Traduction par Mme Hyacinthe de Ferrières.
Pigorau (1, 2, 3.p. 1-12).


TOME III



CHAPITRE I.


Elle regarda autour de la chambre ; les rideaux des fenêtres lui parurent agités. Ce n’est rien, se dit-elle, c’est la force du vent qui pénètre entre les volets. Et courageusement elle s’approcha, en fredonnant un petit air ; elle regarda partout, ne vit rien qui pût l’inquiéter, et appuyant sa main au joint de la croisée, elle s’assura que c’était réellement le vent qui occasionnait le mouvement des rideaux. Un coup-d’œil qu’elle jeta sur le vieux coffre, en revenant vers la cheminée, après cette expérience, ne fut pas sans efficacité pour elle. Elle pensa avec mépris aux craintes sans fondement qu’une imagination peu réglée fait naître, et commença avec une sécurité réelle à se disposer à se coucher. Elle prit son tems sans se presser. Elle ne chercha pas à savoir si elle était la dernière personne levée dans la maison ; elle ne voulut pas entretenir son feu, pensant que ce serait une lâcheté, que de désirer se faire une protection de la lumière, quand elle serait couchée. Il s’éteignit donc insensiblement.

Catherine avait mis près d’une heure à tous ses arrangemens, quand, en parcourant des yeux pour la dernière fois toute sa chambre, elle fut frappée par la vue d’un grand cabinet noir, extrêmement ancien et qu’elle n’avait pas aperçu jusqu’alors, quoiqu’il fût assez en évidence. Les paroles d’Henri, la description de ce coffre d’ébène, qui une première fois avait échappé aux regards, lui reviennent immédiatement à la mémoire. Quoiqu’elle fût bien certaine que dans le fait ce n’était rien, elle trouva cependant quelque chose de singulier et de très-remarquable dans cette coïncidence ; elle prit la lumière et regarda soigneusement de tous côtés, pour reconnaître si cette porte était la seule qu’elle n’eût pas encore aperçue ; elle se croyait destinée à découvrir quelque mystère important, et son imagination lui représentait déjà les événemens les plus extraordinaires.

La curiosité pressait vivement Catherine d’ouvrir ce cabinet et de regarder dans l’intérieur, non qu’elle eût la moindre idée d’y trouver quelque chose de particulier. Mais d’après ce que Henri lui avait dit, cette découverte lui paraissait si singulière, qu’elle se figura ne pouvoir dormir sans l’avoir visité. Elle plaça donc son flambeau sur une chaise, porta une main tremblante sur la clef, essaya de la tourner, trouva une forte résistance ; troublée, mais non découragée, elle tourna la clef de l’autre côté, le pène céda ; mais quelle étrange chose, la porte ne put s’ouvrir ! Émue, respirant à peine, elle s’arrêta un moment. Le vent faisait un bruit affreux, la pluie frappait avec violence contre les vîtres, tout semblait concourir à préparer Catherine à quelqu’effrayante découverte. Se coucher sans avoir ouvert le cabinet devenait pour elle une chose inutile. Elle sentait trop que tant qu’il resterait fermé le sommeil ne pourrait approcher de ses yeux. Elle reprit donc encore la clef, visita toutes les parties de la porte, les toucha, les pressa avec une anxiété extrême ; tout-à-coup cette porte s’ouvrit avec force ! Le cœur de Catherine tressaillit de joie à la vue d’une telle victoire, elle ouvrit le second battant qui était retenu par un ressort d’une construction non moins admirable que celui qui fermait le premier. Au fond du cabinet se trouvait un ancien meuble d’une construction particulière ; il présentait un double rang de petits tiroirs ; quelques-uns étaient plus grands que les autres.

Mais dans le centre du cabinet il y avait une porte fermée et dont la clef se trouvait dans une petite cavité, pratiquée dans le mur.

