L’Abitibi, pays de l’or/Chapitre 8

Les Éditions du Zodiaque (p. 76-83).

Chapitre VIII

VAL D’OR


Une ville que la route a fait surgir au milieu de
la confusion — Un maire bulgare élu
par des Canadiens français

C’est la route qui a fait surgir Val d’Or, presque du soir au matin, la route qui va d’Amos jusque dans la région du lac de Montigny. Ce fut d’abord une voie de colonisation, à travers le canton de Figuery, où se trouvent la coquette paroisse de St-Marc et la très belle ferme, qui mérite d’être tenue pour modèle, du député fédéral du comté d’Abitibi, M. Frank Blais.

Vers la fin de la guerre ou dans les années qui suivirent, la route fut légèrement prolongée. Elle avait fini par atteindre le canton de Lacorne, par se rendre même jusqu’à la mine de la Molydenite Reduction, que M. Paul Ranger, avocat de Montréal, est en train de remettre en exploitation. À l’été de 1934, l’activité des prospecteurs commençait à grandir dans les régions au delà, autour du lac de Montigny ainsi qu’au sud des lacs Malartic et Preissac. Tous réclamaient des chemins qui faciliteraient leurs travaux de découverte et d’exploration.

C’est au cours de l’hiver 1934-35 que la grande poussée fut donnée. Quelques centaines d’hommes, des squatters, dressèrent leurs tentes sur le site actuel de Val d’Or, une mince bande de terre entre les lacs de Montigny et Blouin. Sur les entrefaites, le territoire de la mine Lamaque avait été piqueté et concédé par un ancien ingénieur de la mine Greene-Stabell, ce dernier ayant été, paraît-il, renseigné quant aux affleurements minéralisés de ces parages par un métis algonquin du nom d’Odjik. Cette mine devait ensuite passer, pour peu de temps, au syndicat Read-Authier, et devenir en définitive propriété de Teck-Hughes, la grande entreprise ontarienne. En même temps, une société québécoise, la Canadian Exploration, à laquelle M. Hector Authier n’était pas étranger, commençait des explorations sur la propriété maintenant exploitée par la compagnie Sigma. Dans le voisinage encore de la ville de Val d’Or, la East-West Exploration Company et l’Harricana Gold Mines, deux sociétés de la province de Québec s’installaient aussi. Comme question de fait, le territoire même de la ville de Val d’Or, c’est-à-dire les droits de surface, devait être bientôt concédé à ces deux dernières.

Mais des squatters avaient précédé les concessionnaires, s’étaient installés. La mine Lamaque avait bien commencé d’organiser une ville sur sa propriété mais c’était une ville fermée et les gens que la route nouvelle, déjà bien passable en hiver, faisait affluer de partout n’étaient pas satisfaits des conditions posées par la compagnie, pas disposés en tout cas à payer les prix que celle-ci demandait pour ses terrains. C’est ainsi qu’en marge de la ville actuelle de Bourlamaque, maintenant régulièrement organisée mais dont le progrès semble arrêté, à moins d’un mille de distance, s’est fondée, s’est établie, a grandi la ville de Val d’Or.

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La ville a même grandi avant de s’organiser. Au vrai, la ville existe avec plus de 7 000 habitants ; son organisation, sa mise en ordre sont à peine en voie. À côté, Bourlamaque s’offre avec ses rues bien faites, comme tracées au tire-ligne. Ce sont les habitants qui lui font défaut. Bourlamaque en compte à peine plus d’un millier à l’heure qu’il est.

À l’hiver de 1934-35, Val d’Or avec ses quelques douzaines de tentes paraissait un campement de nomades. En août 1935, le 15 exactement, le village de Val d’Or se constituait selon les prescriptions du code municipal, tenait des élections, se choisissait un maire et six échevins. Comme maire, M. Demetri Charlykof, un Bulgare, qui venait de construire le premier cinéma de l’endroit. Pourtant la population était déjà canadienne-française dans une proportion de 80 ou 90 pour cent. Le propriétaire du cinéma fut choisi. Il faut dire que le Bulgare en question n’a pas mauvaise réputation. C’est même dans son cinéma que, plusieurs mois de suite, jusqu’à la construction d’un commencement d’église, la messe dominicale fut dite.

