L’Émigré/Lettre 161
LETTRE CLXI.
à
Melle Émilie de Wergentheim.
J’ai l’honneur de vous envoyer, Mademoiselle, un paquet dont le détail est bien triste à vous faire ; il renferme une copie d’une lettre de monsieur le Vicomte de ***, qui vous apprendra la perte que nous avons faite, et j’ose dire la France ; plus une lettre pour vous recommander la Comtesse, dans l’affreuse situation où elle se trouve : cette lettre a été dictée au Marquis par le plus noir pressentiment, que l’avenir n’a que trop justifié ; enfin à ces deux lettres est joint un portrait de la Comtesse, fait par le Marquis avec cette inscription :
Les expressions me manquent, Mademoiselle, pour continuer, pour m’étendre sur un pareil sujet ; quel funeste devoir vous avez à remplir ! car c’est de vous seule que la Comtesse peut apprendre l’horrible sort du Marquis, l’excès de son propre malheur. Que pourrais-je vous dire et vous conseiller ? votre prudence et votre amitié iront par de-là ce que je pourrais prévoir et vous recommander. Madame de Longueil est malade en ce moment, et plongée dans le plus affreux désespoir ; elle semble se multipier, pour éprouver à la fois et le sentiment de sa profonde douleur, et celui de la Comtesse et du Commandeur. Si près d’être heureux, quel coup de foudre ! J’ai à m’occuper des dernières dispositions de notre ami, dont son amitié m’a confié l’exécution : elles seront littéralement suivies ; c’est un triste et douloureux ministère, mais le plus désolant est celui dont vous êtes chargée ; rappelez tout votre courage, Mademoiselle, pour apprendre à notre amie l’excès de son infortune. Je vous envoie une copie du testament et un récit affreux qui vous instruira de tout. J’espère qu’après-demain je pourrai me rendre auprès de vous, avec Madame de Longueil ; puissions-nous, Mademoiselle, aider à vous soutenir dans vos douloureuses fonctions, et les adoucir en les partageant. Agréez mon profond respect et mon fidelle attachement.
Madamede Longueil vous embrasse tendrement, et sa main tremblante de douleur ne lui permet pas de vous écrire deux lignes que ses larmes effaceraient.