Hetzel (p. 22-32).

I I I


UN PEU DE SCIENCE, ENSEIGNÉE DE BONNE AMITIÉ

Le jeune ingénieur, il faut se hâter de le dire à son honneur, n’était point venu en Griqualand pour passer son temps dans cette atmosphère de rapacité, d’ivrognerie et de fumée de tabac. Il était chargé d’exécuter des levés topographiques et géologiques sur certaines portions du pays, de recueillir des échantillons de roches et de terrains diamantifères, de procéder sur place à des analyses délicates. Son premier soin devait donc être de se procurer une habitation tranquille, où il pût installer son laboratoire et qui servît pour ainsi dire de centre à ses explorations à travers tout le district minier.

Le monticule, sur lequel s’élevait la ferme Watkins, attira bientôt son attention comme un poste qui pouvait être particulièrement favorable à ses travaux. Assez éloigné du camp des mineurs pour ne souffrir que très peu de ce bruyant voisinage, Cyprien se trouverait là à une heure de marche environ des Kopjes les plus éloignés, — car le district diamantifère n’a pas plus de dix à douze kilomètres de circonférence. Il arriva donc que de choisir une des maisons abandonnées par John Watkins, d’en négocier la location, de s’y établir, — tout cela fut pour le jeune ingénieur l’affaire d’une demi-journée. Du reste, le fermier se montra de bonne composition. Au fond, il s’ennuyait fort dans sa solitude, et vit avec un véritable plaisir s’installer auprès de lui un jeune homme qui lui apporterait sans doute quelque distraction.

Mais, si Mr. Watkins avait compté trouver en son locataire un compagnon de table ou un partenaire assidu pour donner assaut à la cruche de gin, il était loin du compte. À peine établi avec tout son attirail de cornues, de fourneaux et de réactifs dans la case abandonnée à son profit — et même avant que les principales pièces de son laboratoire lui fussent arrivées, — Cyprien avait déjà commencé ses promenades géologiques dans le district. Aussi, le soir, lorsqu’il rentrait, harassé de fatigue, chargé de fragments de roches dans sa boîte de zinc, dans sa gibecière, dans ses poches et jusque dans son chapeau, il avait plutôt envie de se jeter sur son lit et de dormir que de venir écouter les vieux racontars de Mr. Watkins. En outre, il fumait peu, buvait encore moins. Tout cela ne constituait pas précisément le joyeux compère que le fermier avait rêvé.

Néanmoins, Cyprien était si loyal et si bon, si simple de manières et de sentiments, si savant et si modeste, qu’il était impossible de le voir habituellement sans s’attacher à lui. Mr. Watkins — peut-être ne s’en rendait-il pas compte — éprouvait donc plus de respect pour le jeune ingénieur qu’il n’en avait jamais accordé à personne. Si seulement ce garçon-là avait su boire sec ! Mais que voulez-vous faire d’un homme qui ne se jette jamais la moindre goutte de gin dans le gosier ? Voilà comment se terminaient régulièrement les jugements que le fermier portait sur son locataire.

Quant à miss Watkins, elle s’était tout de suite mise avec le jeune savant sur le pied d’une bonne et franche camaraderie. Trouvant en lui une distinction de manières, une supériorité intellectuelle qu’elle ne rencontrait guère dans son entourage habituel, elle avait saisi avec empressement l’occasion inattendue qui s’offrait à elle de compléter, par des notions de chimie expérimentale, l’instruction très solide et très variée qu’elle s’était déjà faite par la lecture des ouvrages de science.

Le laboratoire du jeune ingénieur, avec ses appareils bizarres, l’intéressait puissamment. Elle était surtout fort curieuse de connaître tout ce qui se rattachait à la nature des diamants, cette précieuse pierre qui jouait dans les conversations et dans le commerce du pays un rôle si important. En vérité, Alice était assez portée à ne regarder cette gemme que comme un vilain caillou. Cyprien — elle n’était pas sans le voir — avait, sur ce point, des dédains tout pareils aux siens. Aussi cette communion de sentiments ne fut-elle pas étrangère à l’amitié qui s’était promptement nouée entre eux. Seuls dans le Griqualand, on peut hardiment le dire, ils ne croyaient pas que le but unique de la vie dût être de rechercher, de tailler, de vendre ces petites pierres, si ardemment convoitées dans tous les pays du monde.

