L’Aéroplane fantôme/p1/ch4

Boivin et Cie (p. 36-53).



CHAPITRE IV

LE MENSONGE PLUS VRAI QUE LA VÉRITÉ MÊME


Un mois s’est écoulé. Dans l’usine aérostatique de Billancourt règne un désordre inaccoutumé.

Les aéroplanes en cours de fabrication demeurent abandonnés. Les ajusteurs, tendeurs, carcassiers, ainsi que l’on désigne familièrement les ouvriers chargés d’établir la charpente légère des appareils, ont déserté les ateliers.

Tous s’entretiennent avec de grands gestes. Qu’y a-t-il donc ?

François de l’Étoile quitte l’usine. Où va-t-il ? Nul ne le sait parmi les travailleurs. M. Loisin, lui, ne l’ignore pas sans doute, mais il n’a rien tenté pour retenir l’ingénieur.

Et cependant, il n’existe point de brouille entre eux. Tout à l’heure l’automobile du patron va venir prendre François, que M. Loisin accompagnera jusqu’à la gare Montparnasse. Cela, le mécanicien, prévenu par avance, l’a raconté aux camarades.

François prend le train pour Saint-Malo. Il verra à Saint-Servan, à Dinard, quelques clients de la maison. Jusque-là, c’est compréhensible.

Mais ensuite, où ira-t-il ? À la question, nul n’est en état de répondre.

François n’avait pas jugé à propos d’expliquer que l’avant-veille, il avait reçu une dépêche ainsi conçue :

« Wimbleton.

« Tous détails prêts. Manque seulement enchanteur qui en fera un tout. Êtes attendu impatiemment. Sincèrement.

« Signé : Péterpaul. »


Quarante-huit heures avaient suffi au jeune homme pour mettre ordre à ses affaires, activer l’achèvement des travaux en cours, et le soir même, il allait prendre le train pour Saint-Malo, avec l’intention de consacrer la journée du lendemain aux « clients » malouins de la Société Loisin et Cie, puis de s’embarquer sur l’un des magnifiques paquebots qui font le service de l’embouchure de la Rance à la côte anglaise.

Six heures sonnent. La sirène mugit, annonçant la fermeture des ateliers. Au même instant, sur le quai, une automobile stoppe avec un bourdonnement trépidant.

François sort du bureau où il se trouvait avec M. Loisin et le comptable Tiral. Ceux-ci l’accompagnent. Ils vont dîner avec lui, ne voulant le quitter qu’à la gare.

Et les contremaîtres, les ouvriers s’avancent. Ils serrent cordialement la main de l’ingénieur. On sent que tous l’aiment, que tous ont obéi sans peine à ce jeune homme, en qui ils ont reconnu la science, la volonté, ces qualités qui font le véritable chef. Des phrases passent :

— Bonne chance, monsieur François.

— Et bon retour, car vous nous reviendrez.

Il presse les mains tendues vers lui, avec une émotion contenue, mais que tous discernent clairement.

Bonne chance ! Les deux mots troublent celui qui va là-bas, en Angleterre, réaliser son rêve de savant, d’ingénieur.

L’automobile qui l’emporte à travers Paris, ses compagnons, le restaurant où les trois hommes dînent, tout cela se déroule dans un brouillard.

François agit, parle, écoute automatiquement. Son esprit est absent.

Il volète là-bas, à Wimbleton, autour d’Édith, puis peut-être aussi à Kinbarn, tout au Nord de l’Écosse, dans un vallon sauvage, où se dressent les constructions de l’usine contenant les diverses pièces de l’appareil mystérieux dont il a conçu la création.

C’est là qu’il jouera son bonheur, sa vie peut-être.

Mais l’heure, quelles que soient les pensées des hommes, continue imperturbablement sa course circulaire au cadran des horloges, sur ces disques chronodromes où, sans cesse, les fractions du temps meurent, pour renaître plus tard à un nouveau passage des aiguilles trotteuses.

Loisin et Tiral entraînent l’ingénieur. On lui met en poche le bulletin des bagages que le mécanicien a fait enregistrer. On le conduit sur le quai de départ, on l’installe dans un compartiment.

Et tandis que ses amis lui prodiguent les dernières recommandations, il a une surprise.

Une femme, emmitouflée dans un manteau de voyage, la figure cachée par une épaisse voilette, s’est montrée sur le quai, et elle a disparu dans l’un des compartiments voisins. Une idée traverse le cerveau du jeune homme.

— On dirait l’interprète de la pension Villeneuve, cette Liesel Muller, si bizarre d’aspect et de caractère.

Mais il hausse les épaules. Quelle apparence que cette fille, qui gagne péniblement sa modeste existence, voyage en première classe, par un train rapide.

Au surplus, l’impression s’efface aussitôt. Que lui importe cette employée, à laquelle il n’a pas adressé dix fois la parole, bien qu’il la rencontrât à peu près chaque jour à la pension de famille Villeneuve, où il avait élu domicile.

