P. F. Fauche et compagnie (Tome Ip. v-x).
Lettre I  ►


PRÉFACE.




L’ouvrage qu’on présente au public est-il un roman, est-il une histoire ? Cette question est facile à résoudre. On ne peut appeler roman, un ouvrage qui renferme des récits exacts de faits avérés. Mais, dira-t-on, le nom du marquis de St. Alban est inconnu, il n’est sur aucune des tables fatales de proscription ; je n’en sais rien ; mais les événemens qu’il raconte sont vrais, et l’on a sans doute eu des raisons pour ne pas mettre à la tête de ce recueil de lettres, les véritables noms des personnages. S’il paraissait une description du tremblement de terre de la Calabre, par un homme qui s’en dirait témoin oculaire, et qu’il rassemblât le tableau de toutes les circonstances de cet horrible bouleversement, et la fidelle peinture des terreurs, des angoisses, des souffrances des malheureux habitans de cette contrée, dirait-on que c’est un roman, parce que l’auteur n’en serait pas connu ? Il en est de même de l’Émigré, tous les malheurs qu’il raconte sont arrivés. A-t-il été reçu avec le plus touchant intérêt par une famille illustre d’Allemagne ? Un grand nombre d’Émigrés a été favorablement accueilli dans plusieurs pays, par des gens humains et généreux. A-t-il été amoureux ? Il me semble que rien ne choque moins la vraisemblance, et j’aimerais autant qu’on mît en question si un homme a eu la fièvre. Un poëte tragique à qui l’on demandait au commencement des scènes sanglantes de la Révolution, s’il s’occupait de quelque ouvrage, répondit : la tragédie à présent court les rues. Tout est vraisemblable, et tout est romanesque dans la révolution de la France ; les hommes précipités du faîte de la grandeur et de la richesse, dispersés sur le globe entier, présentent l’image de gens naufragés qui se sauvent à la nage dans des îles désertes, là, chacun oubliant son ancien état est forcé de revenir à l’état de nature ; il cherche en soi-même des ressources, et développe une industrie et une activité qui lui étaient souvent inconnues à lui-même. Les rencontres les plus extraordinaires, les plus étonnantes circonstances, les plus déplorables situations deviennent des événemens communs, et surpassent ce que les auteurs de roman peuvent imaginer. Un joueur, homme d’un grand sang froid, se contentait de dire à l’aspect des coups les plus piquans ; cela est dans les dés : on peut dire de même au récit des plus singulières ou tragiques avantures, cela est dans une révolution. Je n’en dirai pas d’avantage sur cet ouvrage ; s’il intéresse, je n’aurai pas eu tort de le publier, s’il produit un effet contraire, j’emploierais en vain tous les raisonnemens pour m’en justifier.

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