L’Étourdi ou les Contretemps/Édition Librairie de France, 1922/Acte IV
ACTE IV
Scène première
Vous voilà fagoté d’une plaisante sorte.
Tu ranimes par là mon espérance morte.
Toujours de ma colère on me voit revenir ;
J’ai beau jurer, pester, je ne m’en puis tenir.
Aussi crois, si jamais je suis dans la puissance,
Que tu seras content de ma reconnaissance,
Et que quand je n’aurais qu’un seul morceau de pain…
Baste ! songez à vous dans ce nouveau dessein ;
Au moins, si l’on vous voit commettre une sottise,
Vous n’imputerez plus l’erreur à la surprise :
Votre rôle en ce jeu par cœur doit être su.
Mais comment Trufaldin chez lui t’a-t-il reçu ?
D’un zèle simulé j’ai bridé le bon sire : ;
Avec empressement je suis venu lui dire,
S’il ne songeait à lui, que l’on le surprendroit,
Que l’on couchait en joue, et de plus d’un endroit,
Celle dont il a vu qu’une lettre en avance
Avait si faussement divulgué la naissance ;
Qu’on avait bien voulu m’y mêler quelque peu ;
Mais que j’avais tiré mon épingle du jeu,
Et que, touché d’ardeur pour ce qui le regarde,
Je venais l’avertir de se donner de garde.
De là, moralisant, j’ai fait de grands discours
Sur les fourbes qu’on voit ici-bas tous les jours ;
Que, pour moi, las du monde et de sa vie infâme,
Je voulais travailler au salut de mon âme,
À m’éloigner du trouble et pouvoir longuement
Près de quelque honnête homme être paisiblement ;
Que, s’il le trouvait bon, je n’aurais d’autre envie
Que de passer chez lui le reste de ma vie ;
Et que même à tel point il m’avait su ravir
Que, sans lui demander gages pour le servir,
Je mettrais en ses mains que je tenais certaines
Quelque bien de mon père et le fruit de mes peines,
Dont, avenant que Dieu de ce monde m’ôtât,
J’entendais tout de bon que lui seul héritât.
C’était le vrai moyen d’acquérir sa tendresse ;
Et, comme pour résoudre avec votre maîtresse
Des biais qu’on doit prendre à terminer vos vœux,
Je voulais en secret vous aboucher tous deux,
Lui-même a su m’ouvrir une voie assez belle,
De pouvoir hautement vous loger avec elle,
Venant m’entretenir d’un fils privé du jour,
Dont cette nuit en songe il a vu le retour.
À ce propos, voici l’histoire qu’il m’a dite,
Et sur quoi j’ai tantôt notre fourbe construite.
C’est assez, je sais tout : tu me l’as dit deux fois.
Oui, oui ; mais quand j’aurais passé jusques à trois,
Peut-être encor qu’avec toute sa suffisance,
Votre esprit manquera dans quelque circonstance.
Mais à tant différer je me fais de l’effort.
Ah ! de peur de tomber, ne courons pas si fort !
Voyez-vous, vous avez la caboche un peu dure ;
Rendez-vous affermi dessus cette aventure.
Autrefois Trufaldin de Naples est sorti,
Et s’appelait alors Zanobio Ruberti ;
Un parti qui causa quelque émeute civile
Dont il fut seulement soupçonné dans sa ville
(De fait il n’est pas homme à troubler un État)
L’obligea d’en sortir une nuit sans éclat.
Une fille fort jeune et sa femme, laissées,
À quelque temps de là se trouvant trépassées,
Il en eut la nouvelle, et dans ce grand ennui,
Voulant dans quelque ville emmener avec lui,
Outre ses biens, l’espoir qui restait de sa race,
Un sien fils, écolier, qui se nommait Horace,
Il écrit à Bologne, où, pour mieux être instruit,
Un certain maître Albert, jeune, l’avait conduit ;
Mais, pour se joindre tous, le rendez-vous qu’il donne
Durant deux ans entiers ne lui fit voir personne :
Si bien que, les jugeant morts après ce temps-là,
Il vint en cette ville, et prit le nom qu’il a,
Sans que de cet Albert, ni de ce fils Horace
Douze ans aient découvert jamais la moindre trace.