« Le diamant, lui dit un jour le jeune ingénieur, est tout simplement du carbone pur. C’est un fragment de charbon cristallisé, pas autre chose. On peut le brûler comme un vulgaire morceau de braise, et c’est même cette propriété de combustibilité qui en a, pour la première fois, fait soupçonner la véritable nature. Newton, qui observait tant de choses, avait noté que le diamant taillé réfracte la lumière plus que tout autre corps transparent. Or, comme il
Ces hommes remplissaient des seaux de cuir. (Page 21.)

savait que ce caractère appartient à la plupart des substances combustibles, il déduisit de ce fait, avec sa hardiesse ordinaire, la conclusion que le diamant « devait » être combustible. Et l’expérience lui donna raison.

— Mais, monsieur Méré, si le diamant n’est que du charbon, pourquoi le vend-on si cher ? demanda la jeune fille.

— Parce qu’il est très rare, mademoiselle Alice, répondit Cyprien, et qu’il n’a encore été trouvé dans la nature qu’en très petites quantités. Pendant longtemps, on en a tiré seulement de l’Inde, du Brésil et de l’île de Bornéo. Et, sans doute, vous vous rappelez fort bien, car vous deviez avoir alors sept
La jeune fille s’amusait à élever des autruches. (Page 27.)

ou huit ans, l’époque où, pour la première fois, on a signalé la présence de diamants dans cette province de l’Afrique australe.

— Certes, je me le rappelle ! dit miss Watkins. Tout le monde était comme fou en Griqualand ! On ne voyait que gens armés de pelles et de pioches, explorant toutes les terres, détournant le cours des ruisseaux pour en examiner le lit, ne rêvant, ne parlant que diamants ! Toute petite que j’étais, je vous assure que j’en étais excédée par moments, monsieur Méré ! Mais vous disiez que le diamant est cher parce qu’il est rare… Est-ce que c’est là sa seule qualité ?

— Non, pas précisément, miss Watkins. Sa transparence, son éclat, lorsqu’il a été taillé de manière à réfracter la lumière, la difficulté même de cette taille et enfin son extrême dureté en font un corps véritablement très intéressant pour le savant, et, j’ajouterai, très utile à l’industrie. Vous savez qu’on ne peut le polir qu’avec sa propre poussière, et c’est cette précieuse dureté qui a permis de l’utiliser, depuis quelques années, pour la perforation des roches. Sans le secours de cette gemme, non seulement il serait fort difficile de travailler le verre et plusieurs autres substances dures, mais le percement des tunnels, des galeries de mines, des puits artésiens, serait aussi beaucoup plus difficile !

— Je comprends maintenant, dit Alice, qui se sentit prise subitement d’une sorte d’estime pour ces pauvres diamants qu’elle avait tant dédaignés jusqu’alors. Mais, monsieur Méré, ce charbon, dont vous affirmez que le diamant est composé à l’état cristallin, – c’est bien ainsi qu’il faut dire, n’est-ce pas ? — ce charbon, qu’est-ce que c’est, en somme ?

— C’est un corps simple, non métallique et l’un des plus répandus dans la nature, répondit Cyprien. Tous les composés organiques, sans exception, le bois, la viande, le pain, l’herbe, en renferment une forte proportion. Ils doivent même à la présence du charbon ou « carbone » parmi leurs éléments le degré de parenté que l’on observe entre eux.

— Quelle chose étrange ! dit miss Watkins. Ainsi ces buissons que voilà, l’herbe de ce pâturage, l’arbre qui nous abrite, la chair de mon autruche Dada, et moi-même, et vous, monsieur Méré, nous sommes en partie faits de charbon… comme les diamants ? Tout n’est donc que charbon en ce monde ?

— Ma foi, mademoiselle Alice, il y a assez longtemps qu’on l’a pressenti, mais la science contemporaine tend de jour en jour à le démontrer plus clairement ! Ou, pour mieux dire, elle tend à réduire de plus en plus le nombre des corps simples élémentaires, nombre longtemps considéré comme sacramentel. Les procédés d’observation spectroscopiques ont, à cet égard, jeté très récemment un jour nouveau sur la chimie. Aussi les soixante-deux substances, classées jusqu’ici comme corps simples élémentaires ou fondamentaux, pourraient-ils bien n’être qu’une seule et unique substance atomique, l’hydrogène peut-être, — sous des modes électriques, dynamiques et calorifiques différents !

