L’Abbaye de Fontenay et l’architecture cistercienne/5

Ph. L. B.
88. Entrée de l’Abbaye.

BÂTIMENTS DIVERS


En dehors des bâtiments réguliers, l’abbaye comprenait d’autres constructions, soit à l’intérieur du mur d’enceinte, soit dans le voisinage immédiat. C’étaient les communs et dépendances, les ateliers, les métairies, etc.


LA PORTERIE

À l’est, s’ouvrent la porte cintrée et le passage d’entrée du monastère, surmonté d’un étage reconstruit au xve siècle, en pierres de taille sur l’extérieur, en pans de bois hourdés de maçonnerie sur la partie opposée. C’est le logement du frère portier chargé d’accueillir les hôtes et de distribuer les aumônes aux indigents de passage. Par une étroite meurtrière, percée dans la muraille au-dessus de la porte, il pouvait aisément surveiller les abords. La partie qui regarde l’intérieur de l’abbaye a dû être remaniée au XVIIe siècle : on retrouve les dates 1649,1652, gravées sur le linteau de l’escalier, ainsi que sur les murs du passage.

À droite de l’entrée, la niche du chien de garde, ménagée sous l’escalier, existe encore telle qu’elle fut établie à l’origine de l’abbaye. Par une disposition aussi originale que pratique, le fidèle gardien pouvait exercer sa vigilance, tout à la fois, sur l’entrée du monastère et sur l’hôtellerie réservée aux étrangers, par une ouverture quadrilobée, percée dans le fond de sa niche, prise dans l’épaisseur de la muraille.


LOGIS DES HÔTES

Le long corps de logis affecté aux hôtes qui venaient visiter les religieux, aux pèlerins, aux voyageurs, s’élève sur la droite, à proximité de l’entrée, selon la coutume monastique. Aujourd’hui, il est converti en ferme.


CHAPELLE DES ÉTRANGERS

À gauche de la porterie, se trouve un grand bâtiment du xiiie siècle, appuyé au mur d’enceinte, divisé en deux pièces, et terminé par des pignons aux extrémités. Le pignon méridional était très richement ajouré dans sa partie supérieure par une belle fenêtre à deux baies, surmontée d’une rose à quatre lobes et flanquée de deux autres petites fenêtres en plein cintre : on en reconnaît les restes à l’intérieur. Au rez-de-chaussée, s’ouvrent deux baies géminées. Les murs conservent encore la trace d’une décoration très sobre, dessinant des assises, exécutée à la fresque. C’était probablement la chapelle réservée aux étrangers, où, dès leur arrivée, l’abbé venait leur souhaiter la bienvenue.


LA BOULANGERIE

L’autre extrémité du bâtiment était occupée par la boulangerie, dont le four, adossé au pignon septentrional, est encore utilisé et conserve son ancienne cheminée cylindrique (fig. 90). Au-dessus du mur de refend, qui sépare la chapelle
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entrée de la grande cour


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89. La porterie.
(Côté de l’abbaye.)
de la boulangerie, se dresse une large cheminée parfaitement conservée, portant sur une embase de pierre qui suit la pente de la toiture.


LE COLOMBIER

Entre la boulangerie et l’église, un vaste colombier élève sa tour massive, dont les murs ont plus d’un mètre d’épaisseur. Sa construction paraît remonter au xiiie ou au xive siècle.

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90. La boulangerie.
Rien n’est plus gracieux que de voir les charmants oiseaux s’ébrouer et se désaltérer sur les bords d’une grande vasque voisine, aux eaux débordantes, et comme se plaît à le dire le propriétaire de l’abbaye : « Si la fontaine est moderne, la race des ramiers est celle du temps des moines. » La partie centrale du petit bâtiment annexé au colombier est seule ancienne.


LOGEMENT DES ABBÉS COMMENDATAIRES

Le pavillon situé à l’est du cloître, près du colombier, a dû être construit dans la première moitié du xviiie siècle et servait d’habitation aux abbés commendataires qui ne séjournaient que rarement à Fontenay. Sa construction n’offre pas un intérêt spécial.

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la forge

LA FORGE

De tout temps, les monastères avaient pour principe de se suffire, sans être obligés d’aller chercher au dehors les produits industriels qui pouvaient leur être nécessaires, ainsi que l’ordonnait, dès le vie siècle, la règle de saint Benoît.

