Bonne Presse (p. 27-29).

CHAPITRE III

PENDANT L’ORAGE


Pour donner un aliment de plus à son activité. Roger s’était imaginé de se composer un herbier de toutes les fleurs charmantes des plaines et des Pyrénées.

Cet herbier, fait avec goût et savoir, était déjà très fourni de plantes rares et originales. Il se proposait de les classer ensuite en relatant les lieux où elles croissent, et les saisons de leur apparition sur tel ou tel point, dans une sorte de géographie botanique de la contrée qu’il habitait.

Mme de Peilrac avait été enchantée de cette distraction utile et agréable à la fois : elle permettait à son fils de faire ces longues promenades qui lui redonnaient force et courage. Elle l’y excitait en lui demandant de lui rapporter ces simples, avec lesquels elle préparait différents remèdes, très propres à adoucir les petits malaises de ses gens et des malheureux qu’elle visitait.

— J’ai besoin de sauge pour mes infusions, Roger, et de romarin qui, macéré dans du vin, me donnera un baume aromatique si précieux pour guérir les blessures et les contusions ; j’espère que tu m’en rapporteras.

— Vous pouvez y compter, mère !

Et le jeune homme partait dès l’aube, alors que la campagne est si belle à contempler avec ses fleurs constellées des perles de la nuit, que le soleil n’a pas encore fait dissoudre.

Vêtu selon les saisons d’un costume de toile ou de velours, de longues guêtres emprisonnant ses jambes nerveuses, un béret basque posé sur ses cheveux noirs qu’il portait assez longs, une gaieté en ses yeux et sur sa bouche à la fine moustache, le jeune comte avait fort grand air, quand, la boîte du botaniste au dos, son alpenstock à la main, il partait pour la cueillette, suivi de Topaze, sa belle chienne à la tête vraiment intelligente, dont la robe blanche était semée de taches feu.

Et pendant des heures qui lui semblaient bien courtes, il herborisait avec une patience infatigable, éprouvant une joie sans égale lorsqu’elle était récompensée par la découverte d’une plante rare. Le soir, au retour, il se hâtait de gagner la tour où il pressait ses chères plantes, après les avoir montrées à sa mère qui se réjouissait de le voir joyeux.

Un jour de mai qu’il se trouvait assez loin du domaine, dans une plaine non encore visitée, il fut surpris par un orage d’une violence extrême, comme il en éclate subitement dans ces contrées montagneuses. Les roulements du tonnerre se succédaient sans interruption, et la foudre était tombée plusieurs fois non loin de lui, abattant de beaux arbres qui élevaient leurs puissants rameaux, où s’arrêtaient la brise et les oiseaux, il y avait quelques minutes à peine.

La chienne, affolée, marchait près de son maître, la tête basse, la queue entre les pattes, et c’est en vain que Roger voulait la rassurer ; elle tremblait affreusement à chaque détonation.

Soudain la pluie tomba en larges gouttes, très espacées tout d’abord, mais qui, d’après la grosseur et la noirceur de la nuée, menaçait de continuer, serrée et persistante.

— Il nous faut chercher un abri, ma Topaze, s’écria le comte ; il ne serait pas agréable d’être trempé à fond.

Et, accélérant encore son pas, il gagna une avenue de trembles menant à un joli castel qui s’ombrageait sous de beaux marronniers. Il passa la grille hospitalièrement ouverte, traversa la pelouse étoilée de corbeilles fleuries, et atteignit le perron de l’édifice, quand, le nuage crevant enfin, la pluie tomba avec une intensité extrême. Aussi le coup de marteau que Roger appliqua sur la porte d’entrée s’en ressentit-il, et fut un coup de maître.

Une petite servante, d’une quinzaine d’années, les yeux agrandis par la terreur, sous son mouchoir rouge noué pittoresquement autour de ses cheveux noirs, lui ouvrit d’une main tremblante.

— Je voudrais parler au maître de cette demeure, dit le comte.

— Il n’est pas là, Monsieur, balbutia la fillette.

Un terrible coup de tonnerre la fit se reculer en poussant un cri de frayeur, et le jeune homme en profita pour entrer avec Topaze dans le vestibule, et refermer la porte.

— Ne vous effrayez pas ainsi, mon enfant, vous n’êtes pas en danger ! Vous vous trouvez seule au château ?

— Non, Mademoiselle est au salon ; mais elle a bien peur aussi.

Et la petite bonne se bouchait les oreilles en se dissimulant derrière un immense palmier.

Une jeune fille pâle et blonde, dont la robe rose aux vaporeuses dentelles rehaussait encore la grâce, souleva la portière du hall. Dans ses grands yeux bleus se lisait une terreur aussi profonde que celle qui affolait sa compagne.

Roger courba sa haute taille très respectueusement devant elle, en s’excusant de s’être introduit avec ce sans-gêne.

— Cet orage en est la cause, Mademoiselle.

— Vous êtes le bienvenu aux Trembles, Monsieur, lui répondit-elle d’une voix harmonieuse, et d’autant plus que nous y sommes toutes seules, Étiennette et moi. Et ce tonnerre nous terrifie !

Un fracas épouvantable jeta les jeunes filles sur un canapé, les traits bouleversés, avec cette exclamation :

— Mon Dieu ! ayez pitié de nous !…

La foudre venait encore de zébrer le ciel.

