Germer-Baillière (p. 11-16).

IV

CONSTITUTION PHYSIQUE DES ASTRES.


La nature est merveilleuse dans l’art d’adapter les organismes aux milieux, sans s’écarter jamais d’un plan général qui domine toutes ses œuvres. C’est avec de simples modifications qu’elle multiplie ses types jusqu’à l’impossible. On a supposé, bien à tort, dans les corps célestes, des situations et des êtres également fantastiques, sans aucune analogie avec les hôtes de notre planète. Qu’il existe des myriades de formes et de mécanismes, nul doute. Mais le plan et les matériaux restent invariables. On peut affirmer sans hésitation qu’aux extrémités les plus opposées de l’univers, les centres nerveux sont la base, et l’électricité l’agent-principe de toute existence animale. Les autres appareils se subordonnent à celui-là, suivant mille modes dociles aux milieux. Il en est certainement ainsi dans notre groupe planétaire, qui doit présenter d’innombrables séries d’organisations diverses. Il n’est même pas besoin de quitter la terre pour voir cette diversité presque sans limites.

Nous avons toujours considéré notre globe comme la planète-reine, vanité bien souvent humiliée. Nous sommes presque des intrus dans le groupe que notre gloriole prétend agenouiller autour de sa suprématie. C’est la densité qui décide de la constitution physique d’un astre. Or, notre densité n’est point celle du système solaire. Elle n’y forme qu’une infime exception qui nous met à peu près en dehors de la véritable famille, composée du soleil et des grosses planètes. Dans l’ensemble du cortège, Mercure, Vénus, la Terre, Mars, comptent, comme volume, pour 2 sur 2 417, et en y joignant le Soleil, pour 2 sur 1 281 684. Autant compter pour zéro !

Devant un tel contraste, il y a quelques années seulement, le champ était ouvert à la fantaisie sur la structure des corps célestes. La seule chose qui ne parût point douteuse, c’est qu’ils ne devaient en rien ressembler au nôtre. On se trompait. L’analyse spectrale est venue dissiper cette erreur, et démontrer, malgré tant d’apparences contraires, l’identité de composition de l’univers. Les formes sont innombrables, les éléments sont les mêmes. Nous touchons ici à la question capitale, celle qui domine de bien haut et annihile presque toutes les autres ; il faut donc l’aborder en détail et procéder du connu à l’inconnu.

Sur notre globe jusqu’à nouvel ordre, la nature a pour éléments uniques à sa disposition les 64 corps simples, dont les noms viennent ci-après. Nous disons « jusqu’à nouvel ordre », parce que le nombre de ces corps n’était que 53 il y a peu d’années. De temps à autre, leur nomenclature s’enrichit de la découverte de quelque métal, dégagé à grand’peine, par la chimie, des liens tenaces de ses combinaisons avec l’oxygène. Les 64 arriveront à la centaine, c’est probable. Mais les acteurs sérieux ne vont guère au-delà de 25. Le reste ne figure qu’à titre de comparses. On les dénomme corps simples, parce qu’on les a trouvés jusqu’à présent irréductibles. Nous les rangeons à peu près dans l’ordre de leur importance :

1. Hydrogène.                 33. Manganèse.
2. Oxygène. 34. Zirconium.
3. Azote. 35. Cobalt.
4. Carbone. 36. Iridium.
5. Phosphore. 37. Bore.
6. Soufre. 38. Strontium.
7. Calcium. 39. Molybdène.
8. Silicium. 40. Palladium.
9. Potassium. 41. Titane.
10. Sodium. 42. Cadmium.
11. Aluminium. 43. Sélénium.
12. Chlore. 44. Osmium.
13. Iode. 45. Rubidium.
14. Fer. 46. Lantane.
15. Magnésium. 47. Tellure.
16. Cuivre. 48. Tungstène.
17. Argent. 49. Uranium.
18. Plomb. 50. Tantale.
19. Mercure. 51. Lithium.
20. Antimoine. 52. Niobium.
21. Baryum. 53. Rhodium.
22. Chrome. 54. Didyme.
23. Brome. 55. Indium.
24. Bismuth. 56. Terbium.
25. Zinc. 57. Thallium.
26. Arsenic. 58. Thorium.
27. Platine. 59. Vanadium.
28. Étain. 60. Ytrium.
29. Or. 61. Caesium.
30. Nickel. 62. Ruthénium.
31. Glucinium. 63. Erbium.
32. Fluor. 64. Cérium.


Les quatre premiers, hydrogène, oxygène, azote, carbone, sont les grands agents de la nature. On ne sait auquel d’entre eux donner la préséance, tant leur action est universelle. L’hydrogène tient la tête, car il est la lumière de tous les soleils. Ces quatre gaz constituent presqu’à eux seuls la matière organique, flore et faune, en y joignant le calcium, le phosphore, le soufre, le sodium, le potassium, etc.

L’hydrogène et l’oxygène forment l’eau, avec adjonction de chlore, de sodium, d’iode pour les mers. Le silicium, le calcium, l’aluminium, le magnésium, combinés avec l’oxygène, le carbone, etc., composent les grandes masses des terrains géologiques, les couches superposées de l’écorce terrestre. Les métaux précieux ont plus d’importance chez les hommes que dans la nature.

