Librairie agricole de la Maison Rustique (p. 53-57).

CHAPITRE VI
EMMAGASINEMENT DE L’ÉNERGIE ÉLECTRIQUE

Les accumulateurs.

On a eu l’idée de chercher différents systèmes qui seraient susceptibles de recevoir et d’emmagasiner un courant électrique, puis, à un moment voulu, de restituer ce courant, au moins partiellement, tout comme on emmagasine l’eau dans un réservoir ou un effort dans une lame de ressort.

Ces systèmes sont analogues aux piles hydro-électriques, tout en ayant cette différence que, si les piles ordinaires produisent les courants, ces piles spéciales (appelées secondaires) sont destinées à emmagasiner l’énergie électrique qui leur est fournie.

Les phénomènes qui se passent dans les-piles secondaires (qui sont dus à ce que les électriciens appellent la polarisation des électrodes), ont été observés en 1801 par Gautherot, en 1803 par Ritter, puis par Grove. Mais la réalisation pratique est due à M. G. Planté (1860), qui en a donné une description dans ses Recherches sur l’électricité.

La pile secondaire, ou accumulateur de M. Planté, se compose en principe de deux lames de plomb immergées dans un vase contenant de l’eau acidulée par l’acide sulfurique. Si l’on met les électrodes de ces lames en communication avec une pile, l’une se couvre d’hydrogène, l’autre d’un dépôt de peroxyde de plomb.

Lorsque l’accumulateur est chargé, il peut (s’il est parfaitement bien isolé) conserver indéfiniment la quantité d’électricité qui lui a été fournie.

À la décharge, on observe un courant énergique, qui a une durée variable avec la résistance du circuit qui lui est offert. Ces accumulateurs se réunissent en batterie comme les piles ordinaires ; généralement, à la charge, on les groupe en quantité, et on les monte en tension pour la décharge. — En pratique, il ne convient pas de laisser les accumulateurs chargés plus de deux ou trois semaines (un mois pour des appareils exceptionnels).

D’après M. Planté, l’accumulateur restituerait de 88 à 89 % de la quantité d’électricité qui lui a été fournie ; ce chiffre s’abaisse pour les appareils industriels à 40 et 60 %.

En pratique, les accumulateurs se chargent par des machines à courant continu.

Voici quelques données sur deux types d’accumulateurs très employés aujourd’hui.

Faure employa des sels et oxydes de plomb dans ses accumulateurs ; Volckmar eut l’idée d’enchâsser la matière active (plomb divisé, oxyde de plomb, etc.) dans des cellules ou grilles ; Sellon, pour assurer la durée des électrodes, les construit en alliages inaltérables de plomb et d’antimoine. C’est la combinaison des trois inventions précédentes qui a conduit la Société française des accumulateurs électriques aux accumulateurs Faure-Sellon-Volckmar.


Fig. 58. — Vue d’une plaque jumelle d’un accumulateur Faure-Sellon-Volckmar.
Le dernier modèle (1888), dit à plaques jumelles amovibles, se compose d’une série plus ou moins nombreuse de plaques accouplées par un pont en alliage de plomb et d’antimoine ; (la figure 58 représente une de ces plaques jumelles).


Fig. 59. — Batterie d’accumulateurs.
En principe, comme le représente la figure schématique 59, la batterie se compose d’un certain nombre de cuves prismatiques A B C D en bois doublé de plomb, placées les unes à côté des autres, dans lesquelles on pose les plaques jumelles a, b, c, d, e, f, g, h, une des plaques b jouant dans une cuve (A) le rôle d’électrode négative, l’autre c dans l’autre cuve (B), d’électrode positive, d’une façon analogue à une batterie de piles électriques, avec cette différence que chaque récipient reçoit un certain nombre de plaques positives et négatives. Les plaques sont maintenues à l’écartement voulu au moyen de fourchettes en verre qui empêchent le circuit de se fermer dans une quelconque des cuves. À chaque extrémité de la batterie, les plaques sont simples et se réunissent à un collecteur qui reçoit les bornes P et N, où aboutissent les fils électriques.

Les plaques ressemblent à une grille en alliage Sellon, dans les trous desquelles on comprime du minium, du plomb réduit ou un sel de plomb. Ces plaques réduites durent très longtemps.

Le liquide dans lequel baignent les électrodes est de l’eau distillée additionnée de 10 % (en volumes). Quand le niveau du liquide baisse par suite de l’évaporation, on le rétablit par une addition d’eau distillée.

