La Tentation de l’homme/L’Œuvre consolatrice

La Tentation de l’hommeSociété du Mercure de France (p. 111-112).


L’ŒUVRE CONSOLATRICE


 
Qu’importe à ce vivant que je suis, et qui passe
Sous la stupidité lumineuse du ciel,
Le muet flamboiement des torches de l’espace
       Et la marche que rien ne lasse
D’un monde indifférent qu’on nous dit éternel ?

Qu’importe au créateur d’un univers qu’anime
Cette fixé splendeur dont le rythme est la voix,
L’incessant mouvement des forces de l’abîme,
       Et, sur cet astre qu’il opprime,
Le retour ordonné des causes et des lois ?

S’il est stoïquement resté le maître austère
De ce divin conseil qui siège sous son front,

Et s’il a, dans son âme où tombent pour se taire
       Les rumeurs vaines de la Terre,
Regardé, par delà les choses qui seront,

La mer des temps roulant les sables de l’histoire,
Et, quand le soleil mort ne sera qu’un tison,
Par delà les destins où sombre sa mémoire,
       Sur le suprême promontoire
Le Temple de son œuvre éclairant l’horizon ?

S’il a, dans la ténèbre où sa pensée essaime,
Forcé d’être un morceau du néant stupéfait,
Et contemplé, montant du profond de lui-même,
       De par sa volonté suprême,
Un rêve éblouissant que nul Dieu n’aurait fait ?