— En voiture, les voyageurs, en voiture !

Un employé court le long du train, lançant le cri avertisseur du départ tout proche. Les portières claquent, fermées vivement. Loisin et Tiral, qui s’étaient hissés sur le marchepied, sautent sur le quai.

Il était temps. Un coup de sifflet strident résonne, amplifié par les résonnances du hall de la gare. Le train démarre lentement.

— Adieu. Bonne chance.

Les trois mots s’échangent avec une pointe d’émotion. Chaque tour de roue augmente la distance entre ceux qui viennent de se séparer.

Un instant encore, François aperçoit les deux silhouettes immobiles sur le quai. Il comprend que ses amis regardent ce train qui s’éloigne, qui l’emporte vers le triomphe ou le désespoir.

Et puis les formes s’atténuent, se fondent. Une courbe de la voie et elles sont masquées.

L’ingénieur est seul avec sa pensée. Ah ! la pensée, quelle compagne abréviatrice du chemin. Demi somnolent, engourdi par un rêve éveillé, dans un état hybride tenant de la veille et du sommeil, François n’a plus conscience du temps.

Les minutes, les heures, les stations se succèdent, marquant la voie parcourue d’alternance, d’ombre et de lumière.

Les gares passent en traits de feu, leurs intervalles sont des tunnels d’obscurité, où les fanaux des signaux piquent des étoiles rouges, vertes, ou blanches.

Et puis une clarté indécise annonce l’approche du jour. On a dépassé Rennes. Dans une heure, on atteindra Saint-Malo.

Alors une métamorphose se produit chez le voyageur. Ses défaillances, nul ne les doit soupçonner. Celui qui veut commander aux hommes, aux événements, doit être sûr de lui, ou tout au moins le paraître.

Il procède à sa toilette. Ce jour appartient encore aux clients de Loisin et Cie qu’il s’est engagé à visiter au passage. Il faut qu’ils gardent bonne impression de lui.

— Saint-Malo ! Tout le monde descend.

Le train, au milieu du crissement des freins, du tintinnabulement métallique des plaques tournantes, stoppe sous le hall vitré de la gare terminus qui dessert Saint-Malo et Saint-Servan.

François descend. Il n’a avec lui qu’un léger nécessaire de voyage. Ses bagages ont été enregistrés directement pour Wimbleton, Fairtime-Castle.

Il suit le quai, atteint la sortie. Machinalement, le jeune homme regarde en arrière, et il tressaille.

La femme remarquée au départ de Montparnasse, cette femme en qui il a cru reconnaître un instant l’interprète Liesel Muller, est sur le quai, immobile.

Elle attend sans doute que le passage soit libre. Quoi de plus naturel ? Une femme seule évite volontiers les bousculades.

Et puis, qu’est-ce que cela peut faire à François ?

La foule est un peu moins compacte, François peut sortir. Il en profite, joyeux d’échapper à l’obsession de cette silhouette.

Il se jette dans une voiture stationnant dans la cour de la gare.

— Hôtel Chateaubriand, ordonne-t-il. Ma valise déposée, nous aurons à nous promener.

— Tant mieux, riposte l’automédon, la promenade, ça fait bouillir la marmite.

La voiture se met en marche, et de nouveau la pensée du jeune homme est contrainte de se reporter sur la voyageuse mystérieuse.

Elle est là sur le trottoir, discutant d’apparence avec un cocher, et cependant,
Le château de Saint-Malo.
en dépit du voile qui cache ses traits, François a l’impression qu’elle le regarde fixement.

Mais son véhicule franchit les grilles de la cour de la gare, traverse les lignes du tramway reliant Saint-Servan au Sillon, et s’engage dans la large avenue qui, entre les bassins, se dirige vers le Casino et le château de Saint-Malo.

Que fut la journée ? Une succession de courses à Paramé, Saint-Malo, Dinard.

Vers six heures, l’ingénieur, ayant terminé la tournée dont l’avait chargé M. Loisin, regagna l’hôtel. Il allait dîner, puis se rendrait à l’embarcadère des bateaux du service anglais, et l’Empress, steamer à turbines, dernier confort, l’emporterait, à neuf heures, vers la côte britannique.

Comme il traversait, pour rentrer à l’hôtel, la place de Chateaubriand, si pittoresque avec ses plantations d’arbres, dominées par les tours Quiquangrogne et la Générale il eut un brusque mouvement.

Sous le portail de l’hôtel voisin de celui où lui-même avait élu domicile, il venait d’entrevoir la voyageuse qu’un hasard obstiné semblait jeter sans cesse sous ses pas.

Oh ! ce fut rapide comme l’éclair. Cette femme s’engouffra dans le vestibule et disparut. On eût cru qu’elle fuyait.

