Augustin Côté & Cie (p. 33-38).

V

DES DIVISIONS DE L’ÎLE


Fiefs et Paroisses — Recensement.


La Seigneurie de l’île d’Orléans se divise aujourd’hui en plusieurs fiefs et arrière-fiefs, qui reconnaissent un seigneur primitif. Il est arrivé même qu’un seul seigneur a acquis plusieurs des petits fiefs. Les fiefs de Beaulieu, de la Grosardière, de Chevalerie, de la Tesserie, de la Regnardière, d’Argentenay[1], de Mesnu et autres, composent les domaines de la famille Gourdeau, des héritiers Drapeau et de la succession Poulin, etc.

Le fief de Beaulieu, possédé sans interruption depuis plus de 200 ans par la famille Gourdeau de Beaulieu, en remontant jusqu’au premier concessionnaire, Jacques Gourdeau de Beaulieu, père, et Jacques Gourdeau, fils, négociant à Québec au commencement du siècle dernier, se compose d’une étendue de terre de quarante arpents de front, au nord de l’île d’Orléans, sur toute la largeur de la dite Île.

Le fief ou plutôt l’arrière-fief de la Grosardière a aussi appartenu à la famille Gourdeau. Aujourd’hui, il est la propriété des héritiers Drapeau.

Le fief de la Regnardière n’a que quinze arpents de front. Il a été concédé le 6 novembre, 1661.

Le fief de la Chevalerie a été, pendant un grand nombre d’années, possédé par la famille Riverin. Il appartient aujourd’hui aux héritiers Drapeau.

Ajoutons que le fief Mesnu prend son nom de Jean-Baptiste Peuvret, sieur de Mesnu, procureur fiscal à Québec ; nommée cet emploi par la Compagnie des Indes Occidentales, dès le 1er mai, 1666.

Il serait superflu d’entrer dans de plus grands détails concernant chacune de ces divisions territoriales. Si ces fiefs eussent été plus considérables, chacun d’eux aurait été constitué en paroisse distincte, pourvu d’une église et d’autres édifices publics ; car jusqu’ici on n’a pas connu en cette province d’autre circonscription que la paroisse d’abord, puis plus tard le township (canton). Mais après tout, qu’importe le nom, puisque chaque paroisse avait son système de voierie, sa desserte religieuse, ses officiers publics et tout ce que requérait le bon fonctionnement des lois, pour la sûreté et la tranquillité des individus ? Au reste, l’île d’Orléans ayant l’avantage d’être à la proximité de la ville, du centre des affaires du district, ces circonstances, jointes surtout aux bonnes dispositions des insulaires, ont toujours rendu facile au milieu d’eux le bon fonctionnement des lois.

Avant de rappeler l’histoire succincte et séparée de chacune des paroisses de l’Île, nous allons donner quelques statistiques sur sa population et ses produits, en général. Si nous adoptions les opinions émises par lord Sinclair, sur ce sujet, nous ferions des pages plus complètes. Le noble Lord voulait qu’on énumérât, sous le titre de Statistique, tout ce qui se rattache à la somme de bonheur dont jouit le fermier, sur le lot que la fortune lui a assigné. Le lecteur sent bien que nous n’avons pas les moyens d’entreprendre un pareil travail. Aussi, nous nous contenterons de donner les renseignements les plus usuels et les plus nécessaires pour donner une idée aussi juste que possible de la fertilité de son sol et de l’industrie de ses habitants. Plusieurs rapports contenus dans les documents publics démontrent que, depuis longtemps, la superficie de l’Île ne peut suffire à sa population. Située à peu de distance de la capitale, où l’écoulement des denrées qu’elle produit est très facile en toutes saisons, on comprend que la nécessité seule a pu forcer quelques uns de ses cultivateurs à se détacher de leurs familles, et à chercher fortune ailleurs. Heureux encore, si, comme tant d’autres, ils ne sont point allés demander à l’étranger le pain que le travail et l’économie devaient leur procurer dans leur propre pays !

En 1666, suivant un recensement fait par ordre de l’intendant Talon, la population totale de l’île d’Orléans se montait à 471 personnes.

En 1814, la population totale de l’île d’Orléans était estimée à 4,000, nous dit le colonel Bouchette. (Topographie du Canada.) Douze ans plus tard, elle atteignait 5,000, chiffre qui paraissait exagéré. Le colonel Bouchette, répondant aux investigations faites par l’Assemblée Législative, en 1824, dans le but de faire un nouveau partage de la province en collèges électoraux, affirma que la population totale de l’île d’Orléans, qu’on se préparait à ériger en circonscription électorale distincte et séparée de la côte du Nord, s’élevait à 4,082 âmes. En 1851, elle atteignait, d’après un relevé officiel, 4.330, et, d’après le recensement de 1852, elle ne dépassait pas 4,416.

Depuis dix ans, cette population a reçu un accroissement peu considérable. Le dernier recensement la porte à 4,837 âmes.

Voici quels étaient les autres chiffres du recensement de l’île d’Orléans, en 1827, quant aux produits agricoles : blé, 31,924 minots ; avoine, 20,896 ; orge, 2,605 ; pois, 16,500 ; seigle, 3,165 ; sarrasin, 2,500 ; blé d’inde 315 ; grains mêlés, 2,105 ; patates, 106,065 ; filasse, 115 tonneaux. Enfui, on y avait mis 11,939 arpents de terre en labour, et 27,061 arpents en prairies. En tout, 39,000 arpents de terre étaient, cette année-là, exploitée par l’industrie du fermier.

En 1852, le recensement de la population et des produits agricoles de l’île d’Orléans donnait un résultat encore plus satisfaisant. Nul doute que ces chiffres seraient beaucoup plus considérables, si on parvenait à se dépouiller devant le commissaire recenseur de tout sentiment de défiance et de soupçon ; et si on voulait comprendre, combien il est important de faire connaître exactement nos ressources et nos moyens, de nous compter, pour ainsi dire, et d’affirmer ainsi la nationalité canadienne.

Les autres recensements, qui ont eu lieu à des dates plus récentes, constatent que la culture a continué de s’améliorer en beaucoup d’endroits et que, par suite, la culture des terrains des insulaires a donné un rendement plus considérable. L’élevage des animaux a aussi obtenu des succès qui démontrent que les cultivateurs commencent à abandonner les vieilles routines du passé pour adopter les méthodes nouvelles qui ont déjà produit ailleurs des résultats aussi satisfaisants que profitables.

  1. Argentenay, nom d’un petit bourg en Champagne, aujourd’hui département de l’Yonne.