L’épave mystérieuse/XXIV
CHAPITRE XXIV
Le choléra. — En Crimée.
Les vaisseaux le Vauban, le Mogador et le Caton, avec quatre frégates anglaises, tirèrent les premiers coups de canon à Odessa, dont ils foudroyèrent les batteries, et, les fortifications de port une fois détruites, la flotte russe de la mer Noire se trouva bloquée devant Sébastopol, ayant successivement abandonné tous les forts du littoral entre la Turquie d’Asie et la mer d’Azof.
Le 20 mai 1854, l’escadre alliée jeta l’ancre à Kavarna, auprès du village de Baltchick, à quelques lieues de Varna, où elle fut rejointe le 2 juillet suivant par la deuxième escadre, dite de l’Océan. Cette dernière, nous l’avons vue défiler devant Toulon à la fin de mars, emmenant une partie du corps expéditionnaire, qu’elle déposa à Gallipoli. Dès lors, et jusqu’à la fin de la guerre, un immense va-et-vient s’établit entre la France, l’Algérie, les Dardanelles et la mer Noire. La marine de guerre étant insuffisante, le gouvernement nolisa bientôt les meilleurs bâtiments des Messageries maritimes.
Après avoir passé en revue à Toulon la division Forey, le maréchal Saint-Arnaud s’embarqua lui-même à Marseille, avec son état-major, sur l’aviso le Berthollet. Il s’éloigna au milieu des saluts d’artillerie et des cris, des vivats, des vœux d’une population enthousiaste. Cinq mois plus tard, le Berthollet devait ramener dans ce même port de la Joliette les restes du vainqueur de l’Alma.
Malgré son insalubrité, Gallipoli avait été choisie pour première base des opérations stratégiques, parce que, placée à l’extrémité orientale des Dardanelles, cette ville donnait aux belligérants la clef de Constantinople et d’Andrinople.
Aussitôt débarqué et déjà miné par la fièvre, le maréchal de Saint-Arnaud courut de Constantinople à Gallipoli, de Gallipoli à Varna, de Varna à Bourgas, pour rassembler ses légions et organiser la marche du premier corps d’armée. Enfin, précédant les Anglais, le gros des troupes atteignit Varna, ayant fait le trajet soit directement par mer depuis Gallipoli, soit par Constantinople en franchissant les Balkans.
Cependant, autour de Varna, les camps se formaient ; chaque jour les navires débarquaient hommes et chevaux, et la marine montra dès lors tout ce qu’on pouvait attendre d’elle. Les deux escadres étaient mouillées devant la ville, le vice-amiral Hamelin les commandait en chef avec le vice-amiral Bruat en sous-ordre.
Malgré tout le zèle des commandants, des officiers et des matelots, les moyens de transport furent bien imparfaits pendant cette année 1854, car les bâtiments à vapeur étaient encore en très petit nombre et, pendant que l’on embarquait les hommes sur les premiers, il fallait mettre matériel, chevaux, vivres, etc., sur les voiliers que leurs remorqueurs se trouvaient souvent obligés d’abandonner à cause du mauvais temps.
Tout à coup on apprit que, soit de Gallipoli et par Constantinople, ou de Malte au Pirée, le choléra s’avançait vers cette agglomération d’hommes déjà fatigués au milieu d’un été brûlant. Au camp de Varna d’abord, quelques victimes succombèrent ; les médecins militaires voulurent attribuer leur mort à différentes causes. On comprenait à quel point la terreur inspirée par le fléau en augmentait l’intensité et on espérait enrayer le mal à son début, et puis on redoutait l’effet que produirait en France l’annonce de l’épidémie.
Le 19 juillet, un ordre du jour annonçait que les opérations allaient se porter dans la Dobroudja pour appuyer la reconnaissance d’une division française commandée par le général Espinasse. La Dobroudja, restée tristement célèbre et qu’avaient envahie les Russes, est une contrée marécageuse de la Roumanie qui, au nord de Varna, longe la mer Noire depuis la branche la plus méridionale du Danube. Parmi les troupes du général Espinasse, il y eut bientôt neuf cents malades, et le premier corps d’armée fut littéralement foudroyé. Dans la division Canrobert, deux mille cinq cent soixante huit hommes, dont mille neuf cents cholériques, entrèrent aux ambulances.
Expédiés aux bouches du Danube, quatre navires à vapeur préservèrent cette division d’une ruine complète. Pendant les nombreux voyages que nécessita le terrible fléau, le moral des officiers comme celui des matelots ne faiblit pas un instant. De Kustengé le Pluton ramena à Varna le premier convoi de cholériques. Au moment où d’autres arrivaient à Mangalia pour être transportés sur le Calypso, un ouragan se déchaîna et trente et un malades expirèrent sur la plage, loin de tout secours.