— Oh ! vous me faites peur, monsieur Méré, avec tous ces grands mots ! s’écria miss Watkins. Parlez-moi plutôt du charbon ! Est-ce que vous autres, messieurs les chimistes, vous ne pourriez pas le cristalliser comme vous faites du soufre, dont vous m’avez montré l’autre jour de si jolies aiguilles ? Ce serait bien plus commode que d’aller creuser des trous dans la terre pour y trouver des diamants !

— On a souvent essayé de réaliser ce que vous dites, répondit Cyprien, et tenté de fabriquer du diamant artificiel par la cristallisation du carbone pur. Je dois ajouter qu’on y est même parvenu dans une certaine mesure. Despretz, en 1853, et, tout récemment en Angleterre, un autre savant, ont produit de la poussière de diamant en appliquant un courant électrique très puissant, dans le vide, à des cylindres de charbon, débarrassés de toute substance minérale et préparés avec du sucre candi. Mais jusqu’ici, le problème n’a pas eu de solution industrielle. Il est probable, au surplus, que ce n’est désormais qu’une question de temps. D’un jour à l’autre, et peut-être à l’heure où je vous parle, miss Watkins, le procédé de fabrication du diamant est-il découvert ! »

Ils causaient ainsi en se promenant sur la terrasse sablée, qui s’étendait le long de la ferme, ou bien le soir, assis sous la légère vérandah, en regardant scintiller les étoiles du ciel austral.

Puis, Alice quittait le jeune ingénieur pour retourner à la ferme, quand elle ne l’emmenait pas voir son petit troupeau d’autruches, que l’on gardait dans un enclos, au pied de la hauteur sur laquelle s’élevait l’habitation de John Watkins. Leur petite tête blanche, dressée sur un corps noir, leurs grosses jambes raides, les bouquets de plumes jaunâtres qui les ornent aux ailerons et à la queue, tout cela intéressait la jeune fille, qui s’amusait, depuis un an ou deux, à élever toute une basse-cour de ces échassiers gigantesques.

Ordinairement, on ne cherche pas à domestiquer ces animaux, et les fermiers du Cap les laissent vivre à l’état quasi sauvage. Ils se contentent de les parquer dans des enclos d’une vaste étendue, défendus par de hautes barrières de fil d’archal, pareilles à celles que l’on pose, en certains pays, le long des voies ferrées. Ces enclos, les autruches, mal bâties pour le vol, ne peuvent les franchir. Là, elles vivent, toute l’année, dans une captivité qu’elles ignorent, se nourrissant de ce qu’elles trouvent et cherchant des coins écartés pour y pondre leurs œufs, que des lois sévères protègent contre les maraudeurs. À l’époque de la mue seulement, lorsqu’il s’agit de les dépouiller de ces plumes si recherchées des femmes d’Europe, les rabatteurs chassent peu à peu les autruches dans une série d’enclos de plus en plus resserrés, jusqu’à ce qu’enfin il soit aisé de les saisir et de leur arracher leur parure.

Cette industrie a pris depuis quelques années, dans les régions du Cap, une prodigieuse extension, et l’on peut à bon droit s’étonner qu’elle soit encore à peine acclimatée en Algérie, où elle ne serait pas moins fructueuse. Chaque autruche, ainsi réduite en esclavage, rapporte à son propriétaire, sans frais d’aucune espèce, un revenu annuel qui varie entre deux cents et trois cents francs. Pour le comprendre, il faut savoir qu’une grande plume, lorsqu’elle est de belle qualité, se vend jusqu’à soixante et quatre-vingts francs — prix courant du commerce — et que les plumes moyennes et petites ont encore une assez grande valeur.

Mais c’était uniquement pour son amusement personnel que miss Watkins élevait une douzaine de ces grands oiseaux. Elle prenait plaisir à les voir couver leurs œufs énormes, ou lorsqu’ils venaient à la pâtée avec leurs poussins, comme auraient pu le faire des poules et des dindons. Cyprien l’accompagnait quelquefois, et aimait à caresser l’une des plus jolies du troupeau, une certaine autruche à tête noire, aux yeux d’or, — précisément cette choyée Dada, qui venait d’avaler la bille d’ivoire, dont Alice se servait habituellement pour ses reprises.

