L’Épingle d’or

Revue des Deux Mondes3e période, tome 52 (p. 106-127).


L’ÉPINGLE D’OR


I.


La gouvernante de maître Barbarin, — un petit imprimeur d’une toute petite ville, — s’entendait si parfaitement aux choses du ménage qu’il n’y avait pas une femme qui n’en fût jalouse et, pour ce motif, ne la gratifiât de quelque bon coup de langue, ce qui est excessivement désagréable, comme chacun sait.

On ricanait en la nommant tout bas : « Mme  Barbarin. » Et les plus mauvaises insinuaient que ce prétendu neveu que la gouvernante élevait à la brochette dans l’imprimerie de son maître n’était rien moins que le propre fruit de ses œuvres, né d’une collaboration mystérieuse avec ledit imprimeur au beau temps de sa seconde jeunesse. Personne ne l’avait vu ; mais toutes les commères en auraient mis leur main dans le feu. C’est merveille qu’elle ne sente pas davantage le roussi, tant elles l’y mettent souvent et pour des choses moins probables.

Madeleine, la gouvernante, n’en continuait pas moins sa vie de ménagère soigneuse, confectionnant des tisanes pour le vieux bonhomme d’imprimeur et bourrant le petit Augelo de friandises.

Quand je dis petit, c’est pour signifier mignon, délicat, car Angelo courait sur ses vingt-trois ans, il était grand comme une fille qui aurait bien poussé et il portait une fine moustache blonde qui frisotait au bout, retroussée tout juste assez pour qu’on vît les coins fripons de sa bouche. Ajoutez à cela des yeux bleus très doux, la peau blanche, un air de timidité enfantine et vous aurez le portrait du gentil neveu que Madeleine avait couvé vingt ans dans ses jupes avec une jalousie de mère.

Il avait commencé par la suivre sur ses quatre pattes roses, car il ne marchait pas encore quand elle l’introduisit dans la maison. A trois ans, il faisait déjà les commissions, trottinant sans cesse de l’imprimerie au bureau du patron. Plus tard, on lui apprit à composer. Enfin aujourd’hui, il servait de prote et de correcteur. Madeleine exigeait depuis quelques années qu’on l’employât beaucoup : elle avait son idée.

L’idée de Madeleine, c’était qu’Angelo restât sage. La gouvernante de M. Barbarin possédait sur la sagesse tout un assortiment de préjugés féroces qu’elle déballait à tout propos et hors de propos souvent :

— Toi, dit-elle à Angelo au premier duvet qu’elle lui vit pousser sous le nez, si tu t’avises de courir les filles, je te tordrai le cou.

C’était catégorique, et Angelo ne prit pas du tout l’avertissement pour une métaphore. Dieu aidant, il demeura sage comme un petit saint dans sa niche. Seulement, comme il n’était pas de marbre, ainsi que les bienheureux, sa tête et son cœur prirent l’envolée vers les doux pays du rêve charmant où il lui était interdit de mettre le pied.

Tante Madeleine n’y vit que du bleu, car le jeune garçon, hypocrite comme une demoiselle bien élevée, n’en baissait que de plus belle ses longues paupières chastes sur ses yeux candides. Cependant la gouvernante veillait. Chaque matin, lorsqu’Angelo quittait sa chambrette, toute propre et gaie sous les toits, avec une fenêtre donnant sur la cour, Madeleine arrivait fureter, fouillant dans les poches, scrutant les goussets, comptant la monnaie. Une fois, elle trouva un bouquet de violettes desséchées et elle en fut malade pendant huit jours. Pendant huit jours, Angelo resta à l’imprimerie, sans bouger, et tante Madeleine le bouscula à lui faire perdre la tête ; puis, la crise passée, elle se rattrapa en le bourrant à l’étouffer d’exquises crèmes au chocolat, de croquettes à la vanille et de petits pâtés truffés.

Un bonheur si pur ne devait pas durer.

Un matin, Madeleine secouait par la fenêtre un gilet qu’Angelo avait mis la veille pour aller faire une course en ville. Quelque chose s’en échappa qui fit : Bing !… sur les pavés de la cour.

Elle se pencha et aperçut, horreur ! une mignonne épingle à cheveux, longue, avec la tête formée d’une boule d’or finement découpée à jours.

Il est inutile de dire avec quelle vélocité la tante jalouse descendit les deux étages et se précipita sur ce corps de délit. Elle le tenait du bout de ses doigts écartés, avec dégoût, comme elle eût fait d’un objet souillé, et elle le retournait, les yeux hors de la tête de colère et d’indignation :

— Une épingle à cheveux ! Ainsi Angelo fréquentait les filles ! et quelles filles ! des drôlesses qui laissaient traîner leurs épingles dans la poche d’un garçon !… Autant dire qu’il les décoiffait. Eh bien ! c’était du joli ! A quoi donc servait l’éducation qu’elle lui avait donnée puisqu’il devait en faire ni plus ni moins que les autres. C’était donc une fatalité ! Les hommes étaient tous nés pour le mal, quoi qu’on fît !

Et Madeleine, rentrée dans sa chambre, s’effondra sur une chaise, la tête dans son tablier, et pleura.

La sévérité naïve de la gouvernante avait, au fond, une cause bien touchante. Jeune fille, on l’avait séduite. Elle ne s’était jamais consolée et elle s’imaginait que, si l’on donnait une éducation plus morale à l’un comme à l’autre sexe, ces malheurs-là n’arriveraient pas. Elle s’emportait sur cette thèse et se flattait secrètement d’en donner la preuve par la conduite irréprochable d’Angelo. Et voilà que, lui aussi, pratiquait le vice !

Oh ! mais elle le sauverait,… s’il en était temps encore, mon Dieu ! Elle l’arracherait à la créature dépravée qui venait de l’initier au mal. Elle le ferait rentrer dans le droit chemin.

Elle s’arrêta sur cette pensée, qui prenait tout à coup dans son cerveau des proportions extravagantes. Tout un monde venait d’éclore et bourdonnait autour d’elle. Elle s’était remise debout et, l’œil fixe, haletante, elle suivait son rêve. Bientôt elle rêva tout haut :

— Voilà, c’est cela… Parbleu, c’est bien naturel, il n’y a pas d’autre moyen. Il faut le marier. Mais à qui ? Ah ! cherche. Avec cela que c’est facile ! Pas de père, pauvre petit ! Qui donc en voudra ? une ouvrière, peut-être ? Merci ! Il lui faut une demoiselle à ce mignon si délicat. Il n’est peut-être pas assez joli pour plaire, celui-là ! Oui, mais à qui ? Oh ! hé !… oh ! quelle idée !… O Seigneur mon Dieu, je n’en puis plus !… Si celle-là voulait de lui ?… Ma foi, ni une ni deux, j’y vais tout de suite. Nous verrons bien.

Une heure plus tard, la gouvernante de M. Barbarin, vêtue d’une robe noire, d’un châle sombre, avec un chapeau très simple recouvert d’une voilette, sonnait à la porte du petit pensionnat tenu par Mme Morimbeau.

II.