À cette vue, le cœur de Catherine battit avec force ; elle sentit son courage se ranimer, l’espérance lui fit monter le rouge au visage, la curiosité enflammait ses yeux, ses doigts saisirent avec empressement le bouton d’un tiroir qu’elle tira et qu’elle trouva absolument vide. Avec moins de crainte et même avec courage, elle en ouvrit un second, un troisième, un quatrième également vides. Tous furent ouverts, et il ne se trouva rien dans aucun. Bien instruite de la manière dont on peut cacher un trésor dans de tels meubles, elle examina partout l’épaisseur du bois et chercha, mais sans succès, à découvrir un double fond. La première idée qu’elle avait eue, qu’elle ne trouverait rien d’extraordinaire dans ce cabinet, fit qu’elle ne fut nullement surprise de n’y rien apercevoir ; la porte du milieu restait seule à ouvrir. Après avoir visité tout le reste, c’eût été folie d’en rester là, elle chercha donc à ouvrir cette porte ; elle fut quelque tems sans pouvoir y réussir ; elle rencontrait des difficultés pareilles à celles qu’elle avait eues pour ouvrir la porte extérieure ; elle parvint cependant à les surmonter. Ici ses peines ne furent pas perdues. Cette cavité était pleine ; le premier objet qui fixa les regards avides qu’elle portait sur tout fut un rouleau de papiers placé dans un enfoncement. Il n’avait sûrement été mis là que pour être moins exposé à la vue… Il est impossible d’exprimer ce que Catherine éprouva dans ce moment ; elle se sentit défaillir, ses genoux tremblèrent, son visage se couvrit d’une pâleur mortelle, elle ne porta qu’une main incertaine sur ce précieux papier. Le premier coup-d’œil qu’elle jeta dessus lui fit voir qu’il était écrit à la main. Ce fut avec un sentiment de crainte qu’elle compara ce qui lui arrivait avec ce que Henri lui avait dit le matin. Cependant elle prit la résolution de lire cet écrit.

Elle observa avec inquiétude que sa chandelle était considérablement diminuée ; elle pouvait cependant durer encore quelques heures ; ainsi elle ne devait pas craindre d’en manquer. Cette écriture devait sûrement être très-ancienne, très-difficile à lire, aussi, pour voir plus clair, elle moucha sa chandelle ; mais hélas ! la moucher ce fut l’éteindre, et jamais lampe ne s’éteignit en produisant un aussi terrible effet ; la terreur tint pendant quelque tems Catherine dans l’immobilité la plus complète. Tout était fini, il ne restait pas à la mèche la plus légère étincelle capable de donner l’espoir de la rallumer, l’obscurité la plus profonde régnait dans la chambre ; un violent coup de vent s’élève avec furie, et ajoute une nouvelle horreur à celle du moment. Catherine était tremblante de la tête aux pieds. Un instant de calme succédant, il lui sembla entendre un bruit semblable à celui des pas d’un homme ; ensuite celui d’une porte fermée dans l’éloignement. La nature n’en pût supporter davantage. Une sueur froide couvrit son front, le manuscrit tomba de ses mains, elle se traîna vers son lit sur lequel elle se jeta avec précipitation, elle mit sa tête sous la couverture, et resta quelque tems dans les angoisses de la terreur. Le sommeil était ce à quoi elle pensait le moins : comment, en effet, pouvoir dormir quand on est agité par une curiosité si naturelle, par des sentimens si forts, si pénibles, si contraires au repos. De plus, l’orage était si effrayant ! Jamais elle n’avait craint le vent. Mais alors chaque bouffée lui paraissait être soufflée par quelqu’intelligence malfaisante ; d’un autre côté revenait l’idée de ce manuscrit si merveilleusement découvert, celle de l’accomplissement de tout ce qui avait été prédit le matin. Quoi de plus extraordinaire ! de plus étonnant ! Que pouvait contenir ce manuscrit ? Par quel hasard était-il demeuré si long-tems inconnu ? Était-elle destinée à le découvrir ? Elle avait beau s’efforcer à se calmer un peu, elle ne pouvait trouver ni repos ni tranquillité ; elle attendait avec la plus vive impatience que les premiers rayons du soleil lui permissent de continuer sa lecture. Que les heures étaient longues et fatigantes ! Elle se retournait dans son lit, enviait le bonheur de ceux qui dorment d’un sommeil tranquille. L’ouragan continuait et occasionnait dans le bâtiment divers bruits encore plus effrayans pour elle que celui du vent. Elle entendait tantôt l’agitation des rideaux de son lit, tantôt le bruit que faisait le verrou de sa porte, comme si quelqu’un cherchait à entrer dans la chambre, tantôt de sourds murmures dans la galerie ; plus d’une fois son sang fut glacé, parce qu’elle croyait entendre des gémissemens.

Cependant les heures se succédaient, l’horloge de l’abbaye avait sonné trois heures, l’orage continuait ; la pauvre Catherine, exténuée par tout ce qu’elle avait éprouvé, s’endormit enfin insensiblement.