L’État juif/CHAPITRE II

Texte établi par Baruch Hagani, Lipschutz (p. 101-187).


CHAPITRE II


LA JEWISH COMPANY




TRAITS PRINCIPAUX


La Jewish Company est en partie conçue d’après le modèle des grandes compagnies territoriales — une Chartered Company juive, si l’on veut. Seulement, elle ne jouit pas du droit de souveraineté et elle ne poursuit pas seulement des buts coloniaux.

La Jewish Company est constituée en société par actions sur la base subjective du droit anglais, en conformité des lois et sous la protection de l’Angleterre. Le siège principal est à Londres. Je ne saurais dire, présentement, à combien doit se monter le capital social. Nos nombreux spécialistes financiers en feront le calcul. Mais, pour ne pas employer des expressions vagues, j’en fixe arbitrairement le chiffre à un milliard de marks. Ce sera peut-être plus, peut-être moins. De la forme de l’opération financière par laquelle les fonds seront réunis — opération qui sera examinée plus loin — dépendra la fraction de la grande somme devant être effectivement versée lors de la mise en train.

La Jewish Company est une institution de transition. Elle est une entreprise purement industrielle, qui reste toujours soigneusement distincte de la Society of Jews.

La Jewish Company a tout d’abord la mission de liquider les biens immobiliers des Juifs qui se retirent. La façon dont cela est fait préserve des crises, assure à chacun ce qui lui appartient et rend possible cette migration intérieure des concitoyens chrétiens qui a déjà été indiquée.


AFFAIRES IMMOBILIÈRES


Les immeubles en question sont des maisons, des biens-fonds et la clientèle locale des maisons de commerce. Tout d’abord la Jewish Company se déclarera seulement prête à servir d’intermédiaire pour la vente de ces immeubles. Car, dans les premiers temps, les ventes des Juifs auront lieu de gré à gré et sans une grande baisse dans les prix. Les succursales de la Compagnie se transformeront dans chaque ville en bureaux centraux pour la vente des biens juifs. Chaque succursale ne prélèvera à cet effet que la commission nécessaire à son entretien.

Maintenant, il peut se faire que le développement de la situation produise une dépression des prix, et que, par suite, survienne une impossibilité de vente. Dans cette période, le rôle de la Compagnie, qui n’avait d’abord consisté qu’à servir d’intermédiaire pour la vente des biens, s’élargit. La Compagnie devient administratrice des immeubles abandonnés et attend, pour reprendre leur vente, une époque plus favorable.

Elle perçoit les loyers des immeubles, afferme les terres et institue des gérants pour les maisons de commerce, autant que possible également sous forme d’affermage, à cause des soins nécessités. La Compagnie aura partout tendance à faciliter à ces fermiers — des chrétiens — l’acquisition de la propriété. Elle pourvoira surtout entièrement, peu à peu, ses établissements européens d’employés et de représentants (avocats, etc.) chrétiens. Et ceux-ci ne devront aucunement devenir les valets des Juifs. Ils serviront pour ainsi dire de libre contrôle à la population chrétienne afin que tout s’y passe correctement, qu’il soit agi honnêtement et de bonne foi, et que nulle part ne se produise un ébranlement intentionnel dans le bien-être public.

En même temps, la Compagnie figurera comme vendeuse de biens ou plutôt comme échangeuse. Elle donnera une maison pour une maison, une terre pour une terre, et cela « là-bas ». Il faut, autant que possible, que tout y soit transplanté comme si c’était « ici ». Et, de ce fait, une source de bénéfices considérables et licites s’ouvre pour la Compagnie. Elle donnera « là-bas » de belles maisons modernes, pourvues de tout le confort, et de bonnes terres, qui coûteront cependant beaucoup moins cher, car elle aura acquis à bon marché le fonds et le tréfonds.


L’ACHAT DE LA TERRE


Le pays à assurer à la Society of Jews, sur la base du droit international, peut naturellement aussi être acquis par la voie du droit privé.

Les mesures à prendre par les particuliers en vue du déplacement n’entrent pas dans ce travail. Mais la Compagnie a besoin de grandes étendues de terre pour elle et pour nous. Elle s’assurera le sol nécessaire par un achat considérable. Il s’agira principalement de faire l’acquisition des biens domaniaux de l’actuelle autorité souveraine. Le but est d’arriver, « là-bas », à entrer en possession de la terre sans pousser les prix à une hauteur vertigineuse, de même qu’on vend « ici » sans dépréciation des biens. Une élévation excessive des prix n’est d’ailleurs pas à craindre, car la valeur de la terre, c’est d’abord la Compagnie qui l’apporte, puisque c’est elle qui dirige la colonisation, et cela, d’accord avec la Society of Jews, qui surveille.

La Compagnie cédera à ses employés des terrains à bâtir à bon marché, leur accordera, pour la construction de leurs belles demeures, des prêts amortissables, qu’elle déduira de leurs appointements ou qu’elle portera en compte peu à peu comme augmentation. Ce sera là, à côté des honneurs qu’ils attendent, une forme de récompense pour leurs services.

L’énorme bénéfice résultant de la spéculation de la terre devra revenir tout entier à la Compagnie, parce qu’elle doit recevoir pour les risques une prime indéterminée, comme tout autre entrepreneur. Là où il y a un risque dans l’entreprise, il faut que le bénéfice de l’entrepreneur soit généreusement favorisé. Mais aussi ce bénéfice excessif n’est-il tolérable que là seulement. La corrélation de risque et prime renferme la moralité financière.


LES CONSTRUCTIONS


La Compagnie échangera donc des maisons et des terres. Elle gagnera et doit gagner sur les fonds et le tréfonds. Cela est clair pour quiconque a observé, n’importe quand, l’augmentation de la valeur du sol par les travaux de la civilisation.

Cela se voit surtout dans les enclaves entre les villes et la campagne. Des terrains non cultivés augmentent de valeur par la couronne touffue d’œuvres de toutes natures que va tressant, autour d’eux, le progrès ascendant. Une spéculation de terrains géniale, dans sa simplicité, a été celle des hommes qui ont agrandi Paris. Ils ne construisirent pas dans le voisinage immédiat des dernières maisons de la ville. Mais, après avoir acheté les terrains attenants, ils commencèrent à élever des immeubles à la bordure extrême. Par cette façon inverse de bâtir, la valeur des lots de terrain augmenta rapidement, et, au lieu de construire toujours les dernières maisons de la ville, ils ne construisirent plus, une fois la bordure terminée, qu’à l’intérieur, c’est-à-dire sur des terrains de prix.

La Compagnie construira-t-elle elle-même ou donnera-t-elle ses ordres à des architectes privés ? Elle peut faire et fera l’un et l’autre. Elle a, comme on le verra bientôt, une puissante réserve de forces actives — ne devant absolument pas être exploitées d’après le système capitaliste — qui se trouvent placées dans les heureuses et sereines conditions de la vie, et qui, néanmoins, ne seront pas chères. Quant aux matériaux de construction, nos géologues y ont pourvu en cherchant les emplacements pour les villes.

Quel sera maintenant le principe qui prévaudra dans la construction ?


HABITATIONS OUVRIÈRES


Les habitations ouvrières (j’entends par là les habitations de tous les ouvriers) doivent être établies par les ouvriers eux-mêmes. Je ne pense en aucune façon aux tristes casernes ouvrières des villes européennes, ni aux misérables cabanes qui se trouvent rangées autour des fabriques. Nos maisons ouvrières doivent, elles aussi, à la vérité, avoir l’air uniformes parce que la Compagnie ne peut construire à bon marché que si elle produit les matériaux par grandes masses. Mais ces maisons individuelles avec leurs jardinets doivent, dans chaque endroit, constituer, par leur réunion, de beaux corps d’ensemble. La nature de la contrée stimulera l’heureux génie de nos jeunes architectes qui ne sont point esclaves de la routine, et, même en admettant que le peuple ne comprenne pas la grande inspiration qui domine le tout, il se sentira néanmoins à son aise dans ce léger groupement. Le temple, qui surgira au centre, y sera visible de loin, car ce n’est, en somme, que la vieille foi qui nous conserve unis. Des écoles claires et saines, munies de tout le matériel d’enseignement moderne, donneront l’instruction et l’éducation à l’enfance. Puis, des écoles de perfectionnement professionnel, qui, poursuivant des buts supérieurs, rendront le simple ouvrier capable d’acquérir des connaissances technologiques et lui permettront de se familiariser avec la mécanique. Enfin, il y aura des maisons de récréation pour le peuple, que la Society of Jews dirigera d’en haut, en vue de la moralité.

Il ne s’agit, d’ailleurs, maintenant, que des bâtiments et non de ce qui se passera en eux.