Le tableau suivant indique les dimensions et les poids des cuves suivant les intensités et la capacité électrique.

Accumulateurs Faure-Sellon-Volckmar.
DIMENSIONS
en millimètres.
POIDS INTENSITÉ MAXIMUM
des courants
CAPACITÉ électrique (ampères, heures).
Longueur. Largueur. Hauteur. Approximatif des plaques. Brut de l’accumulateur. À la charge (ampères). À la décharge (ampères).
165 90 220 6k 8k 6 12 60
130 10 13 10 20 100
180 15 20 15 25 150
400 190 300 30 45 30 45 300
217 40 60 40 60 400
325 60 85 60 90 600
406 80 110 80 120 800
524 100 130 100 150 1000
632 125 160 125 180 1250
740 150 200 150 225 1500
983 200 360 200 300 2000

Ainsi le plus grand modèle, pouvant fournir 2,000 ampères heure, donnera, suivant les cas, un courant de 200 ampères en 10 heures, de 20 ampères en 100 heures, 50 ampères en 40 heures, et ainsi de suite.

Dans les accumulateurs Reynier, les plaques sont formées par une seule feuille de plomb plissée maintenue dans un cadre.

Voici quelques indications à leur sujet.

Accumulateurs Reynier.
DIMENSIONS EXTÉRIEURES
en centimètres.
PLAQUES POIDS
total des accumulateurs.
COURANT CAPACITÉ
électrique (ampères, heures).
Longueur. Largeur. Hauteur. Nombre. Poids total. À la charge (ampères). À la décharge maximum (ampères).
23 11 30 3 3k6 7k 2 à 3 4 14
11 4 4.8 8 3 à 4 6 20
23 9 10.8 18 8 à 12 18 56
23 13 15.6 23 14 à 18 24 84
42 23 19 22.8 42 20 à 25 40 130
23 27 32.4 50 30 à 40 60 190

Je n’insisterai pas sur les autres modèles (Khotinsky, de Montaud, Pollak, etc.).

Voici, à titre d’exemple, les résultats d’expériences faites en janvier 1882 par la Commission de l’exposition d’électricité sur les accumulateurs C. Faure (d’après E. Hospitalier).

Accumulateurs. — Lames de plomb (spirales) recouvertes de minium maintenu, appliqué contre elles par du papier parchemin et du feutre (type de 1881), 10 kilogr. de minium par mètre carré. — Liquide : eau distillée et (en poids) d’acide sulfurique.

Batterie de 35 éléments ronds pesant brut chacun 43k7. Poids total : .

Charge par une dynamo Siemens excitée en dérivation (shunt-dynamo).

Durée : 22 heures 45 minutes.

Courant : 11 à 6,36 ampères.

Courant : 91 volts (potentiel moyen).

Quantité totale d’électricité donnée : 694,500 coulombs.

Travail mécanique fourni :

Kilogrammètres.
Travail de charge effectif. 6,382,100
Excitation de la dynamo. 1,883,600
Échauffement de l’anneau de la dynamo. 269,800
Résistances passives. 1,034,580
Travail total fourni. 9,570,000

Décharge : durée, 10 heures 39 minutes.

Décharge : courant moyen, 16,2 ampères.

Décharge : courant moyen, 61,5 volts (potentiel moyen) sur 12 lampes Maxime en dérivation.

Décharge : Quantité totale d’électricité rendue, 619,600 coulombs.

La perte a été de 74,900 coulombs (694,500 — 619,600), soit 10 %.

Le travail disponible extérieur a été de 3,809,000 kilogrammètres, soit 40 % du travail total fourni (9,570,000) et 60 % du travail emmagasiné (6,382,100).

Certainement l’accumulateur ne restitue pas la totalité de l’énergie électrique qu’il a reçu (les constructeurs accusent un rendement de 75 %), mais dans certains cas, cette perte n’a pas une grande importance industrielle lorsque sans accumulateurs on ne pourrait se servir utilement du courant électrique.

Ainsi, supposons qu’un ruisseau, traversant une exploitation agricole, soit susceptible d’actionner une roue hydraulique fournissant la puissance d’un demi-poncelet (50 kilogrammètres par seconde) ; il est certain que cette puissance serait insuffisante pour certains travaux qui, devant être exécutés rapidement, exigent une certaine quantité de travail mécanique.

