A Venise chez Pierre Arretin [après 1770] (p. Frontisp-16).


Frontispice
L’Académie des dames, 1770, PL-24
L’Académie des dames, 1770, PL-24


L’Académie des dames, 1770, Couverture
L’Académie des dames, 1770, Couverture

Chorier - L’Académie des dames, 1770, Bandeau-01
Chorier - L’Académie des dames, 1770, Bandeau-01

PREMIER

ENTRETIEN

ACADÉMIQUE.


Chorier - L’Académie des dames, 1770, Séparateur-01
Chorier - L’Académie des dames, 1770, Séparateur-01


TULLIE, OCTAVIE.


Tullie.


BOn jour, Octavie.

Octavie.

Votre ſervante, ma Couſine : je ſuis ravie de vous voir ; je penſois tout préſentement à vous.

Tullie.

Je viens, ma très-chere, me réjouir avec toi, de la nouvelle que j’ai appriſe, de ton mariage avec Pamphile : je te jure en amie, que j’y prends autant de part comme ſi j’en devois partager le plaiſir, la premiere nuit de tes noces Ah ! mon enfant, que tu ſeras heureuſe ! car ta beauté te rend digne des plus tendres careſſes d’un mari.

Octavie.

Je vous ſuis fort obligée, ma Couſine, de la part que vous prenez à mes intérêts : je n’attendois rien moins de votre amitié ; & je ſuis ravie que votre viſite nous donne lieu de nous entretenir pleinement ſur ce ſujet. J’appris hier de ma mere, que je n’avois plus que deux jours de terme ; elle a déja fait dreſſer un lit, & préparer dans le plus bel appartement de notre maiſon, une chambre, & toutes les choſes néceſſaires pour cette fête. Mais pour vous dire le vrai, ma chere Tullie, tout cet appareil me donne plus de crainte qu’il ne me cauſe de joie ; & je ne puis pas même concevoir le plaiſir que vous dites que j’en dois recevoir.

Tullie.

Ce n’eſt pas une choſe fort ſurprenante, qu’étant tendre & jeune comme tu es, (car à peine as-tu atteint ta quinzieme année,) tu ignores des choſes qui m’étoient entiérement inconnues, quand je fus mariée, quoique je fuſſe un peu plus âgée que toi. Angélique me diſoit aſſez ſouvent, que je goûterois les plaiſirs du monde les plus délicieux ; mais hélas ! mon ignorance me rendit inſenſible à toutes ſes paroles.

Octavie.

Vous me ſurprenez, Tullie, & j’ai de la peine à croire ce que vous me voulez perſuader de votre ignorance. Penſez-vous que je ne ſache pas que vous avez toujours paſſé pour une fille des plus éclairées de notre ſexe ; que vous vous êtes rendue ſavante dans l’hiſtoire & dans les langues étrangeres ; & que j’ignore que la connoiſſance des choſes les plus cachées de la nature, n’a pu échapper à la vivacité de votre eſprit ?

Tullie.

Il eſt vrai, Octavie, que j’ai une obligation bien particuliere à mes parents, de ce qu’ils m’ont élevée à l’étude de tout ce qu’il y a de plus beau, & de plus curieux à ſavoir ; j’ai tâché auſſi de répondre parfaitement à leur intention : car bien-loin de faire gloire de ma ſcience & de ma beauté, ſelon la coutume de celles de notre ſexe, j’ai évité le faſte & la galanterie comme un écueil dangereux, & ai fait tous mes efforts pour m’acquérir ſeulement la réputation d’une fille ſage & honnête.

Octavie.

Ceux qui ne veulent point nous flatter, diſent qu’il n’y a rien de plus rare qu’une femme ſavante & éclairée, qui ſe conſerve dans les bornes de l’honnêteté. Il ſemble que plus nous recevons de lumieres, moins nous avons de vertus ; & je me ſouviens, Tullie, de vous avoir oui faire des diſcours ſur ce ſujet, qui ne reſſentoient point l’affectation que vous venez de faire paroître en décrivant votre conduite. Car, parlons franchement, ſeroit-il bien poſſible que votre beauté, qui eſt capable toute ſeule d’enflammer les cœurs, ne vous eût point fait naître d’occaſions de divertiſſement, où vous n’avez pu réſiſter ? Non, je ne puis me le perſuader, puiſque votre eſprit même ſuffiroit pour engager ceux qui ſeroient aſſez aveugles pour être inſenſibles aux traits de votre viſage.

Tullie.