À Varna et dans les environs, les ambulances se trouvèrent bien imparfaites. Rien au départ n’ayant été prévu en cas d’épidémie, tout manqua d’abord, cacolets, infirmiers, remèdes. Et, chose difficile à comprendre, les vivres aussi firent parfois défaut. Tel équipage partagea les siens avec tel bataillon à terre dont le commandant connaissait des officiers embarqués. En tout et pour tous, ce furent des jours terribles que traversèrent les survivants dans ce Varna, appelé un sépulcre par Saint-Arnaud.
À l’instant même où le général Espinasse évacuait le camp de Pallas, le général Canrobert arriva au centre du fléau, consolant ceux qui allaient mourir, se penchant sur leurs lits, relevant le courage des autres, sachant parler à tous cette langue qui vient du cœur, animé de ce patriotisme, de cette admirable abnégation qui, plus tard, en Crimée, devait servir d’exemple aux deux armées, car, pour moi, durant toute cette guerre, rien ne surpasse cette grande et simple figure d’un général en chef résignant le commandement suprême sans phrases, sans récriminations, continuant ensuite à se battre pour son pays, en sous-ordre.
Cependant le choléra gagna les escadres, ou il éclata plus foudroyant et plus terrible qu’à terre : la Ville de Paris perdit cent quarante hommes en quelques jours, le Montebello deux cents, un autre vaisseau quatre cents.
Le seul remède pour les bâtiments infestés, c’était de prendre la haute mer, pour chercher des parages où la brise fraîche balaye l’atmosphère.
L’amiral Hamelin donna donc l’ordre de partir à tous les navires à bord desquels le choléra avait été signalé. Cette mesure eut un plein succès, mais non pas immédiatement, ainsi qu’on peut le supposer.
Le matin même du départ, le signal suivant fut fait au vaisseau-amiral : « À bord du Colosse, entre les officiers morts et les malades, le service n’est plus assuré ; le commandant réclame deux lieutenants de vaisseau ou deux enseignes. »
De plusieurs bâtiments arrivèrent ces réponses de leurs commandants : « Un lieutenant de vaisseau ou bien un enseigne désire embarquer momentanément sur le Colosse, je puis me passer de cet officier. »
Une heure après, une baleinière accostait le Colosse. On amenait l’échelle de tribord, deux officiers sautaient sur le dernier échelon et l’embarcation repartait à toute vitesse, car le navire était consigné à cause de l’épidémie. Cependant deux vieilles connaissances arrivèrent sur le pont, MM. de Langelle, lieutenant de vaisseau du Henri IV, et de Résort, enseigne du Roland ; l’état-major du Colosse attendait ces officiers à la coupée.
Et serrant les mains des nouveaux venus : « Messieurs, leur dit le commandant, je vous remercie, mais je ne suis point surpris en vous trouvant prêts à l’heure du danger.
— Une fière chance pour nous, commandant, d’avoir été choisis entre vingt autres, » répondit Ferdinand, dont l’air heureux et bien portant réjouit les matelots présents.
Pendant le repas suivant, au carré, les arrivants expliquèrent ce qu’ils nommaient leur bonne fortune.
« Vous comprenez, dit Langelle, qu’on nous ait préférés aux autres parce que sur le Henri IV il n’y a pas d’officier malade, et, jusqu’à présent, le Roland est en patente nette. »
Le soir même, les bâtiments contaminés quittaient la rade à la lueur d’un terrible incendie : c’était Varna qui brûlait. On ne sut jamais comment le feu prit dans cette ville déjà si terriblement éprouvée.
Ceux qui ont navigué sur un bateau envahi par le choléra ou la fièvre jaune peuvent seuls s’imaginer l’horreur du fléau dans cet espace resserré ; là tout s’entend et se voit, depuis le premier symptôme alarmant constaté chez un officier ou chez un matelot dont le mal va progressant avec la rapidité de la foudre, jusqu’à l’immersion presque immédiate de celui qui vient de rendre le dernier soupir.
Quand une tempête oblige à fermer les sabords et les hublots de la batterie ou du faux pont, dans lesquels les hamacs sont suspendus durant la nuit, ces endroits gardent une odeur de fièvre et de mort laissée par les hommes subitement atteints. L’hôpital est encombré, on n’y entre guère que pour y mourir ; souvent les médecins succombent des premiers.
Aux survivants il faut un moral, une volonté inouïs, et, si les officiers ne donnaient plus que l’exemple, les matelots s’affoleraient.
Les cholériques du Colosse avaient été déposés à terre et, durant les premières quarante-huit heures passées à la mer, il ne se présenta aucun nouveau symptôme alarmant ; mais le troisième jour, à la visite des médecins, quatre hommes se plaignirent de maux de tête. « Insolation », prononcèrent les docteurs, dont l’un mourut le soir même avec dix matelots. Vingt autres succombèrent sur quarante qui furent atteints le lendemain.
Ensuite, chaque matin, pendant une semaine, au premier déjeuner du carré, il manqua un officier. Langelle fut pris à son tour. Seul Ferdinand ne ressentit jamais le moindre malaise, assurant que l’épidémie diminuait, courant d’un lit à l’autre, remplaçant les malades… On dut bientôt faire le quart à deux officiers avec trois maîtres.
