L’État actuel du problème de l’Atlantide

L’ÉTAT ACTUEL DU PROBLÈME DE L’ATLANTIDE

première partie

Il y a plusieurs années, d’abord à l’occasion de mes études géologiques aux Canaries, puis à la suite d’un voyage dans le Maroc occidental, j’ai dû m’occuper de ce que la Géologie peut nous enseigner sur le mystérieux continent qui gît sous les eaux de la mer Ténébreuse. Depuis lors, j’ai parcouru tout ce qui a été écrit sur ce sujet dans les temps modernes, j’ai compulsé les principaux textes anciens, et je suis arrivé à la conclusion que le problème, s’il n’est pas résolu, peut être aujourd’hui formulé par la Géologie en termes qui en permettent la solution prochaine.

I

Je commencerai par retracer l’historique succinct de la question. Chez différents auteurs de l’Antiquité, on trouve des allusions plus ou moins voilées à l’Atlantide ; mais, en général, ou elles méritent peu de foi à cause de leur caractère vague, ou elles constituent des rappels de citations antérieures. Quelques-unes, toutefois, méritent un certain intérêt, comme celle de Marcel, écrivain grec du 1er siècle avant J. C, qui, parlant des « sept îles » (Canaries), dit que ses habitants conservent le souvenir d’une autre île plus grande, l’Atlantide, dont le domaine s’étendait bien au delà des autres terres atlantiques. D’après Théopompe, contemporain de Platon, dix millions d’hommes, habitant un immense continent situé « bien au delà de l’Atlantique », vinrent en Europe et s’étendirent sur les contrées qu’occupaient les races celtiques. Il paraît, enfin, qu’il existe aussi des légendes haïtiennes et mexicaines qui se rapportent à un cataclysme assimilable à l’affaissement de l’Atlantide sous les eaux de l’Océan.

Mais la véritable origine de la légende atlantique réside dans les deux fameux dialogues de Platon. En voici les passages qui nous intéressent.

Dans l’un d’eux, un vieux prêtre de Sais s’adresse à Solon en ces termes : « Votre République (grecque) résista aux efforts d’une grande puissance qui, sortie de la mer Atlantique, avait envahi injustement toute l’Europe et l’Asie, car alors cette mer était guéable.

« Sur ses bords était une île, en face du détroit que vous appelez les Colonnes d’Hercule.

« Cette île était plus étendue que la Libye et l’Asie réunies.

« De là, les voyageurs pouvaient passer à d’autres îles, desquelles on pouvait se rendre dans tout le continent situé à l’opposite et sur les bords de la mer proprement appelée Pontos.

« Dans cette île, il y avait des rois dont le pouvoir était très grand et s’étendait sur cette île, et beaucoup d’autres, et des parties de continents. Ces rois régnaient en outre sur tous les pays du côté de la Libye jusqu’en Égypte et du côté de l’Europe jusqu’à la Tyrrhénie…

« Mais, dans les derniers temps, il survint des tremblements de terre et des inondations, et dans l’espace d’un jour et d’une nuit fatale, l’île Atlantide disparut sous la mer. » (Timée ou De la Nature).

Dans l’autre dialogue, on dit : « … Il faut nous rappeler avant tout que 9 000 ans ont passé depuis le temps qu’une guerre s’est élevée entre ceux qui demeuraient en deçà des Colonnes d’Hercule et ceux qui vivaient au delà.

« On dit que notre République (la Grèce) avait le commandement sur les premiers et qu’elle dirigea toute la guerre.

« Les autres étaient gouvernés par le roi de l’île Atlantide, dont nous avons déjà dit qu’elle était plus étendue que la Libye et que l’Asie et qui est aujourd’hui un limon impraticable produit par les tremblements de terre ». (Critias ou De l’Atlantide).

Sur une base aussi frêle que les dialogues précédents, les interprétations ont été fantastiques et variées. À l’un des extrêmes de la série, Humboldt considère ce récit comme tout à fait mythique, attribuant son invention à la tendance des auteurs grecs à exalter leur patrie, qu’ils présentent comme le sauveur du monde oriental dans les âges les plus reculés. À l’extrême opposé de la crédulité, l’Argentin Llerena ne se borne pas à croire à l’Atlantide passée, mais il ne décrit rien moins que celle qui surgira plus tard de l’Atlantique.

Quoique le texte de Platon, dans son dialogue de Timée, soit assez concluant sur l’emplacement du pays des Atlantes, il n’a pas manqué d’auteurs qui l’ont transporté vers des limites beaucoup plus lointaines. Ainsi Rudbeck le situe en Suède et fixe même la position de sa capitale, qui ne serait autre que l’Upsal actuel. Bailly le considère encore plus septentrional, puisqu’il suppose qu’il comprend les terres actuelles du Groenland, de l’Islande, du Spitzberg et de la Nouvelle-Zemble, réunies par un relief sous-marin marqué. Pour notre historien des Indes, Oviedo, l’Atlantide et l’Amérique sont une même chose.

Bory de Saint-Vincent est le premier qui ait traité la question d’une manière scientifique[1]. Se fondant sur ses études de Géographie et de Sciences naturelles et sur des raisons alors très judicieuses, bien que les progrès scientifiques leur aient fait perdre de valeur, il admet la réalité du récit de Platon. Pour lui, les Canaries sont les antiques Hespérides, le Teyde n’est pas autre chose que le fameux Mont Atlas, et les Guanches, habitants primitifs de ces îles, descendent directement des Atlantes. Tous les groupes d’archipels de l’Atlantique nord : Açores, Madère, Salvajes, Canaries et Cap-Vert, ont formé autrefois, pour Saint-Vincent, un pays fertile compris entre les 12e et 41e degrés de latitude N. Une curieuse carte conjecturale de l’Atlantide, dont l’auteur n’ose pas fixer les limites occidentales, traduit graphiquement ses conclusions.

On peut dire que les opinions de Saint-Vincent firent époque, et il faut arriver à des temps bien postérieurs pour voir se renouveler les points de vue d’où le problème avait été scruté. Entre temps, les études sur l’Atlantide n’ont pas manqué ; mais ce sont exclusivement des interprétations ethnographiques de légendes, travaux de pure fantaisie presque toujours, qui n’ont fait qu’embrouiller la question. Mentionnons-en deux comme exemples.

L’Américain Donnelly[2] croit en une civilisation bien antérieure aux Atlantes, d’où les peuples connus les plus anciens auraient reçu tous leurs enseignements. Pour prouver l’existence de l’Atlantide, il recherche le témoignage de la mer, de la flore et de la faune, croyant rencontrer le récit de la catastrophe qui détruisit cette terre dans les légendes du Déluge communes à l’Ancien et au Nouveau Monde. Il décrit, comme s’il venait de le parcourir, le continent atlantique — avec sa carte — énumère les colonies de cet empire du Mexique à l’Égypte et de l’Irlande à l’Afrique équatoriale, et conclut en demandant que les escadres oisives soient employées à essayer de retirer des fonds océaniques les merveilles qui sans doute furent ensevelies avec la fameuse île.

Le Français Berlioux[3] parle avec une assurance non moins admirable de la nation atlante. Pour lui, il n’a pas existé un empire océanique proprement dit, mais le territoire de l’Atlantide s’enracinait dans l’Atlas africain, et la nation qui l’habitait a vécu avec les peuples de l’Attique, de la Tyrrhénie, de l’Égypte et de la Phénicie jusqu’aux siècles proches de notre ère. De l’Atlas ce peuple combatif — qui à la fin fut détruit par la guerre — s’irradia non seulement dans tout le monde alors connu, mais encore en Amérique, où le conduisait une voie maritime, celle des alizés, qui, passant par les Îles Fortunées, se terminait sur les côtes mexicaines.