Naguère encore, ces éléments étaient tenus pour spécialités de notre globe. Que de polémiques, par exemple, sur le soleil, sa composition, l’origine et la nature de la lumière ! La grande querelle de l’émission et des ondulations est à peine terminée. Les dernières escarmouches d’arrière-garde retentissent encore. Les ondulations victorieuses avaient échafaudé sur leur succès une théorie assez fantastique que voici : « Le soleil, simple corps opaque comme la première planète venue, est enveloppé de deux atmosphères, l’une, semblable à la nôtre, servant de parasol aux indigènes contre la seconde, dite photosphère, source éternelle et inépuisable de lumière et de chaleur. »

Cette doctrine, universellement acceptée, a longtemps régné dans la science, en dépit de toutes les analogies. Le feu central qui gronde sous nos pieds atteste suffisamment que la terre a été autrefois ce qu’est aujourd’hui le soleil, et la terre n’a jamais endossé de photosphère électrique, gratifiée du don de pérennité.

L’analyse spectrale a dissipé ces erreurs. Il ne s’agit plus d’électricité inusable et perpétuelle, mais tout prosaïquement d’hydrogène brûlant, là comme ailleurs, avec le concours de l’oxygène. Les protubérances roses sont des jets prodigieux de ce gaz enflammé, qui débordent le disque de la lune, pendant les éclipses totales de soleil. Quant aux taches solaires, on avait eu raison de les représenter comme de vastes entonnoirs ouverts dans des masses gazeuses. C’est la flamme de l’hydrogène, balayée par les tempêtes sur d’immenses surfaces, et qui laisse apercevoir, non pas comme une opacité noire, mais comme une obscurité relative, le noyau de l’astre, soit à l’état liquide, soit à l’état gazeux fortement comprimé.

Donc, plus de chimères. Voici deux éléments terrestres qui éclairent l’univers, comme ils éclairent les rues de Paris et de Londres. C’est leur combinaison qui répand la lumière et la chaleur. C’est le produit de cette combinaison, l’eau, qui crée et entretient la vie organique. Point d’eau, point d’atmosphère, point de flore ni de faune. Rien que le cadavre de la lune.

Océan de flammes dans les étoiles pour vivifier, océan d’eau sur les planètes pour organiser, l’association de l’hydrogène et de l’oxygène est le gouvernement de la matière, et le sodium est leur compagnon inséparable dans leurs deux formes opposées, le feu et l’eau. Au spectre solaire, il brille en première ligne ; il est l’élément principal du sel des mers.

Ces mers, aujourd’hui si paisibles, malgré leurs rides légères, ont connu de tout autres tempêtes, quand elles tourbillonnaient en flammes dévorantes sur les laves de notre globe. C’est cependant bien la même masse d’hydrogène et d’oxygène ; mais quelle métamorphose ! L’évolution est accomplie. Elle s’accomplira également sur le soleil. Déjà ses taches révèlent, dans la combustion de l’hydrogène, des lacunes passagères, que le temps ne cessera d’agrandir et de tourner à la permanence. Ce temps se comptera par siècles, sans doute, mais la pente descend.

Le soleil est une étoile sur son déclin. Un jour viendra où le produit de la combinaison de l’hydrogène avec l’oxygène, cessant de se décomposer à nouveau pour reconstituer à part les deux éléments, restera ce qu’il doit être, de l’eau. Ce jour verra finir le règne des flammes, et commencer celui des vapeurs aqueuses, dont le dernier mot est la mer. Ces vapeurs, enveloppant de leurs masses épaisses l’astre déchu, notre monde planétaire tombera dans la nuit éternelle.

Avant ce terme fatal, l’humanité aura le temps d’apprendre bien des choses. Elle sait déjà, de par la spectrométrie, que la moitié des 64 corps simples, composant notre planète, fait également partie du soleil, des étoiles et de leurs cortèges. Elle sait que l’univers entier reçoit la lumière, la chaleur et la vie organique, de l’hydrogène et de l’oxygène associés, flammes ou eau.

Tous les corps simples ne se montrent pas dans le spectre solaire, et réciproquement les spectres du soleil et des étoiles accusent l’existence d’éléments à nous inconnus. Mais cette science est neuve encore et inexpérimentée. Elle dit à peine son premier mot et il est décisif. Les éléments des corps célestes sont partout identiques. L’avenir ne fera que dérouler chaque jour les preuves de cette identité. Les écarts de densité, qui semblaient de prime abord un obstacle insurmontable à toute similitude entre les planètes de notre système, perdent beaucoup de leur signification isolante, quand on voit le soleil, dont la densité est le quart de la nôtre, renfermer des métaux tels que le fer (densité, 7,80), le nickel (8,67). le cuivre (9,95), le zinc (7,19), le cobalt (7,81), le cadmium (8,69), le chrome (5,90).

Que les corps simples existent sur les divers globes en proportions inégales, d’où résultent des divergences de densité, rien de plus naturel. Évidemment, les matériaux d’une nébuleuse doivent se classer sur les planètes selon les lois de la pesanteur, mais ce classement n’empêche pas les corps simples de coexister dans l’ensemble de la nébuleuse, sauf à se répartir ensuite selon un certain ordre, en vertu de ces lois. C’est précisément le cas de notre système, et, selon toute apparence, celui des autres groupes stellaires. Nous verrons plus loin quelles conditions ressortent de ce fait.