dit-elle, pauvre mourant ? Je vous obéis ; vous m’avez condamné à la mort, & voici que je meurs. Ah Dieux ! dit-elle en eſſuyant ſes larmes, que vous êtes cruel de m’affliger encore dans la douleur que j’ai de votre mal ! non, vivez, je vous l’ordonne, ou bien je vous ſuivrai de bien près, moi, dit-elle, que vous appelliez votre vie & votre Amour. Vivez donc, & vous aurez ſujet d’être content de moi. En lui diſant cela, elle lui donna un baiſer, & ce baiſer le tira du tombeau. Il recouvra la ſanté en peu de jours ; & ſitôt qu’il fut ſur pied, alla trouver Clemence : (Rodolphe étoit abſent pour un mois) eh bien, lui dit-il, vous ſavez à quel prix je me ſuis rendu ; où eſt cette vie que vous m’avez promiſe ? car vous m’en avez fait eſpérer une meilleure que celle que je menois auparavant. Clémence tâchoit de l’entretenir d’eſpérance, & ne lui accordoit rien. Quelque temps après, l’Empereur Charles-Quint lui donna le commandement d’une de ſes armées, & lui ordonna de partir au plutôt pour l’Italie. Il alla en donner avis à Clémence ; & malgré toutes les réſiſtances qu’elle apporta à ſon deſſein, il en vint à bout : elle ſuccomba, & lui accorda enfin cette grace pour laquelle il ſoupiroit depuis ſi long-temps. Le combat fut rude ; le choc ſe renouvelle quatre fois, & la nuit ſépare nos Amants. Sitôt que Victor fut parti, Clémence ſe repentit de ce qu’elle avoit fait, elle en eut horreur. Ah ! malheureuſe que je ſuis ! diſoit-elle ; ne m’étois-je conſervée chaſte, que pour m’abandonner comme j’ai fait ? Quoi ! oſerai-je ſeulement regarder le Ciel, après m’être rendue ſi criminelle ? où fuirai-je ? que deviendrai-je ? Ah ! Il n’y a que la mort qui puiſſe me laver d’une telle infamie ! Elle ſe condamna donc, elle paſſa la nuit ſans repoſer ; & ne prit aucune nourriture le lendemain : elle ne faiſoit que pleurer & ſoupirer. Victor la vint voir la veille de ſon départ pour l’Italie ; il fut bien ſurpris de la trouver dans les pleurs & les gémiſſements. Ah ! qu’eſt-ce que je vois ? miſérable que je ſuis ! s’écria-t-il ; quoi ! ne m’avez-vous donné la vie, aimable Clémence, que pour vous l’ôter ? Il voulut en même-temps la baiſer, mais elle le repouſſa rudement. Retirez-vous lui dit-elle ; vous êtes un enchanteur qui m’avez ſéduite : il n’y a point de punition qui puiſſe effacer mon crime, ſi ce n’eſt la mort. Je m’y prépare, oui, il faut mourir. Si vous êtes ſérieuſement dans cette réſolution, dit Victor, vous aurez un compagnon. Eh quoi ! continua-t-il, eſt-ce ainſi que vous abuſiez de ma crédulité, & que vous me tiriez de tombeau pour me faire mourir d’une mort plus cruelle que celle que j’aurois ſoufferte ? Non, non, Clémence, pourſuivit-il, vos manieres me touchent vivement ; & ſi vous ne ceſſez de vous traiter avec tant de rigueur, je vais me percer de ce poignard. Clémence qui le vit prêt à faire ce qu’il diſoit, le retint : Ah ! s’écria-t-elle, qu’allez-vous faire, mon cher Victor ? Je vous aſſure de mon amour & de ma vie, & conſervez la vôtre. Quoi ! voulez-vous me refuſer ? Non, lui dit-il, je vous l’accorde. Je vous demande encore une choſe, dit-elle ; promettez-moi de me l’accorder. Eſt-il quelque choſe, dit-il, que je puiſſe vous refuſer ? parlez. C’eſt, continua-t-elle, que nous nous aimions l’un & l’autre d’un amour fraternel & honnête : ſi vous ne le voulez pas, dit Clémence, vous me condamnez à la mort ; je croirai que ce ne ſera pas moi que vous aimerez mais votre plaiſir. Cela déplut à Victor ; il prit congé d’elle ſans lui marquer ſon déplaiſir, lui recommanda ſa ſanté, & lui dit qu’il lui obéiroit avec exactitude dans ce qu’elle lui demandoit. Elle fut ravie de ſon conſentement, & reprit en peu de temps ſon embonpoint, que le jeûne & le chagrin lui avoient ôté. Son amant fit ſon voyage, & elle ſe reſſentit bientôt de ſon abſence : car rappellant dans ſon eſprit ce qu’elle lui avoit permis, elle ne faiſoit que pleurer & ſoupirer. Elle n’oſoit pourtant s’abandonner entiérement à la douleur, de crainte d’être parjure. Quatre mois après, elle reçut la nouvelle de la mort de Victor, qui avoit été tué à la bataille de Pavie, où le Roi François I fut pris. Ce fut pour lors que ſa conſtance manqua de forces : elle tomba malade de douleur quelque temps après ; elle ne voulut prendre aucun aliment, & ſe laiſſa miſérablement mourir de faim. Rodolphe qui ne la quittoit point dans cette extrémité, & qui fondoit en larmes près de ſon lit, lui demanda un moment avant qu’elle mourut, pourquoi elle paroiſſoit ſi indifférente pour la vie, puiſqu’elle ſavoit qu’elle perdoit un mari qui l’aimoit ſi tendrement ? Ah ! lui dit-elle d’une voix mourante, vous étiez digne d’une femme plus ſage & plus honnête que moi : j’ai violé la foi que je vous avois donnée ; & pour l’expiation d’un tel crime, je me ſuis condamnée moi-même à mourir ; ayez compaſſion de moi, & me pardonnez. En achevant ces paroles, elle expira entre ſes bras. Admire, Octavie, la vertu de cette femme : in culpâ fæminam vides, in pænitentia heroinam.