La Compagnie construira les demeures ouvrières à bon marché, dis-je. Non seulement parce que tous les matériaux seront présents en quantité, non seulement parce que le terrain appartiendra à la Compagnie, mais aussi parce qu’elle n’aura pas a payer les ouvriers pour cela.

Les farmers, en Amérique, ont pour système de s’aider réciproquement dans la construction de leurs maisons. Ce système bon enfant — lourd comme les block-houses qui en sont la conséquence — peut être amélioré beaucoup.


LES OUVRIERS NON PROFESSIONNELS
( « UNSKILLED LABOURERS » )


Nos ouvriers non professionnels (c’est-à-dire les ouvriers qui n’ont point fait d’apprentissage), lesquels viendront tout d’abord du grand réservoir russo-roumain, devront, de même, se bâtir réciproquement leurs maisons. Nous n’aurons pas, pour commencer, de fer à nous, et nous devrons aussi construire avec du bois.

Cela changera plus tard, et les pauvres constructions de nécessité des premiers temps seront alors remplacées par des constructions meilleures.

Nos unskilled labourers se construiront tout d’abord réciproquement des logis, en apprenant à le faire, au préalable. Cependant, par le travail, ils acquerront la propriété des maisons — pas tout de suite, sans doute, mais en se conduisant bien pendant une période de trois ans. De la sorte, nous obtiendrons des hommes zélés, habiles. Et un homme qui a travaillé trois années durant, en observant une bonne discipline, est formé pour la vie.

Je viens de dire que la Compagnie n’aura pas besoin de payer ses unskilleds. Oui, mais alors de quoi vivront-ils ?

Je suis en général opposé au truck-system (système du troc). Mais avec nos premiers colons, il devrait cependant être employé. La Compagnie s’occupera d’eux sous tant de rapports, qu’elle pourra bien aussi les entretenir. Le truck-system ne devra demeurer en vigueur que pendant les premières années seulement. Il sera d’ailleurs un bienfait pour les ouvriers, en ce sens qu’il empêchera leur exploitation par les détaillants et les cabaretiers. Mais la Compagnie rend ainsi, d’avance, impossible à nos petites gens la pratique du colportage, qu’ils n’avaient du reste embrassé « ici » que forcés par les vicissitudes historiques. Et elle tient dans sa main les ivrognes et les mauvais garnements. Alors, dans les premiers temps de la prise de possession du pays, il n’y aura donc pas de salaires ?

Si fait : des sursalaires.


LA JOURNÉE DE SEPT HEURES


La journée de travail normale est la journée de sept heures ! Cela ne signifie pas que l’on coupe des arbres, que l’on creuse la terre, que l’on transporte des pierres, bref que l’on fasse les innombrables travaux qui sont à faire seulement pendant sept heures par jour. Non. On travaillera quatorze heures. Mais les équipes d’ouvriers se relaieront toutes les trois heures et demie. L’organisation sera toute militaire, avec des grades, de l’avancement et des retraites. Il sera dit plus tard où devra être pris l’argent pour les pensions.

En trois heures et demie, un homme sain peut fournir beaucoup de travail concentré. Après une pause de trois heures et demie, qu’il consacre à son repos, à sa famille, à son perfectionnement professionnel, il se trouve de nouveau tout dispos. De telles forces actives peuvent faire des miracles.

La journée de travail de sept heures ! Elle rend possible quatorze heures de travail ordinaire. C’est tout ce que peut contenir la journée.

J’ai du reste la conviction que la journée de sept heures est complètement réalisable. On connaît les expériences qui ont été faites en Belgique et en Angleterre. Certains sociologues avancés prétendent que la journée de cinq heures serait tout à fait suffisante. La Society of Jews et la Jewish Company feront à ce sujet de nouvelles et abondantes expériences — qui profiteront aussi aux autres peuples — et s’il est prouvé que la journée de sept heures est pratiquement possible, notre futur État l’adoptera comme journée normale légale.

La Compagnie seule accordera constamment à son personnel la journée de sept heures. Elle pourra aussi toujours le faire.

Mais nous avons besoin de la journée de sept heures comme cri de ralliement universel pour nos gens qui, on le sait, doivent venir de leur propre gré. Ce doit être vraiment la Terre Promise…

Celui donc qui travaillera plus de sept heures recevra un salaire complémentaire en argent. Comme tous ses besoins sont couverts, et que les invalides de sa famille sont pourvus par les établissements de bienfaisance, centralisés par leur transfert dans le nouveau pays, il peut par conséquent épargner quelque chose. Nous stimulerons l’instinct de l’épargne, du reste déjà développé chez les gens de notre race, parce qu’il facilite l’élévation de l’individu aux couches supérieures, et parce que nous nous ménageons, par là, une énorme réserve de capitaux pour de futurs emprunts.

Le surplus de la journée de sept heures ne doit pas dépasser trois heures, et encore, il ne peut s’effectuer qu’après l’avis conforme de médecins. Car, dans la vie nouvelle, nos gens aborderont courageusement le travail, et le monde verra alors seulement quel peuple laborieux nous sommes.

Je n’expose pas, quant à présent, le fonctionnement du truck-system chez les premiers occupants (bons, etc.), pas plus d’ailleurs que je n’expose nombre d’autres détails, pour ne pas troubler le lecteur.

Les femmes ne seront point admises aux lourds travaux et ne devront pas faire d’heures supplémentaires.

Les femmes enceintes seront dispensées de tout travail et recevront du truck une nourriture très abondante. Car nous avons besoin, pour l’avenir, de fortes générations.

Nous élèverons tout de suite les enfants dès le commencement, comme nous l’entendons. Je ne m’étends pas là-dessus pour l’instant.

Ce que je viens de dire à propos des demeures ouvrières des unskilleds et de leur manière de vivre est tout aussi peu une utopie que le reste. Tout cela existe déjà dans la réalité, mais infiniment petit, inaperçu, incompris. Pour la solution de la question juive, l’« Assistance par le travail », que j’ai appris à connaître et à comprendre à Paris, m’a été d’une grande utilité.


L’ASSISTANCE PAR LE TRAVAIL


L’Assistance par le travail, comme elle existe actuellement à Paris et dans différentes villes de France, en Angleterre, en Suisse et en Amérique, est quelque chose de chétivement petit. Cependant, il est possible d’en faire quelque chose de très grand.

Qu’est-ce que l’Assistance par le travail ?

Le principe est que l’on donne du travail à tout unskilled besogneux, un travail facile, n’exigeant aucun apprentissage, comme par exemple faire du petit bois, confectionner des « margotins » (lesquels dans les ménages parisiens servent à allumer le feu). C’est une espèce de travail de prisonniers avant le crime, c’est-à-dire sans l’infamie. Personne n’a plus besoin de devenir criminel par nécessité, s’il veut travailler. Aucun suicide ayant la faim pour cause ne doit plus être commis. C’est là, d’ailleurs, l’un des pires stigmates d’une civilisation où, de la table des riches, l’on jette aux chiens des friandises.

L’Assistance par le travail donne par conséquent du travail à chacun. A-t-elle donc un débouché pour les produits ? Non. Tout au moins, elle n’a pas de débouché suffisant. Voilà le vice de l’organisation existante. Cette assistance travaille toujours avec perte. Assurément, elle s’y attend. Car c’est un établissement de bienfaisance. L’aumône se présente comme la différence entre les frais avoués et le produit de la vente. Au lieu de donner deux sous au mendiant, elle lui donne un travail sur lequel elle perd deux sous. Mais le mendiant loqueteux, qui est devenu un noble ouvrier, gagne 1 fr. 50. Pour 10 centimes, 150 ! Cela s’appelle multiplier quinze fois une bienfaisance qui a cessé d’être humiliante. Cela s’appelle faire d’un milliard quinze milliards.

Il est vrai que l’Assistance perd les 10 centimes, tandis que la Jewish Company, elle, non seulement ne perdra pas le milliard, mais réalisera des bénéfices gigantesques.

A cela, il faut ajouter le côté moral. Grâce à la petite Assistance, telle qu’elle existe à l’heure présente, s’opère déjà le relèvement moral par le travail, jusqu’à ce que l’homme sans occupation ait trouvé un emploi conforme à ses capacités dans son ancienne profession ou dans une nouvelle. Il a tous les jours quelques heures de libres pour chercher. Et l’Assistance sert elle-même d’intermédiaire.

L’inconvénient de la petite institution existante est qu’il ne faut pas faire de concurrence aux marchands de bois, etc. Les marchands de bois sont électeurs, ils crieraient, et ils auraient raison ! Il ne faut pas davantage faire concurrence au travail des maisons de détention. L’État doit occuper et entretenir ses criminels.

