L’Étonnante Aventure de la mission Barsac/Deuxième partie/Chapitre 11

XI

ce qu’il y avait derrière la porte

Jane Buxton était partie, en effet, et de la manière la plus simple. Elle était sortie tout bonnement par la porte, que l’on trouva fermée au pêne, et non plus verrouillée comme auparavant. Renseignements pris, l’homme qui veillait au cycloscope avait vu la jeune fille quitter l’Usine, sans la reconnaître néanmoins. Ses instructions lui prescrivant d’éviter les meurtres qui ne seraient pas absolument nécessaires, il n’avait pas voulu employer l’une des guêpes contre cette unique personne, qui, d’ailleurs, loin de chercher à s’introduire dans l’Usine, en sortait au contraire.

Le rapport du veilleur permit d’établir que Jane, en quittant l’Usine, avait suivi le quai dans la direction de l’amont. Il n’y avait donc aucune illusion à se faire ; Jane Buxton avait mis, sans nul doute possible, à exécution le projet contre lequel on s’était précédemment élevé, et elle était allée follement se rendre à Harry Killer, juste au moment où ce sacrifice devenait inutile.

Le quai, qui, vers l’aval, aboutissait au chemin de ronde, était barré, en amont, par la muraille de l’esplanade, qui, de ce côté, le transformait en impasse. Une porte blindée perçait, toutefois, la muraille en ce point. Cette porte, constamment fermée, et dont seuls Marcel Camaret et Harry Killer avaient la clé, en temps ordinaire, demeurait ouverte depuis le commencement des hostilités. Jane Buxton avait donc pu gagner l’esplanade, la traverser, et arriver jusqu’au Palais, à moins que les Merry Fellows ne l’eussent arrêtée au passage.

C’est dans un véritable accès de folie qu’elle avait pris la fuite. Que tout le monde crût se sacrifier pour elle seule et qu’on l’accusât d’être la cause du malheur général, cette pensée lui était odieuse, de même qu’il lui était odieux de se sentir haïe par tous les pauvres gens qu’elle voyait souffrir autour d’elle. S’ils avaient raison, cependant ? Si vraiment elle était l’unique butin qu’Harry Killer espérât de la lutte ? Il suffisait que cela fût possible pour que tout retard devînt un crime, et elle se reprochait de tant hésiter à courir cette chance de sauver un si grand nombre de ses semblables. Et quand bien même les assiégés se fussent trompés, comme ce n’était que trop probable, en faisant dépendre leur salut d’elle seule, son honneur n’exigeait-il pas encore qu’elle leur démontrât leur erreur, fût-ce au prix de sa vie ?

Le retard mis par Tongané à donner le signal si fiévreusement attendu avait laissé aux réflexions de Jane Buxton le temps de s’imposer à son jugement que les privations rendaient moins lucide, et enfin, dans cette soirée du 5 mai, elle avait tout à coup perdu la tête et s’était enfuie vers ce qu’elle considérait être son devoir.

Sans s’en rendre compte, sachant à peine ce qu’elle faisait, elle avait entrebâillé la porte, s’était glissée au-dehors, puis, la porte refermée silencieusement, elle s’était élancée vers le

Palais, en s’efforçant de se confondre avec la muraille qu’éclairaient violemment les projecteurs électriques de l’Usine.

De même que le veilleur du cycloscope, les Merry Fellows, postés sur le mur d’enceinte de la ville, au croisement du quai et du chemin de ronde, l’avaient aisément aperçue. Mais ceux-ci n’avaient pas cru devoir faire usage de leurs armes contre une ombre isolée, qui pouvait, en somme, appartenir à leur parti.

Jane Buxton était donc parvenue sans encombre jusqu’à l’esplanade, dont elle avait franchi la porte ouverte. En longeant la muraille qui la limitait du côté de la Red River, elle s’était alors engagée hardiment sur cette vaste place, sans s’occuper des groupes de Merry Fellows entre lesquels il lui fallait passer. En raison même de son audace, elle fit, sans être inquiétée, la plus grande partie du parcours. Elle n’était plus à vingt pas du Palais, quand deux hommes se détachèrent de l’un des groupes et se décidèrent à venir à sa rencontre.