Ce « pensionnat » n’était en réalité qu’une école où trois douzaines de petites filles de la classe ouvrière venaient apprendre à lire et à réciter proprement pourquoi Dieu les avait créées et mises au monde. Du matin au soir, un hurlement intermittent initiait les voisins aux progrès que faisait l’enseignement dans ces jeunes cerveaux, car, pour simplifier la besogne, les réponses au catéchisme se faisaient en bloc par toutes les élèves à la fois. Cela produisait une musique exquise. On entendait d’abord une voix douce qui posait la question ; puis soudain une fusée de voyelles éclatait, lancée par trente-six petites bouches bien ouvertes, mais pas toujours avec ensemble. Alors s’égrenait une cascade de cris aigus qui retombaient dans l’oreille comme des flèches. Les voisins se claquemuraient furieux derrière leurs portes.

Tranquille cependant demeurait à son poste l’institutrice martyre dont la voix douce coupait comme d’un soupir le rythme de ce chœur infernal. Ce n’était pas Mme Morimbeau.

Mme Morimbeau se livrait à des occupations plus sérieuses. Elle composait des livres pour l’édification de la jeunesse. Mgr l’évêque les approuvait, et on les donnait en prix dans les pensions aux petites filles.

Rien n’était plus propre, du reste, à leur donner une idée vraie de l’humanité que ces historiettes sans style, où tous les événemens de la vie étaient expliqués par les fonctions multiples du doigt de la Providence, — jolis petits manuels de bonne conduite dans le monde, élégamment reliés en toile gaufrée et dorés sur tranche, et destinés à les rendre incapables de concevoir les hautes vertus qui découlent des notions de la responsabilité humaine ; mais Mme Morimbeau se moquait de ces vérités philosophiques comme d’une guigne. Pourvu que son éditeur lui payât six cents francs par an pour deux manuscrits régulièrement livrés l’un à Noël, l’autre aux cerises, elle se tenait pour femme supérieure et auteur tout à fait distingué. Elle signait hautement : Blanche de Morimbeau.

Elle avait obtenu de son éditeur qu’on donnât ses œuvres à imprimer chez M. Barbarin, afin qu’elle eût toute facilité de corriger ses épreuves. Cela occasionnait un perpétuel va-et-vient entre l’imprimerie et le pensionnat, et quelques relations familières en étaient nées.

Parfois, Mme Morimbeau rencontrait la gouvernante de l’imprimeur et s’arrêtait un moment pour causer de ses œuvres. Madeleine, flattée, l’écoutait. D’autres fois, Angelo portait les épreuves, et si c’était après la classe, par exemple, il attendait volontiers que madame eût achevé les corrections.

Il s’en allait alors sournoisement vers le jardin, où il rencontrait toujours la sous-maîtresse, Mlle Thilda. Tous les deux s’asseyaient sur un banc dans un coin, elle avec sa broderie dans les doigts, lui les regards perdus sur les yeux battus et les joues pâlies de la jeune fille.

Cela revenait assez fréquemment ; ils se connaissaient beaucoup, se racontaient toute leur vie. Peut-être s’aimaient-ils. Jamais ils n’en avaient rien dit.

Thilda devenait une vieille fille ; elle avait vingt-quatre ans, et la fatigue de son horrible métier lui donnait des marques visibles d’épuisement. Avec cela une éternelle tristesse dans ses yeux noirs profonds. Elle vivait pour vivre, parce qu’elle ne pouvait pas faire autrement, mais avec quelle amertume contre la destinée ! Elle ressentait toutes les ardeurs de la femme, tous ses besoins, toutes ses souffrances pudiques quand l’heure d’amour a sonné, et c’était pour vieillir seule, ignorée, entre les quatre murs d’une école, parce qu’elle était pauvre. Son teint prenait des pâleurs de cierge, ses yeux se creusaient, les coins de sa bouche un peu épaisse s’abaissaient dans une expression de douleur et de dégoût.

Cependant, le dimanche, quand elle conduisait à la messe son bataillon de fillettes, on se retournait et les hommes cherchaient à se faire remarquer de la jolie institutrice si élégante dans ses vêtemens pauvres. Elle portait sa robe de laine avec une distinction rare, et comme la marche et la confusion coloraient ses joues, elle paraissait absolument belle.

Plus d’un disait en la suivant des yeux :

— Quel dommage !

Et la pauvre fille s’en allait admirée, désirée, mais traînant après elle sa pauvreté comme une infamie qui la condamnait à une solitude éternelle. Elle s’appelait Mlle Ferrière ; elle était orpheline.

Angelo savait tout cela, toutes ses peines les plus intimes. Lui aussi n’avait pas de famille, même pas de nom. Ils se comprenaient et se consolaient rien qu’en regardant longuement, lui les yeux noirs de Thilda, elle les jolies lueurs bleues qui rayonnaient dans les prunelles d’Angelo.

Le soir de cette journée qui avait amené les émotions de tante Madeleine, celle-ci, après le dîner, appela son neveu et se fit suivre dans la chambre d’Angelo tout en haut. Elle parlait mal, ayant la gorge serrée, et le cœur lui battait.

— Ferme la porte, approche. Qu’est-ce que c’est que ça ?

Elle lui mit sous le nez l’épingle d’or. Il ouvrit la bouche, ébahi et décontenancé.

— Tais-toi. Ne vas pas mentir. Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Ma tante,… balbutia Angelo.

— Ce n’est pas vrai, cria Madeleine, tu as trouvé cela chez une drôlesse… Veux-tu te taire, méchant garnement !

Angelo se dressa comme un petit serpent.

— Une drôlesse, criait-il affolé d’indignation, elle, elle !… Rendez-moi cette épingle, ma tante, ou bien…

— Ou bien ?…

Elle leva la main.

Il ne broncha pas, et répéta crânement :

— Ou bien je m’en vais.

Ah mais ! c’est qu’il l’aurait fait comme il le disait. C’était clair maintenant. L’ange se révoltait à la fin. Et Dieu sait les cataclysmes qui arrivent quand les anges se révoltent !

Madeleine s’apaisa comme par miracle, toute froide à cette pensée que le petit s’en irait. Cependant elle ne rendit pas l’épingle, mais elle la jeta à travers la chambre. Le bijou roula comme un petit fou avec un son clair, comme s’il se plaignait d’être ainsi maltraité. Angelo courut après, le ramassa, l’essuya, le frotta avec un pan de sa veste ; puis il s’en vint effrontément piquer l’épingle sur une pelote que Madeleine avait confectionnée de ses propres mains.

C’était le comble de l’audace.

Pourtant Angelo était très rouge. Il sentait bien qu’il venait de faire une chose inouïe et il s’attendait à quelque épouvantable châtiment. Il tourna son œil inquiet sur la gouvernante. Celle-ci devina ce commencement de contrition :

— Misérable ! dit-elle du ton le plus creux qu’elle put trouver.

Puis elle tira son mouchoir et se moucha d’une façon terrible en criant qu’elle était bien malheureuse.

— Mais, ma tante, murmura Angelo attendri, de quoi vous plaignez-vous ? Je fais tout ce que vous voulez…

Elle saisit la balle au bond.

— C’est ce que nous allons voir. Angelo…

Elle fut obligée de tousser : elle étranglait.