Cependant, peu à peu, Cyprien avait senti naître en lui un sentiment plus profond et plus tendre envers cette jeune fille. Il s’était dit que jamais il ne trouverait, pour partager sa vie de travail et de méditation, une compagne plus simple de cœur, plus vive d’intelligence, plus aimable, plus accomplie de tout point. En effet, miss Watkins, privée de bonne heure de sa mère, obligée de conduire la maison paternelle, était une ménagère consommée en même temps qu’une véritable femme du monde. C’était même ce mélange singulier de distinction parfaite et de simplicité attrayante qui lui donnait tant de charme. Sans avoir les sottes prétentions de tant de jeunes élégantes des villes d’Europe, elle ne craignait pas de mettre ses blanches mains à la pâte pour préparer un pudding, surveiller le dîner, s’assurer que le linge de la maison était en bon état. Et cela ne l’empêchait pas de jouer les sonates de Beethoven aussi bien et peut-être mieux que tant d’autres, de parler avec pureté deux ou trois langues, d’aimer à lire, de savoir apprécier les chefs-d’œuvre de toutes les littératures, et enfin d’avoir beaucoup de succès aux petites assemblées mondaines, qui se tenaient parfois chez les riches fermiers du district.

Non que les femmes distinguées fussent très clairsemées dans ces réunions. En Transvaal comme en Amérique, en Australie et dans tous les pays neufs, où les travaux matériels d’une civilisation qui s’improvise absorbent l’activité des hommes, la culture intellectuelle est beaucoup plus qu’en Europe le monopole à peu près exclusif des femmes. Aussi sont-elles le plus souvent très supérieures à leurs maris et à leurs fils, en fait d’instruction générale et d’affinement artistique. Il est arrivé à tous les voyageurs de rencontrer, non sans quelque stupéfaction, chez la femme d’un mineur australien ou d’un squatter du Far West, un talent musical de premier ordre, associé aux plus sérieuses connaissances littéraires ou scientifiques. La fille d’un chiffonnier d’Omaha ou d’un charcutier de Melbourne rougirait de penser qu’elle peut être inférieure en instruction, en bonnes manières, en « accomplissements » de tout genre, à une princesse de la vieille Europe. Dans l’État libre d’Orange, où l’éducation des filles est depuis longtemps déjà sur le même pied que celle des garçons, mais où ceux-ci désertent trop tôt les bancs de l’école, ce contraste entre les deux sexes est marqué plus que partout ailleurs. L’homme est, dans le ménage, le « bread-winner, » le gagneur de pain ; il garde avec toute sa rudesse native, toute celle que lui impriment le métier en plein air, la vie de fatigues et de dangers. Au contraire, la femme prend pour son domaine, en plus des devoirs domestiques, la culture des arts et des lettres que dédaigne ou néglige son mari.

Et il se rencontre ainsi parfois qu’une fleur de beauté, de distinction et de charme, s’épanouit au bord du désert ; c’était le cas de la fille du fermier John Watkins.

Cyprien s’était dit tout cela, et, comme il allait droit au but, il n’avait pas hésité à venir présenter sa demande.

Hélas ! Il tombait maintenant du haut de son rêve, et apercevait, pour la première fois, le fossé presque infranchissable qui le séparait d’Alice. Aussi, fut-ce le cœur gros de chagrin qu’il rentra chez lui, après cette entrevue décisive. Mais il n’était pas homme à s’abandonner à un vain désespoir ; il était résolu à lutter sur ce terrain, et, en attendant, il eut bientôt trouvé dans le travail un sûr dérivatif à sa peine.

Après s’être assis devant sa petite table, le jeune ingénieur acheva, d’une écriture rapide et ferme, la longue lettre confidentielle qu’il avait commencée le matin à l’adresse de son maître vénéré, M. J… membre de l’Académie des Sciences et professeur titulaire à l’École des Mines :

« … Ce que je n’ai pas cru devoir consigner dans mon mémoire officiel, lui disait-il, parce que ce n’est encore pour moi qu’une hypothèse, c’est l’opinion que je serais assez tenté de me faire, d’après mes observations géologiques, sur le véritable mode de formation du diamant. Ni l’hypothèse qui le fait provenir d’une origine volcanique, ni celle qui attribue son arrivée dans les gisements actuels à l’action de violentes rafales, ne sauraient me satisfaire plus que vous, mon cher maître, et je n’ai pas besoin de vous rappeler les motifs qui nous les font écarter. La formation du diamant sur place, par l’action du feu, est aussi une explication beaucoup trop vague et qui ne me contente point. Quelle serait la nature de ce feu, et comment n’aurait-il pas modifié les calcaires de toutes sortes, qui se rencontrent régulièrement dans les gîtes diamantifères ? Cela me paraît tout simplement enfantin, digne de la théorie des tourbillons ou des atomes crochus.