Il se trouva que ces deux hommes l’avaient vue, avant l’évasion des prisonniers, circuler librement de tous côtés. En la reconnaissant, ils poussèrent une exclamation d’étonnement, et incertains de ses intentions, troublés par la faveur que le chef lui avait témoignée, ne sachant que faire, non seulement ils la laissèrent passer sans difficulté, mais encore ils l’escortèrent jusqu’au Palais, dont ils firent ouvrir la porte devant elle.

Cette porte se referma dès qu’elle en eut franchi le seuil. Qu’elle le voulût ou non, désormais, elle était de nouveau au pouvoir d’Harry Killer et sans aucun secours à espérer de personne.

Son arrivée provoqua, dans le Palais, la même surprise que sur l’esplanade. Le serviteur noir qui lui avait ouvert s’empressa de la conduire auprès du maître. À sa suite, elle gravit des escaliers, traversa des galeries et des corridors obscurs, et entra enfin dans une pièce violemment éclairée, qu’elle reconnut sur-le-champ. C’était la salle du Trône, ainsi que le nommait plaisamment Amédée Florence, où les prisonniers avaient été introduits lors de leur unique entrevue avec le despote de Blackland, et dont l’ameublement se composait exclusivement alors d’une table et d’un fauteuil.

Le fauteuil y était toujours, et, comme ce jour-là, Harry Killer s’y vautrait, derrière la table chargée de bouteilles et de verres. Mais ce fauteuil et cette table ne constituaient plus tout l’ameublement. Neuf sièges supplémentaires avaient été apportés. L’un d’eux était inoccupé. Sur les autres, huit hommes d’aspect brutal se prélassaient en buvant, Harry Killer se distrayait avec ses conseillers.

En apercevant la jeune fille dans le cadre de la porte, ces neuf hommes à demi ivres eurent une exclamation de stupeur. Rien n’aurait pu les étonner autant que cette entrée subite de l’un des assiégés de l’Usine.

Ils se levèrent en tumulte.

— Miss Mornas !… s’écrièrent-ils tous à l’unisson.

— Seule !… demanda Harry Killer, qui, le buste perché au-dessus de la table, jeta un regard inquiet dans la direction du couloir sur lequel la porte découpait un rectangle obscur.

— Seule, répondit d’une voix tremblante mais ferme Jane Buxton, dont les jambes fléchissaient, et qui dut s’appuyer au chambranle.

Un long moment, les neuf hommes stupéfaits regardèrent la jeune fille en silence. Qu’elle fût là, toute seule, l’aventure était extraordinaire. Celle-ci, point de mire de tous les regards, perdait de plus en plus contenance et commençait à regretter amèrement sa démarche audacieuse.

— Vous venez de là-bas ?… articula enfin d’une voix pâteuse Harry Killer, en montrant du doigt la direction de l’Usine.

— Oui, murmura Jane Buxton.

— Qu’est-ce que vous venez faire ici ?

L’intonation n’était rien moins qu’aimable. Oui, certes, ils se trompaient, selon toute apparence, les pauvres affamés de l’Usine, quand ils faisaient retomber sur elle seule la responsabilité de leurs malheurs, et, plus que jamais, elle craignait que son renoncement ne fût incapable d’améliorer leur sort.

— Je viens me rendre, murmura-t-elle cependant, malgré la profonde humiliation que lui causait le peu de prix qu’on semblait attribuer à son sacrifice.

— Tiens ! tiens !… fit Harry Killer d’un air sardonique.

Il se tourna vers ses compagnons.

— Laissez-nous, camarades, dit-il.

Les huit conseillers se levèrent. Ils titubaient tous plus ou moins.

— C’est bon, on te laisse, répondit l’un d’eux, en riant grossièrement.

Ils atteignaient déjà la porte. Harry Killer les arrêta du geste, et, se tournant vers Jane Buxton :

— Je ne vous demande pas des nouvelles de Tchoumouki, lui dit-il. J’en ai trouvé les morceaux. Mais, l’autre, qu’est-il devenu ?