Ce mouvement, qui répondait à l’idée jaillie de l’esprit du jeune homme : Oh ! je veux lui parler cette fois ; c’est trop de rencontres, à la fin ! le laissa tout interloqué, avec l’impression que l’inconnue avait lu en lui et qu’elle avait voulu se dérober à toute explication. Puis il se gourmanda.

— Quoi d’étonnant que, dans une petite cité comme Saint-Malo, on se rencontre plusieurs fois en une journée. L’anxiété de ce que donneront mes expériences m’affaiblit cérébralement. Quelle apparence que cette personne s’occupe de moi. Que ce soit Liesel Muller ou une autre, elle serait sûrement surprise de savoir l’attention que je lui prête. Ami François, tu deviens tout à fait ridicule.

Sur ce, il s’installa à la terrasse d’un café et, en attendant l’heure du dîner, se fit servir un porto.

Un garçon vint l’informer qu’il pouvait se mettre à table.

Cela lui procura un soulagement. Il sourit même en constatant qu’il avait hâte d’être embarqué sur l’Empress, comme si, une fois à bord, il devait se trouver à l’abri de tout danger.

Il avait choisi une table voisine d’une fenêtre.

Choix malheureux, car auprès d’une fenêtre, on regarde forcément au dehors, et trois personnes traversant la place attirèrent son attention, le rejetant dans le trouble passé.

Dans ces trois personnes, il lui sembla retrouver l’allure de Liesel Muller, et de ces Allemands qui, si inopinément, étaient venus, à Mourmelon, lui proposer une commandite.

Liesel, Von Karch, Margarèthe !

Bizarre ! Bizarre !… Les trois promeneurs marchaient vite, comme des gens en retard. Ils disparurent sous l’arche de la porte Saint-Vincent.

— Ah ! je suis insensé, grommela l’ingénieur. C’est une véritable obsession qui me poursuit. Pourquoi pensé-je à ces personnes qui ont tenu si peu de place dans ma vie ?

Il acheva paisiblement son dîner, dégusta un café, puis, sa dépense réglée, accompagné d’un groom chargé de sa valise, il gagna le quai Saint-Louis, sur lequel se trouve l’embarcadère des bateaux pour Jersey et l’Angleterre.

L’Empress allongeant sa forme élégante au long du quai, ses cheminées laissaient échapper des tourbillons de fumée noire. Tout annonçait son départ prochain.

Le jeune homme monta à bord, se fit indiquer l’une des cabines mises à la disposition des passagers, et alla s’y enfermer, avec l’intention bien arrêtée de dormir pendant le trajet.

À neuf heures exactement, le meuglement de la sirène, la trépidation des arbres de transmission des turbines, le tirèrent un instant de sa somnolence.

Le steamer se mettait en mouvement.

Et puis il se renfonça dans le rêve. La fatigue aidant, il perdit bientôt la conscience des choses pour ne la retrouver qu’à l’arrivée à Southampton où, tout engourdi encore, il passa du bateau dans le railway, qui l’emporta à toute vapeur vers Londres et Wimbleton.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Pourquoi êtes-vous absorbé ainsi ?

— Je songe au travail que je dois assurer, à la responsabilité qui m’incombe vis-à-vis de lord Fairtime, vis-à-vis de vous.

— Oui, peut-être. Mais il y a autre chose.

— Le croyez-vous vraiment ?

— Je croirai ce que vous me direz, François. Comment cela se fait-il ? Je l’ignore. Mais j’ai foi en vous, foi absolue. Affirmez-moi seulement que vous ne regrettez pas d’être mon fiancé.

Les deux jeunes gens se promenaient dans le parc de Fairtime.

Le jeune homme était arrivé au château le matin même ; et, après le déjeuner, Fairtime et ses fils l’avaient laissé seul auprès d’Édith.

La liberté anglaise estime avec raison que des fiancés ont à se confier des pensées intimes et elle leur en accorde la possibilité.

Tout à coup, ils tressaillirent. Une fille de chambre accourait.

— Qu’y a-t-il, Molly ? demanda Édith.

— Milord vous prie de le joindre au parloir, Miss.

— Nous y allons, merci.

Les fiancés revinrent vers l’habitation.

Ils gravirent le perron, traversèrent la terrasse sur laquelle s’ouvraient les portes-fenêtres du parloir.

Mais sur le seuil, ils s’arrêtèrent surpris. Lord Fairtime n’était pas seul.

Assis en face de lui, se tenait un homme de haute taille, blond, rose, sanguin, aux yeux gris très vifs, et cet homme portait la tenue de service des inspecteurs de Scotland Yard.

Un inspecteur de la police ! Que venait-il faire ici ?

Ils n’eurent pas le temps de se consulter. Fairtime s’était dressé en les apercevant, et d’une voix où se mêlaient la colère et l’ironie, il leur cria :

— Avancez donc, François, avancez. Vous ne vous doutez pas de ce que M. Ashley Wood, que je vous présente, me raconte.