Un soir, le commandant arrive au carré, les traits décomposés ; il y trouve Ferdinand dînant tout seul.
« Encore un d’atteint ? s’écrie le premier.
— Mais pas du choléra, je vous assure, commandant ; Marchand est simplement courbaturé, un peu surmené aussi, et puis le docteur a déclaré Langelle hors de danger, le mal décroît ; dans deux jours, nous les sauverons tous, j’en ai la ferme conviction.
— Oui, mais ceux qui sont morts ? Pensez-vous, Résort, aux lettres que nous aurons à écrire en France, aux familles ? »
Hélas ! oui, Ferdinand songeait à cela, et, s’il affectait une gaieté et une insouciance qu’il ne ressentait nullement, son cœur était déchiré auprès des agonisants et toutes les fois qu’il voyait disparaître un officier ou bien un homme. Accoudés sur la table de ce grand carré désert, le vieux capitaine de vaisseau et le jeune enseigne restèrent un moment les yeux baissés, essuyant furtivement quelques grosses larmes. Et puis chacun retourna à sa rude besogne, car ils se devaient à tout et à tous dans ce bateau presque vide.
« Vous le savez, Résort, disait le lendemain Langelle à son ami, vous ne l’ignorez pas, je n’ai aucune veine. Est-ce que je ne me noie pas à moitié presque toutes les fois que j’embarque ? Au Mexique j’attrape aussi la fièvre jaune. Ici je prends le choléra, et, au lieu d’aider les autres, je deviens un gros embarras. Je trompe encore la mort pour cette fois ; mais elle me cherche, et sans vous elle m’emmenait !… M’avez-vous assez frictionné, secoué, tourmenté même, me forçant à boire sans soif, et puis à tirer la langue lorsque j’étais bien altéré ! Ah ! vous êtes une terrible garde, mais bien excellente aussi, et sans les autres je me réjouirais de vivre encore. Voyons, bien franchement, dites-moi où nous en sommes ?
— Hélas ! Langelle, nous comptons deux cents morts depuis Varna, mais hier, et avant-hier, pas un décès. Les derniers malades atteints sont tous hors de danger, et aucun n’est entré à l’hôpital aujourd’hui. Le docteur pense que nous voici les maîtres du mal. Pauvre vieux docteur ! il est à bout de forces, ressemblant à une momie avec sa peau naturellement brune collée sur ses os. Mais quel moral, quelle santé au fond ! Toujours sur pied, il quitte l’hôpital seulement pour manger quatre ou cinq bouchées de temps en temps.
— Ne lui reste-t-il plus d’aides ? »
Ferdinand secoua la tête. Au nombre de trois, les autres médecins dormaient dans la mer Noire, un boulet aux pieds, avec le commandant en second, deux lieutenants de vaisseau, trois enseignes et, enfin, après les officiers et les matelots, l’aumônier ! Ayant consolé les malades et récité les dernières prières sur les restes de ceux qu’il venait d’aider à mourir, le prêtre s’était couché à son tour, épuisé par ce bon combat ; il reposait aussi dans les eaux glacées de la profonde mer. Mais sa mort parut racheter le reste de l’équipage du Colosse. D’abord l’épidémie diminua d’intensité, bientôt le docteur ne constata plus de nouveaux cas, puis les malades guérirent les uns après les autres.
On était en effet maître du mal ; mais à quel prix ?
Le quinzième jour, le vaisseau put signaler aux autres bâtiments de l’escadre : « Aucun malade à bord. »
Les navires communiquèrent alors les uns avec les autres en échangeant de lugubres nouvelles. Un aviso arrivant de Constantinople vint détourner heureusement le cours des idées.
Cet aviso donnait à tous les bâtiments l’ordre de rallier le gros de l’escadre à Baltchick, parce que l’expédition de Crimée était définitivement arrêtée.
… De nouveau sur le Roland qu’avait épargné le choléra, Ferdinand y fut fêté par ses camarades. Et après avoir complimenté le jeune officier, le commandant ajouta — c’était M. de la Roncière le Noury, alors capitaine de frégate : « Le commandant du Colosse et moi avons demandé la croix pour vous, Résort, et cette croix aura été bien gagnée, je suis heureux de vous le dire.
— Vous êtes trop bon, commandant, et je vous suis bien reconnaissant ; mais véritablement je n’ai absolument rien fait d’extraordinaire, car, l’eussé-je voulu, je ne pouvais ni me sauver du Colosse, ni laisser les cholériques tranquilles, n’est-ce pas ?
— Oui, il paraît que vous les secouiez de la belle façon et le docteur affirme que sans vous beaucoup plus eussent succombé. Et quelle mine vous avez ! Superbe. J’écrirai tout cela à votre père. En avez-vous des nouvelles ?
