L’Abécédaire du petit naturaliste/Devin


Anonyme
Saintin, Libraire-Commissionnaire (p. 6-11).


DEVIN.


Ce serpent, qui parvient communément à la longueur de plus de vingt pieds, est le plus grand et le plus fort de tous les serpens. La nature lui a accordé la beauté, le courage et l’industrie. N’ayant point de venin, il combat avec hardiesse, oppose la force à la force, et ne dompte que par sa puissance. Il y a de quoi frémir, en lisant dans les relations des voyageurs la manière dont l’énorme serpent Devin s’avance au milieu des herbes hautes et des broussailles, semblable à une longue poutre que l’on remuerait avec vitesse. On aperçoit de loin, par le mouvement des plantes qui s’inclinent sous son passage, l’espèce de sillon que tracent les diverses ondulations de son corps : on voit fuir devant lui les troupeaux de gazelles et d’autres animaux dont il fait sa proie. Le seul moyen de se garantir de sa dent meurtrière dans ces solitudes immenses, est de mettre le feu aux herbes déjà à demi brûlées par l’ardeur du soleil ; car le fer ne suffit pas contre ce dangereux ennemi, surtout lorsqu’il est irrité par la faim. En vain voudrait-on lui opposer des fleuves, ou chercher un abri sur des arbres : il nage avec assez de facilité pour traverser des bras de mer, et roule avec promptitude jusqu’aux cimes les plus hautes. Lorsque le Devin aperçoit un ennemi dangereux, ce n’est point avec ses dents qu’il commence le combat ; mais il se précipite avec tant de rapidité sur sa malheureuse victime, l’enveloppe avec tant de contours, et la serre avec tant de force, qu’il rend ses armes inutiles, et la fait bientôt expirer sous ses puissans efforts. Si l’animal immolé est trop considérable pour que le Devin puisse l’avaler, malgré la grande ouverture de sa gueule, et la facilité qu’il a de l’agrandir, il continue de presser sa proie ; et, pour la briser avec plus de facilité, il l’entraîne en se roulant avec elle auprès d’un gros arbre, dont il renferme le tronc dans ses replis, la place entre l’arbre et son corps, les environne l’un et l’autre de ses nœuds vigoureux, et, se servant de la tige noueuse comme d’un levier, il redouble ses efforts, et parvient à comprimer en tout sens le corps de l’animal qu’il a immolé. Après avoir donné à sa proie toute la souplesse qui lui est nécessaire, il continue de la presser pour l’allonger, et pétrit avec sa salive cet amas de chairs ramollies et d’os concassés. Quelquefois il ne peut en engloutir que la moitié : alors la dernière partie reste à découvert jusqu’à ce que la première ait été digérée. Cet animal terrible étouffe même l’éléphant.