Le policier fit un geste comme pour interrompre le lord. Mais celui-ci n’en tint pas compte.

— Il me déclare qu’il vient vous arrêter.

— Moi ? questionna le jeune homme avec un sourire.

— Vous-même. Et pourquoi ? Ah ! cela vous ne le devineriez jamais.

— Alors, dites-le-moi ?

— Comme meurtrier.

— Lui ; c’est odieux.

Édith n’avait pu retenir cette protestation.

— Voilà précisément ce que je disais, appuya le lord. C’est plus qu’odieux, c’est ridicule. Seulement, vous ne l’ignorez pas, en Angleterre, nous avons le respect de nos institutions. La police doit opérer librement, et je vous demande, mon cher François, de répondre bien paisiblement à ce gentleman inspecteur. Il se trompe évidemment, et il sera le premier à vous présenter ses regrets.

Peut-être Édith eût-elle protesté. Dans sa pensée aimante, il lui semblait qu’obliger son fiancé à discuter pareille accusation était lui imposer une honte imméritée. Mais de l’Étoile prit la chose gaiement.

— Vous avez pleinement raison. Nous avons, en France, un vieux proverbe légué par les Gallo-Romains : « Se tromper est humain, persévérer dans son erreur est diabolique », et comme Monsieur n’a rien de diabolique, je suis à son entière disposition.

Ashley Wood s’inclina. Nul ne perçut cette phrase chuchotée pour lui même :

— Décidément, il est très fort.

Lord Fairtime disait d’ailleurs :

— Voilà qui est parfait. Asseyez-vous, François. Vous aussi, Édith ; surtout, petite fille chérie, soyez bien sage. Tout à l’heure, vous rirez avec nous de l’aventure.

La recommandation s’expliquait. Édith considérait le policier avec dépit. Nul doute que si elle avait été la maîtresse du logis, elle l’eût prié de sortir au plus vite. Toutefois, le calme de son père réagit sur elle et elle prit place.

L’inspecteur fixa ses yeux gris sur l’ingénieur.

— Vous êtes bien M. François de l’Étoile, ingénieur aviateur, domicilié à Paris, rue d’Auteuil, dans la pension de famille Villeneuve ?

— En effet.

— Arrivé ce matin de Saint-Malo, par le steamer Empress ? continua le policier sans tenir compte de la réplique.

— Et qui a déjeuné dans cette maison, plaisanta le jeune homme.

— Avec nous, ajouta mutinement Édith prenant son parti de l’événement,

La gaîté se glaça sur ses lèvres. Ashley Wood l’avait couverte d’un regard attristé.

— Pourquoi me considérez-vous ainsi, fit-elle sans en avoir conscience, troublée par le coup d’œil du policier.

Celui-ci hocha lentement la tête.

— Parce que je dois vous prier de vous retirer, Miss.

— Me retirer ?

— La… conversation que je dois continuer ne saurait être tenue devant une jeune personne.

— Hein ? Comment ?

— Que signifie cette charade ?

Fairtime, François, lancèrent ces répliques stupéfaites. Évidemment, le lord n’était pas plus au courant que les fiancés. Le policier se borna à accentuer sa demande.

— Il sera plus en convenabilité que Miss n’assiste pas à la suite de l’entretien.

— Cédez, Édith, conseilla doucement l’ingénieur. Cédez pour ne pas prolonger cette scène ridicule.

Il s’arrêta net. Ashley avait prononcé :

— Il vous sera tenu compte de ce bon mouvement. Il démontre que vous estimez convenablement les faits.

— Pour les estimer, il faudrait les connaître.

— Et vous les ignorez, persifla l’inspecteur. Bon, bon. Vous ne les ignorerez pas longtemps, si Miss veut bien accéder à ma prière.

Sur toutes les physionomies, il y avait maintenant de l’ahurissement.

Le ton du policier, l’assurance dont il faisait preuve, jetaient une inquiétude poignante dans l’esprit des assistants.

Certes, aucun ne croyait François coupable, mais l’erreur policière est connue dans tous les pays. Il n’est pas un citoyen d’une nationalité quelconque qui n’ait tremblé, une fois au moins dans sa vie, à la pensée qu’une erreur de cette nature pourrait s’abattre sur lui.
allez, on vous rappellera tout à l’heure…

Et ce fut avec une anxiété qu’il dissimulait mat que lord Fairtime, sénateur, industriel de premier ordre, répéta, à sa fille :

— Allez, allez, petite enfant bien chère, on vous rappellera tout à l’heure.

Elle se leva d’un mouvement raide, et se dirigea vers la porte.

Demeuré seul en face des deux hommes, l’agent de Scotland-Yard toussa comme pour s’éclaircir la voix et balbutia :

— Très regrettable ! Désolé du devoir pénible. Si j’avais pensé, j’aurais passé la corvée à un autre.