Voilà l’histoire en gros, redite seulement
Afin de vous servir ici de fondement.
Maintenant vous serez un marchand d’Arménie,
Qui les aurez vus sains l’un et l’autre en Turquie.
Si j’ai, plutôt qu’aucun, un tel moyen trouvé,
Pour les ressusciter sur ce qu’il a rêvé,
C’est qu’en fait d’aventure il est très ordinaire
De voir gens pris sur mer par quelque Turc corsaire,
Puis être à leur famille à point nommé rendus
Après quinze ou vingt ans qu’on les a crus perdus.
Pour moi, j’ai vu déjà cent contes de la sorte.
Sans nous alambiquer, servons-nous-en, qu’importe ?
Vous leur aurez ouï leur disgrâce conter,
Et leur aurez fourni de quoi se racheter.
Mais que, parti plus tôt pour chose nécessaire,
Horace vous chargea de voir ici son père,
Dont il a su le sort, et chez qui vous devez
Attendre quelques jours qu’ils seraient arrivés :
Je vous ai fait tantôt des leçons étendues.
Ces répétitions ne sont que superflues :
Dès l’abord mon esprit a compris tout le fait.
Je m’en vais là dedans donner le premier trait.
Écoute, Mascarille, un seul point me chagrine :
S’il allait de son fils me demander la mine ?
Belle difficulté ! Devez-vous pas savoir
Qu’il était fort petit alors qu’il l’a pu voir ?
Et puis, outre cela, le temps et l’esclavage
Pourraient-ils pas avoir changé tout son visage ?
Il est vrai ; mais, dis-moi, s’il connaît qu’il m’a vu,
Que faire ?
Nous avons dit tantôt qu’outre que votre image
N’avait dans son esprit pu faire qu’un passage
Pour ne vous avoir vu que durant un moment,
Et le poil et l’habit déguisaient grandement.
Fort bien ; mais, à propos, cet endroit de Turquie ?…
Tout, vous dis-je, est égal : Turquie ou Barbarie.
Mais le nom de la ville où j’aurai pu les voir ?
Tunis. Il me tiendra, je crois, jusques au soir :
La répétition, dit-il, est inutile,
Et j’ai déjà nommé douze fois cette ville.
Va, va-t’en commencer ; il ne me faut plus rien.
Au moins soyez prudent, et vous conduisez bien ;
Ne donnez point ici de l’imaginative.
Laisse-moi gouverner. Que ton âme est craintive !
Horace ; dans Bologne écolier ; Trufaldin :
Zanobio Ruberti, dans Naples citadin ;
Le précepteur Albert…
Que de me tant prêcher ; suis-je un sot, à ton compte ?
Non pas du tout, mais bien quelque chose approchant.
Quand il m’est inutile, il fait le chien couchant ;
Mais parce qu’il sent bien le secours qu’il me donne,
Sa familiarité jusque-là s’abandonne.
Je vais être de près éclairé des beaux yeux
Dont la force m’impose un joug si précieux ;
Je n’en vais sans obstacle, avec des traits de flamme,
Peindre à cette beauté les tourments de mon âme ;
Je saurai quel arrêt je dois… mais les voici.
Scène II
Sois béni, juste ciel, de mon sort adouci !
C’est à vous de rêver et de faire des songes,
Puisqu’en vous il est faux que songes sont mensonges.
Quelle grâce, quels biens vous rendrai-je, seigneur,
Vous que je dois nommer l’ange de mon bonheur ?
Ce sont soins superflus, et je vous en dispense.
J’ai, je ne sais pas où, vu quelque ressemblance
De cet Arménien.
Mais on voit des rapports admirables parfois.
