L’émancipation de la femme (Daubié)/01/Notre programme

NOTRE PROGRAMME.


À une époque où tout est confondu, notre belle langue française devait se vautrer, elle aussi, dans la fange de nos mœurs et y perdre ses principes les plus élémentaires. Puisque les mots mêmes ont besoin d’être réhabilités, commençons par dire que nous donnerons exclusivement au mot émancipation son sens grammatical d’égalité pour tous et pour toutes.

S’il ne nous a pas encore été permis d’apprendre la langue des maîtres dans nos savantes écoles, nous pouvons du moins, en restituant aux mots leur sens primitif, nous donner le mérite plus modeste de dire avec Martine :

Mon Dieu ! Je n’avons pas étugué comme vous,
Et je parlons tout droit comme on parle cheux nous.

Ajoutons toutefois que l’émancipation politique semble inséparable de l’émancipation civile dans toute démocratie.

Je traiterai donc simultanément des réformes à poursuivre et des progrès à obtenir dans ces deux ordres d’idées.

Je pense pouvoir dans cette publication, limitée à dix livraisons, exposer quelques vues pratiques aux personnes de bonne volonté, qui y trouveront une assez ample matière à la réflexion et à l’action.

Quant aux hommes qui, jusqu’à présent, nous ont opprimées plutôt par corruption de volonté que par défaut d’entendement, je n’ai pas la prétention de les convertir, si les faits ne parlent pas encore assez haut pour eux. À ce sujet, il faut se le demander avec une tristesse amère : le peuple, assez imbu de fausses doctrines et assez irréfléchi dans le désordre pour avoir pu maintenir pendant près d’un siècle l’anarchie légale dans la famille, pendant plus de vingt ans le despotisme légal dans le suffrage universel, sans sembler s’apercevoir seulement de l’endroit où le bât blesse, ce peuple-là, disons-nous, est-il propre à se réformer, à se régénérer, et, par conséquent, à se gouverner ? A-t-il assez le sentiment du juste et de l’honnête pour mériter d’inaugurer le règne durable de la liberté ? L’avenir répondra.

En attendant, que nos hommes d’État l’apprennent enfin : ceux d’entre eux qui pactiseront avec le vice ; ceux mêmes qui tergiverseront avant de mettre à l’ordre du jour les réformes radicales qui doivent racheter l’honneur de la France en réveillant son sens moral ; ceux qui négligeront les mesures propres à fonder le droit civil et physiques sur la forte assise du droit naturel, ces hommes-là, se faisant, pour ainsi dire, les endosseurs des désordres politiques et moraux tolérés ou voulus par la loi et l’administration, hériteront à leur tour du faix de mépris qui accable à si juste titre tout pouvoir regardé comme l’incarnation du mal.