— Eh ! s’exclama le lord avec impatience. Expliquez-vous vite et mettons fin à cette parade stupide. Il n’y a pas de meurtrier ici. Cela va vous apparaître clair comme le jour. Mais, par le diable, expliquez-vous.

Ashley Wood s’inclina.

— Je ferai ainsi que vous le désirez, quoiqu’à vrai dire, j’aimerais mieux me trouver ailleurs que dans cette maison. Seulement, on m’a chargé d’une mission, je la remplirai de mon mieux, en affirmant à lord Fairtime tous mes regrets d’apporter le deuil dans son home.

— Quel deuil ? rugit l’industriel.

— Permettez-moi de continuer l’interrogatoire ; — il se reprit vivement, — non, je veux dire la conversation ;… et croyez que je souhaite de tout mon cœur que ceci reste une conversation.

Fairtime s’exaspérait visiblement.

— Parlerez-vous enfin ?

— Oui, je parle, je parle.

Et, s’adressant à François, qui le considérait avec un étonnement croissant :

— À la pension Villeneuve, vous avez connu, je pense, une demoiselle Liesel Muller.

— Liesel Muller !

Le jeune homme redit ces deux noms d’un ton troublé. Est-ce que l’obsession de la veille allait continuer ? Hier, c’était l’image de la créole qui semblait le poursuivre à chaque étape du voyage ; maintenant, la police anglaise lui jetait son nom aux oreilles.

— L’avez-vous connue ? insista l’inspecteur.

— Sans doute, elle remplissait les fonctions d’interprète. Je n’ai jamais eu recours à son ministère, mais je la savais attachée à la maison.

— Oui, oui, je le pense, sourit narquoisement Ashley Wood.

Il tendit en même temps sa dextre vers lui. Entre le pouce et l’index, il tenait un petit stylet, à la lame bleuâtre, longue de cinq centimètres à peine, à la poignée curieusement incrustée d’ivoire et d’or.

— Ah ! on l’a retrouvé, s’exclama l’ingénieur.

Le policier se dandina d’un air de triomphe.

— Il est donc bien à vous, ce poignard étrange ?

— Parfaitement, je le cherchais depuis une quinzaine de jours, et sa disparition m’inquiétait parce que sa lame a été trempée…

— Dans le suc du Phériud, un arbuste bizarre de la presqu’ile de Malacca, et que du fait de ce poison terrible dont se servent les populations indépendantes, la moindre piqûre déterminerait une sorte de paralysie des fonctions cérébrales.

— Justement. Le malheureux, piqué ainsi, devient une sorte d’idiot.

— Et aucun remède n’existe ?

— Pour ma part, je n’en connais pas.

Une fois encore, il ne continua pas. Le policier avait réintégré le stylet dans sa poche, et il se frottait énergiquement les mains. Avec la joie du limier qui tient la piste, il prononça :

— Tout devient clair. Une personne vous gêne ; on lui inflige une petite piqûre au Phériud. Désormais, elle est annihilée. Elle ne peut plus accuser son meurtrier. Je dis meurtrier, quoique le meurtre soit seulement moral, l’être physique n’a, pour ainsi parler, pas souffert.

Sa voix s’enfla pour continuer :

— Seulement, le crime trouble la cervelle. On oublie son arme auprès de la victime, et Ashley Wood peut en toute certitude vous toucher à l’épaule et vous dire : au nom de la loi, je vous arrête.

Son geste soulignait les paroles. À la fin de la phrase, la main de l’inspecteur frappa lourdement l’épaule de François.

Si brutal était le dénouement que le jeune homme en demeura médusé.

L’instinct de la résistance ne s’éveilla point en lui. Il considérait l’inspecteur de Scotland Yard[1] et son visage exprimait clairement :

— Cet homme est fou.

Ce sentiment apparaissait si nettement que Wood en eut conscience.

— Très fort ! Très fort, grommela-t-il. Mais on va vous démontrer que l’on est plus fort que vous.

Puis, s’adressant à lord Fairtime, bouleversé, aphone, frissonnant.

— Si M. François de l’Étoile consent à me suivre sans résistance, je pourrai éviter tout scandale. J’ai une automobile à cent mètres d’ici. Nous la joignons sans attirer l’attention, ce que je désire vivement, par égard pour l’honorable lord.

— Alors vous l’arrêtez, lui ? bredouilla l’industriel complètement affolé.

— Pardon, pardon, que M. de l’Étoile réponde d’abord à ma question.

— Oh fit douloureusement l’ingénieur. Plus que vous encore, je souhaite que cette incompréhensible aventure ne jette pas une ombre sur la maison où nous sommes. Qu’ai-je à craindre ? Tout s’expliquera bientôt, j’en suis assuré. Donc, l’important pour moi est de ne pas attrister mes hôtes.

— Voilà qui s’appelle parler sagement.

— Mais vous n’arrêterez pas le…

M. Fairtime suspendit sa phrase. Il avait été sur le point de dire « le fiancé de ma fille », et au moment de prononcer ces mots, une timidité soudaine les lui avait fait retenir.