On sait, en tenant compte de la transmission, qu’une dynamo produit 650 watts par cheval-vapeur, ou, en adoptant la nouvelle unité mécanique industrielle watts par poncelet.

La petite roue hydraulique de l’exemple précédent pourra commander une dynamo donnant watts. Admettons que la dynamo alimente pendant trente-huit heures un accumulateur dont la décharge est utilisée en 10 heures sur une réceptrice, on aurait les résultats suivants en se basant sur les expériences de la commission de l’exposition d’électricité :

Charge. — 50 kilogrammètres par seconde à la roue.

Charge. — 433 watts par seconde.

Charge. — en 38 heures, par exemple :

6,840,000 kilogrammètres,
59,234,400 watts.

Décharge. — 40 % du travail total fourni.

Charge. — Durée, 10 heures.

Charge. — 658,16 watts par seconde.

La réceptrice absorbant près de 1,100 watts par cheval (voir le chapitre précédent) ou 1 watt donnant 0,07 kilogrammètres par seconde, les 658,16 watts donneront à la réceptrice 0,46 poncelets.

Ainsi, le travail fourni à l’accumulateur est, déduction faite des résistances passives de la transmission et des pertes de la génératrice, de 6,840,000 kilogrammètres ; avec un rendement de 40 % l’accumulateur donnerait 2,736,000 kilogrammètres ; mais le rendement de la réceptrice étant de 60 %, on n’obtiendra que 1,641,600 kilogrammètres pratiquement utilisables, soit près de 46 kilogrammètres par seconde pour une durée de travail de 10 heures.

On peut dresser le tableau suivant d’après les données précédentes :

PUISSANCE
motrice à la génératrice.
DURÉE PUISSANCE
motrice à la réceptrice (poncelets).
NOMBRE
de jours de marche de la réceptrice.
De la charge des accumulateurs. De la décharge.
1 poncelet. 38 heures. 10 heures. 0.91 1 sur 2
1 poncelet. 60 heures. 10 heures. 1.44 1 sur 3
1 poncelet. 86 heures. 10 heures. 2.06 1 sur 4
1 poncelet. 110 heures. 10 heures. 2.64 1 sur 3

Ainsi, avec une roue hydraulique de la puissance de 2 poncelets (2 chevaux-vapeur 2/3) et une transmission directe par l’énergie électrique on n’aurait à la réceptrice, avec un rendement de 60 %, qu’une puissance disponible de 1,2 poncelet (1 cheval 1/3), qui serait insuffisante pour les battages, par exemple.

Tandis qu’avec les accumulateurs, en marchant un jour sur deux, on aurait pendant dix heures une puissance à la réceptrice de près de 2 poncelets (182 kilogrammètres par seconde, ou 2,42 chevaux-vapeur), et en marchant un jour sur cinq, près de 5,28 poncelets, ou 7 chevaux-vapeur.

Enfin, si l’on dispose d’une machine à vapeur qui ne fonctionne que le jour, l’accumulateur pourra devenir générateur pendant la nuit pour l’éclairage de la ferme.


Fig. 60. — Accumulateur intercalé dans un circuit.
Les accumulateurs peuvent encore être employés comme régulateurs pour atténuer les oscillations provenant des irrégularités du moteur (cas général des installations agricoles) ; pour cette application, l’accumulateur A est monté en tension sur le circuit f, ainsi que le représente schématiquement la figure 60, dans laquelle Gest la machine génératrice.

Les accumulateurs ont une durée de deux à cinq ans, au bout desquelles les plaques commencent à se fendiller.

L’installation des accumulateurs est très simple, un commutateur permet de mettre en communication l’accumulateur tantôt avec la dynamo-génératrice, tantôt avec le circuit. La charge a lieu avec un courant dont l’intensité est comprise entre 0, 5 et 1 ampère par kilogramme de plaque ; il faut environ 2 volts 1/2 par élément.

La charge demande plus de temps quand les accumulateurs sont neufs ou complètement épuisés ; il ne faut jamais pousser la charge trop loin, et de même les décharger complètement.

On reconnaît qu’un accumulateur est chargé à saturation quand il se produit un dégagement continu de gaz sur les électrodes et quand la densité du liquide augmente (ce que l’on peut constater à l’aide d’un aéromètre).

Les accumulateurs dégageant des gaz explosibles (mélange d’oxygène et d’hydrogène) doivent être placés dans un lieu bien ventilé, et où il ne se trouve pas de lampes à feu nu.