Comment, Octavie ! où eſt donc la ſimplicité de tantôt ? Le nom de mariage te faiſoit peur ; & tu parles à préſent d’amour, de beauté & de divertiſſement ! Tu ſais ce que c’eſt que d’engager un cœur, & tu as l’eſprit aſſez vif pour découvrir ce que je voulois te diſſimuler. Je t’avouerai tout, puiſque tu as été aſſez adroite pour pénétrer les ſentiments de mon cœur ; je ne veux plus faire de myſtere avec toi : je te demande ſeulement une ingénuité pareille à la mienne, & que la confidence que tu me donneras dans tes amitiés, ſoit ſincere.

Octavie.

Ah, Tullie ! qu’une fille amoureuſe a de peine à cacher au-dehors ce qui ſe paſſe au-dedans d’elle même ! Vous avez beau déguiſer par vos paroles, je vois dans vos yeux les mouvements de votre ame ; & la ſympathie qui eſt entre ces deux parties, m’en a fait connoître la vérité. Soyez donc une autre fois plus ſincere & plus véritable, & n’abuſez pas de la crédulité d’une jeune fille comme moi. Si vous le demandez, je vous ouvrirai mon cœur comme à ma plus intime ; & afin que vous n’en doutiez pas, je vais vous en donner des preuves, par le récit de ce qui s’eſt paſſé entre Pamphile & moi.

Tullie.

Je t’aime de toute mon ame, ma chere enfant ; & l’aveu que tu me viens de faire avec tant de tendreſſe, m’engage encore à te chérir davantage : commence donc.

Octavie.

Vous ſaurez que Pamphile eſt venu fort ſouvent à ma maiſon ; il m’a rendu pluſieurs viſites. & j’ai toujours remarqué dans ſes actions les véritables mouvements d’un homme dont l’amour s’eſt rendu le maître : mais ſur-tout depuis quelque-temps il commence à être plus hardi avec moi ; & l’aſſurance qu’il a reçue de m’épouſer, lui a ôté toute la crainte qu’il avoit auparavant. Un jour, entre autres, il ſe jetta à mon col avec tant d’impétuoſité, que j’en fus ſurpriſe ; il me baiſa avec tant de chaleur, que j’en fus toute enflammée, & je ne puis concevoir la cauſe de ces mouvements ſi extraordinaires.

Tullie.

Sempronie étoit-elle abſente ? étois-tu ſeule, & ne craignois-tu rien de Pamphile ?

Octavie.

Oui, ma mere étoit ſortie, & je ne ſais pas ſi j’avois ſujet d’appréhender quelque choſe de lui.

Tullie.

Mais quoi, n’a-t-il rien exigé de toi que des baiſers ?

Octavie.

Je ne puis pas dire qu’il en reçût aucun, mais plutôt qu’il les déroba ; il en prit donc pluſieurs, avec bien de la tendreſſe, en lançant amoureuſement ſa langue entre mes levres.

Tullie.

Et quel ſentiment avois-tu pour lors ?

Octavie.

Je vous avouerai que je fus ſaiſie d’une certaine chaleur imprévue, qui me mit toute en feu ; toutes les parties de mon corps en furent animées ; & la couleur qui m’en monta au viſage, ſervit à me débarraſſer de cet importun ; il s’imagina que c’étoit un effet de ma pudeur ; c’eſt pourquoi il me laiſſa un moment de repos, & retira ſa main.

Tullie.

Continue, continue ; que faiſoit-il avec ſa main ?

Octavie.

Ah ! que je ſuis ennemie de ces mains larronneſſes, qui ſont toujours en action ! Elles me donnerent preſque la fievre, tant elles me cauſerent de chaleur. Il les gliſſa d’abord dans mon ſein, où il me ſerra tendrement les tettons ; & en diſant en riant, qu’il en trouvoit un plus dur & plus ferme que l’autre, il me renverſa tout de mon long ſur le petit lit de damas, où nous étions aſſis.

Tullie.

Ah ! tu rougis, petite Couſine ; c’eſt-à-dire que tout y fut fait.

Octavie.

Me retenant donc avec la main gauche, il rendoit tous mes efforts inutiles ; (je dis les choſes comme elles ſe paſſèrent) il gliſſa après ſa main droite ſous mes jupes, & tout auſſi-tôt… ah ! j’ai honte, je n’oſe dire le reſte.

Tullie.

Ah, Dieux ! es-tu encore ſi timide & ſi ſotte, d’avoir honte de dire les choſes par leur nom ? Chaſſe bien loin cette crainte & cette pudeur imaginaire ; il n’y a rien de plus ridicule dans une perſonne qui fait profeſſion d’être ſage : continue donc, & penſe ſeulement qui c’eſt à qui tu parles.

Octavie.

Tout auſſi-tôt il me leva ma chemiſe ſur les genoux, & me mania les cuiſſes en me chatouillant. Ah ! ma Couſine, ſi vous l’aviez vu pour lors, vous l’euſſiez admiré ; il étoit rouge comme du feu, & toutes ſes actions étoient accompagnées de tant de chaleur, que vous en auriez été ſurpriſe.