— Pour vous, milord, déclara obséquieusement le policier, je voudrais justifier ma conduite. Écoutez donc en vertu de quelles preuves j’agis. Oh ! mon prisonnier peut entendre. Son affaire est si claire que sa seule ressource gît dans l’indulgence du tribunal ; je ne devrais pas lui apprendre cela ; mais il est votre hôte, et je pense ainsi marquer ma déférence à l’honorable lord.

D’un geste, il invita ses auditeurs à se rasseoir.

Ils obéirent, dominés par la fatalité qu’ils sentaient passer sur eux. François murmura sourdement :

— Mon bonheur m’effrayait. Est-ce la rançon de mes débuts heureux que le destin réclame aujourd’hui ?

Puis un lourd silence dans lequel s’éleva la voix d’Ashley Wood.

— Je ne suis pas juge, toute parole à moi adressée n’a aucune importance. Donc je prie, — il y eut une ironie dans ces mots, — je prie M. de l’Étoile d’observer le silence. Je donne des explications à lord Fairtime chez qui ma profession m’oblige à opérer. Rien de plus.

Et avec la figure d’un homme ravi de cet exorde, il reprit :

— M. de l’Étoile habitait à Paris la pension de famille Villeneuve, Liesel Muller tenait dans cette pension l’emploi d’interprète. Ces jeunes gens se fiancèrent.

François haussa les épaules, murmurant à demi-voix :

— Nous entrons dans le roman.

— Un roman réaliste, en ce cas, persifla Wood. Au surplus, ne m’interrompez pas. C’est, je le répète, avec les magistrats que la discussion présentera quelque intérêt. Je reprends.

Et les yeux au ciel :

— De là, la catastrophe à laquelle, hélas ! vous n’êtes pas étranger.

— Moi ? fit Fairtime en sursautant.

De la main, l’ingénieur l’invita au calme. Lui-même se montrait extraordinairement paisible. Tout ce que narrait Wood était si manifestement contraire à la vérité que le jeune homme, à présent, l’écoutait avec une curiosité exempte d’émotion.

Cependant, Ashley Wood répliquait à lord Fairtime :

— Oui, vous-même. Oh ! bien innocemment. Vous avez rencontré M. de l’Étoile. Vous vous êtes pris de sympathie pour lui. Vous avez voulu semer de sable fin le chemin d’un jeune homme de savoir et de mérite. Quoi de plus louable ? Le malheur voulut que vous eussiez une fille charmante. Je demande pardon de mêler le nom de miss Fairtime à cette affaire. Mais je le dois, car, avec elle, nous entrons dans le drame.

Le narrateur s’arrêta comme pour ménager son effet.

— Tout cela, cher Monsieur, fait le plus grand honneur à votre imagination…

À cette réflexion de François, l’inspecteur tressaillit, se redressa, et d’un ton sec :

— Rira bien qui rira le dernier, comme vous dites en France.

Puis revenant à lord Fairtime, tout en marquant d’un geste dédaigneux que l’inculpé ne lui semblait pas digne de son attention.

— Liesel se révolta à la pensée d’être délaissée par son fiancé. Elle déclara qu’au besoin elle viendrait à vous, pour faire valoir ses droits. Nous voici arrivés au point tragique, honorable lord. Hier soir, M. de l’Étoile s’embarque à Saint-Malo sur le steamer Empress. L’infortunée miss Liesel l’y a précédé. Elle occupe la troisième cabine de tribord. Que se passe-t-il ? Nul ne le sait. Dans ces voyages de nuit, les passagers s’enferment ; l’équipage se tient au poste. À quoi bon demeurer sur le pont quand on n’a rien à faire ? Mais la chose peut être reconstituée aisément.

M. de l’Étoile dans l’ombre se glisse ; il arrive à la troisième cabine de tribord. Il y pénètre sans être vu, sous sa main se trouve le stylet indo-chinois… Le poison ne tue pas. Il réduit à l’impuissance cérébrale. C’est le silence de miss Liesel assuré. Et il pique la victime au cou, près des vertèbres cervicales. Puis il s’enfuit, pensant que personne ne le soupçonnera.

Seulement il oublie l’arme auprès de la victime. S’en aperçoit-il plus tard ? Je ne le sais. Bah ! il songe peut-être qu’il a joué, il y a une quinzaine, la comédie du poignard perdu, à la pension Villeneuve. Qui oserait le soupçonner ?

Et pointant majestueusement l’index vers le plafond, l’inspecteur de police ajouta gravement :

— Comme tous les coupables, il ne songe pas aux salutaires avertissements de la Sainte-Bible : « L’œil du Souverain Maître ne se ferme jamais. Du roi tout-puissant à l’infime ciron, son regard voit et pèse les actions de toutes tes créatures et sa dextre vengeresse poursuit le coupable. »

— Sur quelles preuves échafaudez-vous vos suppositions ? murmura l’ingénieur. Car enfin, pour affirmer qu’un homme sans reproche a commis un crime odieux et lâche, encore faut-il s’appuyer sur une chose vraisemblable.