Vous avez vu ce fils où mon espoir se fonde ?
Oui, seigneur Trufaldin, le plus gaillard du monde.
Il vous a dit sa vie, et parlé fort de moi ?
Plus de dix mille fois.
Quelque peu moins, je crois.
Il vous a dépeint tel que je vous vois paraître,
Le visage, le port…
Si, lorsqu’il m’a pu voir, il n’avait que sept ans ?
Et si son précepteur même, depuis ce temps,
Aurait peine à pouvoir connaître mon visage ?
Le sang bien autrement conserve cette image ;
Par des traits si profonds ce portrait est tracé,
Que mon père…
Suffit. Où l’avez-vous laissé ?
En Turquie, à Turin.
Est, je pense, en Piémont.
(À Trufaldin.)
Vous ne l’entendez pas : il veut dire Tunis,
Et c’est en effet là qu’il laissa votre fils ;
Mais les Arméniens ont tous par habitude
Certain vice de langue à nous autres fort rude :
C’est que dans tous les mots ils changent nis en rin.
Et pour dire Tunis, ils prononcent Turin.
Il fallait, pour l’entendre, avoir cette lumière.
Quel moyen vous dit-il de rencontrer son père ?
(À part.)(À Trufaldin, qui le voit gesticuler.)
Voyez s’il répondra. Je repassais un peu
Quelque leçon d’escrime ; autrefois en ce jeu
Il n’était point d’adresse à mon adresse égale,
Et j’ai battu le fer en mainte et mainte salle.
Ce n’est pas maintenant ce que je veux savoir.
(À Lélie.)
Quel autre nom dit-il que je devais avoir ?
Ah ! seigneur Zanobio Ruberti, quelle joie
Est celle maintenant que le ciel vous envoie !
C’est là votre vrai nom, et l’autre est emprunté.
Mais où vous a-t-il dit qu’il reçut la clarté ?
Naples est un séjour qui paraît agréable ;
Mais pour vous ce doit être un lieu fort haïssable.
Ne peux-tu sans parler souffrir notre discours ?
Dans Naples son destin a commencé son cours.
Où l’envoyai-je jeune, et sous quelle conduite ?
Ce pauvre maître Albert a beaucoup de mérite
D’avoir depuis Bologne accompagné ce fils,
Qu’à sa discrétion vos soins avaient commis.
Ah !
Nous sommes perdus si cet entretien dure.
Je voudrais bien savoir de vous leur aventure ;
Sur quel vaisseau le sort, qui m’a su travailler…
Je ne sais ce que c’est, je ne fais que bâiller.
Mais, seigneur Trufaldin, songez-vous que peut-être
Ce monsieur l’Étranger a besoin de repaître,
Et qu’il est tard aussi ?
Pour moi, point de repas.
Ah ! vous avez plus faim que vous ne pensez pas.
Entrez donc.
Après vous.
Les maîtres du logis sont sans cérémonie.
(Trufaldin rentre. — À Lélie.)
Pauvre esprit ! Pas deux mots !
Mais n’appréhende plus, je reprends mes esprits,
Et m’en vais débiter avecque hardiesse…
Voici notre rival, qui ne sait pas la pièce.
Scène III
Arrêtez-vous, Léandre, et souffrez un discours
Qui cherche le repos et l’honneur de vos jours :
Je ne vous parle point en père de ma fille,
En homme intéressé pour ma propre famille,
Mais comme votre père, ému pour votre bien,
Sans vouloir vous flatter et vous déguiser rien ;
Bref, comme je voudrais, d’une âme franche et pure,
Que l’on fît à mon sang en pareille aventure.
Savez-vous de quel œil chacun voit cet amour,
Qui dedans une nuit vient d’éclater au jour ?
À combien de discours et de traits de risée
Votre entreprise d’hier est partout exposée ?