Quelques années après, le géographe italien Borsari[4] sapait par une critique raisonnée les interprétations fantaisistes et revenait à l’étude scientifique du sujet.

Il recueille les opinions des géologues espagnols sur l’ancienne extension de notre péninsule, ainsi que l’opinion de Verneau sur les Canaries, d’après lequel ces îles, loin de représenter des terres affaissées, sont le résultat du soulèvement de strates submergées sous la mer. Il considère l’analogie des faunes et des flores tertiaires de l’Amérique et de l’Europe et profite des conséquences tirées par W. Kobelt de l’étude des faunes des îles atlantiques. De l’ensemble, il déduit l’existence indubitable d’une Atlantide mésozoïque et d’une communication terrestre entre l’Europe et l’Amérique pendant l’ère tertiaire ; mais, jusqu’à présent, il est impossible de prouver que la terre atlantique discutée a existé au Quaternaire et encore moins à l’époque préhistorique et historique.

La brève étude de Borsari résume magistralement ce qu’on pouvait dire alors sur ce sujet, et c’est une étape de laquelle il convient de partir pour apprécier les travaux postérieurs qui ont remis sur le tapis le problème de l’Atlantide[5].

II

Passant à l’étude de l’état actuel de la question, nous commencerons par examiner les enseignements de la Zoologie et de la Botanique.

Il ne paraît pas douteux que les continents aujourd’hui séparés par l’Atlantique furent réunis aux âges les plus anciens de l’histoire de notre planète, et que c’est seulement à une époque récente, géologiquement parlant, qu’ont dû s’effondrer sous les eaux les ponts qui se tendaient entre l’Ancien et le Nouveau Monde.

Robert F. Scharff, étudiant comparativement les faunes terrestres européennes et américaines et leurs relations avec celles des périodes géologiques antérieures, a conclu que la connexion entre l’Amérique du Sud et l’Afrique est anté-tertiaire, tandis que la communication terrestre entre l’Europe et l’Amérique du Nord est indubitablement tertiaire. Cette communication devait exister aussi bien entre les Antilles et la région méditerranéenne qu’entre le Canada et l’Europe baltique. Il pense que certaines espèces autochtones du Groenland, comme l’Helix hortentis, se sont répandues alors en Europe d’une part, en Amérique de l’autre.

Presque tous les zoologistes qui se sont occupés plus spécialement de la distribution géographique des espèces et de leurs corrélations génétiques avec les faunes disparues ont abondé, depuis, dans les idées de Scharff. Mais personne n’est arrivé à des conclusions aussi précises que Germain, dont le dernier travail[6], résumé et application de toutes les connaissances zoogéographiques au problème qui nous occupe, mérite d’être analysé avec quelques détails.

Examinant les faunes des îles atlantiques en général, il observe dès l’abord deux groupes parfaitement distincts : d’une part, les îles du golfe de Guinée, de caractère africain équatorial, et de l’autre les archipels de l’Atlantique nord, sans connexion faunique quelconque avec l’Afrique tropicale. Le caractère de ces derniers leur est donné par la faune terrestre, car la faune potamique ou d’eau douce est très rare et d’introduction récente. La faune terrestre, au contraire, est presque totalement autochtone, d’aspect continental et sans différences notables d’un archipel à l’autre, quoique les espèces exclusives et donc caractéristiques ne manquent pas, surtout aux Canaries. Les affinités de cette faune avec la faune circum-méditerranéenne sont très grandes ; elle en a aussi, quoique à un moindre degré, avec les faunes des Antilles et de l’Amérique centrale.

Germain confirme ces relations en étudiant successivement chacun des groupes d’animaux terrestres. Nous ne le suivrons pas en détail, et nous nous bornerons à citer quelques exemples. Les Lépidoptères de ces îles comptent 70 % d’espèces méditerranéennes et 20 % d’espèces américaines ; il reste à peine 10 % d’espèces propres. Le genre Nonalhiera, hémiptère particulier aux Canaries, a ses affinités d’une part en Algérie (Marmothania), d’autre part au Guatemala (Sisammes). Chez les Coléoptères des îles atlantiques prédominent les espèces nord-africaines et circum-méditerranéennes, mêlées à des types américains assez nombreux. Mais on observe l’absence des genres Carabus et Lampyris, si abondants en Europe, ce que l’auteur prétend expliquer par le fait que ces genres sont d’autant moins fréquents qu’ils sont plus à l’Ouest dans la région considérée : ainsi, sur les 153 espèces du premier, 17 seulement habitent l’Espagne, 8 le Portugal et 2 le Maroc[7]. On peut dire quelque chose d’analogue des autres groupes d’Insectes, des Vers de terre, des Arachnides, des Isopodes et des Mollusques terrestres, spécialement du genre Helix.

Les considérations d’ordre paléontologique font apparaître la faune malacologique de ces archipels comme une survivance de la faune tertiaire de l’Europe centro-occidentale. Dans cet ordre d’idées, Germain signale comme un fait notable la survivance aux Canaries et aux Açores d’une fougère, l’Adiantum reniforme, propre au Pliocène du Portugal. Des connexions plus modernes sont décelées par l’existence de la Rumina decollata, si caractéristique de la faune méditerranéenne, dans les dépôts quaternaires des Îles du Cap-Vert. Et enfin il faut considérer comme très significative l’existence, tout le long de la côte atlantique marocaine, de dépôts quaternaires à Helix Gruveli, mollusque très analogue aux espèces vivantes des Canaries. Récemment notre malheureux géologue Font y Sagué a trouvé à Fuerteventura quelques dépôts de ce genre, qui peuvent faire supposer une connexion terrestre très moderne entre l’Afrique et les Canaries.

Quelques données zoogéographiques paraissent confirmer, dans l’opinion de Germain, la déduction précédente. Telle est principalement la répartition des Oleacinidæ (Mollusques Pulmonés), qui ne vivent plus que dans l’Amérique centrale, les Antilles, les archipels atlantiques et le bassin méditerranéen ; en Amérique, comme dans la faune miocène de l’Europe méridionale, ils sont représentés par des formes de grande taille, tandis que, dans les archipels et la région méditerranéenne, ils sont de dimensions modestes. Les Polixenus (Myriapodes nocturnes) n’habitent plus que l’Europe méridionale, le nord de l’Afrique, les Antilles, le Guatemala et une partie de l’Amérique du Sud. Des cinq espèces connues du genre Brachysteles (Hémiptère), deux sont européennes, deux se trouvent à Madère et une aux Antilles. Des faits très analogues s’observent dans la distribution des Clausilidæ (Mollusques terrestres), des Gekonidæ (Reptiles), etc., ainsi que de quelques Fougères et de l’ensemble de la flore.

Citons enfin, avec Germain, et comme très significatives, certaines analogies entre les faunes carcinologiques littorales américaine et africaine, l’existence de 15 Mollusques marins communs aux Antilles et au Sénégal (sans qu’on puisse invoquer le transport des embryons, qui n’arriveraient pas vivants après un trajet aussi étendu), et surtout des Madréporaires de San Thomé étudiés par Gravier et connus seulement, en dehors de cette localité, en Floride et aux Bermudes.

Louis Germain, dans son grand travail, a épuisé tout ce que peuvent fournir les documents biologiques aujourd’hui connus, particulièrement ceux qui se rapportent au règne animal. De leur analyse, il se croit autorisé à conclure que les archipels atlantiques furent autrefois soudés en un continent qui s’unissait au Portugal et au Maroc et qui était limité au Sud par une côte orientée du SE au NW entre le Cap-Vert et le Venezuela. La portion méridionale de cette terre prolongeait la bande désertique africaine, tandis que par le Nord se continuait la zone montagneuse sud-européenne.