La face du policier s’épanouit.

— À la bonne heure. Voilà qui est parler droit. Vous désirez connaître les preuves… Trop heureux de vous servir…

Et ses auditeurs le regardant avec stupeur, il enchaîna avec une joie croissante :

— Miss Liesel est née dans le Sud Amérique, aux Antilles… Je ne sais pas au juste ; mais elle est sujette allemande. Tout naturellement, en venant en Angleterre, elle avait réclamé par dépêche les bons offices de M. Greylig, vice-consul de Germanie à Southampton. Ce fonctionnaire se trouva donc à l’arrivée du vapeur Empress. Il s’étonna de ne pas voir sa compatriote au débarcadère. Il s’informa. Elle figurait au rôle des passagers. On chercha et l’on découvrit la malheureuse dans sa cabine, hébétée, murmurant sans cesse d’une voix monotone :

— François, François, non, l’autre ne sera pas votre femme.

— Elle dit cela ? s’écria l’ingénieur avec stupéfaction.

— Elle le dit et elle le répète interminablement. Mais le temps passe et je dois me hâter. Sur elle, on découvrit des cartes indiquant son adresse à Paris. J’étais de service sur le port. Mandé à fin d’enquête, je télégraphiai sans retard à la Sûreté de Paris. Les détectives français firent diligence, perquisitionnèrent à la Pension Villeneuve et mirent la main sur une lettre de l’accusé.

— De moi ? bégaya François.

Cette dernière affirmation avait frappé son cerveau comme un coup de massue.

— Une lettre de moi, répéta-t-il les dents serrées. Comment vous permettez-vous de parler ainsi ?

— Comment ? D’abord, parce qu’elle est signée, datée du mois dernier, timbrée de la poste de Mourmelon-le-Grand.

— Mais je n’ai jamais écrit à cette personne, je n’avais aucune raison pour lui écrire…

— Et cependant, fit ironiquement le policier, mes collègues de Paris prétendent que voici bien votre écriture.

Ce disant, il tirait d’un portefeuille une épreuve photographique reproduisant une lettre.

— Qu’est cela ?

D’une même voix, M. Fairtime et l’ingénieur interrogèrent.


Ce fonctionnaire se trouve à l’arrivée du vapeur.

— Cela. C’est une reproduction téléphotographique. Vous ne saviez pas que Scotland Yard et la préfecture de police de Paris sont reliés par un fil. Là-bas, on a photographié l’épître accusatrice et, grâce à l’appareil en question, on en a transmis le fac-similé à Londres une heure après. En ce moment, du reste, un agent est en route pour nous apporter l’original.

François demeura sans voix.

Ashley Wood lui tendit la lettre.

— Nierez-vous avoir tracé ces lignes reproduites par la photographie ?

Le jeune homme eut un geste de dément. Il reconnaissait son écriture, son paraphe, tout… tout. Et pourtant, jamais il n’avait écrit à Liesel Muller.

Est-ce que cette femme, à peine entrevue au passage dans la vie quotidienne de la Pension Villeneuve, avait voulu le perdre ? Mais non ; il se la rappelait indifférente, absorbée par les devoirs de son humble position. Jamais elle ne s’était occupée de lui. Pas plus que lui-même ne s’intéressait à elle.

Alors quoi ?

Et l’interrogation, sans réponse plausible, restait suspendue sur son esprit, épée de Damoclès morale, le remplissant d’une terreur irraisonnée, déprimante, atroce.

Rien n’accable comme la lutte contre l’incompréhensible.

L’inspecteur Ashley se méprit à son attitude. Il prit pour l’affaissement du meurtrier convaincu de son crime, ce qui n’était que l’épouvante naturelle de l’innocent se débattant vainement au milieu d’une trame inexplicable. Son organe claironna triomphant, saluant de vibrations joyeuses cet « hallali » humain.

— Cette épître ne laisse subsister aucun doute. Elle explique l’état d’âme des deux acteurs en présence.

L’ingénieur s’était rapproché peu à peu. Son visage exprimait l’égarement.

À plusieurs reprises, il passa la main sur son front, comme pour chasser une douleur intolérable. Enfin, d’une voix déchirante, disant l’accablement :

— C’est mon écriture, gémit-il. Pour personne cela ne saurait faire de doute. Et cependant, sur l’honneur, je n’ai pas écrit cela.

Froidement, le policier répondit :

— Mauvais système. Nier des preuves aussi formelles ne vous innocentera pas, et vous perdrez le bénéfice de l’aveu spontané.

— Ah ! rugit le jeune homme ; qui donc a juré ma perte ?…

Wood s’esclaffa.