— Angelo, tu as vingt-trois ans, et je comprends,… c’est-à-dire je ne comprends pas… Mais enfin, vois-tu, mon enfant, il faut être honnête. Dans la vie, il n’y a que cela de bon. Si tu tournais mal, j’en mourrais. Cela devient un crime quelquefois de courir les filles. Si tu savais !… Tu veux une femme ? Eh bien ! il faut en prendre une, voilà tout. Angelo, tu vas te marier.

— Moi ! s’écria le jeune homme, tout étourdi, comme s’il venait de recevoir un mauvais coup.

Et il devint pâle, pâle.

— N’aie pas peur, mon petiot, j’ai bien choisi, va. Tante Madeleine a l’œil fin. Elle sait ce qu’il faut à un petit mignon d’enfant gâté comme toi. C’est une belle demoiselle qui n’a pas le sou, parce que, autrement, elle n’aurait pas voulu d’un pauvre petit diable d’imprimeur. Et j’espère bien que celle-ci ne dira pas non. D’ailleurs, nous avons des économies, par là, de quoi vous faire un joli ménage ! Tu verras comme ce sera gentil. Eh bien ! qu’est-ce que tu as ? Est-ce le regret de ta péronnelle qui te fait faire cette grimace ? Ah ! dis donc, il ne faut pas me mettre en colère. Je veux, tu m’entends bien ?… je veux que tu épouses Mlle Ferrière, ou sinon tu en verras de grises… Et maintenant, file !

Madeleine tendait vers la porte son doigt qui tremblait. Elle était toute rouge d’émotion parce que le petit chancelait avec de grosses larmes dans les yeux. Tout à coup il éclata et vint se jeter comme un perdu au cou de la bonne femme en criant dans un vrai sanglot :

— Tante, tante, je vous aime !…

Et il l’embrassait en pleurant comme un gamin et se cachant la figure dans la collerette de Madeleine bouleversée.

Pour un peu, elle aurait dit : « N’en parlons plus, » tant cela lui gonflait le cœur de le voir sangloter.

Mais lui recommença, comme si la fièvre le tenait :

— Tante Madeleine, vous êtes le bon Dieu… Je vous aime ! je vous aime !…

— Bon, le voilà qui perd la tête, s’écria la gouvernante en serrant tant qu’elle pouvait le petit sur son cœur. Puis elle hasarda :

— Écoute donc, si tu ne veux pas ?…

— Mais si, je veux !

Et il la secoua de la belle façon en se redressant.

Il lui cria encore dans la figure :

— Je veux, entendez-vous, je veux…

Puis il prit la porte, dégringola toutes les marches et disparut, laissant Madeleine, les jambes cassées, se tenant le front à deux mains, essayant de comprendre, tandis que toutes ses idées tournaient dans sa cervelle comme son fil sur le dévidoir. Angelo, nu-tête, ébouriffé comme un petit chien frisé, courait aussi fort qu’il pouvait vers le pensionnat de Mme Morimbeau.

III.

Par bonheur, la porte était entr’ouverte : jamais il n’eût osé sonner. Il se glissa comme un chat dans la petite cour déserte, et, sautillant sur le bout des pieds, il gagna le jardin et se blottit derrière un arbre. De là, il allongea le cou du côté du mur, au fond, là-bas, sous les treilles où il y avait un banc. Il faisait une soirée claire avec un reste de jour dans une partie du ciel. L’autre commençait à laisser percer les premières étoiles. C’était le mois d’août ; le jardin avait toutes ses feuilles, toutes ses fleurs et tous ses fruits : cela embaumait. Et Angelo, subitement affamé de tous ses sens, regardait, aspirait, buvait l’air et allongeait les lèvres pour manger de baisers la jeune fille rêveuse, assise sous les treilles et qui ne le voyait pas. Quand il se fut bien régalé, pour la première fois de sa vie, de voluptés qui lui semblaient désormais permises, il se rapprocha de Thilda, doucement et le cœur détraqué à force de battre.

Elle leva la tête et rougit. Lui, alors, s’arrêta net, n’osant bouger et tout saisi par une confusion subite. S’il avait pu se cacher le visage dans la robe épandue sur les pieds de la jeune fille, peut-être, peut-être encore, eût-il trouvé le courage de lui raconter pourquoi il était venu. Mais comme cela, debout devant elle qui rougissait, jamais de la vie ! Il songea à s’enfuir. Aussi, pourquoi ne disait-elle rien ? Puisqu’on les mariait, elle devait bien le savoir. Elle le regardait très doucement ; ses yeux se promenaient sur lui, demi fermés, avec un battement des cils qui chatouillait follement le cœur d’Angelo. Mais elle ne semblait pas confuse comme une vierge en présence de son fiancé. Cela surprenait le timide neveu de Madeleine. Enfin elle dit, tendant sa main vers lui, d’un geste ami :

— Vous avez bien fait de venir ce soir.

Il trébucha en prenant sa main qu’il lâcha très vite, cela le brûlait, et il vint se coller au mur dans l’ombre d’une traînée de pampres qui lui pendaient sur le nez. Maintenant, plus hardi, il ouvrait sur Thilda ses yeux tout larges, brillans, mouillés comme des bleuets sous la rosée. Elle dit, la voix un peu chevrotante, avec un effort pour paraître calme :

— Il y a comme cela des momens dans la vie où l’on a besoin d’un ami.

Elle s’attendrissait. Des pleurs lui vinrent qui emplirent tout à coup ses yeux.

— Vous pleurez ! balbutia Angelo, qu’une grosse inquiétude souleva de son banc.

Il se pencha pour la voir, sa joue toucha l’épaule de la jeune fille. Elle tourna la tête un peu, et son regard voilé se posa sur les yeux levés d’Angelo. Pendant une seconde, ils se regardèrent ainsi dans le cœur, inquiets tous les deux et cependant ravis de ce toucher de l’âme dont la volupté exquise leur donnait comme la sensation d’un évanouissement. Elle détourna les yeux, lente, avec un sourire et dit tout bas comme un aveu :

— Non, je ne pleure plus !

Angelo baissa la tête, frôlant ses boucles blondes au corsage de Thilda, et il murmura, plus bas encore :

— Je vous aime ! je vous aime !…

Leurs mains s’étaient prises et ils se tenaient éperdûment.

Alors elle dit, presque rieuse :

— Et quand on songe qu’aujourd’hui j’ai été demandée en mariage ! Vous devinez ce que j’ai répondu ?

Angelo se jeta sur les doigts de Thilda et, pour les baiser tous à la fois, il les roula sur sa bouche demi-ouverte. Elle ajouta avec un petit éclat de rire :

— J’ai répondu que j’avais fait le vœu de ne pas me marier.

— Vous avez refusé ! dit-il, lui lâchant les mains, vous avez refusé !…

Elle fit signe que c’était vrai et demeura surprise de la brusque stupeur d’Angelo. Il s’était rejeté dans l’ombre des vignes et elle n’apercevait plus son visage.

Il se taisait.

— Vous me blâmez ? dit-elle d’un ton de reproche.

Puis une colère lui vint.

