L’Émigré/Lettre 155
LETTRE CLV.
au
Marquis de St. Alban.
Je m’empresse, mon cher Marquis, de vous donner une bien bonne nouvelle ; son Altesse vient de vous accorder de son propre mouvement le commandement d’un bataillon. Je n’ai pas besoin de vous dire combien il est flatteur d’avoir dans les circonstances actuelles sous ses ordres, cinq compagnies composées en parties de gentilshommes. Il y a parmi les simples soldats des capitaines, des lieutenants-colonels, des officiers qui ont le brevet de colonel. La noblesse
Française ne s’embarrasse pas des grades,
quand il s’agit de servir son roi,
et l’on verse des larmes d’admiration,
en voyant des hommes blanchis dans
le commandement, s’honorer d’être
soldat ou cavalier. Ne perdez pas
de temps à vous rendre auprès de son
Altesse, qui me charge de vous faire
part du choix qu’elle a fait de vous,
et de vous prévenir qu’il se passera
quelque chose d’intéressant avant peu :
je jouis de la satisfaction que vous
éprouverez en apprenant cette nouvelle,
et de l’espérance qu’il nous
semble enfin permis de concevoir ; je
vous renouvelle avec bien du plaisir
mon fidelle, ancien et éternel attachement.
P. S. Je vous envoie à tout hasard vingt-cinq louis, mon cher Marquis, pour votre route, afin que rien ne puisse s’opposer à votre impatience. Si vous n’en avez pas besoin, vous me les rendrez en arrivant, mais ne vous faites aucun scrupule d’accepter ce faible service.