— C’est le coup final, Mademoiselle, fit le comte, l’orage va s’éloigner ; la pluie a dégagé l’air de cette électricité qui vous effraye.

— Ah ! puissiez-vous dire vrai !

En effet, après quelques roulements sourds, tout bruit alarmant cessa ! Seul, celui de l’eau cinglant le toit et les vitres continuait de se faire entendre.

— Entrez au salon, Monsieur, dit la jeune fille.

Elle avait repris toute son assurance, mais sa pâleur décelait encore un certain trouble.

— Je suis très bien dans cette pièce, Mademoiselle, ma toilette n’est vraiment pas présentable !…

Et il jetait un regard embarrassé sur ses vêtements mouillés.

— Vous me voyez bien confus d’avoir été forcé de me présenter ainsi devant vous.

Puis il s’inclina et ajouta :

— Je suis le comte Roger de Peilrac, j’habite avec ma mère le château de ce nom, et je m’en suis éloigné ce matin pour herboriser dans ces parages.

— Je me nomme Marie Horman, répondit-elle avec un sourire ; je réside aux Trembles, près de mon tuteur, M. Kalmas.

La présentation étant faite, les jeunes gens prirent des sièges et causèrent gaiement, l’orage ne surexcitant plus les nerfs de Mlle Horman.

Roger montra les plantes destinées à l’herbier, les nommant à Marie, qui paraissait charmée d’en reconnaître quelques-unes.

Sur un mot dit tout bas par sa maîtresse, la petite femme de chambre était sortie. Elle revint bientôt portant un plateau sur lequel se trouvaient un flacon de vin de Moscatel, deux verres et une coupe de gâteaux.

Et les jeunes gens, avec cet appétit de la vingtième année, firent un goûter délicieux, agrémenté de gais propos et d’éclats de rire. Roger n’avait pas été aussi heureux depuis que la tristesse avait envahi sa demeure. Il regardait Marie, et sentait tout son cœur se prendre à sa douce beauté, à sa grâce charmeuse, son cœur qui n’avait jamais aimé et qui rencontrait enfin cet idéal qu’il désespérait presque de découvrir.

La pluie avait cessé depuis une demi-heure, qu’il était toujours là, dans cette salle hospitalière, aux meubles simples mais charmants, où s’épanouissaient des fleurs, près de cette jeune fille aimable et sans prétention. Elle lui laissait deviner une âme sœur de la sienne dans cette conversation sur la nature amie, qu’elle admirait comme lui. Aussi éprouva-t-il une grande joie quand elle lui dit en entendant un bruit de voiture :

— Voici mon tuteur, je vais pouvoir vous présenter l’un à d’autre.

Il pourrait ainsi la revoir un jour.

M. Kalmas était un beau vieillard aux yeux pleins de bonté, à l’épaisse chevelure aussi blanche que la neige. Il remercia Roger d’avoir rassuré sa pupille.

— Marie est si nerveuse, dit-il, qu’elle aurait pu en être malade.

— Mettez-vous à ma place, bon ami ! fit la jeune fille, avec une petite moue. Vous aviez quitté le logis en compagnie de Vincent ; la cuisinière était allée au village, et nous y restions seules. Et cela n’était pas très rassurant d’entendre ces roulements effrayants du tonnerre, de voir ces éclairs sillonner les nues. La foudre a dû éclater plusieurs fois.

— Je l’ai vue tomber trois fois avant mon arrivée aux Trembles, Mademoiselle, dit le jeune homme.

— Et moi autant du château de mon ami où la pluie me retenait, ajouta M. Kalmas, et bien malgré moi, je vous assure. Je pensais à ton isolement, mon enfant, et je craignais tout de votre affolement, car Étiennette est aussi brave que toi.

Il rit bruyamment, et les jeunes gens l’imitèrent.

— Et je te retrouve, devisant gaiement, en mangeant des petits gâteaux !

— Il fallait bien nous réconforter après notre inquiétude, fit-elle rieuse. Nous allons boire maintenant avec vous à la fuite de l’orage, si vous le voulez, bon ami !

Elle sonna, et la servante apporta un troisième verre. Mario en remplit deux, et versa quelques gouttes de la douce liqueur dans le sien.

Roger s’inclina, plein de courtoisie :

— À votre santé, Monsieur, à celle de Mademoiselle, à la joie de cette rencontre amenée par l’orage !

— À votre prompt retour parmi nous ! répondit M. Kalmas au toast aimable du jeune homme.

— J’espère que nous aurons aussi le plaisir de vous recevoir à Peilrac, Monsieur ?

— Certainement. J’irai présenter Marie à Madame votre mère, dont j’ai souvent entendu vanter l’inépuisable charité. J’ai lu certaines de vos œuvres littéraires, mon cher comte, et je suis heureux aujourd’hui de pouvoir vous serrer la main.

Ils échangèrent de cordiales salutations et se quittèrent avec la promesse de se revoir.

Roger reprit sa route, transporté de joie. En entrant dans le salon du château où sa mère l’attendait, inquiète, il l’embrassa follement, en lui criant d’une voix vibrante :

— J’ai trouvé la compagne rêvée, mère : réjouissez-vous !