L’épluchette/Abstinence

Gérard Machelosse (p. 119-121).


Abstinence

Michel s’était marié

Aux premiers jours de janvier.
Quand vint le carême,
Il était encor même
En pleine lune de miel
Au firmament terrestriel.
Un jour il vient en ville.
Réintégrant son domicile
Son épouse lui dit :
Cet après-midi
J’eus la visite
De Marguerite ;
V’là que son mari
Par esprit
De pénitence
Va faire abstinence :
Se privera
De tabac.
Plus de pipe
Pour Philippe,
Durant ce temps !
Or, m’sieu Deschamps,
Comme tu ne fumes

Ni ne consume
De vilain tabac,

Dis-moi donc, là,
Ce que tu vas faire ?
Car tu n’peux te soustraire
À l’obligation
De privation.
Michel pencha la tête
Et dit : — Ça m’embête !
Je m’priverais bien,
Mais d’quoi ? J’vois rien.
La petite femme
Dans les yeux une flamme
Soupira :
— Eh bien, on s’privera
(Ça m’fait de la peine)
Pour une quarantaine
De s’embrasser !
Non, pas l’plus p’tit baiser !
— Hein ? répète…
Tu perds la tête !
Fit Michel dès le moment,
Surpris douloureusement.
Avec un charmant sourire
Elle s’empressa de dire :
— Mais mon cher Michel,
Quand le ciel
Est en cause
Faut bien faire quéque chose !
Tu ne bois pas,

N’use pas de tabacs…
Alors faut un sacrifice

Qui soit propice
Aux yeux
Du Maître des cieux.
Vois donc Philippe
Sevré de sa pipe !
Michel se rendit
Avec dépit
À cette prière
Qu’il n’aima guère.
Ce point choqua
Michel qui s’appliqua
À la rigoureuse observance
De l’abstinence
Proposée innocemment.
C’était agir méchamment,
En petit maître !
Lise regretta peut-être
Sa proposition.
Son expression
Trahissait sa peine.
Enfin, la même semaine,
Soit, deux jours plus tard,
À Michel elle fit part
Toute heureuse
De la nouvelle joyeuse
Qu’elle venait de recevoir,
Fraîche d’espoir :
— Mon cher Michel, sais-tu ? Philippe

A repris sa pipe !