Il sera surtout difficile, dans une vieille société, de faire de la place à l’Assistance par le travail.

Mais dans notre société nouvelle ! Il nous faut avant tout une quantité énorme d’unskilled labourers pour nos travaux de prise de possession : routes, déboisements, élévations de terrain, chemins de fer, télégraphes, etc. Tout cela aura lieu en conformité d’un grand plan préalablement établi.


LE MARCHÉ


En faisant passer le travail dans le nouveau pays, nous y apporterons en même temps aussi le marché. Sans doute, pour commencer, seulement un marché des premiers besoins de la vie, bétail, blé, vêtements d’ouvriers, outils, armes, et ainsi de suite. Tout d’abord, nous ferons nos emplettes dans les États voisins ou en Europe. Mais après, nous nous rendrons le plus tôt possible indépendants. Les entrepreneurs juifs se seront rapidement rendu compte des chances qui s’offrent à eux.

Peu à peu, par l’armée des employés de la Compagnie, des besoins plus raffinés seront importés. (Au nombre des employés je compte aussi les officiers des troupes de police, qui devront toujours représenter à peu près la dixième partie des immigrés mâles. Ce qui sera suffisant pour faire face aux mutineries des mauvais éléments, car l’immense majorité est composée de gens paisibles).

Les besoins raffinés des employés bien placés produiront de nouveau un marché plus riche, qui ira en se développant. Dès qu’ils se seront créé un chez eux, les hommes mariés feront venir leurs familles ; les célibataires, leurs parents et leurs frères et sœurs. Nous voyons parfaitement ce mouvement chez les Juifs qui émigrent aux États-Unis. Dès que l’un d’eux a du pain à manger, il fait venir les siens. Les liens de la famille sont si forts dans le judaïsme ! La Société et la Compagnie agiront de concert pour fortifier et élever encore davantage la famille.

Je ne parle pas ici du côté moral, cela va de soi, mais du côté matériel. Les employés auront une indemnité pour leurs femmes et leurs enfants. Nous avons besoin de gens, de tous ceux qui sont là et de tous ceux qui viendront après.


AUTRE CATÉGORIE D’HABITATIONS


J’ai abandonné le fil principal de cette explication de la construction des demeures ouvrières par les ouvriers eux-mêmes. Je le reprends maintenant pour parler d’autres catégories d’habitations. La Compagnie fera aussi construire par ses architectes des maisons pour les petits bourgeois, soit comme objet d’échange, soit pour de l’argent. Elle fera établir et reproduire environ une centaine de types de maisons. Ces jolis modèles constitueront en même temps une partie de la propagande. Chaque maison aura son prix fixe. La bonté de l’exécution sera garantie par la Compagnie, qui ne voudra réaliser aucun bénéfice sur la construction. Oui, mais où seront placées ces maisons ? C’est ce qui sera indiqué dans les groupes locaux.

La Compagnie ne voulant rien gagner sur les travaux de construction et se contentant des bénéfices qui résulteront pour elle de la vente du fonds et du tréfonds, il sera à désirer que beaucoup d’architectes privés construisent pour des particuliers. Par là, la propriété foncière acquerra plus de valeur et le luxe arrivera dans le pays. Or, le luxe est ce dont nous avons besoin sous différents rapports. Notamment en vue de l’art, de l’industrie, et, dans un temps plus éloigné, de la décadence des grandes fortunes.

Car les Juifs riches qui, maintenant, sont obligés de cacher anxieusement leurs trésors et de donner leurs tristes fêtes, les rideaux baissés, pourront, « là-bas », jouir en pleine liberté. Si cette émigration s’effectue avec leur concours, le capital sera réhabilité chez nous, dans le nouveau pays, attendu qu’il aura montré son utilité dans une œuvre sans précédent. Si les Juifs les plus riches commencent à construire « là-bas » leurs châteaux, que l’on regarde déjà d’un œil si jaloux en Europe, il sera bientôt de mode d’aller y occuper de somptueuses demeures.


DE QUELQUES FORMES DE LA LIQUIDATION


La Jewish Company succède aux Juifs dans la possession ou l’administration de leurs immeubles.

Cette tâche est facile à remplir lorsqu’il s’agit de maisons et de biens-fonds. Mais comment faudra-t-il procéder avec les maisons de commerce, les fabriques, etc. ?

Il y faudra employer des formes variées et que l’on ne saurait par avance énumérer. Et cependant cela n’offre pas de difficultés non plus. Car, dans chaque cas particulier, le propriétaire d’une maison de commerce, lorsqu’il se décide de plein gré à émigrer, s’entendra avec les succursales de la Compagnie de son ressort relativement à la forme de liquidation la plus favorable pour lui.

En ce qui concerne les plus petits commerces, dans l’exploitation desquels l’action personnelle du propriétaire est le principal, et où l’arrangement du peu de marchandises qui s’y trouvent est l’accessoire, le transfert de la fortune s’effectue avec une grande facilité. La Compagnie crée pour l’émigrant un champ d’activité assuré, et son minuscule matériel peut être remplacé « là-bas » par un bien-fonds avec un crédit pour l’acquisition de machines.

Nos gens, qui sont ingénieux, se seront bientôt mis au courant, car les Juifs, on le sait, s’adaptent vite à toutes les espèces d’industries. C’est ainsi que beaucoup de marchands peuvent devenir de petits industriels agricoles. La Compagnie peut même consentir, avec des pertes apparentes, à prendre à son compte l’avoir immobilier des plus pauvres, pour obtenir la culture gratuite de certaines parcelles de terrain, ce qui augmente la valeur de ses autres parcelles.

Dans les exploitations moyennes, où l’organisation spéciale est tout aussi importante ou même déjà plus importante que l’action personnelle du propriétaire, et où le crédit de celui-ci joue un rôle décisif, on peut recourir à différentes formes de liquidation. C’est là aussi un des principaux points qui intéressent la migration intérieure des chrétiens. Le Juif qui se retire ne perd pas son crédit personnel, mais il l’emporte et l’emploiera utilement « là-bas » à son établissement. La Compagnie lui ouvre un compte courant. Il peut donc, à son choix, vendre sa maison ou la confier à des gérants, sous la surveillance de la Compagnie. Le gérant peut figurer comme fermier. Il peut aussi, par des paiements partiels, préparer l’achat successif. La Compagnie assure par ses inspecteurs et ses avocats la bonne administration de la maison de commerce abandonnée et la régularité des paiements.

La Compagnie figure ici comme curatrice des absents. Mais, si un Juif ne peut pas vendre sa maison de commerce, s’il ne la confie pas non plus à un mandataire, et si, néanmoins, il ne veut pas l’abandonner, eh bien ! il reste dans son actuelle résidence. D’ailleurs, même ceux qui restent n’empirent pas leur situation : ils sont allégés de la concurrence de ceux qui se sont retirés, et l’antisémitisme, avec son sacramentel : « N’achetez pas chez les Juifs ! » a cessé d’exister.

Si le propriétaire d’un fonds de commerce, qui émigre, veut exploiter « là-bas » le même commerce, il peut s’organiser d’avance à cet effet. Démontrons cela par un exemple : La raison sociale X. est une importante maison de modes. Son propriétaire veut émigrer. Il établit tout d’abord, dans son futur lieu d’habitation, une succursale à laquelle il cède ses marchandises de rebut. Les premiers émigrants pauvres constituent sa première clientèle. Mais, peu à peu, des gens s’en vont là-bas qui demandent des marchandises supérieures. Alors X. y envoie des articles nouveaux, puis les plus nouveaux. Sa succursale devient déjà d’un bon rapport pendant que la maison principale existe encore. X. possède enfin deux maisons. Il vend l’ancienne ou il en confie la gérance à son représentant chrétien, et lui-même s’en va là-bas dans sa nouvelle maison.

Un exemple plus grand : Y. et fils ont un gros commerce de charbons, comprenant des mines et des usines. Comment s’y prendre pour liquider une affaire de cette importance ? La mine de charbon, avec tout ce qui s’y rattache, peut être tout d’abord achetée par l’État dans lequel elle se trouve. Elle peut aussi être acquise par la Jewish Company, qui paie le prix d’achat en partie avec des terres situées là-bas, en partie en argent comptant. Une troisième possibilité serait la fondation d’une Société par actions « Y. et fils ». Une quatrième, la continuation de l’exploitation sur la base actuelle. Seulement, les propriétaires émigrés, même s’ils retournaient, à l’occasion, pour l’inspection de leurs biens, seraient des étrangers, des étrangers jouissant comme tels, dans les pays civilisés, de l’absolue protection des lois. Cela se voit d’ailleurs tous les jours dans la vie. Il y a une cinquième possibilité tout particulièrement féconde et grandiose, mais que je me borne à indiquer parce qu’il n’existe encore en sa faveur que des exemples peu nombreux et peu probants, quelque proche du reste qu’elle soit déjà de notre conscience moderne. Y. et fils peuvent céder leur entreprise, contre dédommagement, à l’ensemble de leurs employés actuels. Les employés se constituent en société avec responsabilité limitée, et peuvent peut-être arriver, à l’aide de la banque nationale qui ne prend pas d’intérêt usuraire, à payer à Y. et fils le prix de rachat. Les employés amortissent ensuite l’emprunt qui leur a été accordé par la banque nationale, par la Jewish Company ou par Y. et fils eux-mêmes.