« La seule explication qui me satisfasse, sinon complètement, du moins dans une certaine mesure, est celle du transport par les eaux des éléments de la gemme, et de la formation postérieure du cristal sur place. Je suis très frappé du profil spécial, presque uniforme, des divers gîtes que j’ai passés en revue et mesurés avec le plus grand soin. Tous affectent plus ou moins la forme générale d’une espèce de coupe, de capsule, ou plutôt, en tenant compte de la croûte qui les recouvre, d’une gourde de chasse, couchée sur le flanc. C’est comme un réservoir de trente ou quarante mille mètres cubes, dans lequel serait venu s’épancher tout un conglomérat de sables, de boue et de terres d’alluvions, appliqué sur les roches primitives. Ce caractère est surtout très marqué au Vandergaart-Kopje, un des gisements les plus récemment découverts, et qui appartient, pour le dire en passant, au propriétaire même de la case d’où je vous écris.

« Quand on verse dans une capsule un liquide contenant des corps étrangers en suspension, que se passe-t-il ? C’est que ces corps étrangers se déposent plus spécialement au fond et autour des bords de la capsule. Eh bien ! c’est précisément ce qui se produit dans le Kopje. C’est surtout au fond et vers le centre du bassin, aussi bien qu’à sa limite extrême, que se rencontrent les diamants. Et le fait est si bien constaté, que les claims intermédiaires tombent rapidement à un prix inférieur, tandis que les concessions centrales ou voisines des bords atteignent très promptement une valeur énorme, lorsque la forme du gisement a été déterminée. L’analogie est donc en faveur du transport des matériaux par l’action des eaux.

« D’autre part, un grand nombre de circonstances que vous trouverez énumérées dans mon Mémoire, tendent à indiquer la formation sur place des cristaux, de préférence à leur transport à l’état parfait. Pour n’en répéter que deux ou trois, les diamants sont presque toujours réunis par groupes de même nature et de même couleur, ce qui n’arriverait certainement pas s’ils avaient été apportés tout formés déjà par un torrent. On en trouve fréquemment deux accolés ensemble, qui se détachent au plus léger choc. Comment auraient-ils résisté aux frottements et aux aventures d’un charroi par les eaux ? De plus, les gros diamants se trouvent presque toujours sous l’abri d’une roche, ce qui tendrait à indiquer que l’influence de la roche, — son rayonnement calorifique ou toute autre cause, — a facilité la cristallisation. Enfin, il est rare, très rare même, que de gros et de petits diamants se rencontrent ensemble. Toutes les fois qu’on découvre une belle pierre, elle est isolée. C’est comme si tous les éléments adamantins du nid s’étaient cette fois concentrés en un seul cristal, sous l’action de causes particulières.

« Ces motifs et beaucoup d’autres encore me font donc pencher pour la formation sur place, après transport par les eaux, des éléments de la cristallisation.

« Mais d’où sont venues les eaux qui charriaient les détritus organiques, destinés à se transformer en diamants ? c’est ce qu’il ne m’a pas été possible de déterminer, en dépit de l’étude la plus attentive que j’ai faite des divers terrains.

« La découverte aurait pourtant son importance, En effet, si l’on parvenait à reconnaître la route suivie par les eaux, pourquoi n’arriverait-on pas, en la remontant, au point initial d’où sont partis les diamants, là où il y en a sans doute bien plus grande quantité que dans les petits réservoirs actuellement exploités ? Ce serait une démonstration complète de ma théorie, et j’en serais bien heureux, Mais ce n’est pas moi qui la ferais, car me voici presque au terme de ma mission, et il m’a été impossible de formuler à cet égard aucune conclusion sérieuse.

« J’ai été plus favorisé dans mes analyses de roches… »

Et le jeune ingénieur, poursuivant son récit, entrait, au sujet de ses travaux, dans des détails techniques qui étaient sans doute d’un haut intérêt pour lui et pour son correspondant, mais sur lesquels le lecteur profane pourrait bien ne pas porter le même jugement. C’est pourquoi il paraît prudent de lui en faire grâce.

À minuit, après avoir terminé sa longue lettre, Cyprien éteignit sa lampe, s’étendit dans son hamac et s’endormit du sommeil du juste.

Cyprien eut bientôt trouvé dans le travail un sûr dérivatif. (Page 29.)

Le travail avait étouffé le chagrin, — du moins pour quelques heures, — mais une gracieuse vision hanta plus d’une fois les rêves du jeune savant, et il lui sembla qu’elle lui disait de ne pas désespérer encore !