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91. Première salle de la forge.

Saint Bernard avait donné aux ateliers de Clairvaux une grande importance et Dom Martène, dans la description qu’il fait de l’abbaye, mentionne les travaux des frères convers et la merveilleuse organisation des tanneries.

À Fontenay, en plus de l’importante exploitation des nombreuses fermes et métairies, confiées aux frères convers, il est certain que la communauté devait pratiquer la plupart des industries indispensables à la construction et aux usages domestiques. Un grand bâtiment, élevé à la fin du xiie siècle et connu de tout temps sous la dénomination de « Forge », permettait à l’abbaye d’ouvrer sur place toutes les pièces de fer qui pouvaient lui être nécessaires et probablement aussi d’en fournir aux communautés voisines. C’était une véritable usine, située en dehors des bâtiments réguliers, sur le bord de la rivière canalisée, dont les eaux faisaient mouvoir des roues hydrauliques actionnant les martinets et la soufflerie des cubilots.

L’édifice, long de 53 mètres, large de 13m50, terminé aux extrémités par deux pignons, est renforcé par une série de contreforts à double étage répartis sur les quatre faces. Il comprend quatre salles séparées par des murs de refend.

92. La forge.
(Au moment de la démolition des bâtiments de la papeterie.)

La première, à l’ouest, est recouverte de quatre voûtes d’ogives, dont les nervures reposent le long des murs sur des culots et retombent en faisceau sur une colonne centrale (fig. 91).

Deux grands arcs communiquaient avec la salle suivante, dont la voûte conique et construite sur arcs d’ogives, aujourd’hui démolie, s’élevait jusqu’au sommet de l’édifice et devait être terminée par un lanternon afin de faciliter la ventilation. Actuellement, un plancher la divise dans sa hauteur, mais nous espérons qu’elle ne tardera pas à reprendre sa forme primitive. C’était la forge proprement dite. On reconnaît en effet, dans la paroi qui longe le canal, les traces des deux fourneaux, dont les larges cheminées traversaient le mur au-dessous de l’arc formeret de la voûte et débouchaient au dehors. Les amorces des hottes sont encore très visibles [1].

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LA FORGE (salle principale).
La troisième salle, qui est la plus vaste, est recouverte de dix voûtes d’ogives (fig. 93). Les nervures, les doubleaux et les formerets en tiers-points, dont les arêtes sont simplement abattues, s’appuient sur des culs-de-lampe, en forme de cône renversé, engagés dans le mur. Ces faisceaux de nervures retombent sur deux colonnes isolées, trapues et couronnées de chapiteaux à feuilles lancéolées ; trois fenêtres en plein cintre sur la rivière et deux sur la paroi opposée, à droite et à gauche d’une porte, distribuent une abondante lumière. Cette salle, aussi bien par la disposition de ses voûtes que par les autres détails de sa construction, offre une similitude complète avec le cellier de Noirlac[2].
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93. Salle pricipale du bâtiment de la forge.

La dernière salle, recouverte de quatre voûtes d’ogives, est éclairée par deux vastes baies du côté sud ; c’est là que, probablement, se trouvait le moulin à farine, dont les roues motrices devaient être renfermées dans une petite construction latérale, portée sur des arches qui existent encore, à cheval sur le cours d’eau. Au-dessus des voûtes de la forge, de vastes pièces servaient de magasin, largement éclairées par de nombreuses fenêtres en plein cintre.


L’abbaye devait encore posséder d’autres dépendances telles que les logements des artisans et des serviteurs, les granges[3], les étables, les écuries, des ateliers de foulons[4], le moulin à huile, la tuilerie, la buanderie, le cellier pour les provisions destinées aux aumônes par le frère portier. Une autre hôtellerie pour les ecclésiastiques s’élevait très probablement, suivant l’usage, à proximité des bâtiments réguliers. De ces constructions secondaires, il ne reste pas de traces. Non loin de l’entrée du monastère, mais en dehors de l’enceinte, se trouvait un édifice à l’usage des ducs de Bourgogne, où ces derniers venaient parfois se livrer au plaisir, de la chasse, « se délasser de leurs affaires et s’édifier à l’exemple des religieux[5] ». La pièce de procédure mentionnée page 60 nous apprend que l’ancien bâtiment appelé grenier des ducs de Bourgogne était, en 1750, en si mauvais état, que la pluie inondait les voûtes tombant de vétusté. Les tuiles durent en être descendues pour être employées à la réparation du couvert de l’église, parce que depuis longtemps on n’en fabriquait plus de cette espèce dans le pays. De la résidence et des granges, on ne saurait trouver de vestiges ; il est même impossible d’indiquer leur emplacement.