La Jewish Company liquide les plus petits comme les plus grands. Et ce, pendant que les Juifs émigrent tranquillement, qu’ils créent la nouvelle patrie, la Compagnie est là, qui, en sa qualité de grande personne juridique, dirige le départ, garde les biens abandonnés, se porte caution du bon ordre de la liquidation par sa fortune visible, palpable, et répond d’une façon durable pour les émigrés.


LES GARANTIES DE LA COMPAGNIE


Sous quelle forme la Compagnie garantira-t-elle qu’il ne se produira, dans les pays abandonnés, ni appauvrissements, ni crises économiques ?

Il a déjà été dit que d’honnêtes antisémites devront être associés à l’œuvre pour y exercer en quelque sorte un contrôle populaire, tout en conservant leur entière liberté, précieuse pour nous.

Mais, de son côté, l’État a aussi des intérêts fiscaux qui peuvent être lésés. Il perd une classe peu importante au point de vue civique, mais très estimée comme contribuable. Il faut que, pour cela, une compensation lui soit offerte. Nous la lui offrons indirectement — en laissant dans le pays les maisons de commerce et les industries créées par la sagacité et l’application propres à notre race, en facilitant aux citoyens chrétiens l’occupation des positions par nous abandonnées, et en rendant ainsi possible l’avènement au bien-être de masses entières — ce qui est sans exemple par ce temps de paix.

La Révolution française avait montré en petit quelque chose de semblable. Mais, pour cela, le sang avait dû couler à torrents sous la guillotine, dans toutes les provinces du pays, et sur les champs de bataille de l’Europe. Et, dans ce but, les droits hérités et acquis avaient dû être brisés. Pourtant, par là, ne s’étaient enrichis que les rusés acheteurs des biens nationaux. Dans sa sphère d’action, la Jewish Company procurera aux différents États des avantages directs. Partout pourra être assurée aux gouvernements, aux conditions les plus favorables, la vente des biens abandonnés par les Juifs. Les gouvernements, à leur tour, pourraient employer en grandes masses ces amiables expropriations à certaines améliorations sociales.

La Jewish Company prêtera son concours aux gouvernements et aux parlements qui voudront diriger la migration intérieure des citoyens chrétiens, et elle paiera ainsi des taxes considérables.

Ainsi que cela a été dit, la Compagnie aura son siège social à Londres, parce qu’elle doit être, par rapport au droit privé, sous la protection d’une grande puissance actuellement non antisémite. Mais, si on l’appuie officiellement et officieusement, la Compagnie fournira en tous pays une vaste surface à l’impôt. Elle créera partout des succursales imposables. En outre, elle offrira l’avantage d’une double inscription immobilière, c’est-à-dire qu’elle paiera des droits doubles. Même là où elle ne figure que comme agence immobilière, elle se donnera les apparences passagères de l’acheteur. Et elle se trouvera un instant dans le Grand Livre comme propriétaire, même si elle ne veut pas posséder.

Il est vrai maintenant que c’est là une pure affaire de calcul. Il faudra examiner de proche en proche et décider jusqu’où la Compagnie peut aller dans cette voie sans compromettre son existence. Elle s’expliquera loyalement à ce sujet avec les ministres des Finances, qui, voyant clairement sa bonne volonté, accorderont partout les facilités nécessaires à la réalisation, dans des conditions favorables, de la grande entreprise.

Une autre concession à obtenir directement est celle relative au transport des marchandises et des personnes. Là où les chemins de fer appartiennent à l’État, la chose ne souffrira aucun doute. Des chemins de fer privés, la Compagnie obtiendra des faveurs comme tout grand expéditeur. Elle devra naturellement faire voyager nos gens et transporter leurs effets à aussi bon marché que possible, attendu que chacun se rendra là-bas à ses propres frais. Pour les classes moyennes, il y a le système Cook ; pour les classes pauvres, existe le tarif réduit. La Compagnie pourrait beaucoup gagner par la réduction obtenue sur les voyageurs et sur les marchandises. Mais son principe doit être, ici aussi, de ne retirer que les frais de son entretien.

L’industrie des transports est dans beaucoup d’endroits entre les mains des Juifs. Les maisons d’expédition sont les premières dont la Compagnie aura besoin et les premières qu’elle liquidera. Les propriétaires de ces maisons entreront au service de la Compagnie ou s’établiront là-bas à leur compte. Le lieu d’arrivée a besoin d’expéditeurs de réception. Or, comme c’est là une excellente industrie, et que là-bas on peut et l’on doit gagner aussitôt, les hommes entreprenants ne manqueront pas.

Il est inutile de nous étendre sur les détails purement commerciaux de cette émigration en masse, lesquels veulent être rationnellement appropriés au but qu’il s’agit d’atteindre. A la solution logique de cette question doivent s’employer et s’emploieront beaucoup d’esprits sagaces.


DE QUELQUES TRAVAUX DE LA COMPAGNIE


Plusieurs de ces travaux auront en quelque sorte un caractère cooperatif. Un seul exemple : successivement la Compagnie commencera à produire au début, dans ses établissements, des articles industriels, tout d’abord pour nos propres émigrants pauvres : vêtements, linges, souliers, etc. Car, dans les lieux de départ européens, nos pauvres gens seront habillés de neuf. On ne leur fera pas ainsi un cadeau, parce qu’ils ne doivent pas être humiliés. On leur échangera seulement leurs vieux effets contre des effets neufs. Si la Compagnie y perd quelque chose, elle l’inscrira dans ses livres comme perte commerciale. Ceux qui sont dénués de moyens seront, pour l’habillement, débiteurs de la Compagnie, et la paieront là-bas par des heures de travail supplémentaires, dont il leur sera fait remise pour leur bonne conduite.

Ici, les sociétés d’émigration existantes auront d’ailleurs l’occasion d’intervenir secourablement. Tout ce qu’elles avaient l’habitude de faire pour les Juifs émigrants, elles devront, à l’avenir, le faire pour les colons de la Jewish Company. La forme de cette intervention sera facile à trouver.

Déjà, dans le nouvel habillement des émigrants pauvres, il doit y avoir quelque chose de symbolique : « Vous commencez à présent une nouvelle existence ! » La Society of Jews prendra ses mesures pour que, longtemps avant le départ et même en route, on entretienne un état d’âme sérieux et grave par des prières, des conférences populaires, des leçons sur le but de l’entreprise, des prescriptions hygiéniques pour les nouveaux lieux d’habitation et des instructions relatives au travail futur. Car la Terre Promise est la terre du travail. A leur arrivée, les émigrants seront reçus solennellement par nos premières autorités, sans folle joie, car la Terre Promise doit d’abord être conquise. Mais déjà, il faut que ces pauvres gens voient qu’ils sont chez eux.

L’industrie du vêtement de la Compagnie ne produira pas au hasard. La Compagnie devra apprendre en temps utile de la Society of Jews, qui en sera informée par les groupes locaux, le nombre, le jour d’arrivée et les besoins des émigrants. De la sorte il lui sera possible de procéder avec prévoyance.


IMPULSION INDUSTRIELLE


La tâche de la Jewish Company et celle de la Society of Jews ne peuvent, dans ce projet, être exposées tout à fait séparément. De fait, ces deux grands organes devront incessamment agir de concert. La Compagnie ne pourra se passer de l’autorité morale et de la protection de la Société, de même que la Société ne pourra se dispenser du concours matériel de la Compagnie. Dans la direction très méthodique du vêtement, par exemple, se trouve déjà le faible commencement de l’expérience faite en vue d’éviter les crises de la surproduction.

Et partout où la Compagnie se présentera comme industrielle, elle procédera de la même façon.

Mais, en aucun cas, elle ne doit écraser de sa supériorité les entreprises indépendantes. Nous ne sommes collectivistes que là où l’exigent les énormes difficultés de la tâche. Pour le reste, nous soignons et cultivons l’individu avec ses droits. La propriété privée doit se développer chez nous, libre et respectée, comme la base économique de l’indépendance. Aussi nous empressons-nous d’élever nos premiers unskilleds à la propriété privée.