— J’ai eu tort sans doute. J’aurais dû accepter cette occasion inespérée pour moi, pauvre fille, de sortir de cet esclavage, de vivre d’une autre vie plus large, plus tranquille toujours, avec une famille, moi qui suis seule au monde. Et cependant, lorsque Mme Morimbeau est venue me dire qu’on faisait demander ma main, un effroi m’a prise, mon cœur s’est serré. Oui, j’ai pensé tout à coup que je ne pourrais pas aimer ce… mari et qu’il me faudrait renoncer à mes autres chères affections, à… votre amitié qui m’a consolée et que je puis, du moins, garder au fond de mon cœur sans offenser personne. Et c’est de cela que vous me blâmez, Angelo !…

Elle s’était levée avec un geste désolé, et son regard au ciel disait toute l’amertume de cette dernière souffrance. Et elle s’en allait fière, blessée, rapide, sous la nuit des arbres dont les feuilles basses lui caressaient le front. Distraite et courroucée, elle arrachait les fleurs que rencontrait sa main pendante, et elle les déchiquetait, laissant ainsi derrière elle une traînée de pétales roses et blancs comme un symbole de ses illusions effeuillées.

Angelo venait de comprendre. Il bondit sur les pas de Thilda, léger comme un faon, sans qu’elle l’entendît courir, et il l’arrêta au bout de l’allée dans le découvert du ciel étoilé, près du perron qui s’étendait tout blanc sous la lune. Elle voulut fuir : résolument il saisit sa taille et la retint. Elle ploya, demi renversée, le pied sur la première marche, défaillante. Alors il lui dit dans un grand trouble :

— Savez-vous qui vous avez refusé d’épouser aujourd’hui ?

Elle le regarda.

— C’est moi, acheva Angelo, c’est moi… C’est ma tante qui vous a demandée, et maintenant que vous m’avez refusé, je la connais, elle n’aura pas de repos qu’elle ne m’ait marié à une autre…

— Vous ! vous !… balbutia Thilda, c’était vous !… Mon Dieu ! qu’ai-je fait ? Et Mme Morimbeau, qui est sortie ce soir pour porter ma réponse !

— Nous sommes perdus ! sanglota Angelo.

Ils se prirent dans les bras l’un de l’autre, se serrant bien fort et tremblant comme des enfans désespérés.

— Thilda ! appela soudain une voix à l’intérieur.

— C’est madame !

La jeune fille, essuyant rapidement ses yeux, s’élança dans la maison.

— Adieu !… lui cria Angelo.

Et il s’enfuit en pensant que la nuit ne se passerait pas sans qu’il rendît l’âme.

IV.

Néanmoins il déjeunait le lendemain à table, sa serviette au menton, entre maître Barbarin et sa gouvernante Madeleine. Mais il mangeait du bout des lèvres, rechignant, boudeur, ses grands yeux baissés avec, au-dessous, un cercle noir comme une fille qui met du kohel. Madeleine le regardait furtivement et faisait des soupirs qui gonflaient son fichu de linon très blanc. Un déjeuner fin cependant, joliment arrosé d’un petit chablis gai et frais, couleur de soleil. Des rognons sautés dans un jus de madère embaumaient et des petites bouchées aux truffes avaient des fumets qui taquinaient les narines. Une tranche rose d’un saumon froid s’enfonçait douillettement dans une gelée aux crevettes, tandis qu’une pyramide de fraises musquées attendait sous la neige du sucre en poudre la mousse parfumée d’un demi-flacon de vouvray, dont la tête argentée émergeait d’un seau rempli de glace.

Maître Barbarin, dans sa veste légère de coutil gris, heureux, béat, caressé par ces odeurs gourmandes, mangeait doucement, buvotait et se délectait. Chaque fois que Madeleine passait à Angelo une assiette servie, l’enfant secouait les épaules avec un : « Je n’en veux pas » qui donnait des sueurs à la gouvernante. A la fin, impatientée, elle lui dit :

— Eh bien ! si tu n’as pas faim, va-t’en.

Angelo se leva, jeta sa serviette à terre et sortit.

— Qu’a-t-il donc ? dit maître Barbarin en essuyant délicatement sa bouche sensuelle.

Madeleine ne répondit pas, mais s’en alla voir si personne n’écoutait aux portes. Après quoi, elle revint s’asseoir, se tournant et remuant sur sa chaise comme si elle était sur de la braise. Elle pâlissait des lèvres et ses joues s’enflammaient. L’imprimeur lâcha sa fourchette et la regarda avec un ennui, une peur égoïste en ses petits yeux enfoncés dans la chair bouffie de sa face de gourmand.

Tout à coup Madeleine, la voix étranglée, articula en mâchonnant ses mots :

— Il y a, Théophile, que le petit et moi nous quittons la maison… Je l’emmène à Paris.

— Hein ! quoi ! tu !… vous !… Sacrebleu ! qu’est-ce que c’est que cette histoire-là ? On ne pourra donc pas me laisser vivre tranquille ! Qu’est-ce qui vous prend maintenant ?

Madeleine s’essuyait les yeux.

— Certes, dit-elle suffoquée, il m’en coûtera de quitter cette maison,… et vous-même, malgré votre conduite envers moi. Le bon Dieu sait ce que je souffrirai de vous laisser aux mains d’une autre femme, qui ne saura pas vous soigner comme moi, qui ne connaîtra pas vos habitudes, vos goûts, votre santé, pour vous donner toujours ce qu’il vous faut et ce qui vous plaît… Jésus ! le cœur m’en saigne.

Maître Barbarin, tout blême, avait repoussé son assiette et soupirait. Déjà, et, rien qu’à ce tableau de son futur abandon, il n’en pouvait plus. Cette catastrophe lui tombait sur la tête comme une tuile : il en demeurait assommé. Madeleine leva les yeux au plafond et ajouta :

— Mais je me dois avant tout à mon fils. Mon pauvre petit ! dit-elle en s’attendrissant et les bras arrondis comme si elle le berçait encore, un pauvre agneau qui n’a pas demandé à venir au monde et qui est déjà malheureux !

— Malheureux ? répéta machinalement maître Barbarin. Il ajouta, l’œil méfiant cependant :

— Pourquoi ?

Madeleine se dressa sur ce mot, comme enlevée par un ressort, si bien que le bonhomme épeuré se jeta sur le dos de sa chaise. Elle se penchait :

— Pourquoi ? vous demandez pourquoi, Théophile ? Parce qu’il n’a pas de père, le chérubin, parce qu’il est un pauvre enfant sans nom et que personne ne veut de lui.

— Qui ça personne ? bougonna l’imprimeur, dont la face se plissait d’un air dur.

Madeleine tira sa chaise loin de la table et se laissa tomber dessus, accablée, les mains pendantes.

