L’Évolution d’une science : la Chimie/Introduction

Traduction par Marcel Dufour.
Ernest Flammarion (p. 1-2).

INTRODUCTION


L’ouvrage du célèbre chimiste Ostwald, Der Werdegang einer Wissenschaft, dont je présente ici la traduction, n’est pas à proprement parler une histoire de la chimie. Quand les morphologistes veulent étudier une pièce, ils la débitent en coupes sériées, dont la juxtaposition rend plus facile et plus complète l’intelligence de l’ensemble : l’auteur a fait de même, son livre représente une série de coupes de ce genre à travers l’histoire de la chimie, et il a cherché à n’en laisser de côté aucun point essentiel.

Esprit particulièrement ouvert aux idées générales, Ostwald insiste plus spécialement sur le développement progressif des concepts. Il montre que tous les concepts généraux subissent une évolution commune : au début, ils renferment forcément des parties inutiles ou mauvaises, qui tiennent aux conditions dans lesquelles ils ont pris naissance, et ils ne s’en débarrassent qu’à la longue par une lente élaboration rappelant au chimiste la purification des corps par des cristallisations successives, qui leur enlèvent peu à peu les impuretés apportées par le milieu où ils se sont d’abord formés. L’histoire de la science montre que l’épuration complète des concepts est, par essence, un travail d’une durée illimitée, tout comme la théorie indique qu’il est impossible de préparer un corps absolument pur. Nous ne pouvons atteindre l’absolu dans le fini : voilà pour l’auteur un des plus précieux résultats qu’on ait obtenus, en appliquant à la théorie de la connaissance les méthodes de la critique historique.

Ce livre est une pierre apportée à l’histoire de la chimie, mais c’est aussi une contribution à l’histoire générale de la Science. Étudiant spécialement, depuis quelque temps, la psychologie des savants, Ostwald est de plus en plus convaincu que, dans l’histoire de la Science, on peut saisir les lois générales des phénomènes historiques plus facilement que dans la trame embrouillée de l’histoire universelle, et, à ce point de vue, son livre, dépassant le cercle un peu restreint des chimistes de profession, s’adresse à tous ceux qu’intéresse le développement de l’humanité.

Je suis heureux de pouvoir exprimer ici toute ma reconnaissance à mes collègues et amis, MM. Muller et Verain, pour l’aide éclairée qu’ils ont bien voulu m’apporter dans mon travail.