Il faut que l’esprit d’entreprise soit secondé de toutes les manières. L’établissement de nouvelles industries sera favorisé par une politique douanière rationnelle, par l’obtention de matières premières à bon marché et par un bureau de statistique industrielle publiant ses travaux.

L’esprit d’entreprise peut être stimulé de saine façon. Les hardiesses spéculatives sans méthode doivent être évitées. L’établissement de nouvelles industries est rendu public en temps opportun, de sorte que les entrepreneurs qui s’avisent, six mois plus tard, de se consacrer à une industrie donnée, ne soient pas entraînés dans la crise, dans la misère. Comme le but de tout nouvel établissement doit être porté à la connaissance de la Société, la situation des affaires industrielles peut, en tout temps, être exactement connue de chacun.

En outre, on procure aux entrepreneurs les bras ouvriers centralisés. L’entrepreneur s’adresse au bureau central de placement, qui, pour ses bons offices, ne percevra qu’un droit nécessaire à son propre entretien. L’entrepreneur télégraphie : « J’ai besoin demain, pour trois jours, trois semaines, ou trois mois, de cinq cents unskilleds ». Et demain arrivent à son exploitation agricole ou industrielle les 500 ouvriers demandés, que le bureau central de placement réunit en les faisant venir de partout où ils sont disponibles. Le primitif et lourd système de la Sachsengaengerei[1] se transforme ici en une institution judicieuse, militairement organisée. Il va sans dire qu’on ne fournit pas des esclaves de travail, mais seulement des ouvriers travaillant sept heures par jour, qui conservent leur organisation spéciale, et pour qui, même lorsqu’ils changent de localité, le temps de service continue, avec ses grades, avancement, et droit à la retraite. L’entrepreneur particulier a aussi la faculté de se procurer ailleurs ses bras ouvriers, s’il le veut. Mais il le pourra difficilement. La Société saura empêcher que l’on attire dans le pays des esclaves de travail non Juifs par un certain boycottage des industriels récalcitrants, par des difficultés apportées à la circulation et autres de même nature. Il faudra donc prendre des ouvriers de sept heures. Et c’est ainsi que nous nous approchons presque sans effort de la journée normale de sept heures de travail.


LES ARTISANS


Inutile d’ajouter que ce qui est vrai des unskilleds l’est aussi et à plus forte raison des artisans. Les ouvriers des fabriques peuvent, eux aussi, être compris dans la même catégorie. Le bureau central de placement les procure également.

En ce qui concerne les artisans établis, les petits maîtres — que nous cultiverons soigneusement en vue des futurs progrès de la technique, à qui nous inculquerons des connaissances technologiques même lorsqu’ils ne seront plus des jeunes gens, et à l’usage desquels des fils électriques conduiront la force hydraulique et la lumière — ces ouvriers indépendants devront également être cherchés et trouvés par le bureau central de placement de la Société. Ici, le groupe local s’adresse au bureau central : « Nous avons besoin de tant et tant de menuisiers, de serruriers, de verriers, etc. » Le bureau publie cette indication. Les hommes s’annoncent. Ils partent avec leurs familles pour la localité où l’on a besoin d’eux et y restent à demeure, nullement écrasés par une concurrence mal ordonnée. La patrie durable et bonne est née pour eux.


L’OPÉRATION FINANCIÈRE


On a supposé, comme capital social de la Jewish Company, une somme fantastique. Le chiffre véritablement nécessaire devra être fixé par des spécialistes financiers. Il sera, en tous les cas, énorme. Comment cette somme peut-elle être réunie ? Elle peut l’être par trois moyens différents, que la Société aura à examiner. La Société, cette grande personne morale, le Gestor des Juifs, se compose de nos hommes les plus purs, les meilleurs, qui ne peuvent ni ne doivent tirer aucun profit matériel de l’affaire. Bien qu’au commencement la Société ne dispose que d’une autorité morale, celle-ci suffira cependant pour accréditer la Jewish Company auprès du peuple juif. La Jewish Company n’aura vraiment des chances de réussite commerciale que lorsqu’elle aura reçu en quelque sorte l’estampille de la Société. Pour former la Jewish Company, il ne suffira donc pas qu’un groupe quelconque de financiers se réunissent. La Société examinera, choisira, décidera, et, avant de donner son approbation à la fondation, elle s’entourera de toutes les garanties nécessaires à la réalisation consciencieuse du projet. Il ne saurait être fait des expériences avec des forces insuffisantes, car cette entreprise doit réussir du premier coup. L’insuccès de la chose compromettrait l’idée pour des années et peut-être la rendrait pour toujours impossible.

Les trois moyens par lesquels on peut réunir le capital social sont : 1° la haute banque ; 2° la banque intermédiaire ; 3° une souscription nationale.

La fondation par la haute banque serait la plus facile, la plus rapide et la plus sûre. L’argent nécessaire peut être trouvé dans le plus bref délai, au sein des grands groupes financiers existants, par simple délibération. Cela aurait le grand avantage que le milliard — pour nous en tenir à ce chiffre supposé — n’aurait pas besoin d’être versé immédiatement en totalité. Il aurait en outre cet autre avantage que le crédit de ces très importants groupes financiers serait acquis à l’entreprise.

Dans la puissance financière juive sommeillent encore beaucoup de forces politiques inutilisées. Cette puissance financière est représentée par les ennemis du judaïsme, comme étant aussi active qu’elle pourrait être, ce qu’elle n’est pas en réalité. Les Juifs pauvres n’éprouvent que la haine que provoque cette puissance financière, mais le profit, l’allègement de leurs maux qui pourrait en résulter, les Juifs pauvres ne l’ont pas. Le crédit des grands Juifs de la finance devrait être mis au service de l’idée nationale. Mais si ces messieurs, naturellement très satisfaits de leur situation, n’éprouvent pas le besoin de faire quelque chose pour leurs frères de race, que l’on rend, à tort, responsables des grandes fortunes de quelques-uns, alors la réalisation de ce projet offrira l’occasion d’effectuer une séparation marquée entre eux et le reste du judaisme.

La haute banque ne sera d’ailleurs nullement invitée à fournir, par bienfaisance, une somme aussi énorme. Ce serait une folle prétention. Les fondateurs et actionnaires de la Jewish Company doivent bien plutôt faire une bonne affaire, et ils pourront d’avance juger des chances en perspective. Car la Society of Jews sera en possession des documents propres à leur permettre de se rendre un compte exact de l’avenir réservé à la Compagnie. La Society of Jews aura étudié avec soin l’étendue du nouveau mouvement juif et sera à même de faire connaître d’une façon absolument sûre aux fondateurs de la Compagnie quelle sera la participation sur laquelle celle-ci pourra compter. Par l’établissement de la nouvelle statistique universelle des Juifs, la Société accomplira pour la Compagnie des travaux analogues à ceux que les « Sociétés d’études » ont l’habitude d’exécuter en France, avant que l’on passe à l’opération financière d’une grande entreprise.

Néanmoins, la chose n’aura peut-être pas le précieux suffrage des magnats de la finance juive. Ceux-ci essaieront peut-être même, par leurs valets et leurs agents secrets, d’engager la lutte contre notre mouvement. Une pareille lutte, nous la soutiendrions, comme toutes celles qui pourraient nous être imposées, avec une âpreté exempte de tout ménagement.

Les magnats de la finance se contenteront peut-être aussi d’expédier l’affaire par un sourire d’excuse.

Elle est réglée par cela ?

Non pas !

Alors on a recours, pour réunir le capital social, au second moyen, c’est-à-dire aux Juifs de fortune intermédiaire. La banque juive intermédiaire devrait être rassemblée, au nom de l’idée nationale, contre la haute banque, en une seconde et formidable puissance financière. Ce qui aurait l’inconvénient de ne constituer, tout d’abord, qu’une affaire financière, attendu que le milliard devrait être versé intégralement — autrement on ne doit pas commencer — et, comme cet argent n’aurait d’utilisation que lentement, il se produirait, pendant les premières années, toutes sortes d’affaires de banque et de crédit. Et il ne serait pas impossible que le but primitif tombât ainsi peu à peu dans l’oubli. Les Juifs de fortune intermédiaire auraient de la sorte trouvé une nouvelle grande affaire, et la migration juive s’enliserait.

L’idée de cette réunion de capitaux n’est nullement fantastique. A différentes reprises, on a essaye de réunir l’argent catholique contre la haute banque juive. Qu’on puisse aussi la combattre avec de l’argent juif, c’est ce à quoi l’on n’a pas pensé jusqu’à présent.