Elle geignait :

— Je ne veux pas que mon enfant devienne un malhonnête homme. Je ne veux pas qu’il séduise les filles pour les abandonner ensuite avec leur enfant. Je veux le marier jeune, à une femme qui soit faite pour lui, qui lui plaise, et le soigne quand je ne serai plus là, — ce qui arrivera bientôt s’il plaît à Dieu ! — Cette femme je l’ai trouvée, je l’ai choisie pauvre, humble, dans l’espoir qu’elle ne le refuserait pas. Eh bien ! elle l’a refusé ! Si celle-là n’en veut pas, qui donc en voudrait ? Personne. Et mon Angelo porterait toute sa vie le poids de ma honte ! Jamais il n’aurait une famille, une femme à lui, des enfans ! Et je pourrais vivre, moi, après avoir mis au monde un pauvre être innocent pour en faire un malheureux ! C’est bon pour ceux qui n’ont pas de cœur, ni d’entrailles, ni assez d’honnêteté pour réparer leurs fautes, maître Barbarin. Moi je ferai tous les sacrifices pour mon fils ; je m’en irai.

L’imprimeur furieux haussa les épaules.

— Cela vous avancera à grand’chose de vous en aller !

Elle riposta, élevant le ton :

— Cela m’avancera à ceci que, dans une grande ville, d’abord, on ne sait pas qui vous êtes, ni d’où vous venez et que les gens sont moins regardans sur le chapitre de la naissance que dans un petit trou de pays comme celui-ci, où tout se sait. Ensuite, j’ai mon idée.

Ici Madeleine redressa sa taille encore belle malgré l’ampleur ; son œil eut une façon de briller qui fit papilloter les yeux du bonhomme ébahi, et sa voix s’affila comme pour entrer plus avant dans l’oreille et dans le cœur de son maître.

— Il ne faut pas vous imaginer, parce que je vis et que je m’attife comme une vieille femme, que je ne sois plus bonne qu’à faire des cataplasmes et des laits de poule, maître Barbarin. Si vous comptez soixante et dix ans bien sonnés, moi, je viens, tout à l’heure seulement, de toucher mes quarante. Et, je m’entends. Donc il ne me sera pas impossible, — j’aime à le croire, — de rencontrer une personne honorable, ayant de l’âge, des goûts délicats, une santé fragile et qui exige des soins dévoués, et qui ne sera peut-être pas fâchée d’épouser une bonne femme, encore jeune, ménagère, experte en cuisine et en petits raffinemens de gourmet, qui le soignera, qui le dorlotera, qui l’aimera et qui le fera vivre plus longtemps et plus heureux qu’il ne l’eût fait sans elle. Et celui-là entendra trop bien ses intérêts pour refuser la seule condition que je mettrai à son bonheur et qui sera de reconnaître mon fils pour le sien, de lui donner un père, un nom. Nous lui ferons une si belle vie, ensuite, que, j’en jure bien, c’est lui qui nous remerciera. Tenez, le voyez-tous d’ici, ce vieux bonhomme, rasé, peigné, bien vêtu, propre comme un sou neuf, assis dans un bon fauteuil, les pieds chauds, devant une petite table toujours servie de ces petits plats fins que personne ne fait mieux que moi, je m’en vante ? Auprès de lui sa chère femme qui l’embrasse et qui, ma foi, le ragaillardit. Et son fils, mon Angelo, un beau garçon et un honnête homme dont il aura le droit d’être fier. Et sa petite bru, donc ! si mignonne et si gaie, et qui chantera comme un pinson en avril ! Et les petits ! Oh ! les tout petits surtout, qui lui courrent dans les jambes et lui grimpent aux genoux tous ensemble en criant : grand-papa ! grand-papa !

Madeleine s’était prise à son rêve ; elle parlait en le suivant des yeux, transfigurée, rayonnante, rajeunie et presque jolie, en cette minute, comme elle l’était à vingt ans.

Puis un petit frisson lui vint en se rappelant son rôle. Elle coula son regard vers le bonhomme dont la mine attendrie lui gonfla le cœur d’un subit espoir.

— Je n’aurai qu’un chagrin, dit-elle d’une voix bien triste, ce sera de penser que je vous ai laissé seul.

Maître Barbarin fit une telle grimace de chagrin comique, avec l’air penaud d’un vieux renard pris au piège, que Madeleine se leva, sentant le rire la gagner et s’en alla, son mouchoir sur les yeux.

Maître Barbarin, tout seul, et n’ayant point déjeuné, songeait profondément en tournant ses pouces.

V.

Les huit jours qui suivirent cette matinée auraient semblé au vieil imprimeur les plus beaux de son existence si les préparatifs du départ de Madeleine ne lui avaient rappelé à chaque instant que son bonheur allait finir. Jamais soins délicats, attentions fines et multiples n’avaient enveloppé plus délicieusement sa vie. Du matin au soir, on le roulait dans une ouate de félicités et de jouissances qui béatifiaient tout son être égoïste et ramenaient dans ses sens perclus comme une efflorescence de sensations exquises. Ses rhumatismes cédaient à des frictions caressantes, à une médication douce dont l’art de Madeleine savait faire un plaisir. Sa table lui présentait chaque jour une surprise nouvelle, quelque raffinement de haut goût qui tenait en éveil sa sensualité gourmande. Le choix des mets et leur apprêt savant rallumaient d’une flamme discrète le feu amorti de son imagination égrillarde. Les coudes sur la nappe, les lèvres grasses, l’œil piqué d’une petite lueur gaie, il jacassait, dans la fumée de sa pipe, avec Madeleine en face de lui, souriante, un peu coquette, et qui le ramenait, sans en avoir l’air, aux récits troublans des vieux souvenirs. Ensuite il s’endormait, ballottant sur son fauteuil, dans des poses bachiques, sa calotte de travers. La gouvernante se levait et prenait la lampe. Elle l’emmenait, elle le couchait, elle le bordait dans son lit bien blanc, après lui avoir noué son foulard sur le front. La veilleuse allumée, elle sortait sur la pointe du pied, n’ayant point l’air d’entendre s’il la rappelait tout bas. Le matin, quand il s’éveillait, la tasse de chocolat fumait sous son nez. Et la journée recommençait toute remplie de ces douceurs, de ces plaisirs, de ces soins, où l’âme heureuse s’épanouit. Et puis, tout à coup, on clouait une caisse, Madeleine traînait une malle et un froid tombait brusquement sur le cœur du bonhomme. Quelque chose alors le tiraillait. Il tournait autour de la gouvernante, rêveur, mâchonnant sa moustache. Il avait l’air d’hésiter ; et puis, soudainement, il s’en allait.

Elle, derrière lui, se prenait la tête à deux mains, désespérée ; ou bien, elle montait d’un coup ses épaules en grommelant :

— Tu y viendras !

Cependant le temps passait et Madeleine se rongeait d’inquiétude : c’est qu’Angelo, lui, devenait maigre et pâle, et triste à croire qu’il allait faire une maladie.

— C’est cette fille qui lui trotte dans la tête, pensait Madeleine.

Et elle lui avait défendu de sortir. Angelo ne bougeait de l’imprimerie. Pour s’occuper, il faisait la besogne de maître Barbarin, et celui-ci trouvait ses loisirs fort agréables. Le jeune homme était intelligent et le remplaçait à merveille ; le vieux bonhomme n’avait plus qu’à se laisser vivre.

Cependant Madeleine envoya chercha un indicateur, et, un soir après dîner, elle le posa sur la table pour chercher l’heure des trains.