L’effondrement de l’Atlantide a été indubitablement postérieur à celui du continent africano-brésilien, qui occupait l’emplacement actuel de l’Atlantique méridional. Voici quel a dû être le processus du phénomène :

Formation primaire de la fosse américaine, jalonnée à l’Ouest par la Floride, les Bahamas et les Antilles ; il y avait déjà alors une communication maritime entre les Antilles et la côte occidentale d’Afrique, au sud du Cap-Vert.

Plus tard, le continent se disloqua, laissant subsister une immense plate-forme divisée en fragments, îles étendues dans lesquelles la faune et la flore évoluèrent avec une certaine indépendance.

Puis, à une époque plus récente, mais impossible à préciser, la masse continentale se disloqua complètement pour donner naissance aux groupes d’îles actuels.

Et Germain conclut par ces paroles : « La séparation de cet archipel (du continent), que Louis Gentil considérait comme pliocène supérieure ou quaternaire, est certainement plus récente, ainsi que le prouve l’existence simultanée des dépôts à Helix Gruveli en Maurétanie et aux Îles Canaries. Elle doit se placer au voisinage du Néolithique. » C’est à cette époque que remonterait la tradition de l’Atlantide.

Laissons de côté pour le moment les considérations d’ordre géologique alléguées par Germain, qui ne sont pas originales et dont nous tiendrons compte plus loin, et faisons ressortir la conclusion de l’auteur que la convulsion finale du continent atlantique a dû se produire à la fin de la période préhistorique, tout au moins à une époque assez récente pour que la relation orale d’un si grand événement ait pu parvenir aux premières périodes de l’Histoire.

Malgré la documentation sincère et copieuse du travail de Germain, les raisons qu’il invoque sont loin d’avoir la force qu’il leur attribue. Quelques-unes même sont contraires à l’objet de sa démonstration : ainsi l’existence de la faunule de Coralliaires de San Thomé, qui, pour être probante, devrait comporter quelque représentant intermédiaire, surtout dans l’Archipel du Cap-Vert, car il serait tout à fait extraordinaire qu’elle ne se fût conservée qu’aux points extrêmes de son aire de dispersion. En effet, les larves de ces animaux ne vivant pas plus de 2 ou 3 jours, leur transport n’a pu être effectué par les courants directement d’un point à un autre ; si donc la dissémination s’est effectuée par étapes le long d’une côte — la côte méridionale de l’Atlantide — comment se fait-il qu’aucun représentant de la faunule ne se soit conservé sur les restes de cette côte, en particulier au Cap-Vert et aux Canaries ? J’avoue sincèrement qu’il y a là un phénomène zoogéographique inexplicable avec les données actuelles[8].

Quant à la valeur des particularités de distribution de certains groupes actuels isolés, comme les Oléacinidés ou les Clausilidés, par exemple, si elles nous permettent bien d’affirmer une connexion ancienne entre le Vieux et le Nouveau Monde, elles ne nous autorisent aucunement à fixer une date post-tertiaire à l’interruption de cette connexion. Qu’on n’oublie pas que la valeur stratigraphique des Mollusques terrestres est très discutable.

Le fameux Adiantum reniforme des Canaries n’est que pliocène, c’est-à-dire toujours tertiaire, au Portugal. Rien ne s’oppose à ce que, de même qu’il a persisté jusqu’à aujourd’hui dans l’archipel, il ait pu s’y maintenir depuis des époques antérieures, tout en disparaissant sur le continent, pour des raisons climatologiques ou d’un autre ordre à un moment donné, qui n’est pas forcément celui de la séparation des deux terres. On pourrait en dire autant de l’existence de la Rumina decollata, dans les gisements quaternaires des îles du Cap-Vert.

La rencontre à Fuerteventura et sur la côte maurétanienne de dépôts quaternaires identiques à Helix Gruveli constitue un fait plus décisif, quoiqu’il n’indique en aucune façon la connexion des Canaries avec le continent jusqu’au Néolithique, mais seulement jusqu’au Quaternaire. La réalité du phénomène mériterait d’être confirmée par une exploration prolongée, qui permettrait d’étudier en détail la composition et la situation de ces dépôts et de les comparer avec ceux de la côte frontière. Le séjour du P. Font aux Canaries orientales n’a été que passager, et le problème est assez important et difficile à résoudre pour mériter une plus grande attention.

III

Tandis que le travail précédent de Germain est celui qui peut servir de guide pour les données zoologiques, au point de vue botanique ce sont les études de Proust et Pitard sur la flore des Canaries qui ont apporté le plus de documents à la solution de notre problème[9]. Lemoine, dans une note publiée sur ce dernier travail, arrive aux mêmes conclusions[10]. Voyons donc brièvement quelles sont ces conclusions et comment raisonnent leurs partisans :

La flore canarienne est constituée par 1 352 espèces connues, appartenant à 512 genres. Parmi ces plantes, 468 (soit environ un tiers) sont endémiques, 534 (ou à peu près les deux cinquièmes) sont méditerranéennes, et le reste, soit 350 espèces, ubiquistes. Ajoutons que quelques-unes des plantes qui vivent actuellement aux Canaries disparurent d’Europe à l’époque tertiaire.

L’endémisme extraordinaire de cette flore, représenté par un tiers des espèces et un douzième des genres, lui donne un caractère d’antiquité notable ; les plantes endémiques de Madère ne comptent que pour un septième, celles des Açores pour un dixième et celles du Cap-Vert pour un vingt-cinquième. Dans l’hypothèse d’une terre commune dont tous ces archipels auraient formé une partie, la région la plus ancienne de ce continent devrait correspondre aux Canaries, dont l’insularité est précisément la plus moderne, comme paraît l’indiquer la Zoologie et le démontre indubitablement la Géologie. D’autre part, la richesse de la flore canarienne et surtout la proportion élevée des espèces par rapport aux genres (2,6 : 1) lui confèrent un caractère continental marqué.

La conséquence que Pitard et Proust tirent de ces caractères est que, sans doute, il a existé… « un vaste continent qui, ayant subi depuis la fin des temps secondaires toutes les vicissitudes des terres déjà émergées, a pu se recouvrir depuis son apparition de Phanérogames spéciaux et s’adjoindre dans son passage vers un climat plus doux les types plus récents du Pliocène et du Pléistocène de l’Europe ». Je confesse ne pas saisir très bien ce raisonnement. Je ne sais pourquoi il faudrait dater l’origine du continent disparu « de la fin des temps secondaires », lorsque l’union du Vieux au Nouveau-Monde remonte sans doute aux époques sédimentaires les plus anciennes. Je ne vois pas non plus de raison, puisque les espèces disparues de l’Europe et conservées aux Canaries sont du Tertiaire, pour supposer qu’au Pléistocène encore les plantes européennes purent émigrer vers les régions plus méridionales du continent atlantique.

Laissant donc de côté ces déductions non fondées, d’après lesquelles la séparation des mondes atlantique et africano-européen se serait réalisée depuis le Pléistocène, c’est-à-dire à l’époque au moins préhistorique, nous retiendrons comme caractéristiques non douteuses de la flore canarienne son antiquité et son aspect continental. Il nous semble que les considérations d’ordre botanique, comme celles d’ordre zoologique, ne permettent pas de fixer une date au moins approximative ni pour la disparition du continent atlantique, ni pour la séparation des archipels qui pourraient en représenter les restes.

Dans une seconde partie, nous examinerons le problème de l’Atlantide aux points de vue bathymétrique et géologique[11].