— Ce n’est pas nous qui avons tué Tchoumouki, répondit Jane. Il est mort dans l’explosion, en voulant faire sauter le planeur.

Son compagnon a été blessé en même temps. On le soigne à l’Usine.

— Ah ! ah !… fit Harry Killer. Et le planeur ?…

— Il est détruit, répondit Jane.

Harry Killer, très satisfait, se frotta les mains, pendant que disparaissaient ses huit conseillers.

— Alors, comme ça, vous vous rendez ? demanda-t-il à sa prisonnière, quand il fut seul avec elle. Pourquoi vous rendez-vous ?

— Pour sauver les autres, dit Jane bravement.

— Pas possible !… s’écria Harry Killer en ricanant. Ils sont donc au bout du rouleau, les autres ?

— Oui, avoua Jane, qui baissa les yeux.

De joie, Harry Killer se versa une large rasade d’alcool, qu’il avala d’un trait.

— Et alors ?… demanda-t-il quand il eut fini de boire.

— Il y a quelque temps, murmura Jane dont la honte empourprait le visage, vous vouliez faire de moi votre femme. J’accepterai, à la condition que vous laissiez la liberté à tous les autres.

— Des conditions !… s’exclama Harry Killer stupéfait. Vous croyez-vous donc en situation d’en faire, ma petite ? Puisque les gens de l’Usine sont à bout, je les aurai demain ou après-demain, et vous avec eux. Ce n’était pas la peine de venir ce soir, je ne suis pas à un jour près.

Il se leva et s’avança vers elle en chancelant.

— Vous en avez un aplomb, de poser des conditions !… s’écria-t-il. Des conditions pour être ma femme !… Ah ! ah ! mais vous serez ma femme quand il me plaira. Non, mais, que feriez-vous pour m’en empêcher ? Je serais curieux de le savoir.

Il marchait sur Jane Buxton, qui reculait, terrifiée, en étendant vers elle ses mains tremblantes. Il la touchait presque. Bientôt la jeune fille acculée à la muraille, reçut en plein visage son haleine brûlante empuantie d’alcool.

— On peut toujours mourir, dit-elle.

— Mourir !… répéta Harry Killer qui restait immobile sur ses jambes flageolantes, arrêté net par ce mot prononcé avec une froide énergie.

— Mourir !… répéta-t-il en se grattant le menton d’un air indécis.

Puis, après un nouveau silence, il s’écria, sautant à une autre idée :

— Bah !… On verra ça demain. On s’entendra, tous les deux, ma fille… En attendant, soyons gais et confortables.

Il reprit place dans son fauteuil, et, tendant son verre :

— À boire !… dit-il.

Les verres succédèrent aux verres. Un quart d’heure plus tard, Harry Killer, déjà à peu près ivre lors de l’arrivée de Jane Buxton, ronflait comme un orgue.

Une fois de plus, la jeune fille avait à sa merci cette brute qui était peut-être le meurtrier de son frère. Elle aurait pu le frapper en plein cœur, avec l’arme même qui avait frappé George Buxton. Mais à quoi bon ? N’eût-elle pas, au contraire, détruit ainsi le faible espoir qui lui restait de venir en aide à ceux qu’elle souhaitait secourir ?

Longtemps, elle resta pensive, les yeux fixés sur le despote endormi. Mais une souffrance soudaine la fit pâlir tout à coup. La faim, une faim impérieuse et cruelle lui tenaillait les entrailles.

Pour un instant, elle oublia sa situation, les lieux où elle se trouvait, Harry Killer lui-même, elle oublia tout ce qui n’était pas la faim. Manger, il lui fallait manger sur-le-champ, à tout prix.

Prudemment, elle ouvrit la porte par où les huit conseillers venaient de sortir, et, dans la pièce attenante, elle aperçut une table couverte de reliefs. On y avait fait ripaille, ce soir-là, avant de terminer la fête dans la salle du trône.