Maître Barbarin changea de visage ; cela tombait au beau milieu d’une digestion exquise, il en fut suffoqué. Ainsi c’était fini : Madeleine partait ; il restait seul. Il s’attendrit sur lui-même à ce point que des larmes lui vinrent aux yeux. Il murmura :

— C’est donc décidé ? tu m’abandonnes, Madeleine ? Hélas ! je suis vieux, je n’ai pas longtemps à vivre, tu aurais pu prendre patience encore, va !

— Et mon fils ? dit-elle.

Il fit un effort :

— Écoute, si tu veux, je lui laisserai mon imprimerie ; tiens, tout de suite, veux-tu ?

Elle secoua la tête.

— Je veux qu’il se marie, et ici ce n’est pas possible… à moins que…

Il répéta docilement :

— A moins que ?…

— Tenez, Théophile, laissons cela. Vous n’avez pas de cœur et maintenant je vous quitterai presque sans regret. Non ! vous n’avez pas de cœur ni de pitié, ni de justice. Depuis le jour où vous m’avez prise, toute jeune et naïve, je vous ai consacré ma vie, à vous qui étiez vieux et que je n’aimais pas. Mais vous m’aviez donné un fils et, pour mon enfant, je me suis résignée à tout. J’espérais que ma conduite vous toucherait, que la vue de votre enfant vous donnerait pour lui des entrailles de père, que vous seriez fier de l’avouer un jour, car vous n’avez pas à rougir de lui : il est beau, il est instruit, il est honnête, et vous savez que moi je n’ai jamais été qu’à vous. Vous pouviez nous donner votre nom ! nous en étions dignes et vous nous le deviez ; mais vous êtes un égoïste. Eh bien ! nous vous quitterons.

Elle fit un geste. Il crut qu’elle se levait et il allongea la main.

— Alors, dit-il, alors tu veux que je t’épouse ? A notre âge, on se moquera de moi…

— Ah ! bien, après ? On jacassera peut-être ; mais les honnêtes gens diront que vous avez fait votre devoir. Et vous ne vous en repentirez pas, Théophile. Au lieu de vivre seul et de mourir seul sans personne pour vous aimer et pour vous fermer les yeux, et pour prier pour vous, vous aurez autour de vous une famille qui vous adorera comme un père et vous vénérera comme un dieu. Ils ne se moqueront plus de vous, les gens qui verront tout le bonheur que nous vous aurons fait.

Le bonhomme baissait la tête, tout surpris des sentimens nouveaux qui lui venaient. Ces mots de père, de famille, entraient avant dans son vieux cœur et y éveillaient un écho jusqu’alors muet. Ce cœur battait lourd en ce moment avec un besoin inouï de tendresse et d’effusion. La porte s’écarta brusquement et Angelo se précipita comme un fou, les cheveux envolés, une lettre à la main. Puis, à Madeleine :

— C’est de Mme Morimbeau, dit-il, tout essoufflé.

Madeleine ouvrit la lettre et fit un geste de surprise. Le visage tout mouvant d’émotion, elle dit à Angelo :

— Cours vite chez Mme Morimbeau lui répondre que j’irai demain.

Angelo prit sa course, affolé de joie. Mais l’imprimeur le rappelait à si haut cris que le jeune homme s’arrêta et revint se pencher à la porte.

— Qu’y a-t-il ? vite, disait-il, repartant déjà.

— Écoute…, c’est une commission, c’est… barbotait maître Barbarin. Approche-toi… Mais approche donc, morbleu !

Et lorsque Angelo impatient se fut jeté devant lui, le bonhomme l’attrapa par sa veste, le courba vers sa bouche qu’il tendait et l’embrassa sur la joue, bruyamment. Puis il bégaya, les yeux troubles :

— Sauve-toi, maintenant.

Madeleine se tenait à quatre pour ne pas sangloter. Elle relut sa lettre par contenance, et elle finit par dire :

Mme Morimbeau me prévient que Mlle Ferrière, cette jeune fille qui a refusé Angelo, demande à me parler. C’est une personne bien élevée ; elle veut s’excuser sans doute. Après cela, dit-elle encore en hésitant, je ferais peut-être bien de n’y point aller, car si elle me parle de la situation d’Angelo…

Maître Barbarin s’était levé, tout seul, comme rajeuni par ses émotions généreuses, et il s’en alla prendre Madeleine à deux bras, la regardant avec des larmes.

— Eh bien ! dit-il, tu lui apprendras qu’Angelo est notre fils, madame Barbarin.

VI.

Madeleine, s’habillant le lendemain pour se rendre chez Mme Morimbeau, sans y songer, mettait plus de soin à sa toilette, une certaine recherche où la tournure humble de la gouvernante disparaissait un peu sous le relief plus cossu de la bourgeoise. Et dans ce travail, elle se prenait insensiblement à des mouvemens d’orgueil qui la gonflaient. Elle mâchonnait en se regardant, se redressant, se faisant des sourires fiers :

Mme Barbarin ! Mme Barbarin ! Au fait, dit-elle tout à coup, Angelo est un riche parti maintenant. Il pourra trouver mieux que cette institutrice qui n’a pas le sou. Je vais lui glisser cela tranquillement, à cette demoiselle qui a fait la sottise de nous refuser. D’ailleurs, j’ai l’idée que le percepteur pourrait bien nous donner sa fille. Elle a une dot, celle-là !

En sortant, elle passa par l’imprimerie. Maître Barbarin, tout seul, dormait, bien étalé dans son fauteuil, au frais, sans habit, les jambes allongées, la bouche ouverte. Dans la pièce à côté, Angelo, assis devant le bureau du patron, composait le journal, une feuille hebdomadaire remplie d’annonces, avec une page consacrée aux élucubrations de quelques indigènes, collaborateurs naïfs et gratuits.

Madeleine, en entrant, surprit Angelo immobile, un mouchoir sous le nez. Elle crut qu’il pleurait et se pencha. Mais le mouchoir avait subitement disparu et les yeux d’Angelo brillaient d’un éclat qui n’était pas celui des larmes.

Madeleine lui caressa les cheveux, l’embrassa et lui murmura, la voix câline :

— Pauvre petit mignon, va, sois bien sage, tu seras tout plein heureux dans quelques jours. Allons, je m’en vais. Tu sais, elle n’a pas voulu de toi, Mlle Ferrière ? Elle en voudrait peut-être bien aujourd’hui, mais trop tard, mademoiselle ; nous avons mieux que cela pour notre Angelo. Travaille bien, petit.

Et Madeleine s’en alla toute riante dans ses espoirs maternels.

Le mouchoir qu’Angelo avait si prestement escamoté reparut, mais cette fois il en tamponna sa bouche pour étouffer ses cris. Il beuglait dedans, il le mordait comme un petit enragé, en donnant des coups de pied sous la table. Il ne se connaissait plus de colère, de douleur. Même il eut cette pensée qu’il voudrait battre tante Madeleine. C’était inouï, à la fin, qu’elle disposât de lui avec cette autorité despotique. Oui, despotique ! Et il était un homme, après tout, et il le lui ferait bien voir. Et il allait prendre une résolution tout de suite. D’abord il se décida à enlever Thilda, et puis il réfléchit que la jeune fille n’y consentirait peut-être pas. Alors il s’enfuirait, il s’en irait tout seul, n’importe où, bien loin… Il pleurait tant qu’il pouvait. Et son chagrin était si gros qu’il ne connut bientôt plus de bornes. Alors, tout net, il cessa de pleurer et devint calme et grave comme au moment des résolutions suprêmes. On verrait qu’il n’était plus un enfant.