Lucas Fernandez Navarro.
Professeur à l’Université de Madrid.

L’ÉTAT ACTUEL DU PROBLÈME DE L’ATLANTIDE

deuxième partie

IV

Avant de passer à l’étude du problème du point de vue purement géologique, ou pour mieux dire tectonique, il nous faut dire quelques mots de la bathymétrie de l’Atlantique et du peu que les plus récentes recherches nous enseignent sur la nature de ses fonds.

Dans l’ensemble, le fond de cet océan (fig. 1) se
Fig. 1. — Carte bathymétrique de l’Atlantique.
présente à nous comme un plateau allongé dans le sens de son axe, encadré de deux sillons marginaux, dont l’occidental est plus profond que celui qui borde les côtes européennes. Ainsi, une section transversale entre la Floride et la côte méridionale de l’Espagne, en passant par les Açores, nous conduit rapidement, à partir des côtes américaines, à des profondeurs supérieures à 4 000 m., dans lesquelles s’élèvent, comme un accident local, les Bermudes et desquelles on monte par échelons jusqu’à la plate-forme où culminent, au-dessus de l’eau, les Açores. À l’E de ces dernières, une pente brusque fait de nouveau descendre le fond à plus de 4 000 mètres ; il se relève peu après pour émerger des flots à l’île de Madère. De là jusqu’à nos côtes, la dépression est moins profonde et plus étroite.

Si nous suivons le tracé de la courbe de niveau de 4 000 m. de profondeur, et si nous supposons que le niveau de la mer soit abaissée jusque là, la forme des nouvelles terres émergées sera très intéressante. Toute l’Europe formera un massif unique, les mers intérieures : Baltique, mer du Nord, mer d’Irlande, ayant disparu, et le littoral courra presque sans sinuosités du N au S, en passant très à proximité des côtes ibériques actuelles. En passant vers le détroit de Gibraltar, maintenant effacé, les terres feront vers l’W un saillant pour comprendre les îles Madère et divers bancs sous-marins (Joséphine, Gettysburg,  etc.). Un golfe allongé du SW au NE pénétrera jusqu’aux terres marocaines, limité au S par un autre saillant plus grand qui soudera les Canaries et les îles du Cap-Vert au continent africain. Du côté du continent américain, les côtes n’avanceront pas beaucoup vers l’E, excepté dans la mer des Antilles et le golfe du Mexique, qui émergeront en totalité (fig. 1).

La côte du Labrador s’unira à l’Europe par l’intermédiaire du Groenland, de l’Islande et des îles Feroe. De cette terre circumpolaire s’avancera vers le S une péninsule qui se prolongera suivant l’axe de l’Atlantique, jusqu’à environ 60° de latitude sud, en comprenant les îles Açores, Saint-Paul, de l’Ascension, Tristan d’Acunha, Gough et Bouvet. La largeur maximum de cette langue de terre prolongée, dont la distance de la surface n’est en aucun point supérieure à 1 800 mètres, serait de 20° environ au niveau des Açores, pour se rétrécir beaucoup plus au Sud et s’élargir de nouveau depuis le parallèle de Tristan d’Acunha. Notons que la petite île de Sainte-Hélène n’est pas comprise dans ce plateau sous-marin, ni ne se réunit au continent africain ; c’est un pic aigu isolé et comme perdu dans l’immense solitude de l’Atlantique méridional.

Cette topographie, dont la figure 1 nous donne une idée claire, fait naître aussitôt dans la pensée l’image d’un immense géosynclinal, d’un anticlinal flanqué de deux synclinaux, où, comme dans l’antique Tethys de Suess s’est élaboré le monde alpin, se préparerait aujourd’hui l’éclosion d’un continent futur étendu qui changerait d’une façon radicale la loi de distribution des terres et des mers. Je me hâte de dire que cette hypothèse audacieuse, qui subvertirait beaucoup d’idées considérées aujourd’hui comme fondamentales en Géographie physique, ne s’appuie sur aucune base ferme, car nous ne savons rien de la structure du sol sous-marin et peu de chose de sa composition superficielle.


Fig. 2 — Carte bathymétrique de la région des Açores, d’après M. Thoulet.

Cet aspect de grandes inégalités qu’accuse l’étude d’ensemble du fond sous-marin ne s’atténue pas si l’on examine en détail une région limitée. On peut le vérifier, par exemple, sur la dernière carte bathymétrique des Açores, due à Thoulet (fig. 2). L’ensemble de l’archipel s’élève sur une plate-forme allongée dans le sens E-W, d’environ 2 000 m. de profondeur, mais à l’intérieur de laquelle on a enregistré de grandes dépressions qui fréquemment sont de véritables fosses. Sur cette plate-forme, la courbe de niveau de 1 500 m. dessine trois autres plates-formes plus petites, isolées, sur chacune desquelles siège un groupe d’îles. Le plus important de ces trois piédestaux est le piédestal central, qui porte les îles San Miguel, Terceira, Graciosa, San Jorge, Pico, Fayal et les bancs Açor et Princesse Alice ; dans celui-ci, il y a des fosses aussi profondes que celle de l’Hirondelle, comprise entre Terceira et San Miguel, qui offre des sondages de 3 500 mètres, et que celle comprise entre San Jorge, Graciosa et Terceira, étroite dépression qui s’abaisse jusqu’à 2 419 m. Le plateau occidental, sur lequel reposent les îles Corvo et Flores, est plus nivelé, et entre lui et le précédent s’élèvent deux autres plates-formes analogues, mais qui ne supportent pas d’îles.

La reconnaissance des Canaries et de leurs environs est non moins instructive à cet égard[12] (fig. 3). La ligne de 2 000 brasses (environ 3 600 m.) passe au large de l’archipel, quoique près de ses îles occidentales, et se dirige vers le N. E. en longeant les îles Salvajes et le banc de Dacia (31° lat. N., 14° long. W.), pour tourner au N W en face de l’embouchure du Sebou. Entre ce point et la ligne de fonds relativement élevés que
Fig. 3. — Bathymétrie de l’Atlantique entre les archipels de Madère et des Canaries et les côtes occidentales de l’ancien continent, d’après Donnelly. — Les profondeurs sont indiquées en brasses.
marquent le banc de Gettysburg (36° 30′ lat. N, 12° long. W), le banc de Seine (33° 45′ lat. N., 14° 30′ long. W) et la plate-forme sur laquelle s’élève l’archipel de Madère, se trouve un ravin étroit, orienté du SW au NE, dans lequel on a enregistré des coups de sonde de 4 400 mètres.

Cette même direction est approximativement celle qui est marquée par la ligne d’affleurements éruptifs Hierra-Gomera-Ténérife-Salvajes et sa parallèle Fuerteventura-Lanzarote-Isletas-Banc de Concepcion (30° lat. N., 12° 45′ long. W).

Enfin, la pose des câbles sous-marins a démontré le caractère abrupt et accidenté des bords des îles Ténérife, Grande Canarie et La Palma, ainsi que la grande profondeur des détroits intermédiaires ; entre Ténérife et La Palma, on a sondé jusqu’à 3 250 mètres, et dans le canal, beaucoup plus étroit, qui sépare Ténérife de la Grande Canarie, la sonde est descendue jusqu’à 3 300 mètres.

La nature volcanique de tous les archipels atlantiques, leur orientation générale et jusqu’à la disposition des îles dans chacun d’eux, semblent nous parler de grandes lignes de fracture par où les matériaux internes ont été rejetés à l’extérieur. Ces fractures et les émissions volcaniques qui les ont traversées ne peuvent devoir leur origine qu’à des mouvements tectoniques. Aussi, en constatant l’orientation uniforme du phénomène, concordant avec celle des lignes orographiques dominantes, l’idée du géosynclinal nous paraît très séduisante.