— Ah ! voilà le roman ; l’ennemi acharné, inconnu…

Mais François coupa la phrase d’un geste si autoritaire, si dominateur, que la raillerie s’arrêta dans la gorge de l’Anglais.

— Cette lettre est un faux, un faux, entendez-vous. Rien n’y est vrai.

Il était venu à lord Fairtime.

— Croyez-moi, je vous en prie, croyez-moi. Les autres qu’importe !… Mais vous, vous au moins…

Le lord paraissait embarrassé. À son maintien, et au léger mouvement de recul qu’il marqua, François comprit le trouble de l’industriel.

— Vous ne me croyez pas ?

— J’espère que vous détruirez tes apparences…

Avec un cri de douleur l’ingénieur s’effondra sur un siège.

— Vous espérez ; donc il vous paraît possible que j’aie écrit cette lettre.

— Vous exagérez, mon pauvre ami…

— Vous savez votre bonté, votre confiance ; vous savez la pureté de miss Édith. Et je vous aurais menti ; je vous aurais trompé ! J’aurais bassement spéculé sur votre aveuglement. Mais alors, je serais un aventurier, un misérable…

Sans doute, Ashley Wood pensa qu’il était de bonne politique de mettre fin à cette scène, évidemment fort ennuyeuse pour le riche Fairtime, car il frappa légèrement l’épaule de François.

— Vous avez promis d’éviter tout scandale.

Le pauvre garçon frissonna.

— C’est vrai.

Alors vous pourriez penser que vos dénégations seront reçues plus utilement par le tribunal.

François ferma les yeux, étendit les bras dans le geste tragique d’un crucifié, et l’organe grelottant sous la poussée d’un sanglot intérieur :

— Vous avez raison.

Il s’inclina devant le lord ; avec une douceur disant plus de désespérance que des cris, il murmura :

— Adieu, monsieur Fairtime. Adieu. Pourquoi n’avez-vous pas eu la parole qui encourage ?

Et sans attendre de réponse, il se tourna vers le policier.

— Monsieur, je suis prêt à vous suivre.

Une exclamation, arrachée à la surprise des trois personnages ponctua la phrase. La porte venait de s’ouvrir, et sur le seuil, Édith se montrait, le visage baigné de larmes, mais un rayonnement dans les yeux.

— Vous demandiez un mot qui encourage, François, fit-elle dans le silence stupéfait. Ce n’est pas assez. À celui qui souffre injustement, il faut la parole de foi, de confiance. Votre fiancée vous l’apporte.

— Édith ! articula sévèrement M. Fairtime.

Mais la gracieuse enfant, si douce, si tendre à l’ordinaire, regarda son père dans les yeux, et il se sentit dominé. Une minute d’agonie lui avait donné la majesté auguste du malheur.

— Pardonnez-moi de vous désobéir, mon père, dit-elle lentement d’une voix bruissant ainsi que la plainte d’un pur cristal. Mais il est ma vie et je sais que je suis sa vie, moi, moi seule ; et je veux lui dire : Accusé, je marcherai avec vous à l’assaut du mensonge.

Son accent se voila, tandis qu’elle achevait douloureuse et vaillante :

— Et si nous succombons, je serai la femme du déporté, celle qui ne doutera jamais de lui.

Et comme François la regardait, éperdu, elle prononça, la tête droite, étalant avec orgueil les larmes ruisselant sur ses joues :

— Allez, maintenant, François. Vous savez que nous serons deux acquittés ou deux flétris.

Instinctivement Ashley Wood obéit à l’ordre. Il entraîna l’ingénieur.

Le policier avait les yeux humides positivement. Il se sentait honteux de cette émotion intempestive dans l’exercice de ses fonctions, mâchonnant entre ses dents :

— C’est à ne pas croire ! Un petit bout de femme qui vous bouleverse comme cela.

Un glissement, le déclic du pêne. La porte se referma sur eux.

Alors Fairtime voulut raisonner la jeune fille, s’efforcer de l’amener à ce qu’il croyait être la juste notion des choses. Mais aux premiers mots, Édith l’interrompit, lui jetant au milieu d’un sanglot :

— Oh ! père, père, tu n’aimes donc plus ton Édith ?

Et l’industriel qui avait ouvert la bouche pour morigéner sa fille sur l’incorrection de son attitude, vis-à-vis d’un homme en butte à la rigueur des lois, sembla complètement dominé par cette explosion de douleur, par cette détresse de l’enfant chérie.

— Mais si, mais si, je t’aime, chère vivante image de ta mère ; ne pleure plus. Là ! Je trouve tout très bien. Je t’en supplie, petite chose aimée, qu’est-ce que tu veux que je fasse ?

Elle l’enlaça éperdument, fit sonner des baisers fous sur ses joues, et câline, tendre, irrésistible :

— Petit père, aime François.




  1. Scotland Yard, voie de Londres où se trouvent les services de la police.