Quel jugement on fait du choix capricieux
Qui pour femme, dit-on, vous désigne en ces lieux
Un rebut de l’Égypte, une fille coureuse,
De qui le noble emploi n’est qu’un métier de gueuse ?
J’en ai rougi pour vous encor plus que pour moi,
Qui me trouve compris dans l’éclat que je vois ;
Moi, dis-je, dont la fille, à vos ardeurs promise,
Ne peut, sans quelque affront, souffrir qu’on la méprise.
Ah ! Léandre, sortez de cet abaissement ;
Ouvrez un peu les yeux sur votre aveuglement :
Si notre esprit n’est pas sage à toutes les heures,
Les plus courtes erreurs sont toujours les meilleures.
Quand on ne prend en dot que la seule beauté,
Le remords est bien près de la solennité,
Et la plus belle femme a très peu de défense
Contre cette tiédeur qui suit la jouissance.
Je vous le dis encor, ces bouillants mouvements,
Ces ardeurs de jeunesse et ces emportements,
Nous font trouver d’abord quelques nuits agréables ;
Mais ces félicités ne sont guères durables,
Et notre passion alentissant son cours,
Après ces bonnes nuits, donnent de mauvais jours.
De là viennent les soins, les soucis, les misères,
Les fils déshérités par le courroux des pères.
Dans tout votre discours je n’ai rien écouté
Que mon esprit déjà ne m’ait représenté.
Je sais combien je dois à cet honneur insigne
Que vous me voulez faire, et dont je suis indigne ;
Et vois, malgré l’effort dont je suis combattu,
Ce que vaut votre fille, et quelle est sa vertu :
Aussi veux-je tâcher…
Retirons-nous plus loin, de crainte qu’il n’en sorte
Quelque secret poison dont vous seriez surpris.
Scène IV
Bientôt de notre fourbe on verra le débris,
Si vous continuez des sottises si grandes.
Dois-je éternellement ouïr tes réprimandes ?
De quoi te peux-tu plaindre ? Ai-je pas réussi
En tout ce que j’ai dit depuis…
Témoin les Turcs, par vous appelés hérétiques,
Et que vous assurez, par serments authentiques,
Adorer pour leurs dieux la lune et le soleil.
Passe : ce qui me donne un dépit non pareil,
C’est qu’ici votre amour étrangement s’oublie ;
Près de Célie, il est ainsi que la bouillie,
Qui par un trop grand feu s’enfle, croît jusqu’aux bords,
Et de tous les côtés se répand au dehors.
Pourrait-on se forcer à plus de retenue ?
Je ne l’ai presque point encore entretenue.
Oui ; mais ce n’est pas tout que de ne parler pas :
Par vos gestes, durant un moment de repas,
Vous avez aux soupçons donné plus de matière
Que d’autres ne feraient dans une année entière.
Et comment donc ?
À table, où Trufaldin l’oblige de se seoir,
Vous n’avez toujours fait qu’avoir les yeux sur elle ;
Rouge, tout interdit, jouant de la prunelle,
Sans prendre jamais garde à ce qu’on vous servait,
Vous n’aviez point de soif qu’alors qu’elle buvait ;
Et dans ses propres mains vous saisissant du verre,
Sans le vouloir rincer, sans rien jeter à terre,
Vous buviez sur son reste, et montriez d’affecter
Le côté qu’à sa bouche elle avait su porter.
Sur les morceaux touchés de sa main délicate,
Ou mordus de ses dents, vous étendiez la patte
Plus brusquement qu’un chat dessus une souris,
Et les avaliez tous ainsi que des pois gris.
Puis, outre tout cela, vous faisiez sous la table
Un bruit, un triquetrac de pieds insupportable,
Dont Trufaldin, heurté de deux coups trop pressants,
A puni par deux fois deux chiens très innocents,
Qui, s’ils eussent osé, vous eussent fait querelle.
Et puis après cela votre conduite est belle ?