— Ma mère me transmet par le courrier de ce matin une lettre datée de Kiel, où mon père assure qu’il se porte le mieux du monde ; mais il ajoute que l’absence presque complète de navires à vapeur rendra cette campagne de la Baltique bien difficile à l’escadre commandée par l’amiral Parseval-Deschênes. Les Anglais l’ont compris, et là ils sont plus avancés que nous.
— Oui, répliqua M. de la Roncière, dans la Baltique les Anglais nous ont devancés et leur flotte représente le spécimen des progrès faits jusqu’à présent ; mais ici, Résort, nous prendrons l’avantage et nous le garderons. Avez-vous visité le Napoléon ? Quel admirable vaisseau ! D’un seul coup avec lui, la marine à vapeur vient de faire un pas de géant. Quant au siège de Cronstadt, il est impraticable. La flotte russe ne se hasardera pas à en sortir pour nous livrer bataille, au fond du port elle demeure absolument à l’abri, et l’attaque comme la prise de la ville me paraissent impossibles avec nos moyens actuels.
— Alors, commandant, que faisons-nous dans la Baltique ?
— Nous créons d’abord une diversion utile en occupant un corps d’armée russe. On m’écrit de Paris que le général Baraguey d’Hilliers, à la tête de dix mille hommes, va être jeté sur l’île d’Aland pour s’emparer du fort de Bomarsund de concert avec la flotte combinée. Je ne doute pas du succès de l’entreprise. Mais nous ne pourrons occuper Bomarsund, car nous avons là trop peu de troupes, et une fois pris dans les glaces, nos vaisseaux seraient impuissants à empêcher le ravitaillement de la place.
« Chassés par le froid, l’armée et le gros de la flotte reviendront en Angleterre et en France à la fin de l’automne[1].
— Croyez-vous, commandant, que la guerre sera finie alors.
— Finie, mon ami, non, bien certainement ; à peine commencée, car, suivant moi, on s’illusionne étrangement au sujet de la prise de Sébastopol et de la paix qui suivrait une ou plusieurs victoires. Le maréchal de Saint-Arnaud prend son désir pour la réalité lorsqu’il dit : « J’espère être en Crimée à la fin d’août et avoir terminé la campagne en octobre. »
— On croit le maréchal bien malade ?
— Il l’est plus encore qu’on ne le pense ; mais, grâce à sa puissante énergie, il ira jusqu’à ce qu’il tombe. Notre commandant en chef vient de nous être signalé à bord du Berthollet et ici il prendra passage sur le vaisseau amiral, la Ville de Paris. »
Ce fut à table qu’eut lieu la conversation précédente : le commandant du Roland avait invité le jeune officier à dîner. À la fin du repas, le premier s’écria :
« Allons, Résort, nous avons beaucoup causé, espérons que là-bas nous agirons beaucoup aussi ; je compte sur vous, mon ami, et sur tous à bord pour faire parler du Roland.
— Oui, commandant, on en parlera et on vous suivra ; ici les officiers et les hommes savent bien ce que vaut leur capitaine et qu’il les soutiendra et les guidera. »
En effet, jusqu’à la fin de sa vie le commandant et ensuite amiral de la Roncière le Noury inspira toujours confiance ; pas un chef n’eut la main à la fois aussi ferme et aussi douce et ne sut mieux se servir des qualités de ses officiers en discernant leurs aptitudes.
Le 5 septembre, à Raltchick, avant de lever l’ancre, on avait appris la reddition de Bomarsund. Le 7, les côtes n’étaient plus en vue ; en pleine mer Noire, les flottes alliées naviguaient le cap sur la Crimée. Et quelle flotte ! Le cœur des amiraux devait battre avec fierté lorsqu’ils regardaient derrière eux ces lignes de bâtiments qui marchaient dans un ordre admirable et dont les derniers en files non interrompues se perdaient à l’horizon.
Pour la flotte française :
Quinze vaisseaux de ligne, neuf frégates dont quatre à vapeur, trente-cinq corvettes ou avisos à vapeur, cent dix-sept transports de guerre ou affrétés par la marine.
En tête, le bâtiment amiral, la Ville de Paris, qui portait aussi le maréchal de Saint-Arnaud et son état-major.
Neuf vaisseaux de ligne ottomans.
Pour la flotte anglaise :
Dix vaisseaux de ligne, quinze frégates ou corvettes à vapeur et cent cinquante transports ou navires affrétés à voile et à vapeur.
En avant, le vaisseau amiral avec le vice-amiral Dundas et lord Raglan ; ce dernier commandait en chef l’armée anglaise.
Ne faut-il pas un grand effort d’imagination pour se figurer ces trois cent vingt bâtiments naviguant de conserve ?
Un coup de vent eût pourtant causé des dommages presque irréparables, mais la brise resta au nord-ouest très maniable, fraîchissant seulement à l’atterrissage, qui en fut retardé d’un jour. L’escadre mouilla d’abord à Eupatoria pour laisser aux transports le temps de rallier.