Nous savons peu de chose, pour ne pas dire presque rien, sur la nature des fonds océaniques. Par suite de la difficulté de recueillir des échantillons, les explorateurs se sont bornés jusqu’à présent à en déterminer la topographie, en négligeant leur nature. Les spécimens de roches sous-marines sont rares et de faibles dimensions. Le problème, cependant, est d’intérêt primordial, et il ne paraît pas impossible d’imaginer des mécanismes permettant d’arracher au fond marin des fragments qui en révèlent la constitution lithologique.

Paul Lemoine, dans un travail récent, a attiré l’attention sur ce même point et a montré le parti qu’on pourrait tirer de la connaissance des roches sous-marines[13]. En effet, les observations sporadiques ont démontré l’existence des matériaux suivants : 1o dans le banc de Rockhall ( à l’W des Hébrides), roches à hornblende ; 2o dans le banc Porcupine (en face du littoral de Mayo et Galway, en Irlande), gabbros ; 3o basaltes au S du Porcupine et à l’W de l’extrémité méridionale de l’Irlande ; 4o syénites néphéliniques à 240 kilomètres au SW de l’Irlande. Or la ligne N-S formée par ces pointements de roches éruptives passe très près du littoral ibérique et vient les réunir à la grande masse de même origine de la Sierra de Monchique, au sud du Portugal. Il semble donc très logique d’admettre l’existence d’une grande fracture qui expliquerait beaucoup de phénomènes tectoniques de l’Europe occidentale, entre autres la forme des côtes atlantiques de la Péninsule ibérique, la présence de grands fonds à leur proximité et peut-être quelques-uns des mouvements qui, aux temps néogènes, ont affecté probablement le plateau qui forme le noyau du massif ibérique.

Sans doute, il faut être très prudent dans l’interprétation de documents si clairsemés et ne pas chercher à tirer de conclusions prématurées qui pécheraient par leur hardiesse. Du simple fait d’avoir dragué un petit fragment de lave à 900 kilomètres au nord des Açores, un éminent géologue prétend déduire que cette terre était émergée et couverte de laves aujourd’hui ensevelies à 3 000 mètres au-dessous de la surface de la mer, et il ajoute : « Comme la surface des roches a conservé ses aspérités et sa rugosité, les arêtes vives des courants de laves très récents, il est nécessaire que la submersion ait suivi de très près l’émission des laves et qu’elle ait été brusque. Sans cela, l’érosion marine et atmosphérique aurait nivelé les inégalités et aplani toute la surface. » Si nous nous en tenions à ces paroles, les pénéplaines qui sont émergées depuis les âges géologiques les plus anciens devraient être des plaines idéales, et les Alpes mêmes, exposées depuis le Tertiaire à l’érosion sub-aérienne, n’auraient pu conserver leur élévation et leurs aspérités actuelles.

V

Dans l’énumération des données qui doivent précéder nos conclusions sur le problème de l’Atlantide, nous allons maintenant faire entrer en ligne de compte les documents purement géologiques, qui, en définitive, sont ceux qui permettent surtout de résoudre la question.

C’est un fait démontré avec une entière certitude par la Géologie que l’emplacement actuel de l’Atlantique était occupé aux époques antérieures par des terres qui réunissaient l’Ancien au Nouveau Monde. Dans les âges les plus reculés, l’Afrique formait avec le Brésil une bande étendue de terres équatoriales, tandis qu’au Nord, entourant le pôle, une autre bande parallèle comprenait les terres canadiennes, le Groenland, les pays scandinaves, la Finlande, et peut-être la Sibérie européenne et asiatique. Entre ces deux masses continentales, une Méditerranée, dont ce n’est pas le moment de retracer les vicissitudes historiques, a étendu le ruban de ses ondes jusqu’à une époque relativement moderne.

La rupture de ces deux continents par disparition d’un segment central permit une libre communication entre les eaux polaires des deux hémisphères et donna lieu à la formation de l’Atlantique. Mais celui-ci n’est pas né en une fois et par un processus rapide, comme les non-géologues se plaisent à le supposer. En ce qui concerne l’Atlantique méridional, il semble que son ouverture définitive date de la fin de l’ère secondaire. L’Atlantique nord, le seul qui nous intéresse pour le moment, est sans doute plus moderne. Peut-être la fragmentation de ses terres a-t-elle commencé déjà aux temps secondaires, mais jusqu’à l’ère tertiaire nous ne pouvons reconnaître les traces d’une communication entre les eaux arctiques et méditerranéennes.

Ce phénomène se reconnaît à ce que la faune de la Méditerranée, de caractère équatorial, se charge brusquement de types propres aux mers froides, dont il faut chercher les ancêtres dans les eaux de l’océan Arctique. Ce fait s’est produit par deux fois durant le Tertiaire : une fois au Miocène et une autre fois au Pliocène. Nous devons donc placer dans les derniers temps du Néogène l’ouverture définitive de l’Atlantique septentrional. Avec elle coïncidèrent le soulèvement de l’isthme de Panama, l’ouverture du détroit de Gibraltar et l’établissement du courant du Golfe avec son régime actuel, tous faits dont il n’est pas nécessaire de souligner la transcendance géographique.

Personne ne prétendra chercher dans la disparition de ce continent atlantique une base à la légende platonienne. Ni son progrès bien gradué, ni sa date lointaine ne le permettent. Une humanité non encore née n’aurait pu conserver la tradition de cet événement. C’est vers des phénomènes de moindre amplitude, par suite plus susceptibles d’un caractère catastrophique (quelque paradoxal que cela paraisse), et surtout d’un âge plus récent, que nous devons diriger nos recherches. Voyons ce que la Science géologique peut aujourd’hui nous dire à ce point de vue.

Macpherson, étudiant la géologie de la province de Cadix, a attiré l’attention sur l’existence dans cette région de dépôts diluviaux venus du Sud, ce qui démontre une plus grande extension du territoire vers l’Atlantique. Le même géologue a signalé au sud de la Galice et au nord du Portugal des formations diluviales très puissantes, qui indiquent l’existence de grands fleuves dont les eaux venaient de très loin vers le NW. C’est un fait bien connu que les vallées du Tage et du Duero se prolongent en pleine mer, de même que les embouchures des fleuves de Galice représentent des vallées fluviales ensevelies à une époque peu ancienne. Au sud du Portugal, il existe des preuves nombreuses d’un affaissement des côtes ; dans un travail récent, Pereira de Souza en a signalé à Lagos, Olhao, Villa Real de Santo Antonio et en d’autres points. Enfin, Choffat et les géologues portugais ont pu affirmer que les petites îles Berlengas et Farilhoes, situées en face du cap Carvoeiro, ne sont pas autre chose que les restes de terrains cristallins qui, à une certaine époque, s’étendaient beaucoup plus à l’Occident. Tous ces faits concordants démontrent que le plateau ibérique s’est prolongé vers l’W avant l’époque actuelle, avec une extension qui fut sans doute considérable, sans que nous puissions nous aventurer à lui donner une valeur même approximative.

Le prolongement atlantique des terres marocaines n’est pas aussi évident ; mais Gentil, qui connaît si bien la structure et la nature du Magreb, en est partisan. Selon ce savant géologue, les Canaries sont dans le prolongement de la Meseta marocaine, englobée comme son homologue, la Meseta ibérique, dans les plissements alpins, et les plis du Haut Atlas y viennent mourir en s’atténuant. Le canal qui sépare les Canaries de la côte méridionale du Maroc serait, d’après lui, comparable au détroit de Gibraltar, et, de même que d’un côté et d’autre de celui-ci il y a une continuité parfaite entre les systèmes rifain et pénibétique, les îles de l’archipel espagnol représenteraient l’émersion, de l’autre côté du canal, des plis de l’Atlas qui s’abaissent sous l’Atlantique entre Agadir et le cap Guir.

