L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo/Aux députés pour qu’ils donnent une régate

Traduction par Guillaume Apollinaire d’après la traduction d’Alcide Bonneau de Raccolta universale delle opere di Giorgio Baffo, éd. 1789.
L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo, Texte établi par Guillaume ApollinaireBibliothèque des curieux, collection Les Maîtres de l’amour (p. 94-96).

AUX DÉPUTÉS POUR QU’ILS DONNENT UNE RÉGATE

Canzone

J’entends dire qu’on ne donnera pas
De régate dans ce pays,
En ce moment où y séjournent
Plus d’un Prince et plus d’un Marquis.

En ce moment qu’il y a un Duc,
Qui ne mène pas une vie retirée,
Que l’on dise : « Non, non !
« Ils n’ont pas donné de régate ! »

Après qu’on a tant dépensé
En festins et repas somptueux,
Alors que n’importe où
Peuvent se voir de ces galas,

Et le spectacle merveilleux
Que l’on ne peut voir qu’à Venise,

Ce qui la rend partout fameuse
Et fait que tout Prince l’apprécie,

Celui-là on ne le donnera pas,
Lors d’une si belle occasion !
Qu’il s’agisse ici de compter,
Me déplaît fort cette raison.

À haute voix, des parents
De ces quatre députés,
S’ils ne veulent pas équiper des gondoles,
Qu’on dise qu’ils sont ruinés,

Ou que peut-être bonne amitié
Ne règne pas du tout entre eux ;
Qu’on dise que c’est avarice
Ou pour mieux dire pouillerie ;

Je ne voudrais, pour tout l’or du monde,
Que ces bruits vinssent à courir,
Parce que sûrement ces seigneurs
Y perdraient leur réputation.

Je conseille à ceux qui ont l’honneur
De servir près de ce grand Duc,
De laisser les autres errer,
Mais ne pas faire parler d’eux,

Parce que le monde, si je ne me trompe,
Dira que c’est un prétexte
Pour se retirer de la danse
Et n’avoir pas à jouer leur reste.

Qu’on fasse voir qu’on a fait
Tout ce que l’on pouvait faire ;

Si les autres n’y sont pas,
La tête ne leur fera pas mal.

La régate est une chose
Assez belle, de sa nature ;
Il faut toujours mieux en faire une
Que la laisser dans la ruelle ;

D’autant plus lorsque l’on voit
Que ce Duc en a envie ;
Qu’il reste ici dans cet espoir,
Qui seul l’empêche de s’ennuyer.

Si on a donné, sur la Piazza,
Cette course de taureaux
Pour amuser la populace,
Pour lui ne donnera-t-on pas l’autre ?

Celle-ci, il peut parcourir,
Comme je l’ai dit, tout l’univers,
Mais jamais ne pourra trouver
Divertissement plus agréable.

Du meilleur de mon cœur
Je dis à chaque député :
À ce général Duc
Faites voir la régate.