Éditions Édouard Garand (p. 39-41).

XI

EN VOIE DE RÉALISATION.


Depuis trois jours, Lucie avec une anxiété croissante veillait, guettant l’arrivée du « postillon. » Une grande semaine, en effet, venait de finir, sans que Léo eût donné de ses nouvelles.

Enfin… la lettre tant désirée arriva. D’une main fiévreuse l’épouse inquiète brisa l’enveloppe et lut :

Ma chère LUCIE,

« Excuse-moi d’être resté une longue semaine sans te donner d’autres renseignements que celui de mon arrivée à Détroit. Si j’ai attendu, c’est que je voulais t’annoncer autre chose que de vagues et problématiques espoirs.

Aujourd’hui, ce sont des réalités que je te présente. Cette fois, j’y suis ! Et si j’en crois les appréciations aussi flatteuses que fondées de Monsieur Holden — qui est un maître en la matière — ce sera presque un grand homme que tu embrasseras quand je serai de retour. Je ne te dirai pas toutes les courses qu’il m’a fallu faire, toutes les informations que j’ai dû prendre, tant à Détroit qu’à Chicago qu’à Milwaukee, pour rejoindre cet homme rare et précieux.

Ma constance fut enfin récompensée et malgré son accueil froid et plutôt défiant du début, je parvins à l’intéresser dans l’espace de quelques minutes… Après lui avoir exposé que le carburateur est comme le cœur du moteur même, et que grâce à mon dispositif, la combustion de l’huile est complète, je lui en fis un croquis sommaire. Jamais je ne vis homme plus intrigué par mes explications, buvant mes paroles, pouvant à peine en croire ses oreilles.

— Et quelles économies d’huile pensez-vous réaliser ?

— Plus de 50% de la dépense actuelle. J’estime qu’un seul gallon suffira pour couvrir une distance de 45 à 50 milles.

— Mais vous rêvez, me dit-il moitié souriant…

— Monsieur, je brûle du désir de vous prouver ce que j’avance.

— Alors il ajouta : si vous êtes certain du succès, adressez-vous à monsieur Kinsley, 7ième rue à Milwaukee ; là, vous trouverez les meilleures conditions pour réaliser votre moteur idéal. Je l’installerai sur une de mes machines et m’offre à vous pour la mise au point.

N’est-ce pas, chère amie, la réalisation de mes désirs les plus ardemment caressés ?

Or, il est entendu entre lui et moi, qu’aussitôt les expériences terminées, il sera mon seul commanditaire et se chargera de lancer l’entreprise.

Selon lui, il y aura, en effet, un immense service rendu au public, presque une révolution dans l’industrie de l’huile miné- rale et surtout, beaucoup d’argent à gagner. Jamais je n’aurais espéré conquérir d’emblée un allié de cette envergure.

Je dois visiter demain ses usines de construction, puis l’École d’automobiles, 3729 Woodward Avenue — Détroit — afin de me mettre au courant de certains détails techniques. Tout fait donc prévoir que je serai absent plus longtemps que je le croyais : trois semaines ou peut-être un mois.

J’aime à croire que les enfants sont toujours en bonne santé et qu’ils ne trouvent pas trop longue l’absence de leur Papa. Ne doute pas, que malgré la grande joie de voir enfin mon rêve sortir du domaine de l’hypothèse, il ne m’en coûte beaucoup d’être loin de vous. Mais cette séparation provisoire est adoucie par la pensée qu’elle sera le principe de notre bonheur futur.

Écris-moi souvent, ma chère Lucie, et sachant mes préoccupations, ne t’inquiète pas trop des quelques délais qui pourraient se produire dans notre correspondance.

À Vous TOUS, mes baisers les plus affectueux. »

LÉO