Quelques débris de murailles, qui couronnent la hauteur au midi de l’abbaye, sont les seuls restes du château que l’évêque Ebrard s’était fait construire en arrivant à Fontenay. Au-dessous du château, sur le bord de la route, les anciens plans de l’abbaye indiquent une petite chapelle, sous le vocable de saint Laurent, mais dont on ne connaît pas la date de construction.

Le domaine de Fontenay, sans cesse agrandi, était devenu considérable, comprenant des bois, des terres arables, des vergers, des prairies et des cours d’eau arrosant les deux vallées.

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94. Tour du Guet. — Vallée de Fontenay.

Le vallon Saint-Bernard, dans la direction du nord-est, bordé de bois de chênes et de hêtres, aboutit à l’ancien ermitage, berceau de l’abbaye naissante. Ses ruines, à peine reconnaissables, envahies par les lierres et les viornes, se reflètent dans les eaux d’un étang abrité sous les aulnes (fig. 2).

La profonde et riante vallée, qui serpente de l’orient à l’occident, et qui porte le nom de « combe Saint-Laurent », en souvenir de l’ancienne chapelle, donne naissance à la petite rivière de Fontenay qui l’arrose en coulant doucement au milieu des prairies et des bois. Ce cours d’eau alimente deux étangs particulièrement pittoresques, dans un paysage enchanteur : la « Fontaine de l’Orme » et l’étang de « la Roche », non loin duquel s’élève la « tour du guet », construite, dit-on, pour la surveillance de la pêche. En effet, les truites saumonées qui se jouent dans les eaux transparentes du ruisseau de Fontenay, dont la pêche appartenait exclusivement aux moines depuis le xiiie siècle, étaient l’orgueil du couvent. Les rois de France, les ducs de Bourgogne ne dédaignaient pas de se les faire présenter ; Buffon et ses hôtes de Montbard les goûtaient très particulièrement et, aujourd’hui, la truite est toujours le plat d’honneur de la table hospitalière de Fontenay.

La rivière, après avoir pénétré dans l’enceinte de l’abbaye, longe le bâtiment de la Forge, retombe en une grande nappe dans le vaste bassin d’un château d’eau et de là va se perdre dans la Braine, au sud de Montbard.

Enfin, tout auprès de l’entrée du monastère, enfoui dans la verdure, sous l’ombre des frênes et des grands ormes se cache le petit édicule de la modeste, mais si poétique fontaine « ferrée », ainsi dénommée de tout temps, en raison des solides volets qui en ferment l’ouverture. C’est cette source, aux eaux limpides, d’une exceptionnelle pureté qui, depuis l’origine, alimente d’eau potable tous les services de l’abbaye.

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95. Fontaine ferrée.
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ÉTANG DE LA FONTAINE DE L’ORME
  1. Une autre abbaye bourguignonne, celle de Pontigny, exploitait des mines en 1449 et avait une forge en activité (Enlart, Manuel d’Archéologie française, II, p. 220).
  2. Cf. Lefèvre-Pontalis, « l’Abbaye de Noirlac » (Bulletin Monumental, 1901).
  3. Les abbayes cisterciennes possédaient souvent des métairies, des celliers, des granges en dehors du domaine, et qui étaient parfois de véritables colonies agricoles. Une grange dépendant de Fontenay se trouvait à Poiseul-la-Grange, village de la Côte-d’Or. Cf. Henri Chabeuf, Voyage d’un délégué suisse au Chapitre général de Cîteaux en 1667, Dijon, 1885, p. 28.
  4. Un pré, dans la vallée, porte encore le nom de pré « du Foulon ».
  5. Dom Martêne, ouvrage cité, p. 150.