Jane Buxton se précipita vers cette table et s’empara au hasard de quelques aliments qu’elle dévora en hâte. À mesure qu’elle mangeait, la vie revenait à son organisme épuisé, elle se réchauffait, son coeur chassait à plus larges ondes le sang dans les artères, elle retrouvait sa force physique et morale.

Réconfortée, elle revint dans la salle où elle avait laissé Harry Killer. Celui-ci dormait toujours et continuait à ronfler bruyamment. Elle s’assit en face de lui, décidée à attendre son réveil.

Quelques minutes s’écoulèrent, puis Harry Killer fit un mouvement et quelque chose roula sur le sol. Jane, se baissant, ramassa l’objet tombé de la poche du dormeur. C’était une clé de petite taille.

À la vue de cette clé, les souvenirs affluèrent dans son esprit. Elle se rappela les absences régulières d’Harry Killer, et combien elle avait désiré savoir ce qu’il y avait derrière la porte, dont cette clé, qui ne le quittait jamais, ouvrait la serrure. Et voici que le hasard lui donnait le moyen de satisfaire sa curiosité ! La tentation était trop forte. Il fallait profiter d’une occasion, qui, sans doute, ne se renouvellerait pas.

À pas légers, elle atteignit la porte par laquelle jadis Harry Killer disparaissait chaque jour, et introduisit la clé dans la serrure. Le ventail tourna sans bruit sur ses gonds. Derrière, elle trouva un palier où s’amorçait un escalier desservant les étages inférieurs. Ayant doucement repoussé la porte sans la fermer, et marchant sur la pointe des pieds, Jane Buxton descendit cet escalier à peine éclairé par une lumière qui arrivait d’en bas.

La pièce qu’elle quittait était située au deuxième étage du Palais, mais, quand elle eut franchi ces deux étages, elle n’aboutit qu’à un nouveau palier, au-delà duquel continuait l’escalier, qui, par conséquent, devait aller jusqu’aux sous-sols. Après un instant d’hésitation, elle descendit encore.

Elle déboucha enfin dans une sorte de vestibule rectangulaire, au seuil duquel elle s’arrêta, interdite. Un nègre, qui veillait, assis dans une encoignure, près d’une porte fermée, s’était brusquement levé à son approche.

Mais elle se rassura bientôt. Le gardien ne paraissait pas avoir d’intention hostile. Bien au contraire, il s’effaçait respectueusement contre la muraille pour laisser à la visiteuse nocturne un plus large passage. Celle-ci comprit la raison de cette déférence inattendue, en reconnaissant dans ce gardien un homme de la Garde noire. Comme les Merry Fellows qui l’avaient escortée sur l’esplanade, le nègre l’avait trop souvent vue circuler librement dans le Palais pour ne pas être convaincu de son pouvoir sur le maître.

D’un pas ferme, elle passa devant lui, sans qu’il y fît aucune opposition. Tout n’était pas dit encore, cependant. Après l’homme, il y avait la porte.

Simulant une assurance qui était loin de son esprit, Jane Buxton introduisit la clé d’Harry Killer dans la serrure, qui s’ouvrit comme s’était ouverte la première. Elle se vit alors dans un assez long couloir, simple prolongement du vestibule qu’elle venait de traverser, dont, à droite et à gauche, une dizaine de portes trouaient les murs.

Toutes, sauf une, étaient grandes ouvertes. Jane Buxton jeta un coup d’œil dans les pièces auxquelles elles donnaient accès, et vit que ces pièces étaient des cellules, des cachots plutôt, sans air ni lumière, meublés d’une table et d’un misérable grabat. Les cachots, d’ailleurs, étaient vides, et rien n’indiquait qu’ils eussent été occupés depuis longtemps.

Restait l’unique porte fermée. Jane Buxton essaya, pour la troisième fois, le pouvoir de sa clé, et, comme les deux précédentes, cette porte s’ouvrit sans difficulté.

D’abord, elle ne distingua rien dans ce cachot, plongé dans une nuit profonde. Puis, ses yeux s’habituant peu à peu à l’obscurité, elle finit par deviner, dans l’ombre, une personne endormie.