Tullie.

Que tu étois heureuſe pendant ce badinage, & que ces doux paſſe-temps te faiſoient goûter de plaiſirs !

Octavie.

Ayant donc porté ſa main un peu plus haut, il me ſaiſit cette partie qui nous diſtingue de l’autre ſexe, & dont il me coule chaque mois, depuis un an, une abondance de ſang pendant quelques jours.

Tullie.

Courage, Pamphile, courage ; continuez, vous ne commencez pas mal.

Octavie.

Conſidérez, Tullie, ſa méchanceté ; après pluſieurs maux qu’il me fit en me chatouillant partout, il me dit : Ah, mon cœur ! ah, ma chere Octavie ! c’eſt cette partie qui fera mon bonheur ; ſouffre, mon amour que je… Je penſai m’évanouir à ces paroles : cet endroit, Tullie, a une petite fente rouge & éclatante ; il y mit ſon doigt ; mais le lieu étant trop étroit. J’y reſſentis une vive douleur.

Tullie.

Eh bien, que diſoit-il ?

Octavie.

Au moment que la douleur qu’il me cauſoit avec ſon doigt, me fit pouſſer quelques ſoupirs, il s’écria : Ah, c’eſt une pucelle, c’eſt une vierge que j’aurai en partage ! & auſſi-tôt il m’ouvrit les cuiſſes, que je reſſerrois le plus étroitement que je pouvois, & ſe jetta ſur moi, qui étois toute étendue ſur le lit.

Tullie.

Eh bien, quoi ? tu ne dis mot ; ne mit-il rien que le doigt dans cet endroit dont tu me parles ?

Octavie.

Ah ! je ſentis… mais je n’oſe le dire.

Tullie.

Continue donc ; que tu fais la ſotte ! Ce que tu as ſouffert pour lors, m’eſt arrivé auſſi-bien qu’à toi. Il n’y a rien de plus hardi qu’un mari, que le retardement de la jouiſſance d’un bien qui lui eſt promis, déſeſpere ; il eſt toujours dans l’inquiétude, & ne peut avoir de repos, juſques à ce qu’il ait cueilli, ou plutôt mis en pieces, cette fleur de notre virginité.

Octavie.

Je ſentis pour lors entre mes cuiſſes, je ne ſais quoi de dur & de peſant qui étoit rempli de chaleur : il me le pouſſa dans cette fente avec beaucoup de violence ; mais ramaſſant toutes mes forces, je me jettai ſur le côté, & me débarraſſai de lui par ce moyen, en mettant ma main au devant de cet endroit où il vouloit entrer.

Tullie.

Comment ! tu pus avec la main parer un ſi grand coup, & mettre bas un ſi brave Cavalier ? Tu ne ſeras pas peut-être toujours forte.

Octavie.

Oui, je le pus, ma Couſine. Ah ! méchant, lui diſois-je, qui t’oblige à me faire tant de mal ? Par quel fait ai-je attiré ce mauvais traitement ? Ah ! ſi tu m’aimes, Pamphile !… En diſant cela, je pleurois, & j’étois tellement troublée, que je ne me reconnoiſſois plus, & à peine avois-je le jugement libre.

Tullie.

Pamphile ne put donc te percer de ſa pique, ni ſe rendre maître de la place ?

Octavie.

Non, parce que j’en détournai le coup ; mais hélas ! ſi vous ſaviez, Tullie, je me ſentis tout auſſi-tôt arroſée (nue comme j’étois juſques au nombril) comme d’une pluie, que le ſoleil auroit échauffée : j’y portai imprudemment la main ; mais je n’eus pas plutôt touché à cette liqueur, dont la fureur de Pamphile m’avoit mouillée, que l’ayant trouvée épaiſſe & viſqueuſe, j’en conçus je ne ſais quelle horreur.

Tullie.

Ni l’un ni l’autre n’eut donc la victoire ?

Octavie.

Je crois que Pamphile eut l’avantage ; car depuis ce temps-là, il eſt toujours préſent à mon eſprit ; il me ſemble plus aimable & plus agréable qu’il ne m’a jamais paru. Ce trouble & cette inquiétude me marque qu’il a été le vainqueur ; je brûle d’un feu ſecret & caché, dont je ne puis éteindre l’incendie ; je ne ſais ce que je deſire, je ne puis exprimer ce que je ſouhaite : je ſuis ſeulement certaine que de tous les hommes je n’en peux pas aimer un plus tendrement que lui ; il m’eſt uniquement cher, & c’eſt de lui ſeul que j’attends des plaiſirs & des délices, que je ne puis pas encore concevoir : mais, hélas ! le croiras-tu ? je ne laiſſe pas, dans cette ignorance, de les ſouhaiter avec ardeur.