Pendant la nuit, le chef d’état-major de l’armée française et le général Canrobert allèrent sur le Primauguet reconnaître la place que devaient occuper nos escadres.
L’ennemi ne paraissait pas ; silencieuse et déserte, la : plage s’étendait à perte de vue.
Le 14 septembre, Eupatoria se rend sans coup férir et les vaisseaux y laissent le convoi. Ensuite les escadres alliées mouillent devant la petite baie où l’Alma se jette à la mer.
Debout et comme ressuscité, sur la dunette de la Ville de Paris, le maréchal suit les manœuvres et accompagne du regard le débarquement qui s’effectue.
Les détachements de troupes de marine campent déjà sur la falaise du côté sud.
À neuf heures du matin, les troupes arrivent en masses compactes, suivies de près par les forces anglaises.
À midi, le débarquement est terminé et toutes les hauteurs sont occupées, pendant que sur les bâtiments qui longent la côte on continue une canonnade destinée à tromper l’ennemi.
À deux heures, les deux commandants en chef quittent l’escadre et abordent à Old-Fort ; aussitôt montés à cheval, chacun parcourt les rangs. Les cris, les vivats partent de tous côtés, le soleil brille et les pavillons de l’armée alliée sont plantés sur le sol de la Crimée, l’ennemi n’ayant rien tenté pour empêcher le débarquement.
Le 17 septembre, l’armée entière (soixante mille hommes) bivouaque sur la plage dans les environs d’Old-Fort. Des prisonniers affirment que les Russes n’en possèdent pas davantage en Crimée.
La rapidité de la marche peut assurer le succès de l’expédition. Une première victoire sera-t-elle décisive ? Pour la remporter il faut traverser l’Alma, culbuter les forces ennemies, camper sur le plateau, et ensuite, en profitant du désordre causé par la défaite, se remettre en route, livrer sans doute un nouveau combat, et certainement un troisième sous les murs de Sébastopol, attaqué en arrière par l’armée alliée, pendant qu’à l’entrée de la baie nos flottes bombarderont la ville.
… Le maréchal de Saint-Arnaud faisait ce rêve magnifique tandis qu’il ordonnait de lever le bivouac d’Old-Fort. Ses souffrances calmées, se reprenant à l’espérance, il se voyait déjà vainqueur, la capitale de la Crimée rendue et lui-même dans quelques mois ramenant à Paris ses légions victorieuses. Sur cette terre lointaine l’armée tout entière partageait la confiance de son chef ; sûre du succès, elle oubliait les fatigues endurées, Varna, la Dobroudja.
Retardées par leurs alliés, nos troupes ne se mirent en marche que le 19 septembre. Les escadres alors suivirent la côte pour protéger les têtes de colonne le cas échéant. Le terrain était sec et solide, à peine ondulé. On apercevait par instants quelques Cosaques en vedette. On passait près de maisons désertes, de cultures incendiées. Au midi, le petit fleuve Boulganaek presque à sec fut traversé sans peine. La berge gravie par des éclaireurs, ceux-ci signalèrent les tentes de l’armée russe à droite de l’Alma et sur les plateaux de collines escarpées. La nuit allait tomber, et, pour traverser la rivière assez profonde, il fallait attendre au lendemain, trouver des passages guéables aussi. On campa donc où l’on se trouvait, à droite de l’Alma.
Durant la nuit, placées au loin et abritées par un épaulement, les grand’gardes répètent les mots d’ordre ; il fait froid, calme et sombre, la lune est couchée, les étoiles invisibles. Mais les mille feux des bivouacs brillent à terre sur les deux rives du fleuve, et instantanément des centaines de fanaux s’allument en mer, s’agitent sur place, secoués par le ressac.
L’aube paraît, un coup de canon l’annonce à bord de la Ville de Paris ; à ce signal, des roulements de tambour partent de tous côtés. Les clairons sonnent la diane et les trompettes se répondent. Les feux s’éteignent, le camp est sur pied, les tentes pliées, et le premier déjeuner pris. En marche ! À l’assaut ! À la bataille ! À la victoire, dont pas un soldat ne doute.
Cependant là-haut sur le plateau on aperçoit des popes russes qui passent dans les rangs, la croix en tête ; l’atmosphère très calme laisse entendre jusqu’aux paroles d’une hymne religieuse.
L’arme au bras, la division Bosquet attend de huit à dix heures que l’armée anglaise soit prête.
Enfin les colonnes s’ébranlent. Bordant comme un fossé le terrain occupé par les Russes, et coulant de l’est à l’ouest jusqu’à la mer, l’Alma sépare les armées ennemies.