Au mois de mai de 1937, le lieutenant-gouverneur sanctionnait une loi qui venait d’être votée par la Législature provinciale et qui constitue Val d’Or en municipalité de ville. Val d’Or avait alors une population de plus de 7 000 âmes ; elle en a davantage maintenant car de nouveaux habitants lui surviennent quotidiennement. À tel point que cette ville nouvelle, où tout est encore à faire, en est venue à presque redouter une crise de chômage. Il lui arrivait trop de monde à la fois, trop de marchands, trop d’entrepreneurs, trop d’ouvriers de métiers, trop de manœuvres.

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Il faut dire que tout cela s’est fait, un peu et même beaucoup, dans la confusion, non seulement au milieu d’une confusion locale mais d’une confusion d’ordre provincial, occasionnée par les campagnes électorales qui ont marqué le déclin du régime Taschereau et le court règne du régime Godbout.

L’Harricana Amalgamated Gold Co., entreprise minière, s’était fait concéder des droits sur des terres du domaine public. Elle organisa l’East-West Exploration Company. Toutes deux obtinrent des lettres-patentes qui leur permettaient de dresser le plan d’une ville et de vendre des lots de surface. Le régime Godbout disparut toutefois avant que la ville ne fût incorporée, n’eût obtenu sa charte. Si bien que la vente des lots de surface fut retardée. Il s’ensuivit bien des démêlés entre les compagnies propriétaires et les « squatters » déjà installés. La compagnie ne pouvait d’ailleurs consentir d’abord que des baux sur ses terrains.



Cliché Canadien National
Une route qui s’ouvre.


Cliché Canadien National
La « cathédrale » d’Amos.

Des cabanes en billes et même des maisons en planches avaient cependant été construites un peu partout, selon le gré et la fantaisie de chacun. Ces logements se louaient à prix d’or : n’était-on pas en pays de l’or ? Une cabane en billes, de 20 par 20 pieds, trouvait facilement locataire à 25 $ par mois. C’est-à-dire que le constructeur de la cabane se remboursait, dans l’année, de tous ses frais et même davantage. Le loyer d’un logement un peu plus convenable était à l’avenant. Il faut dire que la situation, après deux ans, n’a pas sensiblement changé, quant au logement, qui constitue encore, dans Val d’Or, un problème à l’état aigu.

Comment d’ailleurs en serait-il autrement, puisque les choses commencent à peine à se tasser ? L’administration temporaire, sous la direction d’un représentant du ministère provincial des Affaires municipales, fait de son mieux mais elle doit tout faire en même temps : édicter des règlements de construction, dresser le rôle d’évaluation, construire des égouts et des conduites d’aqueduc, trouver l’eau potable pour ces mêmes conduites, emprunter pour exécuter les travaux nécessaires, etc.

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Selon les prescriptions de la charte votée au printemps de 1937, à Québec, Val d’Or devait avoir des élections régulières quelques mois plus tard. En attendant, le maire Charlykof et les échevins, tous Canadiens français, sont allés au plus pressé. Leur administration était soumise au contrôle d’un gérant, M. J. P. Laforest, ingénieur civil, désigné par le gouvernement de Québec. M. Gustave Garneau, avocat de Québec, agissait comme secrétaire de la ville, et M. Jean DeSerres, autrefois de Montréal, comme assistant-secrétaire. M. DeSerres a dressé le premier rôle d’évaluation, d’après lequel la valeur de la propriété foncière de Val d’Or s’établissait à un million et demi de dollars environ.

L’administration temporaire a obtenu l’autorisation d’emprunter 400 000 $ pour entreprendre sans délai des travaux d’aqueduc et d’égouts. La charte de la ville impose aussi aux compagnies East-West et Harricana, l’obligation de verser au trésor municipal, une contribution annuelle de 5 000 $, pendant cinq ans. C’est ainsi que d’importants travaux ont été tout de suite entrepris. La ville a maintenant son approvisionnement d’eau potable, ce qui avait d’abord manqué. Les fabricants de boissons gazeuses, nombreux à Val d’Or, n’avaient pas à s’en plaindre. D’autres travaux sont également en marche selon un plan qui prévoit pour Val d’Or une population de 20 000 âmes.

La ville de Val d’Or, née dans l’embarras et la confusion, commence à prendre forme, à s’ordonner convenablement. Même, elle a déjà, comme l’on voit, son plan d’ensemble. Beaucoup de grandes villes n’en sont pas encore là.