Tullie.

Quelque ſonge agréable ne t’a-t-il point charmée en dormant ? N’as-tu point rêvé que tu jouiſſois des embraſſements de ton amant, & que tu partageois déja avec lui les douceurs que l’Hymen te prépare ?

Octavie.

Il ne faut point que je vous mente, ma Couſine ; j’ai nuit & jour l’image de Pamphile devant les yeux, & cette préſence imaginaire m’a cauſé quelquefois pendant le ſommeil, une volupté incroyable. Mais hélas ! quand j’y réfléchis, c’eſt courir après un fantôme, que de chercher du plaiſir dans l’imagination ; j’aimerois bien mieux avoir recouvré l’occaſion que je perdis par ma ſottiſe, en lui refuſant ce qu’il ſouhaitoit de moi : mais hélas ! il n’y a plus rien à eſpérer de ce côté-là.

Tullie.

Et pourquoi ne peux-tu pas le voir aujourd’hui, ou demain ?

Octavie.

Non, cela ne ſe peut ; en voici la raiſon : vous ſaurez, Tullie, que lorſque Pamphile & moi nous étions enſemble à badiner, à peine avois-je abaiſſé mes jupes, & lui caché ſa chemiſe qui paroiſſoit, que ma mere entra dans la chambre, & nous ſurprit.

Tullie.

Ah ! que je crains pour toi ! car je connois l’humeur de Sempronie.

Octavie.

Elle ne nous dit pourtant rien qui nous pût marquer ſa colere, ni à Pamphile ni à moi ; elle nous demanda ſeulement en riant, de quoi nous nous entretenions, & lequel s’aimoit le plus tendrement de nous deux : car pour celui (continua-t-elle) qui mérite mieux d’être aimé, je n’en doute point, c’eſt vous, Pamphile, & je crois qu’Octavie ne vous le diſputera pas ; je ſouhaite néanmoins que puiſque le mariage vous doit unir avec ma fille, vous ayiez de l’amitié pour elle, & que votre bon naturel tire de vous l’affection qui devroit être un effet de ſon mérite.

Tullie.

Tout cela eſt bien devant ton amant ; mais après qu’il s’en fut allé, ne te dit-elle rien ?

Octavie.

Il ne fut pas plutôt ſorti, qu’elle m’interrogea ſur ce qu’elle avoit vu de l’un & l’autre ; je fis ce que je pus pour m’excuſer ; mais elle m’obligea de lui avouer la vérité. Je me plaignis donc à elle que Pamphile m’avoit preſque oppreſſée par ſa violence ; mais que j’ignorois ce qu’il vouloit, & ce qu’il cherchoit ; que pour moi, ſi j’avois péché, je ne ſavois pas en quoi. Elle me demanda s’il ne m’avoit point violée ; (ce fut ſon terme) je lui dis que non. Sachez, ma fille, continua-t-elle, que dans peu vous devez être l’épouſe de Pamphile : ſi vous étiez aſſez complaiſante pour lui accorder avant ce temps ce qu’il ſouhaite de vous, vous ſeriez après la plus malheureuſe du monde ; car c’eſt choſe certaine qu’il vous abandonneroit : s’il étoit aſſez conſtant pour vous recevoir pour ſa femme, il n’auroit plus pour vous que du mépris. Depuis ce jour, il nous a été impoſſible de nous trouver ſeuls enſemble.

Tullie.

Sempronie avoit raiſon ; car un jeune homme n’a pas plutôt goûté les plaiſirs de l’amour, en jouiſſant des careſſes d’une fille, qu’il en conçoit du dégoût, ſi-tôt qu’il en a reçu la derniere faveur : mais je loue ton ingénuité & la candeur avec laquelle tu m’as fait ce récit ; tu n’y perdras rien, & tu trouveras en moi une naïveté pareille à la tienne. Sempronie me pria hier de t’inſtruire de tous les ſecrets les plus cachés du mariage, de t’apprendre quels doivent être tes comportements à l’égard de Pamphile, & quelles ſont ſes prérogatives & ſes avantages. Il faut, mon cœur, pour cela, que nous couchions enſemble cette nuit ; je te ſervirai de mari, en attendant qu’un autre te faſſe goûter de plus ſolides plaiſirs.

Octavie.

Je le veux de tout mon cœur, ma Couſine. Je ne peux pas mieux employer le temps qui me reſte, qu’à l’étude de la ſcience qui m’eſt en même-temps ſi néceſſaire & ſi inconnue.


Chorier - L’Académie des dames, 1770, Vignette-01
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