Poèmes de Provence ; Les cigalesG. Charpentier (p. 73-74).


L’AÏOLI


Nous ferons l’aïoli ! C’est dit ! Et chacun rêve
De cabanons parmi les pins, près de la grève,
Où, tandis que les uns pêchent quelque poisson,
La ligne en main, tirant trop souvent l’hameçon,
Tandis que moins ardents les autres font un somme,
Le plus connu pour son adresse, le vieil homme
Habile à bien broyer dans le mortier profond
L’ail roux avec quoi l’olive se confond,
Travaille, sans témoin qui le trouble et l’arrête.
Son pilon régulier tourne et, penchant la tête,
D’une main vigilante, il broie, et l’autre main
Verse l’huile qui coule et ressemble en chemin,
Goutte à goutte épandue, à de l’or qui s’égrène.

Voilà ce que nos gars, en piochant dans la plaine,
Rêvent pour les grands jours, car les jours de travail,
Ils mangent simplement leur pain dur frotté d’ail,

Et l’aïoli que l’huile adoucit, verte ou blonde,
Promet tout un festin où le légume abonde.
Où l’on peut voir parfois un bon plat de poissons,
Où s’il a plu, l’on a de beaux colimaçons
Que les enfants s’en vont chercher sous les feuillées,
Dans les fenouils luisants et les sauges mouillées.
C’est pourquoi quand la foudre au lointain fait prévoir
L’eau qui les fait sortir de terre, l’on peut voir
Des paysans, avec d’expressives grimaces,
Se dire : « Eh, eh ! voilà le tambour des limaces ! »