Pour beaucoup de raisons, il nous paraît difficile de comparer avec le détroit de Gibraltar ce canal qui, au large de Fuerteventura et non loin de ses côtes, offre déjà une profondeur qui oscille entre 1 000 et 1 500 mètres. Mais cela n’empêche pas que nous partagions l’opinion que le piédestal sédimentaire sur lequel s’appuient sans doute les Canaries ait été, en d’autre temps, soudé au continent africain.

Une opinion semblable est professée par Termier, pour lequel ou bien la Meseta marocaine se prolongeait longitudinalement en séparant à travers l’Atlantique deux chaînes alpines, l’Atlas et le Rif, ou bien le vrai système alpin s’arrêtait entre Trafalgar et Tanger, brisé « par l’obstacle infranchissable d’un immense morceau des Altaïdes, aujourd’hui coupé en deux par l’effondrement de l’Atlantide, réunissant autrefois la Meseta marocaine et la Meseta espagnole[14] ».

Le problème paraît donc être de fixer l’époque où les Canaries actuelles, ou leur plate-forme sédimentaire, furent séparées du sol africain. À ce point de vue, les opinions sont loin d’être d’accord, comme nous allons le voir.

Jusqu’à présent, les estimations des divers auteurs, bien qu’elles concordent sur le point que le phénomène est très récent géologiquement parlant, n’arrivent pas à fixer le moment d’une manière assez précise pour nous permettre d’affirmer que le souvenir en a pu ou non parvenir aux hommes à l’aurore de l’histoire.

L’existence aux Canaries d’espèces disparues est une arme à deux tranchants, comme le démontre clairement l’étude faite par Dollfus des fossiles recueillis au Rio de Oro par le P. Font. Des 28 espèces rapportées par le géologue espagnol, 23 sont encore vivantes, 19 sont communes avec le Pliocène, 16 étaient déjà connues au Miocène et 7 sont caractéristiques du Quaternaire. Appliquant à notre problème les enseignements qui découlent de son étude, l’auteur n’ose rien affirmer sur la séparation des Canaries, sinon qu’elle est certainement d’âge post-miocène et peut-être plus récente[15].

En se basant sur un autre ordre de considérations, Gentil arrive à des conclusions également imprécises. L’existence, tout le long de la côte entre Mogador et Agadir, de grès tortoniens à Ostræa crassissima, antérieurs aux plissements de la région, démontre que l’effondrement de la chaîne est certainement post-miocène. En outre, une bande presque continue de Plaisancien, bien déterminé par sa faune de Pectinidés, borde la côte de Tanger au Sous. Ce Plaisancien s’élève sur le flanc septentrional du Cap Guir et recouvre ensuite jusqu’à Agadir les plateaux côtiers à une altitude de 200 à 250 m. « Ce terrain, dit Gentil, a pris part aux derniers mouvements de la chaîne et les plissements du Plaisancien sont encore visibles dans les brachyanticlinaux qui, dans la région littorale, surgissent, comme au Djebel Hadid, du Crétacé tabulaire[16]. » De ce fait, il déduit avec une grande probabilité que la séparation de l’Afrique et des Canaries serait de la fin du Pliocène ou peut-être du Quaternaire. Dans un travail postérieur, après avoir reconnu que l’âge de l’Atlas dans ces régions ne peut être précisé au moins d’une façon absolue, il se montre plus enclin à dater du Quaternaire l’effondrement des plis de la chaîne, phénomène auquel est dû le canal qui sépare aujourd’hui l’archipel des côtes africaines[17].

Le géologue et voyageur français Chudeau a fait l’observation curieuse que les rivières qui naissent dans l’Adrar Sotof, à environ 80 kilomètres de la côte entre le Rio de Oro et le Cap Blanc, au lieu de se diriger vers la mer comme il paraît naturel puisque aucun obstacle ne s’interpose sur leur trajet, courent vers le Sud parallèlement à la mer, et vont se perdre dans des sebkas littorales au lieu de former des vallées encaissées dans la Meseta quaternaire. Cette anomalie ne s’explique pas facilement si l’on n’admet pas un changement récent dans le tracé de la ligne des côtes[18]. En se basant sur la coexistence de l’Helix Gruveli aux Canaries et au Cap Blanc, il affirme que la séparation n’était pas réalisée au Quaternaire ancien, lequel fournit au moins une limite inférieure. La limite supérieure serait donnée par le Néolithique, qui n’existe pas aux Canaries et est bien connu sur le littoral saharien. Signalons dès maintenant l’exagération de cette dernière assertion, car, le Néolithique du Sahara étant de date beaucoup plus récente que celui de l’Europe d’après les dires des spécialistes, elle équivaudrait à reculer la possibilité de ce phénomène aux premières époques historiques, opinion qui est en contradiction absolue avec la profondeur du canal, la masse d’éruptions que représentent les Canaries, la structure de l’archipel et l’âge auquel remontent quelques-uns de ses matériaux éruptifs. L’absence du Néolithique aux Canaries, affirmation pour le moins très discutable aujourd’hui, pourrait seule nous prouver qu’elles n’étaient pas habitées à cette époque.

VI

Ayant terminé cette rapide énumération des données que les Sciences biologiques, la Géographie physique et la Géologie peuvent fournir pour la solution de notre problème, je vais essayer d’en résumer et d’en accorder les conclusions pour en faire ressortir l’état actuel de la question. Nous verrons ainsi si la contemporanéité de l’Atlantide et des premiers hommes est admissible, et dans quelle direction il faudra diriger nos recherches pour résoudre le problème, si par hasard il est susceptible d’une solution.

Dans le résumé historique que nous avons donné au commencement de cet article, on peut voir, malgré le petit nombre d’opinions citées, quelle confusion règne entre elles et comment chacun interprète à son goût et de son point de vue spécial les documents dont il dispose. Il faut beaucoup de peine pour se défendre de la tradition séductrice, et dans la majeure partie de ces études il ne paraît pas qu’on ait fait autre chose que de la justifier. Le travail même de Bory de Saint-Vincent, si documenté au point de vue scientifique, n’échappe pas à cette critique. Dans sa carte conjecturale, il a dessiné le lac de Tritonide et assigné une place au pays des Gorgonides (Cap Vert), à celui des Amazones, aux Fortunées (Canaries) avec leur Mont Atlas et leur jardin des Hespérides, à Purpuraria (Madère), Hespérie (Vigias) et au pays des Atlantes proprement dit (Açores). En somme, il a cherché une justification de toute la fable mythologique, dominé par l’idée que cette fable doit répondre point par point à une réalité historique ou protohistorique.

Il faut donc se défendre d’abord de la suggestion de la légende et ne pas chercher, ce que la plupart ont fait, à vérifier une existence avant d’avoir déduit cette existence même de raisonnements rigoureux appuyés sur des faits indubitables : autrement dit, de l’étude de la réalité tangible actuelle, s’élever à la connaissance de la réalité antérieure ; ne pas partir d’une réalité antérieure supposée pour y accommoder les faits actuels.

De la légende, et seulement comme moyen de vérification, nous ne prendrons que ce qu’elle nous dit librement, sans interprétations recherchées ou capricieuses. Ainsi, puisque les dialogues de Platon placent l’Atlantide directement en face des colonnes d’Hercule, ils ne peuvent se rapporter qu’à Madère ou aux Açores. Les Canaries étaient bien connues des Grecs, et s’il avait voulu y faire allusion il n’aurait pas manqué de signaler leur situation beaucoup plus méridionale.