Mais que de crises tout cela aurait pour conséquence ! Que de préjudices éprouveraient les pays où se produiraient de pareilles luttes financières ! Et combien de progrès y ferait l’antisémitisme !

Cette façon de procéder ne m’est donc pas sympathique. Et, si j’en fais mention, c’est simplement parce qu’elle est dans le développement logique de l’idée.

J’ignore d’ailleurs si les banques intermédiaires saisiront la balle au bond.

En tous les cas, l’affaire n’est pas terminée non plus par le refus des riches intermédiaires. C’est, au contraire, alors qu’elle s’affirme avec force.

Car la Society of Jews, qui n’est pas composée de gens d’affaires, peut en ce cas essayer la fondation de la Compagnie en faisant appel aux éléments nationaux.

Le capital social de la Compagnie peut être trouvé, sans le concours de la haute banque ou du syndicat de la banque intermédiaire, par une souscription immédiate. Non seulement les pauvres petits Juifs, mais encore les chrétiens qui veulent se débarrasser des Juifs, souscriront à cet emprunt, divisé en très petites parts. Ce serait une forme caractéristique et nouvelle du plébiscite, par laquelle quiconque veut se prononcer pour cette solution de la question juive, pourrait exprimer son opinion par une souscription conditionnelle. Dans la condition se trouve la bonne sûreté. Le versement intégral serait à effectuer si toute la somme est souscrite ; dans le cas contraire, le premier acompte serait rendu.

Mais, si la somme nécessaire est couverte dans le monde entier par l’imposition nationale, alors chacune des petites sommes est garantie par les innombrables autres petites sommes.

A cet effet l’appui formel et décisif des gouvernements intéressés serait naturellement nécessaire.


LES GROUPES LOCAUX


Transplantation.

Je me suis borné jusqu’ici à faire voir comment l’émigration peut s’effectuer sans secousse économique. Cependant une pareille émigration ne va pas sans beaucoup de fortes et profondes émotions. Il y a de vieilles habitudes, des souvenirs qui nous attachent aux lieux, car nous sommes des hommes. Nous avons des berceaux, nous avons des tombes, et l’on sait ce que sont les tombes au cœur juif. Les berceaux, nous les emportons avec nous — en eux sommeille, rose et souriant, notre avenir. Nos chères tombes, il nous faut les abandonner ; je crois que c’est d’elles que — peuple avide — nous nous séparerons le plus difficilement. Mais il le faut.

Déjà nous éloignent de nos lieux d’habitation et de nos tombes la nécessité économique, la haine et la pression politique. Déjà, présentement, les Juifs passent à chaque instant d’un pays dans l’autre. Il se produit même un fort mouvement d’émigration par delà l’Océan, jusqu’aux États-Unis — où, non plus, l’on ne nous aime pas. Où nous aimera-t-on, aussi longtemps que nous n’aurons pas de patrie qui nous soit propre ?

Mais nous voulons donner aux Juifs une patrie. Non pas en les arrachant violemment de leur sol. Non, mais en les enlevant prudemment avec toutes leurs racines et en les transplantant dans un sol meilleur. Car, si nous voulons, dans la vie politique et économique, créer des conditions nouvelles, nous entendons, par contre, dans la vie du sentiment, conserver religieusement tout un passé auquel nous sommes si profondément attachés. Je ne veux donner à ce sujet que peu d’indications. Car, ici, le projet court le plus grand danger d’être considéré comme un rêve mystique.

Et cependant cela aussi est possible et vrai. Seulement, dans la réalité, cela apparaît comme quelque chose d’un peu confus et vague, que l’on peut cependant, par l’organisation, rendre rationnel.


LA MIGRATION PAR GROUPES


Nos gens doivent émigrer par groupes, par groupes de familles et d’amis. Personne n’est obligé de se joindre au groupe de son lieu d’habitation. Chacun peut, après avoir liquidé ses affaires, partir et voyager comme il l’entend. Chacun voyageant à ses propres frais, peut choisir, en chemin de fer et en bateau, la classe qui lui convient. Nos trains de chemins de fer et nos bateaux n’auront d’ailleurs peut-être qu’une classe. Car, au cours d’un si long voyage, la différence de possession constitue pour les pauvres quelque chose de pénible à supporter. Et, bien que nous ne conduisions pas nos gens à un amusement, nous ne voulons pas, cependant, gâter leur bonne humeur.

Personne ne voyagera dans la misère. Par contre, l’agrément et l’élégance ne perdent point leurs droits. On s’entendra déjà longtemps à l’avance, car il se passera sans doute encore des années, même dans le cas le plus favorable, avant que le mouvement gagne les différentes classes possédantes. Les personnes aisées se réuniront en sociétés de voyage. On emmènera avec soi toutes ses relations personnelles. Nous savons que, les plus riches exceptés, les juifs n’ont presque pas de relations avec les chrétiens. Dans certains pays, la situation est telle que le Juif qui n’entretient pas quelques couples de parasites, mangeant à sa table et lui empruntant à fonds perdus, — et qu’il considère d’ailleurs comme des valets — ne connaît point de chrétien.

Dans les classes moyennes, on se préparera longuement et soigneusement au voyage. Chaque localité formera un groupe. Dans les grandes villes, plusieurs groupes se constitueront d’après les quartiers et entretiendront les uns avec les autres des relations par l’intermédiaire de représentants élus. Cette division par quartiers n’a rien d’obligatoire. Elle n’est imaginée, à vrai dire, que comme une facilité en vue des moins fortunés, et aussi pour empêcher que, pendant le voyage, aucun malaise, aucune nostalgie ne se produisent. Chacun sera libre de voyager seul, ou de se joindre au groupe qui lui plaira. Les conditions — divisées par classes — sont égales pour tous. Si une société se réunit suffisamment nombreuse, elle obtient de la Compagnie, d’abord tout un train, puis tout un bateau. Le service des logements de la Compagnie aura procuré un abri convenable aux plus pauvres. A l’époque ultérieure où émigreront les classes aisées, le besoin reconnu, parce que facile à prévoir, aura déjà donné lieu à la construction d’hôtels de la part d’entrepreneurs particuliers. Et puis, les émigrants fortunés auront sans doute déjà bâti leurs habitations, de sorte qu’en quittant leur vieille maison, ils n’auront qu’à s’installer dans la nouvelle.

Nous n’avons pas besoin de rappeler leur devoir à nos classes cultivées. Quiconque s’associe à la pensée nationale saura de quelle façon il devra agir sur les gens qui l’environnent, en vue de sa propagation et de sa mise en action. Nous faisons principalement appel au concours de nos pasteurs.


NOS PASTEURS


Chaque groupe a son rabbin, qui marche à la tête de sa communauté. Tous s’assemblent naturellement. Le groupe local se forme autour du rabbin. Autant de rabbins, autant de groupes. Les rabbins seront ainsi les premiers à nous comprendre, à s’enthousiasmer pour la cause, et à communiquer leur enthousiasme aux autres du haut de la chaire. Point n’est besoin, à cet effet, de convoquer des assemblées bavardes. On intercalera ce que l’on aura à dire dans le service divin. Et il faut qu’il en soit ainsi. Nous ne reconnaissons notre nationalité qu’à la foi de nos pères, car nous nous sommes depuis longtemps assimilé de façon indélébile les langues de différentes nations.

Les rabbins recevront régulièrement les communications de la Société et de la Compagnie et les porteront à la connaissance de leurs communautés en les expliquant. Israël priera pour nous et pour lui-même.


LES HOMMES DE CONFIANCE
DES GROUPES LOCAUX


Les groupes locaux constitueront de petites commissions d’hommes de confiance, sous la présidence du rabbin. Dans ces commissions seront discutées et résolues toutes les questions d’ordre pratique.

Les établissements de bienfaisance seront transférés librement par les groupes locaux. Les fondations continueront, là-bas, à demeurer au milieu des anciens groupes. Cependant, d’après mon avis, les édifices ne devront pas être vendus mais consacrés aux indigents chrétiens des villes abandonnées. Dans le partage des terres, là-bas, on en tiendra compte aux groupes en leur accordant gratuitement des terrains à bâtir, et toutes les facilités de construction. À propos du transfert des établissements de bienfaisance, l’occasion s’offre de nouveau comme elle s’est offerte dans maints autres endroits de ce projet de faire une expérience en vue du bien général de l’humanité. Notre actuelle bienfaisance privée, mal ordonnée, accomplit fort peu de bien par rapport aux dépenses faites. Les établissements de bienfaisance peuvent et doivent être systématisés de façon à se compléter réciproquement. Dans une société nouvelle, ces institutions peuvent être organisées conformément aux exigences de la conscience moderne, avec l’utilisation de toutes les expériences sociologiques faites jusqu’à ce jour. La chose est pour nous très importante, parce que nous avons beaucoup de mendiants. Étant donné la pression intérieure, qui les décourage, et la bienfaisance attendrie de nos riches, qui les gâte, les natures faibles parmi nous se laissent facilement aller à la mendicité.