Cependant Madeleine avait sonné chez Mme Morimbeau. Thilda vint la recevoir. Rougissante, très émue, la jeune fille s’empressa pour faire asseoir Madeleine dans le parloir de la pension. Elles étaient seules.

— Mademoiselle,… commença la gouvernante d’un air pincé.

— Madame,… murmurait l’institutrice.

— J’ignore, continua Madeleine, pour quel motif Mme Morimbeau m’a priée de venir.

— C’est en mon nom, madame, et je vous remercie d’être venue.

Madeleine attendait, très digne, mais un peu troublée par l’embarras plein d’émotion de Mlle Ferrière.

Thilda baissa les yeux pour dire :

— Je vous prie de m’excuser, madame, si j’ai fait répondre à votre demande par un refus… je ne savais pas…

— C’est très naturel, mademoiselle, interrompit Madeleine en se levant, et vous n’aviez pas à vous excuser. Heureusement que mon Angelo…

— Oh ! je vous en prie, madame, s’écria la jeune fille se levant aussi et s’arrêtant devant Madeleine, soyez bonne, aidez-moi. J’ai à vous dire une chose… qui me coûte beaucoup. Mais je suis sans famille ; toute seule, il faut bien que je m’explique moi-même. C’est un aveu que je ne puis faire qu’à vous… J’aime Angelo.

Thilda, toute frissonnante, venait de cacher son visage dans ses mains. Madeleine la regardait ébahie. Elle ne comprenait pas, mais elle crut comprendre.

— C’est-à-dire que vous aimez l’enfant ; — il est assez beau pour cela, du reste, — mais vous ne pouvez pas l’épouser à cause de sa naissance. Vous êtes de bonne famille, vous, et dame ! cela se comprend…

— Vous vous trompez, répondit doucement Thilda avec un regard timide de ses grands yeux noirs, je serais trop heureuse d’épouser Angelo.

— Mais vous l’avez refusé !

Mme Morimbeau ne m’avait pas dit son nom.

— Comment ! vrai ? s’écria Madeleine. Alors vous accepteriez ce pauvre petit, tel quel, sans famille, sans fortune ?…

— Nous travaillerions et nous serions heureux, murmura la jeune fille.

Madeleine avait les expansions brusques. Son cœur, gonflé, se détendit dans un cri de tendresse :

— Ah ! que je vous aime ! dit-elle, puisque vous aimez mon Angelo !

Et elle tira contre elle la pauvre fille tout éperdue de joie à cette caresse de mère :

— Eh bien ! vous avez de la chance, ma petite, reprit tout à coup la gouvernante, les yeux brillans de plaisir, et vous n’avez pas fait un mauvais rêve ? Apprenez, mademoiselle, qu’Angelo est le fils unique et… légitime de maître Barbarin et son successeur immédiat à l’imprimerie !

Et Madeleine se redressa triomphante, attendant l’effet magique de ses paroles.

Thilda, très sérieuse, répondit :

— Tant mieux… pour Angelo ! Mais puisqu’il est riche, maintenant, vous ne pouvez songer à lui faire épouser une femme sans fortune, car je n’ai rien, moi, madame.

— Taisez-vous donc ! grommela Madeleine, bourrelée d’émotion. Vous êtes bonne vous êtes belle ; ne dites pas que vous n’avez rien. Je vous trouve riche, moi, c’est pour cela que je vous donne à mon fils…

Madeleine fit un mouvement brusque en lâchant ce mot qui échappait, à son cœur et une confusion soudaine l’empourpra. Mais Thilda s’était jetée sur elle :

— Mère ! dit-elle en lui mettant ses bras autour du cou.

VII.

On fit les noces, très hâtivement, sur le désir de Madeleine. A peine eut-elle épousé maître Barbarin, sans aucune cérémonie et le plus discrètement du monde, que l’on publia les bans d’Angelo et de Mlle Ferrière. La petite ville clabauda sur ces deux événemens à s’en donner la fièvre. Les commères surtout ne tarissaient pas, et, méchamment, pour vexer l’ancienne gouvernante, que, jadis, l’on appelait : Madame Barbarin, elles affectaient aujourd’hui de l’appeler : Madame Madeleine. Mais celle-ci remettait à plus tard le soin de redresser les impertinences et de faire valoir ses droits de bourgeoisie : Madeleine avait bon bec et les commères n’y perdraient rien. Ce qui l’occupait, l’obsédait, c’était le mariage d’Angelo. Maintenant que Madeleine adorait Thilda, il lui prenait des remords : elle se mourait d’inquiétude en songeant que peut-être le petit ne serait pas digne de cette belle jeune fille qui l’aimait tant. L’aimerait-il, lui ? Son cœur n’était-il pas secrètement attaché à la « femme » qui lui avait donné des gages d’amour ? Oh ! cette épingle d’or ! Madeleine en rêvait ; cela devenait un cauchemar. Cependant Angelo paraissait joyeux de son mariage, même un peu fou ; mais il continuait à devenir maigre et pâle, avec des yeux grands qui n’en finissaient plus. Il se résigne, pensa Madeleine ; à moins que le petit misérable, déjà corrompu jusqu’aux moelles, ne s’accommode du mariage que dans l’espoir d’en tirer des avantages pour payer ses débauches.

Un jour qu’elle déménageait la chambrette d’Angelo pour l’installer dans sa propre chambre, désormais réservée au jeune couple, elle fureta rageusement dans tous les coins sans parvenir à retrouver l’épingle :

— Qu’en as-tu fait ? dit-elle brusquement à Angelo.

Lui, qui la regardait sournoisement, avec des rires cachés, devina tout de suite et répondit :

— Je l’ai perdue !

— Où cela ?

— Dans la rue.

— Dans la rue ! Tu la promenais donc avec toi !

Madeleine indignée, les bras croisés, ouvrait terriblement les yeux sur ce dernier témoignage de perversité.

— Ainsi, reprit-elle, tu avais l’audace d’aller voir ta fiancée, avec ce souvenir d’une autre… sur ton cœur, peut-être, misérable !

— Mais, ma tante… maman, balbutia Angelo qui ne pouvait s’habituer à lui donner ce titre, malgré les douces remontrances de Thilda. Cependant lorsqu’il y parvenait, les colères de Madeleine tombaient tout net et sa voix grondeuse se faussait dans un attendrissement subit. Angelo continua :

— Vous n’avez jamais voulu m’écouter. Si vous saviez pourtant !