Pour moi, j’en ai souffert la gêne sur mon corps ;
Malgré le froid, je sue encor de mes efforts ;
Attaché dessus vous comme un joueur de boule
Après le mouvement de la sienne qui roule,
Je pensais retenir toutes vos actions,
En faisant de mon corps mille contorsions.
Mon Dieu ! qu’il t’est aisé de condamner des choses
Dont tu ne ressens point les agréables causes !
Je veux bien néanmoins, pour te plaire une fois,
Faire force à l’amour qui m’impose des lois :
Désormais…
Scène V
Nous parlions des fortunes d’Horace.
C’est bien fait. Cependant me ferez-vous la grâce
Que je puisse lui dire un seul mot en secret ?
Il faudrait autrement être fort indiscret.
Écoute, sais-tu bien ce que je viens de faire ?
Non ; mais si vous voulez, je ne tarderai guère
Sans doute, à le savoir.
Dont près de deux cents ans ont fait déjà le sort,
Je viens de détacher une branche admirable,
Choisie expressément de grosseur raisonnable,
Dont j’ai fait sur-le-champ, avec beaucoup d’ardeur
Un bâton à peu près… oui, de cette grandeur ;
Moins gros par l’un des bouts, mais, plus que trente gaules,
Propre, comme je pense, à rosser les épaules ;
Car il est bien en main, vert, noueux et massif.
Mais pour qui, je vous prie, un tel préparatif ?
Pour toi premièrement, puis pour ce bon apôtre
Qui veut m’en donner d’une, et m’en jouer d’une autre ;
Pour cet Arménien, ce marchand déguisé,
Introduit sous l’appât d’un conte supposé.
Quoi ! vous ne croyez pas ?…
Lui-même heureusement a découvert sa ruse ;
En disant à Célie, en lui serrant la main,
Que pour elle il venait sous ce prétexte vain,
Il n’a pas aperçu Jeannette, ma fillole,
Laquelle a tout ouï, parole pour parole ;
Et je ne doute point, quoiqu’il n’en ait rien dit,
Que tu ne sois de tout le complice maudit.
Ah ! vous me faites tort. S’il faut qu’on vous affronte,
Croyez qu’il m’a trompé le premier à ce conte.
Veux-tu me faire voir que tu dis vérité ?
Qu’à le chasser mon bras soit du tien assisté ;
Donnons-en à ce fourbe et du long et du large,
Et de tout crime après mon esprit te décharge.
Oui-da, très volontiers ; je l’épousterai bien,
Et par là vous verrez que je n’y trempe en rien.
(À part.)
Ah ! vous serez rossé, monsieur de l’Arménie,
Qui toujours gâtez tout !
Scène VI
Donc, monsieur l’imposteur, vous osez aujourd’hui
Duper un honnête homme, et vous jouer de lui ?
Feindre avoir vu son fils en une autre contrée,
Pour vous donner chez lui plus aisément entrée ?
Vidons, vidons sur l’heure.
Ah ! coquin !
que les fourbes…
Bourreau !
Gardez-moi bien cela.
Quoi donc ! je serais homme…
Tirez, tirez, vous dis-je, ou bien je vous assomme.
Voilà qui me plaît fort ; rentre, je suis content.
À moi, par un valet, cet affront éclatant !
L’aurait-on pu prévoir l’action de ce traître,
Qui vient insolemment de maltraiter son maître ?
Peut-on vous demander comment va votre dos ?
Quoi ! tu m’oses encor tenir un tel propos ?
Voilà, voilà que c’est, de ne pas voir Jeannette,
Et d’avoir en tout temps une langue indiscrète ;
Mais, pour cette fois-ci, je n’ai point de courroux,
Je cesse d’éclater, de pester contre vous :
Quoique de l’action l’imprudence soit haute,
Ma main sur votre échine a lavé votre faute.
Ah ! je me vengerai de ce trait déloyal !
Vous vous êtes causé vous-même tout le mal.
Moi ?