Appuyée par les groupes locaux, la Société consacrera, sous ce rapport, à l’éducation populaire, la plus grande attention. Et par là sera ouvert un champ fertile à beaucoup de forces qui, maintenant, s’étiolent inutilisées. Quiconque est animé de bonne volonté doit être convenablement employé. Celui qui, comme homme libre, ne veut rien faire, sera mis à la maison de travail.

Par contre, nous ne reléguerons pas les vieux à l’hospice des incurables. L’hospice des incurables est un des bienfaits les plus cruels qu’ait inventés notre sotte bonté d’âme. A l’hospice, le vieillard meurt de honte et de mortification. A vrai dire, il est déjà enterré. Mais nous voulons garder jusqu’à la fin la consolante illusion de leur utilité même à ceux qui se trouvent placés aux derniers échelons de l’intelligence. A ceux qui sont inaptes aux gros travaux, il sera assigné des besognes faciles. Il nous faut compter avec les pauvres atrophiés d’une génération en décrépitude. Mais les générations qui suivront devront être élevées autrement, dans la liberté, par la liberté.

Nous chercherons pour tous les âges, pour tous les degrés de la vie, le bonheur dans le travail. C’est ainsi que notre peuple retrouvera sa vigueur dans le pays de la journée de sept heures.


LES PLANS DES VILLES


Les groupes locaux enverront leurs représentants pour faire le choix des lieux. Dans le partage des terres, on fera le nécessaire afin qu’une transplantation douce et la conservation de tout ce qui veut être conservé puissent s’effectuer.

Dans le local des groupes, se trouveront exposés les plans des villes. Nos gens sauront d’avance où ils vont, dans quelles villes, dans quelles maisons ils habiteront. Il a déjà été parlé des plans de construction, ainsi que des figures facilement intelligibles qui devront être distribuées aux groupes.

A l’inverse de l’administration, qui est fortement centralisée, le principe des groupes locaux est l’absolue autonomie. Ce n’est que de cette façon que la transplantation peut s’effectuer sans douleur.

Je ne me présente pas la chose plus facile qu’elle ne l’est ; il ne faut pas non plus se la représenter plus difficile.


L’ÉMIGRATION DES CLASSES MOYENNES


La bourgeoisie sera involontairement entraînée dans le nouveau pays par le mouvement. Les uns auront là-bas leurs fils comme fonctionnaires de la Société ou employés de la Compagnie. Les jurisconsultes, les médecins, les ingénieurs de toutes branches, les jeunes marchands, tous les Juifs, chercheurs de chemins, qui, maintenant, fuyant les tribulations qui sont leur lot dans leurs patries, s’en iront gagner leur vie sur d’autres continents et se réuniront sur ce sol plein d’espérances. D’autres auront marié leurs filles à des hommes désireux d’améliorer leur situation, d’arriver. Alors, nos jeunes gens feront venir, qui sa fiancée, qui ses parents, ses frères et sœurs. Dans les pays neufs, on se marie de bonne heure. Ce qui ne peut que favoriser la moralité. Nous obtiendrons ainsi de vigoureux rejetons, et non ces faibles enfants de pères mariés sur le tard, qui ont d’abord usé leur énergie dans la lutte pour la vie.

Dans la bourgeoisie, chacun de nos émigrants en attirera d’autres après lui.

Aux plus vaillants appartiendra naturellement ce qu’il y aura de meilleur dans le nouveau monde. Il semble, il est vrai, que ce soit ici la grande difficulté du projet.

Même si nous réussissons à mettre sérieusement la question juive à l’ordre du jour de la discussion universelle ; même si de cette discussion il résulte d’une façon précise que l’État Juif est un besoin du monde ; même si nous arrivons, par l’appui des puissances, à obtenir un territoire ; comment parviendrons-nous, sans contrainte, à emmener les masses juives de leurs lieux d’habitation actuels dans le nouveau pays ? Car l’émigration est bien toujours considérée comme volontaire.


LE PHÉNOMÈNE DE LA FOULE


Il sera à peine utile de faire de grands efforts pour activer le mouvement. Les antisémites s’en chargent. Ils n’ont besoin que de continuer à agir comme ils l’ont fait jusqu’à présent ; le goût de l’émigration chez les Juifs naîtra là où il n’existe pas encore et se fortifiera là où il existe déjà. Si à présent les Juifs restent dans les pays antisémites, c’est pour cette raison que, même ceux d’entre eux qui n’ont que d’imparfaites connaissances historiques, savent que, par nos nombreux changements de lieux, à travers les siècles, nous ne sommes jamais parvenus, à la longue, à améliorer notre situation. S’il y avait aujourd’hui un pays où les Juifs fussent les bienvenus — même si ce pays ne leur offrait que des avantages de beaucoup inférieurs à ceux que leur offre l’État juif — il s’y produirait immédiatement une immigration juive. Les plus pauvres, ceux qui n’ont rien à perdre, s’y précipiteraient. Mais je prétends, et chacun n’aura qu’à s’interroger pour savoir si je dis vrai, qu’à cause de l’oppression dont nous sommes l’objet, le goût de l’émigration existe chez nous, même dans les classes aisées. Déjà les plus pauvres suffiraient à la fondation d’un État. Ils sont même le meilleur « matériel humain » pour l’occupation d’un pays, et cela parce que, pour les grandes entreprises, il faut toujours avoir en soi un petit peu de désespoir.

Mais, en même temps que, par leur apparition, par leur travail, nos desperados augmenteront la valeur du pays, ils feront naître aussi, pour ceux qui possèdent, la tentation de les suivre. Des couches de plus en plus élevées auront intérêt à aller là-bas. La migration des premiers, des plus pauvres, sera dirigée de concert par la Société et la Compagnie, avec, vraisemblablement aussi, l’appui des associations d’émigration et des associations sionistes déjà existantes.

Comment une foule peut-elle être dirigée, sans commandement, sur un point déterminé ?

Il y a certains bienfaiteurs juifs de grand style qui veulent alléger les souffrances des Juifs par des expériences sionistes. Ces bienfaiteurs ont déjà eu à s’occuper de la question, et ils ont cru la résoudre en donnant aux émigrants de l’argent ou du travail. Le bienfaiteur dirait donc : « Je paie les gens afin qu’ils y aillent. »

Cela est radicalement faux, et, avec tout l’argent du monde, impossible à obtenir.

La Compagnie dira au contraire : « Nous ne les payons pas, nous les laissons payer. Seulement, nous leur proposons quelque chose. »

Je vais vous rendre le fait sensible par un exemple plaisant. Un de ces bienfaiteurs, que nous appellerons le baron, et moi, nous voudrions avoir, par une chaude après-midi de dimanche, une foule dans la plaine de Longchamp, près Paris. En promettant à chacun 10 francs, le baron emmènera pour 200.000 francs vingt mille malheureux individus en transpiration, qui le maudiront de leur imposer ce tourment.

Moi, par contre, avec ces 200.000 francs, j’institue un prix pour le cheval le plus rapide. Après quoi, je tiendrai les gens éloignés de Longchamp par des barrières. Qui veut entrer doit payer : 1 franc, 5 francs, 20 francs.

Le résultat sera que j’y conduirai un demi-million de personnes. Le Président de la République s’y rendra en attelage à la daumont, la foule éprouvera du plaisir et se divertira par elle-même. Ce sera là pour la plupart, malgré le soleil ardent et la poussière, un agréable exercice en plein air. Et moi, pour ces 200.000 francs, j’aurai fait, tant comme prix d’entrée que comme droit de jeu, un million de recettes. J’aurai, quand je voudrai, les mêmes gens à Longchamp et le baron ne les aura pour rien au monde.

Je veux, d’ailleurs, montrer aussitôt d’une façon plus sérieuse le phénomène de la foule dans la question du gagne-pain. Que l’on essaie une fois de faire crier dans les rues d’une ville : « Celui qui restera toute la journée debout dans une halle de fer isolée, en hiver, par un froid horrible, en été, par une chaleur étouffante, et qui adressera la parole à tous les passants en leur offrant de la triperie, des poissons ou des fruits, recevra 2 florins ou 4 francs, ou plus encore. » Combien de gens peut-on bien y recevoir ? Et si la faim les y pousse, combien de jours résisteront-ils ? Et s’ils résistent, quel sera le zèle avec lequel ils essaieront de décider les passants à acheter des fruits, des poissons et de la triperie ?

