L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo/Sonnet de l’abbé Frugoni
L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo, Texte établi par Guillaume Apollinaire, Bibliothèque des curieux, collection Les Maîtres de l’amour, (p. 218-219).
SONNET DE L’ABBÉ FRUGONI
Qui a bouleversé ce lit parjure,
Perfide, et emmêlé ces blonds cheveux ?
Qui, sur la poitrine d’ivoire, a imprimé
Ces marques, et sur ces insidieuses lèvres ?
Amour, toi qui sais toutes les choses cachées,
Admire son audace et de quel front assuré
Elle nie sa faute, qui n’est celle ni à toi, Dieu,
Ni à moi, qui devance tes vengeresses colères.
Écoute sa voix, à mentir adroite et prompte ;
Et pourtant de son forfait, languissants, abattus,
Témoignent ces yeux dont je fus transpercé.
Découvre l’indigne, Amour, regarde
Ces draps blancs où elle gît et son vêtement nocturne
Encore teints et souillés de son délit.
(TRADUCTION DE L’AUTEUR)
Qui est l’homme qui a bouleversé ce lit,
Bougresse, et qui t’a défrisé les cheveux ?
Qui est l’homme qui t’a sucé les bouts des seins
Et mordillé tes maudites lèvres ?
Amour, toi qui as vu, claire et nette
Encore bien qu’aveugle, toute l’affaire,
Observe de quel front de putain
Elle nie d’avoir cuisiné ce potage.
Écoute avec quel aplomb elle s’excuse,
Et cependant, sous ses yeux, ces plaques noires
Montrent bien ce qu’elle a fait, la vaurienne.
Découvre le lit, regarde cette fente,
Vois les draps, comme ils sont pleins de taches ;
Et je ne puis dire que tu l’as eu en moniche ?