En ce qui concerne les considérations d’ordre biologique, je note un fait bien significatif : c’est que les botanistes et les zoologistes n’arrivent pas exactement aux mêmes conclusions. D’après eux, on peut affirmer que les archipels atlantiques, l’archipel canarien surtout, ont été unis au continent africain et que leur séparation est de date géologique récente. Mais leurs données manquent de précision, surtout lorsqu’il s’agit de fixer le moment où les portions marginales du continent total furent transformées en îles. Nous pouvons encore moins leur demander de nous dire quelque chose sur le processus et le mécanisme de cet isolement.

La topographie sous-marine de l’océan paraît jeter quelque lumière nouvelle sur les relations entre les diverses îles atlantiques. Qu’on admette ou non l’existence d’un géosynclinal en voie d’élévation, il est certain que les renseignements topographiques accusent pour les Açores une origine distincte de celle des autres archipels. Celui-ci, placé sur la ligne médiane des hauts-fonds, semble véritablement et originairement atlantique, tandis que les autres sont en relation avec le continent européen (Madère) ou africain (Salvajes, Canaries, Cap Vert). Entre les uns et les autres, la ligne des bas-fonds de l’Atlantique oriental interpose ses abîmes de plus de 5 000 mètres.

Mais c’est sur le terrain de la Géologie, comme nous l’avons vu, que l’on peut arriver aux conclusions les plus précises. L’existence d’une Atlantide géologique est un fait pleinement confirmé, ainsi que sa persistance dans l’Atlantique nord jusqu’à la fin de l’ère tertiaire. Étant donnée l’extension des terres qui ont uni les deux continents, elles n’ont pu disparaître soudainement, mais seulement par un processus plus ou moins lent. La séparation à la lisière américaine fut antérieure à la séparation du côté européen ; de toute façon, entre les deux côtes persista pendant quelque temps une terre isolée, plus ou moins étendue, l’Atlantide géologique, dont les restes peuvent être représentés par la bande axiale de hauts-fonds sur lesquels s’élèvent les Açores.

Or, ces événements, antérieurs à l’ère quaternaire, ne peuvent servir de base à la légende platonienne. L’humanité consciente, capable de conserver une tradition, leur est postérieure. Il n’existe aucune preuve indubitable de l’existence de l’humanité avant le Quaternaire. Les instruments d’origine indiscutablement humaine sont tous postérieurs, de même que les restes fossiles de l’homme. La mandibule de Mauer, près d’Heidelberg, reste humain le plus ancien de date authentique, est de la période rissienne, c’est-à-dire de la troisième glaciation.

Il est certain que les conditions physiques de la Terre pendant l’ère tertiaire, surtout au Pliocène, ne s’opposent en aucune façon à l’existence de l’homme. Mais, étant donnée l’absence de produits de l’industrie humaine, on doit penser que l’homme de cette époque, tout en étant un être ressemblant organiquement à l’homme actuel, aurait été incapable de transmettre par tradition le souvenir d’une catastrophe. On ne pourrait l’appeler homme, ni son espèce humanité, dans le sens psychologique de ces termes.

Les premiers vestiges d’industrie paléolithique non douteuse appartiennent, selon A. Penck, à la seconde période interglaciaire (entre le Mindélien et le Rissien de cet auteur), et par conséquent à une époque déjà avancée du Quaternaire. Et ce n’est que dans la troisième période interglaciaire et depuis la dernière glaciation (würmienne) que se rencontrent les instruments du Paléolithique supérieur et les restes d’un art qui donnent l’idée d’une mentalité relativement élevée. Quoique H. Obermaier[19] ait modifié postérieurement la table chronologique de Penck, il s’accorde avec lui pour attribuer à la seconde période interglaciaire, soit au Quaternaire moyen, les premiers vestiges indubitables de l’industrie humaine.

Il faut donc prendre comme base de la tradition de l’Atlantide un événement de moindre importance, la séparation d’un archipel, qui puisse revêtir un caractère catastrophique et avoir eu lieu à une date postérieure. Le souvenir d’un aussi grand événement, joint à celui d’une île atteinte une fois par hasard et non revue, comme Madère ou les Açores mêmes, expliquerait rationnellement l’origine de la légende. Plus ou moins transformée, poétisée avec des incidents pittoresques, elle aurait pu parvenir à l’aurore de l’histoire.

Le problème se concrétise ainsi peu à peu. Puisque l’archipel canarien est celui qui conserve le plus de relations, tant biologiques que géologiques, avec le continent, c’est sans doute celui qui s’est détaché le plus récemment. La question est donc de fixer la date de sa séparation et de voir si elle est assez récente pour que le souvenir ait pu s’en perpétuer par tradition. Le problème ainsi posé, sa solution peut être taxée de difficile, mais non d’impossible. Voyons jusqu’où la Géologie est parvenue dans cette voie et le chemin qui reste à parcourir.

Les documents paléontologiques relatifs à une époque aussi récente n’ont qu’une valeur très relative ; même confirmée, l’existence de gisements à Helix Gruveli en Afrique et à Fuerteventura ne serait qu’un indice et nullement une preuve concluante que la séparation a été postérieure au Quaternaire ancien. D’autre part, comme on ne connaît pas de dépôts sédimentaires aux Canaries orientales, il est très difficile d’apprécier des continuités tectoniques, voie dans laquelle il faut s’engager pour élucider le problème.

Il convient d’insister sur cette rareté de matériaux sédimentaires reconnus dans l’archipel, parce qu’on s’en sert fréquemment d’arguments à des fins diverses. Les calcaires qui sont envoyés de Fuerteventura aux autres îles pour la fabrication de la chaux sont des travertins qui recouvrent, comme une croûte plus ou moins épaisse, les matériaux les plus divers. Je les ai observés avec soin toutes les fois que j’en ai eu l’occasion et je n’ai jamais pu y trouver le moindre fossile.

Les formations côtières fossilifères de la Grande Canarie, bien connues pour se rencontrer aux environs de la capitale de l’île, ne peuvent servir de rien pour notre objet. La présence du Crétacé dans l’île de Fer, même supposée certaine, ne nous serait pas davantage utile[20].

La curieuse observation de Chudeau que nous avons citée à propos des rivières sahariennes ne permet pas d’affirmer quelque chose de précis. Quant à l’opinion de ce géologue que la date de la séparation pourrait être néolithique, elle manque absolument de base, comme nous l’avons dit.

L’étude des fossiles recueillis par Font y Sagué a conduit Dollfus à déduire avec certitude que l’isolement des Canaries est post-miocène. Il ajoute seulement comme une probabilité non démontrable qu’il a pu se réaliser à une époque plus récente.

Les conclusions auxquelles arrive Gentil présentent déjà une précision plus grande. L’effondrement sous la mer des plis de l’Atlas est, de toute certitude, postérieur au dépôt des grès tortoniens et peut-être des matériaux plaisanciens. Gentil ne donne cette dernière indication que comme une possibilité, car, pour être tout à fait affirmatif, il faudrait bien connaître cette bande de Pliocène supérieur et surtout être assuré qu’elle est continue tout le long du littoral. Il est encore possible que l’événement date d’une époque plus récente, mais nous ne savons rien sur la corrélation des mouvements quaternaires et modernes des deux côtés du canal séparateur, donnée qui nous permettrait de l’affirmer ou de le nier.