Nous nous y prenons autrement. Sur les points où se dessine un grand mouvement — et ces points, nous pouvons les trouver d’autant plus facilement que c’est nous-mêmes qui dirigeons le mouvement où nous voulons — sur ces points nous érigeons de grandes halles, que nous appelons marchés. Nous pourrions construire nos halles plus mal encore et moins hygiéniquement que celles dont je viens de parler. Et cependant les gens y afflueraient. Mais nous les construirons plus belles et meilleures, avec toute notre sollicitude. Et ces gens, à qui nous n’avons rien promis, parce que, à moins d’être des trompeurs, nous ne pouvons rien promettre, ces braves gens, qui aiment le commerce, effectueront en plaisantant une vente très animée.

Ils feront incessamment valoir leurs marchandises avec intelligence, et, bien que constamment sur pied, ils sentiront à peine la fatigue. Non seulement ils y accourront journellement, de façon à être des premiers, mais ils formeront encore entre eux des associations, des unions et nombre d’autres choses analogues pour pouvoir seulement continuer, sans être troublés, ce genre de métier. Et si, d’aventure, il résulte le samedi que, malgré leur peine, ils n’ont gagné que 1 florin 50 ou 3 francs, ou moins encore, eh bien ! ils attendront cependant avec espoir le jour prochain, qui peut-être sera meilleur.

Nous leur avons donné l’espérance.

Veut-on savoir où nous prendrons les besoins qui nous sont indispensables pour le développement des marchés ? Faut-il vraiment encore que cela soit dit ?

J’ai fait voir précédemment que, grâce à l’assistance par le travail, le gain se trouve multiplié quinze fois. Pour un million, quinze millions ; pour un milliard, quinze milliards.

Parfaitement ; mais est-ce aussi exact en grand qu’en petit ? Le produit du capital n’a-t-il pas une progression décroissante ? Oui, celui du capital dormant, lâchement enfoui, non celui du capital en travail. Le capital en travail a même, en hauteur, une redoutable force de production. Et c’est là que gît la question sociale.

Ce que je dis est-il exact ?

J’en appelle aux Juifs les plus riches. Pourquoi exploitent-ils tant d’industries ? Pourquoi envoient-ils, pour un maigre salaire, au milieu d’effroyables dangers, des gens sous la terre dans le but d’en extraire du charbon ? Je m’imagine que cela n’est pas agréable, pas même pour les propriétaires des mines. Je ne crois pas à la dureté de cœur des capitalistes et je ne fais pas semblant d’y croire. Je ne veux pas exciter, mais concilier.

Ai-je besoin d’expliquer le phénomène à la foule, et comment on l’attire, sur les points que l’on veut, vers de pieux pèlerinages ?

Je ne voudrais blesser les sentiments religieux de personne par des paroles qui pourraient être faussement interprétées. Je me borne à indiquer ce qu’est, dans le monde mahométan, le pèlerinage de la Mecque, ce que sont, dans le monde catholique, Lourdes et d’innombrables autres points, d’où des hommes, grâce à leur foi, reviennent consolés, ainsi que d’avoir contemplé la sainte tunique de Trêves. Et nous donnerons, nous aussi, des objectifs au profond besoin religieux de notre peuple. Nos prêtres seront certes les premiers à nous comprendre et à marcher avec nous.

Nous laisserons, là-bas, chacun faire son salut à sa façon, aussi et avant tout nos chers libres esprits — notre immortelle légion, qui ne cesse de conquérir de nouveaux domaines à l’humanité.

Il ne doit être imposé à personne d’autre contrainte que celle indispensable à la conservation de l’État et au maintien de l’ordre. Et ce minimum nécessaire ne sera point déterminé alternativement par le bon plaisir d’une ou de plusieurs personnes, mais il sera basé sur des lois d’airain. Veut-on, maintenant, justement conclure des exemples choisis par moi que la foule ne peut être attirée que passagèrement vers ses objectifs de foi, de profession ou de plaisir ? Eh bien, la réfutation de cette objection est simple. Un pareil objectif ne peut qu’attirer les masses. Tous ces points d’attraction à la fois sont propres à les fixer et à les satisfaire de façon durable. Car ces points d’attraction réunis forment une grande unité longtemps cherchée, après laquelle notre peuple n’a jamais cessé de soupirer, pour laquelle il s’est conservé et a été conservé par l’oppression : la patrie libre ! Lorsque le mouvement se produira, nous attirerons les uns et nous nous ferons suivre par les autres, les troisièmes seront entraînés avec violence dans notre course et les quatrièmes seront poussés derrière nous.

Ces derniers, les ultimes traînards, seront dans la posture la plus fâcheuse, ici comme là-bas.

Mais les premiers, ceux qui s’en iront pleins d’enthousiasme et de vaillance, auront les meilleures places.


NOTRE « MATÉRIEL HUMAIN »


Sur aucun peuple n’a été répandu autant d’erreurs que sur les Juifs. Et nous avons été à tel point déprimés et découragés par nos souffrances historiques, que nous répétons nous-même ces erreurs, auxquelles, à l’exemple des autres, nous croyons. Une de ces fausses allégations est celle suivant laquelle les Juifs auraient un goût immodéré pour le commerce. Eh bien, on sait que partout où nous pouvons suivre le mouvement ascensionnel des classes, nous nous éloignons précipitamment du commerce. C’est de là que provient ce qu’on est convenu d’appeler la « judaïsation » des professions libérales. Mais même dans les couches pauvres, notre goût pour le commerce n’est pas aussi prononcé qu’on se l’imagine. Dans les pays de l’Europe orientale, il y a de grandes masses de Juifs qui ne sont point commerçants et qui ne reculent pas devant les travaux pénibles. La Society of Jews sera à même de préparer une statistique scientifique exacte de nos forces humaines. Les nouvelles tâches et les perspectives qui attendent nos gens dans le nouveau pays satisferont tous ceux qui s’adonnent présentement aux travaux manuels et feront des ouvriers de beaucoup d’actuels petits commerçants.

Un colporteur qui s’en va à travers la campagne avec son paquet sur le dos ne s’estime pas aussi heureux que le croient ses persécuteurs. Par la journée de sept heures, tous ces gens peuvent être transformés en ouvriers. Ce sont de si braves gens, méconnus, et qui, maintenant, souffrent peut-être le plus. D’ailleurs la Society of Jews s’occupera, dès le commencement, de leur éducation comme ouvriers. Le goût du gain devra être sagement stimulé. Le Juif est économe, ingénieux et animé de l’esprit de famille le plus fort. De pareils hommes sont propres à toutes les industries. Et il suffira de rendre le petit commerce improductif pour en éloigner même les actuels colporteurs. On atteindrait ce but en favorisant, par exemple, la création de grands magasins, dans lesquels on trouverait tout. Les grands magasins étouffent déjà présentement le petit commerce dans les grandes villes. Dans un pays neuf, ils en empêcheraient même la naissance. Leur établissement aurait en même temps l’avantage de rendre le pays aussitôt habitable pour des gens ayant des besoins supérieurs.


PETITES HABITUDES


Est-il compatible avec le sérieux de cet écrit, que je parle, ne fût-ce qu’en passant, des petites habitudes et commodités de la vie quotidienne ? Je crois que oui. Cela est très important. Car ces petites habitudes sont comme mille fils dont chacun, pris isolément, est mince et faible ; réunis, ils forment une corde incassable.

C’est là un point au sujet duquel il importe aussi de se débarrasser des idées étroites. Quiconque a vu quelque chose du monde sait que, surtout, les petites habitudes de tous les jours peuvent maintenant être transplantées avec facilité. Oui, les acquisitions techniques de notre temps, que ce projet voudrait utiliser en vue des besoins humains, ont été, jusqu’à ce jour, principalement mises au service des petites habitudes. Il y a des hôtels anglais en Égypte et au sommet des montagnes de la Suisse, des cafés viennois dans l’Afrique du Sud, des théâtres français en Russie, des opéras allemands en Amérique, et la meilleure bière bavaroise à Paris. Si nous émigrons encore une fois de Mizraïm, nous n’oublierons certes pas les marmites.

Dans chaque groupe local, chacun retrouvera ses petites habitudes, seulement dans des conditions meilleures, plus belles, plus agréables.

  1. Mot intraduisible qui signifie à peu près : les « allées et venues des Saxons », et qui se dit par allusion au déplacement des ouvriers agricoles saxons et elbiens qui vont annuellement faire les moissons dans l’Allemagne du Sud.