Le plan des alliés consiste à déborder les flancs des forces russes qu’on attaquera de front ensuite. Trois endroits et trois villages paraissent accessibles à gauche du fleuve : près de son embouchure, Almatanack ; plus haut, Bourliouk, et en amont, Tarkantar. À l’est, une haute montagne commande l’espace entre ces deux derniers points. Au bas de cette montagne un profond ravin, sur lequel est jeté un pont de bois : là passe la route de Simféropol à Eupatoria et c’est le point faible aux yeux du prince Menschikoff. Le commandant en chef de l’armée russe a concentré aux alentours ses plus grosses pièces d’artillerie, ses meilleures troupes et aussi sa réserve, mais celle-ci en arrière. Il jugeait l’assaut impossible au-dessus de l’Almatanack, où la grande montagne devient une falaise à pic jusqu’à la mer ; en conséquence, il ne garnit ce plateau que faiblement. Toutes les troupes qu’il ne croyait pas indispensables à la défense de la route d’Eupatoria, le général russe les avait massées devant Tarkantar, un peu à l’est de la grande montagne : devant ce point et pour l’attaque, l’aile gauche de notre armée donnait la main à l’aile droite des Anglais ; au centre marchaient les troupes turques.
Sous les ordres du général Bouat, les premières brigades devaient traverser l’Alma à son embouchure. Mais avec leurs chevaux, cherchant le gué, deux hussards s’enlisèrent et faillirent périr. La brigade s’arrêta, une autre la rejoignit, bientôt suivie d’une division turque. Les généraux firent sonder plusieurs places : de la vase partout. Il fallait donc se décider à remonter la rive gauche du fleuve et peut-être ainsi perdre une heure.
À cet instant, une embarcation vint s’échouer sur le sable ; un officier en descendit pour courir au-devant des généraux et des officiers.
Et, sa casquette en main, le nouveau venu, s’adressant au général Bouat :
« Mon général, dit-il, nous avons exploré cet endroit hier, et reconnu un gué situé il une centaine de mètres. Pour l’indiquer et sur l’ordre de mon commandant, je me mets à votre disposition. Je n’ai pu arriver plus vite, parce qu’il a fallu demander l’autorisation à l’amiral Hamelin.
— Fort bien, monsieur, répondit le général Bouat. Quel est votre commandant, et vous-même comment vous nomme-t-on ?
— M. de la Roncière le Noury commande le Roland, et moi, mon général, je m’appelle Ferdinand de Résort, enseigne de vaisseau.
— Eh bien, monsieur de Résort, vous avez une heureuse physionomie, et nous vous suivrons ; montrez-nous le chemin. »
Ferdinand, la veille à la tombée de la nuit, s’était aussi enlisé dans la vase en essayant de traverser la rivière pour rejoindre son embarcation, qui l’attendait de l’autre côté de l’Alma. Après avoir sondé le terrain en plusieurs endroits, il finit par trouver un gué dont, en rentrant à bord, il parla à son commandant, et ce dernier jugea que ce gué pourrait servir à l’armée.
En effet, là se trouvait le seul passage guéable avant une lieue. Précédées par Ferdinand, les troupes défilèrent lentement, mais en très bon ordre, l’infanterie d’abord, compagnie par compagnie, les chevaux par instants à la nage, et les piétons ayant de l’eau jusqu’à la ceinture ; on dut se résigner à envoyer la grosse artillerie chercher le pont jeté en amont.
Ensuite les troupes s’engagèrent dans un chemin tellement escarpé, que les soldats étaient contraints de s’accrocher aux ronces et les cavaliers aux crinières de leurs chevaux.
Le général Bouat marchait à l’arrière-garde ; s’adressant à Ferdinand, qui, après l’avoir salué, se disposait à rejoindre sa baleinière :
« Je vous remercie, monsieur, lui dit-il, et je vous prie de témoigner toute ma reconnaissance à M. de la Roncière ; mais pensez-vous que celui-ci consentirait à ce que je vous gardasse aujourd’hui ?
— Certainement, mon général ; le commandant, en tout et pour tout, m’a donné liberté de manœuvre, comme nous disons. Seulement je dois renvoyer mes hommes à bord avec l’embarcation.
— Allez, monsieur, et revenez, je vous chargerai d’une mission périlleuse peut-être. »
Les yeux de Ferdinand brillèrent, et, après avoir expédié ses matelots, en rejoignant le général Bouat, il pensait :
« J’ai toujours une chance merveilleuse, c’est à n’y pas croire vraiment ! »
Les troupes défilaient encore en gravissant des sentiers que les chèvres eussent trouvés raides.
« Ah ! monsieur, vous voilà, dit le général s’adressant de nouveau à Ferdinand ; savez-vous monter à cheval ?
— Oui, mon général.
— Fort bien, sautez sur l’un des miens, que tient une ordonnance ; d’abord prenez ce papier, cachez-le, et remontez de ce côté du fleuve jusqu’à ce que vous rencontriez le général Bosquet, auquel vous remettrez ma dépêche ; tâchez aussi de ne pas rencontrer un coup de fusil. Au revoir, monsieur.
— Au revoir, mon général, et merci, » s’écria Ferdinand, qui salua et s’éloigna au trot allongé d’un excellent cheval arabe.