— Tais-toi ! s’écria Madeleine. Elle tremblait maintenant qu’il lui fît aveu : elle ne se sentait plus assez de sévérité pour l’entendre. Elle reprit tout ébranlée par ses émotions :

— Tais-toi, je ne veux rien savoir ; mais écoute-moi. Tu es un homme aujourd’hui, on peut te parler raison. Ce qui est fait est fait : c’est passé, n’en parlons plus. J’aurais préféré que tu restasses sage jusqu’à ton mariage ; c’était mon idée, le but de toute ma vie. Mais enfin quoi ! tu m’as échappé ; le bon Dieu l’a permis : n’en parlons plus. Mais pour l’avenir, Angelo, oh ! vois-tu, si tu faisais comme les autres hommes, si tu faisais souffrir ta femme, si tu la trompais, si tu avais des maîtresses, non, je le sens, je n’y survivrais pas !

Et Madeleine continua, très solennelle :

— Jure-moi que tu ne reverras jamais la… personne qui t’avait donné cette épingle.

Le jeune homme alors éclata, furieux, tapant du pied ; il cria, levant les bras :

— Mais c’est impossible, puisque…

— Va-t’en ! sauve-toi, je t’écrase !… criait Madeleine hors d’elle les poings tendus, les yeux écarquillés d’indignation et d’horreur.

Ah ! si ce mariage n’eût pas été à la veille d’être conclu, comme elle l’eût fait rompre, et comme elle se sentait coupable vis-à-vis de cette malheureuse fiancée !

Mais le jour fatal était venu, tout était prêt, les robes cousues, le festin commandé, les invitations lancées. On parait l’église, on posait des tapis, on enguirlandait les cierges et le portique. Thilda se recueillait dans les troublantes rêveries de ses dernières heures de jeune fille.

— Je veillerai ! se répétait Madeleine avec une énergie farouche.

Enfin la cérémonie s’accomplit. Jamais on ne vit rien de plus charmant que ce petit couple trottinant ensemble, à la sortie de l’église, avec une gravité pleine de gaucherie.

Ils se serraient bien près tous les deux, comme s’ils avaient peur de se perdre.

Et dans la clarté du soleil, qui les bénissait d’une large tombée de rayons, tout cela se mêlait, les boucles brunes et la frisure blonde, le voile flottant et l’habit noir, la moustache fine et conquérante et la couronne blanche aux fleurs embaumées. On ne pouvait s’y tromper : ceux là étaient bien unis. Lui souriait, elle aussi avec ses yeux mouillés, brillans sous la paupière mi-close.

On les ennuya beaucoup en les séparant, comme il convient, pour l’étiquette du dîner. Assis face à face, ils se regardaient bien naïvement, à pleins yeux. Angelo, lui, la mangeait bien mieux que ce que l’on servait sur son assiette. Elle en ressentait des frissons, parfois à lui voir remuer les lèvres. Autour d’eux on plaisanta beaucoup ; ils ne comprenaient pas. Cependant ils trouvèrent le dîner bien long. Il y avait là des gens graves qui péroraient lentement, sans pitié, et d’autant plus bavards qu’ils avaient mieux dîné. Madame Morimbeau s’épancha. Elle avait des ambitions littéraires et s’en ouvrit en des phrases doctes. Même elle promit, en permettant que l’on en prît acte, de dédier l’ouvrage qu’elle comptait présenter à l’Académie, au premier-né de Mme  et M. Barbarin Junior.

Là-dessus, on porta un toast qui mit en feu les deux petits visages des nouveaux époux. Madeleine en eut pitié et les tira de table pendant le tapage des verres. Tous les deux, elle les emmena ; puis, sans phrase, sans discours, elle les conduisit à leur chambre.

— Je sais bien que ce n’est pas ainsi l’usage, dit-elle, mais, ma foi, je trouve les habitudes de province révoltantes. Vous voici mariés, toutes les herbes de la Saint-Jean y ont passé, vous vous appartenez, arrangez-vous, le reste ne regarde personne. Bonsoir !

Elle s’en allait si émue sans le vouloir dire, que son bougeoir tremblait dans sa main, lorsque son regard rencontra sur la cheminée, brillante comme une tache d’or dans la grande lumière de toutes les bougies des flambeaux, l’épingle maudite piquée insolemment toute droite sur la pelote de satin blanc de la mariée.

Ses jambes plièrent, elle eut au cœur un coup terrible. Du revers de sa main elle essuyait ses yeux. Puis une pensée brusque lui vint. Si Thilda apercevait cette épingle ! Elle tourna la tête vers les mariés. Ils étaient là tous les deux, plantés, arrêtés au milieu de la chambre, se tenant par la main, bien fort par exemple, mais ne se regardant pas, ne bougeant pas, presque dos à dos. En dessous leurs yeux luisaient. Tout près on eût entendu la jolie musique de deux pauvres petits cœurs détraqués qui battaient comme des fous.

Madeleine se glissa du côté de la cheminée et prestement, d’un coup, enleva l’épingle. Mais, à ce moment, Thilda l’avait suivie des yeux et, surprise, elle s’écria :

— Mon épingle !

Elle se rapprocha de Madeleine, qui demeurait pétrifiée, les doigts en l’air avec la boule qui tremblotait ; et elle ajouta, regardant Angelo derrière elle, qui ne lâchait pas sa main :

— Je l’avais perdue.

Il répondit :

— Je l’avais trouvée… et je la gardais.

Alors Madeleine reprit ses sens :

— C’était votre épingle, Thilda ? bien vrai ?

La jeune femme tira de ses cheveux un bijou tout pareil et le lui tendit :

— Voyez, dit-elle.

Alors Madeleine, courroucée, apostropha Angelo.

— Tu ne pouvais pas me le dire, n’est-ce pas ?… et un flot de paroles lui sortit des lèvres. Elle se soulageait d’avoir tant souffert. Cependant Angelo s’impatientait et la poussait en riant vers la porte.

— Eh ! dit-il, criant bien fort pour l’interrompre, vous n’avez jamais voulu me laisser parler…

Mais une pensée retourna soudain Madeleine. C’était cette épingle qui était la cause de leur bonheur à tous, du mariage d’Angelo et de son mariage à elle, sa réhabilitation. Sans la frayeur qu’elle lui avait donnée, la jolie petite épingle d’or, rien de tout cela ne serait advenu.

— À quoi tient le bonheur cependant ! murmura Madeleine. Voulez-vous bien me la donner, Thilda ? dit-elle en appuyant toute souriante le bijou sur ses lèvres.

— Oui, oui, mille fois oui !… répéta, après sa femme, Angelo qui trépignait.

Madeleine se sauva, tirant la porte sur les deux enfans, qui déjà s’embrassaient. Et elle s’en alla dans sa chambre, où, près du lit, pendait une façon de vieux cadre à vitre mobile derrière laquelle se voyait un mélange bizarre de petits objets fanés, des reliques, comme disait Madeleine. Il y avait là des petits bas, des petits chaussons de laine tricotés, tout petits à mettre le bout du doigt et qu’avaient chaussés les jolis petons d’Angelo. Et puis un hochet tout mordillé, avec son grelot d’argent. Et une croix d’honneur quand le petit allait en classe, et une longue boucle de cheveux fins d’un blond d’or pâle. Et encore des chiffons.

Madeleine ouvrit pieusement la vitre, elle regarda longuement, et les yeux troubles, ces chers souvenirs de l’enfant tant aimé, et, les doigts tremblans, au beau milieu de son trésor elle piqua l’épingle.


George de Peyrebrune.