Comme si une puissance surnaturelle l’eût avertie, sans qu’elle en eût conscience, qu’elle allait faire une découverte prodigieuse, Jane se sentait défaillir. Tremblante, le cœur battant, éperdue, sans force, elle restait immobile au seuil de ce cachot, dont son oreille et son regard s’efforçaient en vain de fouiller l’ombre impénétrable.

Elle se souvint, enfin, d’avoir vu, près de l’entrée, dans le couloir, un interrupteur électrique qu’elle manœuvra à tâtons, sans détacher ses yeux de l’ombre.

Quel saisissement éprouva Jane Buxton ! De quelle épouvante, plutôt, ne fut-elle pas frappée !

Elle eût trouvé, dans cet in pace du Palais de Blackland, l’un de ceux qu’elle venait de quitter à l’Usine quelques instants plus tôt, ou même elle y eût trouvé son frère, George Buxton, qu’elle savait mort, pourtant, depuis six ans, qu’elle eût été moins stupéfaite.

Réveillé en sursaut par l’éclat soudain de la lumière, un homme s’était soulevé sur le grabat qui occupait un des angles du cachot. Vêtu de haillons, par les trous desquels apparaissait un corps couvert d’innombrables plaies, d’une maigreur de squelette, il essayait péniblement de se redresser, en tournant vers la lumière ses yeux agrandis par la terreur.

Mais, malgré ces effroyables stigmates d’une longue torture, malgré ce visage émacié, malgré la barbe et les cheveux incultes, Jane Buxton ne pouvait s’y tromper, et reconnut sans hésiter le misérable prisonnier.

Si incroyable, si merveilleux que fût le prodige qui lui faisait reconnaître au fond d’un cachot de Blackland celui qu’elle avait six mois plus tôt laissé en Angleterre occupé à de paisibles travaux, cette épave humaine, cet être martyrisé, c’était Lewis Robert Buxton, c’était son frère.

Haletante, les yeux exorbités, en proie à une sorte de mystérieuse épouvante, Jane demeura un instant sans mouvement et sans voix.

— Lewis !… s’écria-t-elle enfin, en se précipitant vers son malheureux frère, qui balbutiait d’un air égaré :

— Jane !… Vous ici !… Ici !…

Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre, et longtemps, agités tous deux de sanglots convulsifs, ils mêlèrent leurs larmes, sans trouver une parole à dire.

— Jane, murmura enfin Lewis, comment peut-il se faire que vous soyez venue à mon secours ?

— Je vous le dirai, répondit Jane. Parlons de vous, plutôt. Expliquez-moi…

— Que voulez-vous que je vous dise ? s’écria Lewis avec un geste de désespoir. Je n’y comprends rien moi-même. Il y a cinq mois, le 30 novembre dernier, dans mon bureau, j’ai reçu sur la nuque un coup violent qui m’a assommé.

Quand j’ai repris connaissance, j’étais bâillonné, ligoté et enfermé dans une caisse. Comme un colis, j’ai été transporté de vingt façons différentes. Dans quel pays suis-je ? Je l’ignore. Depuis plus de quatre mois, je n’ai pas quitté ce cachot, où, chaque jour, on me déchire la chair avec des tenailles, ou bien ce sont des coups de fouet…

— Oh !… Lewis !… Lewis !… gémit Jane, qui sanglotait. Mais quel est donc le bourreau ?…

— C’est bien là le pire, répondit tristement Lewis. Vous ne le devineriez jamais, celui qui se livre à ces atrocités, c’est…

Lewis s’interrompit brusquement. Son bras étendu désignait quelque chose dans le couloir, et ses yeux, tout son visage, exprimaient une affreuse épouvante.

Jane regarda dans la direction que lui montrait son frère. Elle pâlit, et sa main, glissée sous les basques de son corsage, alla saisir l’arme trouvée dans la tombe de Koubo. L’oeil sanglant, sa bouche, d’où coulait un filet de bave, crispée en un rictus de fauve féroce, terrifiant, hideux, Harry Killer était là.