« Pourquoi envoyer cet enseigne au lieu de l’un de vos officiers ? demanda le colonel *** au général Bouat.
— Je peux avoir besoin de tous mes officiers, et puis la plaisante figure de ce jeune homme m’a inspiré l’envie de lui faire gagner quelque chose, s’il n’est pas arrêté par une balle cosaque ; mais je crois aux pressentiments, les miens me disent que l’enseigne n’aura pas une égratignure. Ah ! on parle là-haut. En avant, mes enfants, en avant, les zouaves ! Est-ce que la mitraille fait peur à des Algériens ? En avant, marche, et vive la France ! »
Et les zouaves accomplirent alors cette fameuse escalade dont les détails ont émerveillé les contemporains, et qui permit au général Bouat de prendre ses positions en arrière du plateau quand la feu était déjà vivement engagé sur toute la ligne jusqu’à Tarkantar.
Au grand trot de son cheval, en suivant le fleuve, Ferdinand rencontra bientôt un régiment de chasseurs et en tête un officier d’état-major, auquel il expliqua le but de sa mission.
« Très bien, répliqua l’officier, bonne chance, vous trouverez sûrement la division Bosquet avant le pont de Bourliouk. »
À quelques mètres, la route se trouva de nouveau obstruée par une demi-batterie d’artillerie que son attelage s’épuisait à amener sur une roche presque à pic, seul accès au chemin indiqué pour atteindre la grande montagne, où l’on entendait déjà les feux de mousqueterie. Chercher un autre passage eût perdu un temps précieux.
« Dételez, cria un lieutenant en sautant à bas de sa monture, dételez promptement. »
L’ordre exécuté, l’officier ajouta : « Poussez, épaulez, poussons, il faut arriver, il le faut, mes enfants ; montrons la route à ceux qui nous suivent. »
Le lieutenant donnant l’exemple, lui et ses artilleurs accomplirent cet effort dont les chevaux avaient été incapables. Et un quart d’heure à peine écoulé, la batterie était de nouveau attelée.
« En avant, marche ! cria le lieutenant ; en avant et à l’assaut ! »
Cette batterie et son lieutenant, M. des Essarts, tirèrent les premiers coups de canon contre les Russes.
Ferdinand repartit électrisé. Son cœur battait à la pensée de la bataille engagée. La grande voix du canon ébranla bientôt les environs.
Tout à coup deux balles sifflèrent à raser la casquette du cavalier, et derrière l’un des grands arbres du bord de la route une tête parut pour disparaître presque aussitôt, et un cri aigu fut répété par l’écho.
Instinctivement, avec son revolver, Ferdinand avait ajusté cette tête, un instant visible. Ensuite le cheval s’emporta et ne s’apaisa qu’en vue du pont de Bourliouk.
Un capitaine passait à cheval.
« Une lettre du général Bouat, lui dit Ferdinand, pour le général Bosquet.
— Le général Bosquet ? Mais il est là derrière cet épaulement, je suis son officier d’ordonnance, et nous faisons une halte de dix minutes avant de gravir la montagne à notre tour. »
Aussitôt les deux officiers s’approchèrent d’autres qui entouraient un général dont la haute mine intimida Ferdinand et auquel s’adressa l’officier d’ordonnance en disant :
« Mon général, monsieur est enseigne de vaisseau, envoyé par le général Bouat en mission auprès de vous, et porteur d’une lettre. »
Le général Bosquet considérait l’enseigne, pendant que celui-ci, assez troublé, cherchait d’abord dans les poches, où elle ne se trouvait pas, la lettre enfin découverte, remise et lue très rapidement. Alors, sans parler, le général écrivit quelques lignes sur la feuille d’un carnet. Ensuite, déchirant cette feuille, il la plia et la tendit au messager.
« Merci, monsieur, ajouta-t-il, je vois que vous faites bien et rapidement les commissions, il faut continuer. Êtes-vous prêt ?
— Tout prêt, mon général, et mon cheval dispos.
— Très bien ; allez donc remettre ce mot au maréchal commandant en chef, que vous trouverez avec son état-major sur un mamelon à un kilomètre du pont, dans l’est ; un officier de marine doit savoir s’orienter. J’ai déjà envoyé un de mes aides de camp avec le double de ceci. Mais arrivera-t-il ? Les obus balayent la plaine entre Bourliouk et le mamelon. Bonne chance, monsieur, couvrez-vous. Ah ! votre casquette est trouée. »
En effet, la casquette était percée de part en part à la hauteur du deuxième galon, chose dont Ferdinand ne se doutait pas.
« Mon général, dit-il en rougissant beaucoup, c’est, je crois…, une balle cosaque reçue tout à l’heure, au moment où je longeais un bois de chênes.
— Et le Cosaque ?
— Mon général, j’ai tiré sur lui, et je crois l’avoir atteint, car il a crié.
— Eh bien, monsieur, je crois, moi, que vous avez de la chance et du sang-froid. Au revoir, monsieur.