Quand vous avez parlé naguère à votre idole,
Vous auriez aperçu Jeannette sur vos pas,
Dont l’oreille subtile a découvert le cas.
On aurait pu surprendre un mot dit à Célie ?
Et d’où doncques viendrait cette prompte sortie ?
Oui, vous n’êtes dehors que par votre caquet.
Je ne sais si souvent vous jouez au piquet,
Mais au moins faites-vous des écarts admirables.
Ô le plus malheureux de tous les misérables !
Mais encore, pourquoi me voir chassé par toi ?
Je ne fis jamais mieux que d’en prendre l’emploi ;
par là, j’empêche au moins que de cet artifice
Je ne sois soupçonné d’être auteur, ou complice.
Tu devais donc, pour toi, frapper plus doucement.
Quelque sot ! Trufaldin lorgnait exactement.
Et puis je vous dirai, sous ce prétexte utile,
Je n’étais point fâché d’évaporer ma bile :
Enfin la chose est faite, et si j’ai votre foi
Qu’on ne vous verra point vouloir venger sur moi,
Soit, ou directement, ou par quelque autre voie,
Les coups sur votre râble assenés avec joie,
Je vous promets, aidé par le poste où je suis,
De contenter vos vœux avant qu’il soit deux nuits.
Quoique ton traitement ait eu trop de rudesse,
Qu’est-ce que dessus moi ne peut cette promesse ?
Vous le promettez donc ?
Oui, je te le promets.
Ce n’est pas encor tout. Promettez que jamais
Vous ne vous mêlerez dans quoi que j’entreprenne.
Soit.
Si vous y manquez, votre fièvre quartaine !
Mais tiens-moi donc parole, et songe à mon repos.
Allez quitter l’habit et graisser votre dos.
Faut-il que le malheur, qui me suit à la trace,
Me fasse voir toujours disgrâce sur disgrâce !
Quoi ! vous n’êtes pas loin ? Sortez vite d’ici :
Mais surtout gardez-vous de prendre aucun souci :
Puisque je fais pour vous, que cela vous suffise ;
N’aidez point mon projet de la moindre entreprise…
Demeurez en repos.
Oui, va, je m’y tiendrai.
Il faut voir maintenant quel biais j’y prendrai.
Scène VII
Mascarille, je viens te dire une nouvelle
Qui donne à tes desseins une atteinte cruelle :
À l’heure que je parle, un jeune Égyptien,
Qui n’est pas noir pourtant, et sent assez son bien,
Arrive, accompagné d’une vieille fort hâve,
Et vient chez Trufaldin racheter cette esclave
Que vous vouliez. Pour elle, il paraît fort zélé.
Sans doute, c’est l’amant dont Célie a parlé.
Fut-il jamais destin plus brouillé que le nôtre !
Sortant d’un embarras, nous entrons dans un autre.
En vain nous apprenons que Léandre est au point
De quitter la partie, et ne nous troubler point ;
Que son père arrivé contre toute espérance
Du côté d’Hippolyte emporte la balance ;
Qu’il a tout fait changer par son autorité,
Et va dès aujourd’hui conclure le traité ;
Lorsqu’un rival s’éloigne, un autre plus funeste
S’en vient nous enlever tout l’espoir qui nous reste.
Toutefois, par un trait merveilleux de mon art,
Je crois que je pourrai retarder leur départ,
Et me donner le temps qui sera nécessaire
Pour tâcher de finir cette fameuse affaire.
Il s’est fait un grand vol ; par qui ? l’on n’en sait rien :
Eux autres rarement passent pour gens de bien :
Je veux adroitement, sur un soupçon frivole,
Faire pour quelques jours emprisonner ce drôle.
Je sais des officiers, de justice altérés,
Qui sont pour de tels coups de vrais délibérés ;
Dessus l’avide espoir de quelque paraguante,
Il n’est rien que leur art aveuglément ne tente,
Et du plus innocent toujours à leur profit
La bourse est criminelle, et paye son délit.