En résumé, les observations de Gentil, les plus précises qui aient été publiées jusqu’à présent, coïncident avec celles de la généralité des auteurs en affirmant que la séparation des Canaries ne peut être antérieure au Pliocène, donnent comme très probable un âge quaternaire et n’excluent pas la possibilité d’une date encore postérieure, par conséquent appartenant déjà à la période humaine.

Pourra-t-on arriver à résoudre cette dernière partie du problème ? Sans aucun doute, par une étude géologique minutieuse du canal de séparation et des côtes africaines et canariennes qui le bordent.

Calderon et d’autres géologues ont démontré que l’archipel, dans son ensemble, subit un mouvement d’élévation lent et ininterrompu, qui a donné naissance à des plages surélevées. Un phénomène identique paraît se vérifier sur la côte africaine voisine. En étudiant à fond ces formations et en établissant leur synchronisme des deux côtés du canal, on pourrait en fixer l’âge en toute sécurité. Diverses lignes transversales de sondages, donnant le dessin exact de la dépression, compléteraient les données indispensables. Et, pour compléter, il ne faudrait pas oublier la détermination des diverses époques éruptives qu’on peut reconnaître dans les îles, étude déjà très avancée pour la plupart d’entre elles[21].

Le problème de l’Atlantide est donc aujourd’hui parfaitement soluble. Comme il touche à nos Canaries et à la côte marocaine qui nous intéresse à tant de titres, nous pouvons dire que c’est un problème tout spécialement espagnol. En le présentant devant cette Société, j’exprime le vœu que la Science espagnole vise à le résoudre, ce qui est pour elle un droit et surtout un devoir[22].

Lucas Fernandez Navarro.
Professeur à l’Université de Madrid.
  1. Bory de Saint-Vincent : Essais sur les Îles Fortunées et l’antique Atlantide. Paris, Baudouin, germinal an IX.
  2. J. Donnelly: The antediluvian World. New-York, 1882.
  3. E. F. Berlioux : Les Atlantes. Histoire de l’Atlantis et de l’Atlas primitif. Paris, E. Leroux, 1883.
  4. F. Borsari : L’Atlantide. Saggio di Geografia preistorica. « La Rinascenza », Naples, 1889.
  5. Quelques auteurs espagnols avaient également abordé le problème à cette époque. Pour P. de Novo y Colson (Ultima teoría sobre la Atlantida. Bol. de la R. Soc. Geografica de Madrid, t. VII ; 1879), l’Atlantide serait le banc aujourd’hui submergé qui supporte les Açores, de dimensions comparables à la Péninsule ibérique, abîmé par un tremblement de terre qui commença aux Canaries, les séparant de l’Afrique, et se fit sentir également en Amérique, où la légende de la catastrophe a laissé quelques traces. L’Atlantide aurait été peuplée par des êtres venant d’Amérique, conduits par le Gulf Stream, qui les aurait empêchés de revenir. — F. de Botella, dans ses « Apuntes paleográficos » Bol. de la R. Soc. Geografica de Madrid, t. XV ; 1884), conclut, en s’appuyant sur des arguments intéressants qui n’ont rien perdu de leur valeur, que la disparition de l’Atlantide a dû avoir lieu vers le Quaternaire moyen. — Enfin D. Salvador Calderon, le géologue qui s’est le plus occupé de l’étude des Canaries, a considéré dans plusieurs de ses travaux le problème des terres atlantiques préhistoriques (Anales de la Soc. esp. de Historia natural, t. IV : 1875 ; Actas…, t. XIII ; 1884). De même que Botella, il a toujours défendu les points de vue les plus actuels par de solides raisons d’ordre géologique, qui demeurent. — Le problème a donc intéressé aussi les Espagnols, et leurs opinions ont toujours compté parmi les plus discrètes et les mieux documentées.
  6. Louis Germain : Le problème de l’Atlantide et la Zoologie. Ann. de Géographie, no 123 ; mai 1913.
  7. Quant aux Coléoptères, nous pouvons affirmer, sur l’autorité de nos entomologistes, qui connaissent parfaitement la faune canarienne, que les données de Germain sont inexactes. Les espèces de Carabus qui habitent la Péninsule sont au nombre de 33, avec un grand nombre de races, de formes et de variétés. Ce genre n’est pas absent aux Canaries : on y connaît trois espèces, dont deux à Ténérife (C. faustus Brullé et C. interruptus Latr.), et une spéciale à la Grande Canarie (C. coarctatus Brullé). Au Maroc, encore si peu exploré au point de vue entomologique, on connaît jusqu’à présent sept espèces du genre Carabus, et non deux comme le dit Germain.
  8. Il ne faut pas oublier, d’autre part, que San Thomé se trouve sur l’équateur, à 15° au sud du Cap-Vert, tandis que les Bermudes sont situées par 32° de latitude septentrionale.
  9. Pitard et Proust : Les Îles Canaries. Flore de l’Archipel. Paris, Klincksieck. 1908.
  10. Paul Lemoine : La flore des Îles Canaries et la théorie de l’Atlantide. La Géographie, t. XX, no 1 (1909).
  11. Conférence prononcée le 3 avril 1916 devant la Société Royale de Géographie de Madrid, traduite de l’espagnol par M. Louis Brunet.
  12. Voir spécialement : P. Migmue Vigil : Le fond de la mer entre la Péninsule et les Canaries. Memorias de la Real Soc. española de Historia natural.
  13. P. Lemoine : La géologie du fond des mers. Annales de Géographie, 1912.
  14. P. Termier : Les problèmes de la Géologie tectonique dans la Méditerranée occidentale. Rev. gén des Sc. du 30 mars 1911, t. XXII, p. 225.
  15. G. F. Dollfus : Étude des fossiles recueillis par N. Font y Sagué au Rio de Oro. Bull. Soc géolog. de France, 4e sér., t. XI (1911).
  16. L. Gentil : Les mouvements tertiaires dans le Haut Atlas marocain. C. r. de l’Acad. des Sc. du 30 mai 1910, p. 1485.
  17. L. Gentil : Le Maroc physique. Paris, Alcan, 1912.
  18. R. Chudeau : Note sur la géologie de la Mauritanie. Bull. Soc. géol. de France, 4e sér., t. XI (1911)
  19. H. Obermaier. El hombre fósil. Comisión de Investigaciones paleontológicas y prehistóricas, mem. no 9. Madrid, 1916.
  20. Pitard a communiqué à Cottreau et Lemoine un hérisson cénomanien, Discoidea pulvinata Dessor, var. major de ces auteurs, qui leur a permis de conclure dans une note (Bull. Soc. géol. de France, t. X, p. 267) à l’existence du Crétacé dans cette île. Ce fossile provenait, d’après Pitard, du ravin de la Caleta, à Valverde (île de Fer). Postérieurement, j’ai visité cette localité, que je connaissais déjà, sans rencontrer la moindre trace de calcaires sédimentaires et sans que rien puisse faire soupçonner la présence de matériaux semblables dans toute l’île. Je crois donc qu’il s’est produit quelque confusion d’échantillons ou que le fossile provenait du lest d’un navire ; en tout cas, il y a erreur.
  21. À côté des auteurs étrangers, je citerai, parmi les Espagnols : Calderon, qui a étudié principalement Ténérife et la Grande Canarie ; Hernandez Pacheco, qui a décrit Lanzarote, et moi-même, qui ai fait connaître l’île de Fer et une bonne partie de Ténérife et conserve en manuscrit une étude inédite sur Gomère et beaucoup de notes sur La Palma.
  22. Conférence prononcée le 3 avril 1916 devant la Société Royale de Géographie de Madrid et publiée dans le Boletin de cette Société ; traduite de l’espagnol par M. L. Brunet.