— Au revoir, mon général, et grand merci. »
Alors, ainsi que l’autre, le général Bosquet dit à ses officiers :
« Ce jeune homme possède une physionomie heureuse, j’aimerais à le revoir sain et sauf. Allons, messieurs, ajouta-t-il, rompez la halte, en marche jusqu’au plateau. »
À l’ombre de grands hêtres, Ferdinand galopa un instant dans la solitude. Mais là-haut, au sommet des arbres et à des intervalles égaux, il entendait un bruit singulier n’en rappelant aucun autre et qui l’intriguait beaucoup. Sa curiosité fut bientôt satisfaite.
Les arbres s’arrêtaient à l’entrée d’un village en ruines, où la moitié des bâtiments achevaient de brûler. Dans les autres on n’apercevait aucun être humain, mais des animaux courant, affolés, d’un côté et d’autre. Après avoir décrit leur cercle, de minute en minute des bombes tombaient çà et là, éclatant alors et leurs débris
produisaient dans l’espace ce bruit étrange et jusqu’alors inconnu à Ferdinand.
Il comprenait à présent, très ému, un peu hésitant. En cas semblable et pour la première fois, il n’est pas un homme qui ne soit impressionné.
Surmontant son trouble et mettant pied à terre, afin de calmer le cheval épouvanté, Ferdinand chercha d’abord à s’orienter.
Alors il aperçut une maison épargnée du feu et il s’en approcha Ouvrant la porte d’entrée, il pénétra dans un élégant vestibule tendu de belles tapisseries avec des potiches remplies de plantes. Parvenu au premier étage, derrière une portière soulevée, il découvrit un salon coquettement meublé. Là un piano à queue, ici un chevalet supportant un portrait d’une belle jeune femme. Sur un meuble une poupée, sur une table un mouchoir garni de dentelle et des gants. Çà et là des vases pleins de fleurs encore fraîches. Les habitants de cette villa l’occupaient sûrement encore la veille. Et Ferdinand s’oublia un instant à rêver devant ce tableau… Mais, passant à raser la fenêtre, un obus rappella l’enseigne au sentiment de l’heure présente. Il ouvrit donc la fenêtre et il se rendit un compte exact de la situation.
Là-haut et aux alentours, la lutte devenait plus ardente, et sans doute, du sommet de la montagne, les Russes mitraillaient les environs de Bourliouk, parce qu’ils croyaient encore occupé par nos troupes ce village que celles-ci venaient d’abandonner.
À gauche, on apercevait le pont sur lequel passe la route de Simféropol à Eupatoria ; dans l’est se dressait le mamelon isolé dominant une plaine, où devaient se trouver le maréchal et son état-major.
Il fallait donc, arriver à tout prix jusqu’au mamelon, en tâchant de ne pas rencontrer un éclat d’obus ou quelque autre projectile également désagréable.
De nouveau dans les rues bouleversées, souriant et tout à fait de sang-froid, Ferdinand calculait ses bonnes et ses mauvaises chances. Les bombes passaient sur sa tête, mais toutes n’éclataient qu’à une certaine distance.
En contournant le village, Ferdinand tirait son cheval après lui, car l’animal affolé se dérobait à chaque instant. Les balles commencèrent à pleuvoir à l’entrée du pont ; dès cet endroit et dans la plaine, en file non interrompue, des cadavres jonchaient le sol pèle-mêle, zouaves, chasseurs, fantassins et chevaux. Peut-être quelques malheureux respiraient-ils encore ; pourtant les premiers que Ferdinand souleva étaient déjà froids et le devoir commandait de marcher.
Les obus enlevaient des monceaux de terre. En suivant un petit sentier, Ferdinand pensait : « C’est raide, mais je crois que j’arriverai vivant. Tout de même, je vais dire un bout de prière. »
Alors le jeune officier éprouva une secousse effroyable et, lâchant les rênes du cheval, il s’aplatit contre le sol ; bientôt recouvert de gazon, de sable, de poussière, il sentit sur sa figure et sa bouche couler une chose très chaude qui l’étouffait.
- ↑ C’est ce qui arriva point pour point : le 16 août, Bomarsund capitula, et, pris entre ses troupes révoltées et notre armée victorieuse, le général russe Bodessa appela même à son aide une division française ; ensuite il se rendit à discrétion avec les vingt-quatre mille hommes composant la garnison. Le mois suivant, conduites par leurs chefs, les vice-amiraux Parseval-Deschênes et sir Charles Napier, les flottes alliées revinrent en France et en Angleterre, ramenant avec elles le corps expéditionnaire. Parseval-Deschênes et Baraguey d’Hilliers furent alors élevés aux dignités, l’un de grand amiral et l’autre de maréchal de France. Une division navale admirablement commandée par le contre-amiral Charles Pénaud resta dans la Baltique, où elle eut beaucoup à souffrir, les officiers et les hommes toujours en alerte et les bâtiments pris dans les glaces solides sur lesquelles pouvaient arriver des troupes ennemies.