Octavie.

Tu te moques de moi, Tullie, & tu ne parles pas ſérieuſement, d’appeller vertu une action de déſeſpoir.

Tullie.

Le déſeſpoir n’eſt pas toujours blâmable. Lorſque Caton ſe tua lui-même après avoir perdu toute eſpérance de ſon ſalut & de celui de la République, il n’en fut que plus eſtimé ; ſon action paſſa pour héroïque. Clémence ne voyoit aucune apparence de pouvoir recouvrer ſon honneur qu’elle avoit perdu, elle fait de même. Elle mérite donc d’être louée comme une femme forte & vertueuſe.

Octavie.

Je ne trouve qu’une choſe qui puiſſe l’excuſer, qui eſt la crainte qu’elle pouvoit avoir d’être découverte de ſon mari ; car pour moi, dans une pareille occaſion, je me donnerois mille fois la mort, plutôt que de m’expoſer à la recevoir d’un furieux.

Tullie.

C’eſt bien mon ſentiment ; & j’aimerois mieux périr par mes mains que par celles de mon mari. N’admires-tu point l’inhumanité des hommes, qui nous défendent des plaiſirs auxquels ils s’abandonnent indifféremment ? Ils eſtiment déſhonneur, de pardonner à une femme que les tigres même épargneroient dans leur fureur.

Octavie.

Je crois encore que cette fureur des hommes qui nous traitent avec tant de rigueur, vient beaucoup de la coutume ; parce qu’il y a des pays où non-ſeulement les femmes ſont communes, mais même où un mari donne de l’argent à celui qui couche avec la ſienne la premiere nuit de ſes noces ; ce qui ne pourroit être, ſi la jalouſie y régnoit.

Tullie.

Tu as raiſon, il n’y a que cette coutume qui gouverne tout ; il n’y a rien de juſte ou d’injuſte de ſoi-même, rien de bon ou de mauvais dans les mœurs, l’uſage ſeul qualifie toutes choſes. Si ces vérités étoient connues d’une infinité de ſcrupuleuſes, elles reconnoîtroient bientôt leurs ſottes opinions ; & examinant à la regle d’une droite raiſon, les néceſſités naturelles, elles trouveroient dans la vie bien plus de douceurs qu’elles n’en éprouvent. Pour vivre heureuſes dans ce monde, nous devons ôter toutes les préventions de notre eſprit, en effacer tout ce que la tyrannie d’une mauvaiſe coutume peut y avoir imprimé, & conformer en ſuite notre vie à ce que la nature pure & innocente demande de nous.

Octavie.

Je vous ai bien des obligations, Tullie, puiſque ſans vous je ſerois encore dans l’aveuglement : car l’effort de mes premieres connoiſſances, des mauvaiſes habitudes, & le torrent de la multitude m’auroient ſans doute emportée, ſi les ſolides inſtructions que vous m’avez données ne m’euſſent fait changer de ſentiment, en me faiſant connoître la vérité.

Tullie.

Tu ne te laſſes point à cauſer, & tu ne prends pas garde que voilà tantôt la journée paſſée : remettons nos entretiens à une autre fois ; baiſe-moi avant que de ſortir : adieu, mon cœur.

Octavie.

Ah, Tullie ! je ne me laſſerois jamais dans de ſemblables converſations ; j’y paſſerois les nuits ſans m’ennuyer ; & ce n’eſt qu’avec peine que je me ſépare de toi : baiſe-moi, Tullie.

Tullie.

Ah, que tu es badine ! je crois que tu ne veux point finir.


FIN.